Ils se sont montrés paranoïaques, mystiques, mégalomaniaques ou autoritaires. Portraits de dix dirigeants dans leurs œuvres.
L’Afrique a connu des chefs d’Etat aux profils et aux personnalités les plus divers au cours de son histoire récente.
Peu ont brillé par leur intelligence politique ou leur sens du devoir et beaucoup par leurs travers.
Certains se sont particulièrement distingués par leurs comportements loufoques ou ubuesques et d’autres par leurs pratiques mégalomaniaques.
Abdoulaye Wade, l’ex du Sénégal
Bien des Sénégalais l’avouent à contrecœur, Gorgui (le vieux en wolof), leur manque. Depuis que l’ex-président officiellement âgé de 86 ans, a quitté le pouvoir en mars 2012, la vie politique sénégalaise paraît bien terne. Son successeur Macky Sall est fréquemment comparé à François Hollande, consensuel au point d’en devenir parfois ennuyeux.
Pendant douze ans de règne, celui qui se définit en toute modestie comme «l’Africain le plus diplômé du Cap au Caire» a abreuvé les médias de déclarations plus fracassantes les unes que les autres.
Les Sénégalais aimaient à le comparer à un autre avocat d’affaires tout aussi turbulent, Nicolas Sarkozy. Mais Wade préférait se mesurer à François Mitterrand dont il avait étudié toute la carrière allant jusqu’à imiter sa gestuelle de monarque républicain.
La longue traversée du désert du natif de Jarnac avait fini par persuader Wade qu’il pourrait lui aussi arriver un jour au pouvoir, malgré son grand âge et son long exil en France, la mère patrie de son épouse Viviane.
Outre les joutes politiques, Abdoulaye Wade possède une passion dévorante: donner des leçons à tout le monde. Il assénait même des cours d’économie à des prix Nobel… d’économie.
Pourtant, le pays qu’il dirigeait n’est guère un modèle de rigueur budgétaire. Le Sénégal est l’un des pays africains qui a le plus bénéficié de l’aide au développement sans que la pauvreté ne diminue. Les diplomates étrangers ont même inventé une formule poétique pour évoquer l’argent détourné: le coefficient d’évaporation.
Si le «coefficient d’évaporation» ne dépasse pas les 15%, ils ne jugent pas nécessaire de s’inquiéter. La situation est alors jugée normale. Sous le règne d’Abdoulaye Wade le «coefficient d’évaporation» aurait eu tendance à s’envoler, au dire de nombreux diplomates, pressés de voir le très libéral Gorgui prendre sa retraite.
Symbole des errances du régime, la statue de la renaissance construite par Wade. Une «arlésienne» qui a coûté 15 milliards de francs CFA (environ 24 millions d’euros), en plus de 27 hectares de terres situées autour de l’aéroport Léopold Sédar Senghor allouées à un homme d’affaires.
Et cerise sur le gâteau: Abdoulaye Wade déclarait devoir récupérer 35% des royalties que générerait le colosse en bronze au titre de droit d’auteur. Une thèse contestée par le sculpteur Ousmane Sow.
Prodigue avec l’argent de l’Etat, Abdoulaye Wade n’hésitait pas à distribuer les deniers publics aux marabouts, aux lutteurs et à tous ceux qui se montraient prêts à jouer les griots.
Afin de se faire élire en 2000 Gorgui n’avait pas hésité à promettre d’inventer une machine à faire le mafé (plat sénégalais). Il avait aussi promis d’installer des TGV et des centrales nucléaires au Sénégal.
Il promettait aussi un emploi pour tous. En plaisantant, les Sénégalais affirment que les seuls jeunes avec lesquels il a tenu cette promesse sont son fils Karim et sa fille Syndiely.
La machine à mafé ? Une idée à laquelle il était sans doute le seul à croire. Mais comme il était intimement persuadé de sa supériorité intellectuelle sur le reste du peuple sénégalais, le fait d’être le seul à partager une opinion ne l’a jamais gêné.
Alors que son fils Karim est dans le collimateur de la justice, le facétieux Wade n’hésite pas à avouer qu’il a donné de l’argent à son héritier. Mais Wade ajoute aussi qu’il en a beaucoup donné à…Macky Sall, son successeur à la tête de l’Etat et celui qu’il suspecte de vouloir jeter son fils en prison.
Malgré sa défaite cuisante de mars 2012, Wade n’est pas décidé à prendre sa retraite. A ceux qui le disent à l’article de la mort, il répond tout de go: «Je vous enterrerai tous».
