Une mère de quatre enfants raconte l’enfer
Rencontrée à Alger qu’elle a rejoint avec ses quatre enfants pour interpeller le Président sur sa situation, Aïcha dévoile douloureusement les détails d’une vie de cauchemar qui a commencé à l’âge de trois ans.
Native d’un petit village de Sidi Bel Abbès, à l’ouest du pays, Aïcha était la préférée de son père, qu’elle présente comme un grand amateur d’alcool. De ses huit frères et sœurs, elle était la seule avec laquelle il discutait des heures tout en buvant sa bière. Une grande complicité liait le père et la fille. Un jour, il lui demanda ce qu’elle voulait manger et elle lui répondit : « Des pommes. » Parti les lui chercher, il n’a pu les lui ramener. Son cœur s’est arrêté de battre sur le chemin du retour ; c’est dans un cercueil que Aïcha le verra pour la dernière fois.
Cet amour fou qu’il lui vouait suscitait la jalousie de la fratrie, mais aussi celle de la mère, qui n’a de cesse, durant des années, de proférer contre elle des insultes et des obscénités. Pour nourrir la fratrie, la mère travaille comme femme de ménage. Aïcha lui rappelle le mari qui buvait tout le temps. Elle le lui fait comprendre de manière violente. Pourtant, Aïcha fait tout pour se rapprocher de sa mère. Elle arrache les meilleures notes à l’école et l’aide dans les travaux ménagers qu’elle fait chez les voisines. Aïcha boucle ses huit ans. Sa mère tombe gravement malade, elle est hospitalisée à quelques kilomètres du village. Elle lui manque beaucoup. Un jour son voisin, qui travaille comme gardien à l’hôpital, l’accoste dans la rue et lui propose de l’emmener la voir. Très contente, elle accepte. Mais, c’est vers une ferme isolée, non loin du village, qu’il la dirige, pour lui faire subir les pires sévices sexuels. Ils sont deux, le voisin et son copain, à se relayer sur son corps frêle et sans défense.
Elle ne se rend même pas compte de ce qui lui arrive. Elle crie de douleur, en vain. Une fois leurs instincts bestiaux accomplis, ses violeurs l’abandonnent dans un état de loque humaine. Elle erre pendant des heures avant de rejoindre la maison, les jambes ensanglantées. Sa sœur aînée l’emmène chez les policiers, qui appellent une ambulance. Aïcha perd conscience, mais aussi la mémoire. Le traumatisme est trop profond. Elle est transférée à l’hôpital où sa mère est toujours hospitalisée. Elle y restera isolée durant six mois. Aucun membre de sa famille ne lui a rendu visite. Elle est désormais reniée. A son retour à la maison, frères et sœurs lui rappellent par des insultes cette « honte » qu’elle traîne. Exclue de l’école, elle se retrouve à la maison à supporter les pires des remontrances. Chaque jour lui apporte son lot de souffrances. Battue par ses frères, elle garde les traces de brûlures, de sutures, de fractures et de blessures sur tout son corps. « Ma mère a été transférée à Oran où enfin j’ai pu lui rendre visite.
Lorsque je lui ai raconté ce que j’ai subi, elle a pleuré pendant un bon moment. Pour la première fois, j’ai senti son affection... » Quelques semaines plus tard, la mère rentre à la maison mais ne peut plus travailler. Elle décide alors de séparer la fratrie. Les trois sœurs aînées sont remises à une tante et deux garçons placés chez une cousine. Aïcha et les autres membres de la famille restent ensemble. Ils endurent le pire. Sans ressources, ils ne mangent pas à leur faim et se soignent rarement des maladies qui les alitent durant des jours. Aïcha vit l’enfer quand elle découvre, à l’âge de 13 ans, ses premières règles. Affolée, elle se déshabille et court dans tous les sens. Elle perd le contrôle d’elle-même et se met à déambuler toute nue dans la rue. Ses sœurs l’emmènent à l’hôpital où elle est gardée pendant des semaines au service de psychiatrie. « Ma mère s’est remariée pour pouvoir nourrir les enfants. Un jour, j’ai pris l’argent de mon beau-père pour le donner à des mendiants. Quand il l’a su, il a exigé de ma mère de choisir entre moi et lui. Je me suis retrouvée à la rue à l’âge