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    Détourner un détournement
    par Kamel Daoud
    Par où passe l'autoroute Est-Ouest ? Par l'est et jusqu'à l'ouest, techniquement. Par-dessus nos têtes, réellement. Le détournement présumé de dix mille millions de milliards de Da en euros, un chiffre farfelu (les chiffres n'ont pas d'importance au-delà de 10.000 Da), dans lequel est accusé le SG du ministère des Travaux publics, seconde grande secousse après l'affaire Khalifa, est passé inaperçu. Les journaux ont hésité à en parler, l'Etat n'a pas jugé poli de le faire et le ministre concerné l'a fait avec les mots que l'on utilise pour parler d'une fièvre bénigne et de la perte de quelques pièces de monnaie. La banalisation a été une réussite. Le plus gros détournement sur le plus gros projet de la décennie, au plus haut niveau de la décision, a été réduit à un éternuement. Les Algériens dont c'est le pays, l'argent et l'Etat, ont été traités selon le proverbe de la «caravane qui passe...». L'idée étant qu'il est inutile de leur révéler les détails d'un hold-up qui a visé leurs poches. La raison ? Il est considéré que ce n'est pas leur argent, ni leur pays ni leur gazon.

    Comment peut-on détourner des centaines de kilomètres en monnaie sonnante avec un présumé très haut cadre chinois, qui aurait pris l'avion juste après, et la complicité de quelques présumés très haut cadres d'autres services et de quelques privés présumés ? A combien est évalué le cambriolage ? Où est passé l'argent et peut-on le récupérer ? Où en est l'enquête et qui l'a recommandée ? Réponse : cela ne vous concerne pas. L'Etat algérien est une société unipersonnelle qui a pour règle de ne pas avoir d'obligation de communiquer sur ce qu'elle fait ou ce qu'elle vise. Les Algériens sont invités à applaudir la réception de cette autoroute et de la parcourir comme du bétail à combustion rapide et pas à s'interroger comme des contribuables du New Jersey. Personne n'est obligé de vous répondre lorsque vous posez des questions ou lorsque vous demandez des détails sur le portrait de votre violeur. Que lire donc aujourd'hui ou hier dans les journaux pour être informé ? Au choix : un Suédois en tourisme clandestin à Taghit a été arrêté et qualifié avec jouissance de «harrag suédois». De faux lecteurs du Coran ont falsifié des diplômes prouvant qu'ils avaient appris le Coran par coeur. Il y a eu des émeutes à Alger à cause d'une liste polygame de logements (on peut avoir quatre femmes comme épouses mais on refuse quatre femmes comme bénéficiaires), trois nouveaux cas de grippe A en Algérie, Benbouzid se voit imposer ce que Bouteflika veut (d'où la question de «qui porte le tablier entre les deux ?»), la conclusion étant que si l'un ne peut pas renvoyer Benbouzid, l'autre ne peut plus renvoyer les élèves ; on va informatiser le service des pompes funèbres à Oran, mais on n'a jamais pu le faire pour l'Etat civil (sic !), il va y avoir des grèves sociales et l'Etat va recruter des gens qui passent et va augmenter le Salaire minimum, et... etc. Nulle part dans les journaux, les médias publics, Facebook, le café maure, le coin de quartier, le tambour de l'oreille, dans une station-relais, en écoutant une chanson aimée ou en priant le Dieu qui fait contrepoids à l'inexplicable, vous n'aurez des détails sur le détournement de dix mille millions de milliards en dinars d'euros, qu'on a détourné en marge du projet de l'autoroute Est-Ouest.

    D'ailleurs, vous n'avez même plus envie de le savoir et d'en savoir plus : les détournements en Algérie sont des faits divers qui, paradoxalement, créent le malaise le plus ontologique qui soit : on ne sait pas si c'est vrai, si ce n'est pas une manipulation, un règlement de compte, un vrai hold-up, une blanchiment d'argent. On n'arrive plus à distinguer le réel ou son contraire, le vide cosmique. Cette altération nationale du vrai de l'exact a eu une conséquence médicale : une altération de la preuve qu'a le peuple de sa propre existence. Mais là, le chroniqueur cède à la dérive verbale. Il faut revenir au concret. Oui, mais lequel ?

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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