Il dirigeait toujours le PDS (Parti démocratique sénégalais) lors des législatives de juillet 2012. A cette occasion, le fondateur du PDS avait fustigé l’un des ses ex lieutenants, l’accusant d’avoir «importé» des albinos du Mali afin de procéder à des sacrifices humains.
Selon Wade, son ex-lieutenant comptait ainsi gagner les législatives. On vous le dit, avec maître Wade, l’ennui ne guette jamais.
Sani Abacha, le «big brother» gendarme de l’Afrique de l’Ouest
Le président Sani Abacha qui a dirigé le Nigeria de 1993 à 1998 aura marqué son pays et toute l’Afrique de l’ouest par sa tyrannie et son pouvoir hégémonique. Dès son accession au pouvoir, il a fait substituer les institutions démocratiques par un gouvernement militaire et beaucoup de fonctionnaires civils par des militaires.
Son gouvernement était un savant dosage de militaires - pour la plupart des généraux - et d’officiers supérieurs de la police. Ce professionnel des coups d’Etat et compagnon de longue date de son prédécesseur au pouvoir Ibrahim Babangida était un obsédé du contrôle des institutions de l’Etat et des citoyens. Jamais les fameux services de renseignement nigérians dénommés « SSS » (State Security Services) n’auront été aussi actifs que sous son règne.
Sani Abacha a fait de la presse, son ennemi public numéro 1. Le patron de Tell Magazine, Onome Osifo-Whiskey en sait quelque chose. Lui qui était obligé de changer de planque continuellement pour fuir les hommes de Sani Abacha et qui a effectué plusieurs séjours en prison.
Le respect des droits de l’homme n’a jamais été la tasse de thé du «big brother». Abacha a laissé mourir en prison, Moshood Abiola, le vainqueur de la présidentielle de 1993 à la suite de l’annulation de laquelle il a pris le pouvoir. Abacha a aussi jeté en prison l’ex-président et général Olusegun Obasanjo qui, selon des sources dignes de foi, n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention de plusieurs chefs d’Etat africains dont le président Mathieu Kérékou du Bénin.
En 1995, le dictateur aux lunettes noires a fait pendre l’écrivain Ken Saro Wiwa et ses compagnons militants Ogoni des droits de l’homme. Serge Félix N’Piénikoua, journaliste béninois, raconte à quel point Sani Abacha était paranoïaque:
«Lors d’un sommet de la Cedeao à Cotonou, les services de sécurité de Sani Abacha qui transportaient de gros bagages contenant des armes avaient refusé tout contrôle à l’aéroport de Cotonou. Ils ne se gênaient d’ailleurs pas pour bousculer la garde rapprochée du président Mathieu Kérékou dans le but d’assurer la sécurité de leur président. Et pendant le sommet qui se tenait dans la salle de conférence de l’hôtel Plm Alédjo à Cotonou, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Théophile N’Dah, avait imprudemment appuyé sur un interrupteur qui avait coupé la lumière et plongé toute la salle dans l’obscurité. Le temps de le rallumer l’électricité, quelle n’avait pas été la surprise de tous les participants de constater quand la lumière fut remise que la garde rapprochée de Sani Abacha braquait déjà de gros engins de mort sur toute l’assistance, des armes qu’on avait jamais vues».
Ennemi juré des Etats-Unis d’Amérique, beaucoup pensent que la mort de Sani Abacha est à mettre sur le compte de services de renseignements de pays occidentaux qui auraient infiltré ses services: une femme l’aurait empoisonné la veille d’un sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Alors que ses services de sécurité étaient déjà en place et qu’on l’attendait à Ouagadougou, l’annonce de sa mort le 8 juin 1998 avait, en effet, surpris plus d’un. Officiellement, il s’est agi d’une crise cardiaque mais selon le célèbre magazine nigérian Newswatch, il s’agirait plutôtd’un excès de Viagra trafiqué alors que le dictateur était en plein ébat avec des prostituées libanaises. Mais pour son épouse, «son mari a été tué par ses meilleurs amis».
L’un des grands mérites de ce dirigeant du Nigeria que l’histoire retiendra, au-delà de ses méthodes brutales et dictatoriales, aura été de restaurer la démocratie en Sierra Leone. A la suite du coup d’Etat du 25 mai 1997 dirigé par le lieutenant-colonel Johnny Paul Koroma contre le président démocratiquement élu Ahmad Tejan Kabbah, Sani Abacha avait envoyé des troupes nigérianes pour chasser les usurpateurs du pouvoir et réinstaller Ahmad Tejan Kabbah le 10 mars 1998.