de 14 ans… » Aïcha erre d’un quartier à un autre jusqu’à ce qu’elle atterrisse à Aïn Témouchent, où les gendarmes l’arrêtent. Elle refuse de leur donner son adresse. L’officier, très touché par sa situation, l’héberge chez lui, où son épouse lui fait prendre un bain et lui donne à manger. Elle est placée ensuite dans un centre pour mineurs à Oran, puis à Alger et encore une fois à Oran où, à la suite d’une bagarre générale, elle se retrouve jugée pour la première fois et condamnée à 4 mois de détention. C’est d’ailleurs en prison qu’elle boucle ses 18 ans. Une fois sa peine purgée, Aïcha se retrouve livrée à la rue. Pour manger, elle vole ceux qui l’approchent. « Je ne volais pas les malheureux, mais uniquement ceux qui voulaient abuser de moi. Je déteste les hommes. »
Des frères incestueux et une mère sans affection
Aïcha ne coupe pas avec sa maison familiale. Elle traîne dans la journée à la périphérie du village et, à la nuit tombée, elle vient dormir dans la ferme en cachette de son beau-père. Ses deux frères le savent. Parfois, ils viennent abuser d’elle sexuellement. Elle en souffre à ce jour. Elle en parle à sa mère, mais celle-ci ne la croit pas. « Ma mère ne m’aimait pas. Un jour, je me suis assise à côté d’elle et j’ai caressé son pied dans l’espoir de lui arracher juste un sourire ou un geste affectueux. Elle m’a donné un violent coup de pied au ventre… Je n’oublierais jamais ça ! » Aïcha part à Bouhanifia, où elle passe quelques semaines à errer encore une fois dans la rue. Puis, elle prend un bus en direction de Ghardaïa. Elle continue à voler « pour manger » avant d’atterrir à Adrar : « Je volais intelligemment. Tous ceux que j’ai volés le méritaient. Ils ont tous tenté d’abuser de moi. »
En 1996, Aïcha a déjà quelques années à Adrar. Elle fait la connaissance d’un officier de police qui l’aide à trouver une location. Mais l’offre n’est pas désintéressée. Aïcha refuse le chantage et le lui fait savoir. Un affront que l’officier n’accepte pas. « Il avait le contrôle sur tout le quartier et toutes les prostituées qui y vivaient. Il a juré de m’envoyer croupir en prison. Deux jours après, des policiers sont venus perquisitionner dans ma maison. J’étais seule, en train de dormir. Ils m’ont déférée devant le parquet puis jugée et condamnée à 18 mois de prison pour prostitution sans aucune preuve. De la prison de Adrar, j’ai été transférée à celle de Reggane. » Ici, Aïcha découvre un autre monde. Celui de l’horreur. « C’est plutôt un lieu où gardiens, détenus (hommes et femmes), policiers et civils trouvaient leur plaisir. Il suffisait d’avoir juste une contrepartie, des biscuits, un coup de téléphone à la famille, des cigarettes, etc., comme mode de paiement. » Un jour, le sous-directeur vient la voir. Il exhibe une liasse de 6000 DA en coupures de 200 DA. « Il m’a demandé de le suivre jusqu’au bureau du directeur. Je pensais qu’il voulait juste discuter. Nous nous sommes assis sur le fauteuil rouge et là, sans me violenter, il m’a … » Aïcha s’arrête, absente, pendant quelques minutes, puis revient. « Je me détestais. Je n’ai même pas résisté. Le lendemain, il est revenu prendre une autre détenue, à laquelle il a offert des biscuits. C’était l’enfer. L’honneur et la dignité n’avaient plus de prix… » Quelques mois plus tard, Aïcha bénéficie de la grâce. Elle sort de prison… enceinte. Lorsqu’elle découvre sa grossesse, elle va voir son violeur. « J’ai été contactée par un agent de l’administration qui m’a conseillé de me faire avorter, mais j’ai refusé. Je suis allée voir le sous-directeur, qui m’a dirigée vers une maison à lui, qui se trouve à Reggane. Il m’a donné 200 000 DA pour que je puisse disparaître. J’avais peur. J’ai pris l’argent et je l’ai dépensé pendant toute la grossesse, jusqu’à l’accouchement à l’hôpital. J’ai eu une petite fille, Houaria, et j’ai refusé qu’elle soit inscrite sous mon nom. Il était absent et quand il est revenu, il a vu sa fille. Il lui a donné son nom, puis il est reparti, me laissant seule.
