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De la banalité oedipienne d'un policier ...........

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  • De la banalité oedipienne d'un policier ...........

    De la banalité oedipienne d'un Policier qui tabasse un Médecin

    par Kamel Daoud
    Larbi bis est un Algérien de dix ans d'âge. A dix ans, il a déjà le choix de ses vingt ans : devenir médecin ou policier. Médecin est un métier qui veut dire avocat, architecte, inventeur de solutions, cosmonaute brun, hydraulicien ou géologue ou enseignant de langue sumérienne à Djelfa. Policier est un métier qui veut dire être policier. C'est-à-dire gendarme, ou homme des Services, ou Juge, ou Procureur, ou wali ou colonel ou garde communal. En Algérie, lorsque le Colon est parti, il n'a laissé pour les fils du peuple que deux métiers pour bien manger ou bien se protéger : la casquette comme on disait autrefois, ou le stylo. C'est-à-dire la matraque ou cerveau, le pied ou la tête, le Pouvoir ou le civil, le fort face au Plat, le Puissant face au bras court, l'argent ou les cheveux. Celui qui frappe face à celui qui est Instruit. Car les Algériens ont très vite brisé cet immémorial tabou du positivisme colonial : le respect de l'enseignant, le tabou de l'écolier qui survit en chacun. Ne jamais frapper ou humilier ou fumer ou lever la voix devant le Maître de l'Ecole. Il devait s'en suivre une sorte de respect des hiérarchies entre le cri et l'écriture, la bête et l'alphabet, la suprématie du diplôme sur le galon, la valeur de l'encre face aux griffes, de l'idée face à la dent. Ce n'est pas le cas.

    Il y a quelques jours, des policiers ont chargé, tabassé et frappé des médecins algériens qui avaient parfois accompli deux fois l'âge du policier en cursus d'études. Même si on dit que le diplôme algérien n'est plus une valeur sociale, on aurait pu compter sur le tabou ancestral pour éviter cette scène nationale mesquine. Il n'en est rien : Depuis vingt ans, personne ne s'étonne de voir un garde communal gifler un chirurgien en Algérie. Pourquoi ? Parce que le Régime a besoin du garde communal.

    Une première idée : On a libéré ce pays par les armes, on veut le gouverner par la matraque. Deux : On a utilisé le Peuple pour chasser la France et on utilise le pipe-line pour se passer du Peuple. Du coup, un CRS peut donner des coups sans sentir qu'il casse des symboles. Le Pays étant un «pays du bras» selon l'expression algérienne.

    Du coup, dans le vaste pays rural du pays profond, là où on recrute les garde-corps, les policiers et les officiers les plus obéissants, le seul moyen de survivre c'est de «s'engager» pour se protéger, bien manger et manger le pays autant que possible. Pour les plus honnêtes, le seul moyen de ne pas recevoir des coups, c'est d'en donner. Un policier, c'est-à-dire un gendarme, c'est-à-dire un agent des services, croit que sa mission est défendre le Régime et la paix du régime. Chez chaque commis d'Etat, il y a ce préjugé philosophique qui voit dans la plèbe algérienne le dernier colon à chasser pour avoir un pays calme, vide, beau, sans agitations et sans criquets. Le but de toutes nos polices c'est le calme et la rue vide, pas la paix et la justice. Le malentendu est si profond que le régime s'en sert comme d'un bouclier anti-émeute à chaque occasion. Pour le reste, c'est ce que l'on sait depuis peu : l'échelle des valeurs est devenu un banc public de consternation. Du coup, un policier peut frapper un médecin avec un casse-tête sans se sentir ni mal, ni ridicule ni honteux. C'est son métier de casser des têtes pour que l'Etat le paye. Personne ne s'en offusque : on n'en ressent plus la gêne depuis des années. Selon le policier typique, les médecins n'avaient qu'à quitter l'Algérie. Selon Oedipe, c'est encore pire : lorsque l'écolier inachevé frappe le Maître Paternel pour épouser la Mère patrie, c'est qu'on est dans la rediffusion de la cécité. Que veut devenir Larbi Bis qui a dix ans ? Un casse-tête avec sa tête. C'est une solution médiane entre la science et le lacrymogène. Ce n'est pas un métier ? Etre policier ou médecin ne le sont pas non plus. Ce sont des rôles sociaux, même si la douleur d'une bastonnade est réelle et le plaisir de la donner occasionnel.

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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