L’Afrique a connu des chefs d’Etat aux profils et aux personnalités les plus divers au cours de son histoire récente.
Peu ont brillé par leur intelligence politique ou leur sens du devoir et beaucoup par leurs travers.
Certains se sont particulièrement distingués par leurs comportements loufoques ou ubuesques et d’autres par leurs pratiques mégalomaniaques.
Abdoulaye Wade, l’ex du Sénégal
Bien des Sénégalais l’avouent à contrecœur, Gorgui (le vieux en wolof), leur manque. Depuis que l’ex-président officiellement âgé de 86 ans, a quitté le pouvoir en mars 2012, la vie politique sénégalaise paraît bien terne. Son successeur Macky Sall est fréquemment comparé à François Hollande, consensuel au point d’en devenir parfois ennuyeux.
Pendant douze ans de règne, celui qui se définit en toute modestie comme «l’Africain le plus diplômé du Cap au Caire» a abreuvé les médias de déclarations plus fracassantes les unes que les autres.
Les Sénégalais aimaient à le comparer à un autre avocat d’affaires tout aussi turbulent, Nicolas Sarkozy. Mais Wade préférait se mesurer à François Mitterrand dont il avait étudié toute la carrière allant jusqu’à imiter sa gestuelle de monarque républicain.
La longue traversée du désert du natif de Jarnac avait fini par persuader Wade qu’il pourrait lui aussi arriver un jour au pouvoir, malgré son grand âge et son long exil en France, la mère patrie de son épouse Viviane.
Outre les joutes politiques, Abdoulaye Wade possède une passion dévorante: donner des leçons à tout le monde. Il assénait même des cours d’économie à des prix Nobel… d’économie.
Pourtant, le pays qu’il dirigeait n’est guère un modèle de rigueur budgétaire. Le Sénégal est l’un des pays africains qui a le plus bénéficié de l’aide au développement sans que la pauvreté ne diminue. Les diplomates étrangers ont même inventé une formule poétique pour évoquer l’argent détourné: le coefficient d’évaporation.
Si le «coefficient d’évaporation» ne dépasse pas les 15%, ils ne jugent pas nécessaire de s’inquiéter. La situation est alors jugée normale. Sous le règne d’Abdoulaye Wade le «coefficient d’évaporation» aurait eu tendance à s’envoler, au dire de nombreux diplomates, pressés de voir le très libéral Gorgui prendre sa retraite.
Symbole des errances du régime, la statue de la renaissance construite par Wade. Une «arlésienne» qui a coûté 15 milliards de francs CFA (environ 24 millions d’euros), en plus de 27 hectares de terres situées autour de l’aéroport Léopold Sédar Senghor allouées à un homme d’affaires.
Et cerise sur le gâteau: Abdoulaye Wade déclarait devoir récupérer 35% des royalties que générerait le colosse en bronze au titre de droit d’auteur. Une thèse contestée par le sculpteur Ousmane Sow.
Prodigue avec l’argent de l’Etat, Abdoulaye Wade n’hésitait pas à distribuer les deniers publics aux marabouts, aux lutteurs et à tous ceux qui se montraient prêts à jouer les griots.
Afin de se faire élire en 2000 Gorgui n’avait pas hésité à promettre d’inventer une machine à faire le mafé (plat sénégalais). Il avait aussi promis d’installer des TGV et des centrales nucléaires au Sénégal.
Il promettait aussi un emploi pour tous. En plaisantant, les Sénégalais affirment que les seuls jeunes avec lesquels il a tenu cette promesse sont son fils Karim et sa fille Syndiely.
La machine à mafé ? Une idée à laquelle il était sans doute le seul à croire. Mais comme il était intimement persuadé de sa supériorité intellectuelle sur le reste du peuple sénégalais, le fait d’être le seul à partager une opinion ne l’a jamais gêné.
Alors que son fils Karim est dans le collimateur de la justice, le facétieux Wade n’hésite pas à avouer qu’il a donné de l’argent à son héritier. Mais Wade ajoute aussi qu’il en a beaucoup donné à…Macky Sall, son successeur à la tête de l’Etat et celui qu’il suspecte de vouloir jeter son fils en prison.
Malgré sa défaite cuisante de mars 2012, Wade n’est pas décidé à prendre sa retraite. A ceux qui le disent à l’article de la mort, il répond tout de go: «Je vous enterrerai tous».