Je me suis rappelé de la maison dont il m’avait parlé. J’ai pris ma fille et je suis allée m’y installer. Quand il a su, il m’a accueilli avec violence. Il avait peur de sa femme. Il a tout cassé et m’a chassée avec ma fille. Je me suis installée au haouch (dans la cour) et je vivais uniquement de dattes et d’eau. Un jour il est revenu, on s’est violemment disputés. Il m’a frappée, je lui ai rendu les coups. Je voulais réintégrer la maison avec ma fille, mais il a refusé. Il a fait appel à la police et j’ai été emmené au commissariat, puis au parquet. Devant le juge, il a nié la paternité de sa fille. J’ai montré l’acte de naissance. Le juge l’a obligé à se marier avec moi et l’acte du mariage a été établi le soir même. Il a fini par me laisser la maison. Il venait souvent voir sa fille et bien profiter de son statut de mari. J’ai eu trois autres enfants avec lui. »
Ce n’était pas le bonheur, mais Aïcha avait un foyer. En 2001, une lettre anonyme dénonce les frasques du sous-directeur à sa hiérarchie. Une commission d’enquête est dépêchée d’Alger. Aïcha est convoquée à Adrar. « Je n’ai pas reconnu les responsables et les agents de la prison. Ils m’ont accueillie comme une reine, alors qu’avant j’étais moins que rien pour eux. Lorsque j’ai commencé à parler de ce que j’ai vécu, l’inspecteur n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Il avait peur pour moi. Il m’a dit qu’il allait voir avec le procureur général pour que je sois éloignée de la région, vu que mes révélations touchaient tous les responsables locaux. Il m’a conseillé de ne plus parler des autres membres de ce réseau. » L’enquête terminée, seul le sous-directeur est jugé puis condamné à 3 ans de prison. Depuis, c’est la descente aux enfers pour Aïcha. Elle avait bousculé un ordre établi depuis des années au sein de la prison et dans la ville et, de ce fait, elle est devenue persona non grata à Reggane. Elle se retrouve seule à nourrir ses enfants. Elle reprend son métier : les petits larcins. Arrêtée, elle passe quelques semaines en prison avant d’être condamnée à un an avec sursis. « Je voulais faire appel, parce que j’estimais que c’était une condamnation injuste. Le procureur général adjoint a très mal réagi. En appel, j’ai été condamnée à 6 mois de prison ferme. Mes enfants ont été remis à une de mes amies. »
Rencontrée à Alger qu’elle a rejoint avec ses quatre enfants pour interpeller le Président sur sa situation, Aïcha dévoile douloureusement les détails d’une vie de cauchemar qui a commencé à l’âge de trois ans.
Native d’un petit village de Sidi Bel Abbès, à l’ouest du pays, Aïcha était la préférée de son père, qu’elle présente comme un grand amateur d’alcool. De ses huit frères et sœurs, elle était la seule avec laquelle il discutait des heures tout en buvant sa bière. Une grande complicité liait le père et la fille. Un jour, il lui demanda ce qu’elle voulait manger et elle lui répondit : « Des pommes. » Parti les lui chercher, il n’a pu les lui ramener. Son cœur s’est arrêté de battre sur le chemin du retour ; c’est dans un cercueil que Aïcha le verra pour la dernière fois.
Cet amour fou qu’il lui vouait suscitait la jalousie de la fratrie, mais aussi celle de la mère, qui n’a de cesse, durant des années, de proférer contre elle des insultes et des obscénités. Pour nourrir la fratrie, la mère travaille comme femme de ménage. Aïcha lui rappelle le mari qui buvait tout le temps. Elle le lui fait comprendre de manière violente. Pourtant, Aïcha fait tout pour se rapprocher de sa mère. Elle arrache les meilleures notes à l’école et l’aide dans les travaux ménagers qu’elle fait chez les voisines. Aïcha boucle ses huit ans. Sa mère tombe gravement malade, elle est hospitalisée à quelques kilomètres du village. Elle lui manque beaucoup. Un jour son voisin, qui travaille comme gardien à l’hôpital, l’accoste dans la rue et lui propose de l’emmener la voir. Très contente, elle accepte. Mais, c’est vers une ferme isolée, non loin du village, qu’il la dirige, pour lui faire subir les pires sévices sexuels. Ils sont deux, le voisin et son copain, à se relayer sur son corps frêle et sans défense.