Il dirigeait toujours le PDS (Parti démocratique sénégalais) lors des législatives de juillet 2012. A cette occasion, le fondateur du PDS avait fustigé l’un des ses ex lieutenants, l’accusant d’avoir «importé» des albinos du Mali afin de procéder à des sacrifices humains.
Selon Wade, son ex-lieutenant comptait ainsi gagner les législatives. On vous le dit, avec maître Wade, l’ennui ne guette jamais.
Sani Abacha, le «big brother» gendarme de l’Afrique de l’Ouest
Le président Sani Abacha qui a dirigé le Nigeria de 1993 à 1998 aura marqué son pays et toute l’Afrique de l’ouest par sa tyrannie et son pouvoir hégémonique. Dès son accession au pouvoir, il a fait substituer les institutions démocratiques par un gouvernement militaire et beaucoup de fonctionnaires civils par des militaires.
Son gouvernement était un savant dosage de militaires - pour la plupart des généraux - et d’officiers supérieurs de la police. Ce professionnel des coups d’Etat et compagnon de longue date de son prédécesseur au pouvoir Ibrahim Babangida était un obsédé du contrôle des institutions de l’Etat et des citoyens. Jamais les fameux services de renseignement nigérians dénommés « SSS » (State Security Services) n’auront été aussi actifs que sous son règne.
Sani Abacha a fait de la presse, son ennemi public numéro 1. Le patron de Tell Magazine, Onome Osifo-Whiskey en sait quelque chose. Lui qui était obligé de changer de planque continuellement pour fuir les hommes de Sani Abacha et qui a effectué plusieurs séjours en prison.
Le respect des droits de l’homme n’a jamais été la tasse de thé du «big brother». Abacha a laissé mourir en prison, Moshood Abiola, le vainqueur de la présidentielle de 1993 à la suite de l’annulation de laquelle il a pris le pouvoir. Abacha a aussi jeté en prison l’ex-président et général Olusegun Obasanjo qui, selon des sources dignes de foi, n’a eu la vie sauve que grâce à l’intervention de plusieurs chefs d’Etat africains dont le président Mathieu Kérékou du Bénin.
En 1995, le dictateur aux lunettes noires a fait pendre l’écrivain Ken Saro Wiwa et ses compagnons militants Ogoni des droits de l’homme. Serge Félix N’Piénikoua, journaliste béninois, raconte à quel point Sani Abacha était paranoïaque:
«Lors d’un sommet de la Cedeao à Cotonou, les services de sécurité de Sani Abacha qui transportaient de gros bagages contenant des armes avaient refusé tout contrôle à l’aéroport de Cotonou. Ils ne se gênaient d’ailleurs pas pour bousculer la garde rapprochée du président Mathieu Kérékou dans le but d’assurer la sécurité de leur président. Et pendant le sommet qui se tenait dans la salle de conférence de l’hôtel Plm Alédjo à Cotonou, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Théophile N’Dah, avait imprudemment appuyé sur un interrupteur qui avait coupé la lumière et plongé toute la salle dans l’obscurité. Le temps de le rallumer l’électricité, quelle n’avait pas été la surprise de tous les participants de constater quand la lumière fut remise que la garde rapprochée de Sani Abacha braquait déjà de gros engins de mort sur toute l’assistance, des armes qu’on avait jamais vues».
Ennemi juré des Etats-Unis d’Amérique, beaucoup pensent que la mort de Sani Abacha est à mettre sur le compte de services de renseignements de pays occidentaux qui auraient infiltré ses services: une femme l’aurait empoisonné la veille d’un sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Alors que ses services de sécurité étaient déjà en place et qu’on l’attendait à Ouagadougou, l’annonce de sa mort le 8 juin 1998 avait, en effet, surpris plus d’un. Officiellement, il s’est agi d’une crise cardiaque mais selon le célèbre magazine nigérian Newswatch, il s’agirait plutôtd’un excès de Viagra trafiqué alors que le dictateur était en plein ébat avec des prostituées libanaises. Mais pour son épouse, «son mari a été tué par ses meilleurs amis».
L’un des grands mérites de ce dirigeant du Nigeria que l’histoire retiendra, au-delà de ses méthodes brutales et dictatoriales, aura été de restaurer la démocratie en Sierra Leone. A la suite du coup d’Etat du 25 mai 1997 dirigé par le lieutenant-colonel Johnny Paul Koroma contre le président démocratiquement élu Ahmad Tejan Kabbah, Sani Abacha avait envoyé des troupes nigérianes pour chasser les usurpateurs du pouvoir et réinstaller Ahmad Tejan Kabbah le 10 mars 1998.
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