Elle ne se rend même pas compte de ce qui lui arrive. Elle crie de douleur, en vain. Une fois leurs instincts bestiaux accomplis, ses violeurs l’abandonnent dans un état de loque humaine. Elle erre pendant des heures avant de rejoindre la maison, les jambes ensanglantées. Sa sœur aînée l’emmène chez les policiers, qui appellent une ambulance. Aïcha perd conscience, mais aussi la mémoire. Le traumatisme est trop profond. Elle est transférée à l’hôpital où sa mère est toujours hospitalisée. Elle y restera isolée durant six mois. Aucun membre de sa famille ne lui a rendu visite. Elle est désormais reniée. A son retour à la maison, frères et sœurs lui rappellent par des insultes cette « honte » qu’elle traîne. Exclue de l’école, elle se retrouve à la maison à supporter les pires des remontrances. Chaque jour lui apporte son lot de souffrances. Battue par ses frères, elle garde les traces de brûlures, de sutures, de fractures et de blessures sur tout son corps. « Ma mère a été transférée à Oran où enfin j’ai pu lui rendre visite.
Lorsque je lui ai raconté ce que j’ai subi, elle a pleuré pendant un bon moment. Pour la première fois, j’ai senti son affection... » Quelques semaines plus tard, la mère rentre à la maison mais ne peut plus travailler. Elle décide alors de séparer la fratrie. Les trois sœurs aînées sont remises à une tante et deux garçons placés chez une cousine. Aïcha et les autres membres de la famille restent ensemble. Ils endurent le pire. Sans ressources, ils ne mangent pas à leur faim et se soignent rarement des maladies qui les alitent durant des jours. Aïcha vit l’enfer quand elle découvre, à l’âge de 13 ans, ses premières règles. Affolée, elle se déshabille et court dans tous les sens. Elle perd le contrôle d’elle-même et se met à déambuler toute nue dans la rue. Ses sœurs l’emmènent à l’hôpital où elle est gardée pendant des semaines au service de psychiatrie. « Ma mère s’est remariée pour pouvoir nourrir les enfants. Un jour, j’ai pris l’argent de mon beau-père pour le donner à des mendiants. Quand il l’a su, il a exigé de ma mère de choisir entre moi et lui. Je me suis retrouvée à la rue à l’âge de 14 ans… » Aïcha erre d’un quartier à un autre jusqu’à ce qu’elle atterrisse à Aïn Témouchent, où les gendarmes l’arrêtent. Elle refuse de leur donner son adresse. L’officier, très touché par sa situation, l’héberge chez lui, où son épouse lui fait prendre un bain et lui donne à manger. Elle est placée ensuite dans un centre pour mineurs à Oran, puis à Alger et encore une fois à Oran où, à la suite d’une bagarre générale, elle se retrouve jugée pour la première fois et condamnée à 4 mois de détention. C’est d’ailleurs en prison qu’elle boucle ses 18 ans. Une fois sa peine purgée, Aïcha se retrouve livrée à la rue. Pour manger, elle vole ceux qui l’approchent. « Je ne volais pas les malheureux, mais uniquement ceux qui voulaient abuser de moi. Je déteste les hommes. »
Des frères incestueux et une mère sans affection
Aïcha ne coupe pas avec sa maison familiale. Elle traîne dans la journée à la périphérie du village et, à la nuit tombée, elle vient dormir dans la ferme en cachette de son beau-père. Ses deux frères le savent. Parfois, ils viennent abuser d’elle sexuellement. Elle en souffre à ce jour. Elle en parle à sa mère, mais celle-ci ne la croit pas. « Ma mère ne m’aimait pas. Un jour, je me suis assise à côté d’elle et j’ai caressé son pied dans l’espoir de lui arracher juste un sourire ou un geste affectueux. Elle m’a donné un violent coup de pied au ventre… Je n’oublierais jamais ça ! » Aïcha part à Bouhanifia, où elle passe quelques semaines à errer encore une fois dans la rue. Puis, elle prend un bus en direction de Ghardaïa. Elle continue à voler « pour manger » avant d’atterrir à Adrar : « Je volais intelligemment. Tous ceux que j’ai volés le méritaient. Ils ont tous tenté d’abuser de moi. »
En 1996, Aïcha a déjà quelques années à Adrar. Elle fait la connaissance d’un officier de police qui l’aide à trouver une location. Mais l’offre n’est pas désintéressée. Aïcha refuse le chantage et le lui fait savoir. Un affront que l’officier n’accepte pas. « Il avait le contrôle sur tout le quartier et toutes les prostituées qui y vivaient. Il a juré de m’envoyer croupir en prison. Deux jours après, des policiers sont venus perquisitionner dans ma maison. J’étais seule, en train de dormir. Ils m’ont déférée devant le parquet puis jugée et condamnée à 18 mois de prison pour prostitution sans aucune preuve. De la prison de Adrar, j’ai été transférée à celle de Reggane. » Ici, Aïcha découvre un autre monde. Celui de l’horreur. « C’est plutôt un lieu où gardiens, détenus (hommes et femmes), policiers et civils trouvaient leur plaisir. Il suffisait d’avoir juste une contrepartie, des biscuits, un coup de téléphone à la famille, des cigarettes, etc., comme mode de paiement. » Un jour, le sous-directeur vient la voir. Il exhibe une liasse de 6000 DA en coupures de 200 DA. « Il m’a demandé de le suivre jusqu’au bureau du directeur. Je pensais qu’il voulait juste discuter. Nous nous sommes assis sur le fauteuil rouge et là, sans me violenter, il m’a … » Aïcha s’arrête, absente, pendant quelques minutes, puis revient. « Je me détestais. Je n’ai même pas résisté. Le lendemain, il est revenu prendre une autre détenue, à laquelle il a offert des biscuits. C’était l’enfer. L’honneur et la dignité n’avaient plus de prix… » Quelques mois plus tard, Aïcha bénéficie de la grâce. Elle sort de prison… enceinte. Lorsqu’elle découvre sa grossesse, elle va voir son violeur. « J’ai été contactée par un agent de l’administration qui m’a conseillé de me faire avorter, mais j’ai refusé. Je suis allée voir le sous-directeur, qui m’a dirigée vers une maison à lui, qui se trouve à Reggane. Il m’a donné 200 000 DA pour que je puisse disparaître. J’avais peur. J’ai pris l’argent et je l’ai dépensé pendant toute la grossesse, jusqu’à l’accouchement à l’hôpital. J’ai eu une petite fille, Houaria, et j’ai refusé qu’elle soit inscrite sous mon nom. Il était absent et quand il est revenu, il a vu sa fille. Il lui a donné son nom, puis il est reparti, me laissant seule.
Je me suis rappelé de la maison dont il m’avait parlé. J’ai pris ma fille et je suis allée m’y installer. Quand il a su, il m’a accueilli avec violence. Il avait peur de sa femme. Il a tout cassé et m’a chassée avec ma fille. Je me suis installée au haouch (dans la cour) et je vivais uniquement de dattes et d’eau. Un jour il est revenu, on s’est violemment disputés. Il m’a frappée, je lui ai rendu les coups. Je voulais réintégrer la maison avec ma fille, mais il a refusé. Il a fait appel à la police et j’ai été emmené au commissariat, puis au parquet. Devant le juge, il a nié la paternité de sa fille. J’ai montré l’acte de naissance. Le juge l’a obligé à se marier avec moi et l’acte du mariage a été établi le soir même. Il a fini par me laisser la maison. Il venait souvent voir sa fille et bien profiter de son statut de mari. J’ai eu trois autres enfants avec lui. »
Ce n’était pas le bonheur, mais Aïcha avait un foyer. En 2001, une lettre anonyme dénonce les frasques du sous-directeur à sa hiérarchie. Une commission d’enquête est dépêchée d’Alger. Aïcha est convoquée à Adrar. « Je n’ai pas reconnu les responsables et les agents de la prison. Ils m’ont accueillie comme une reine, alors qu’avant j’étais moins que rien pour eux. Lorsque j’ai commencé à parler de ce que j’ai vécu, l’inspecteur n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Il avait peur pour moi. Il m’a dit qu’il allait voir avec le procureur général pour que je sois éloignée de la région, vu que mes révélations touchaient tous les responsables locaux. Il m’a conseillé de ne plus parler des autres membres de ce réseau. » L’enquête terminée, seul le sous-directeur est jugé puis condamné à 3 ans de prison. Depuis, c’est la descente aux enfers pour Aïcha. Elle avait bousculé un ordre établi depuis des années au sein de la prison et dans la ville et, de ce fait, elle est devenue persona non grata à Reggane. Elle se retrouve seule à nourrir ses enfants. Elle reprend son métier : les petits larcins. Arrêtée, elle passe quelques semaines en prison avant d’être condamnée à un an avec sursis. « Je voulais faire appel, parce que j’estimais que c’était une condamnation injuste. Le procureur général adjoint a très mal réagi. En appel, j’ai été condamnée à 6 mois de prison ferme. Mes enfants ont été remis à une de mes amies. »
Commentaire