Le Destin et l'Intestin
par Kamel Daoud
par Kamel Daoud

Le Destin est ce qui fait la différence entre un homme et un compte à rebours pour rien. L'Intestin est un organe non sentimental, très électoral, situé entre le ventre et la peur au ventre. Entre la poche et l'étalage. Le fruit et l'envie. Un organe que l'on peut toucher de la main les dix derniers jours du mois pour beaucoup de salariés, ou pas. Politiquement, l'Intestin c'est le pipe-line dans le sens inverse. Une sorte de line-pipe. De Ducoléo. De Ducogaz comme gazoduc. Le Destin se lit dans les mains, l'Intestin dans le teint, etc. Selon un philosophe qui n'est jamais né, le Destin se lit dans les étoiles mais il est écrit en braille puisque tout le monde est aveugle face à l'avenir.
Pourquoi parler finalement de ces deux organes, l'un céleste et l'autre reptilien ? Parce que quand on se lève le matin, qu'on va travailler, manger, mâcher, discourir sur la mastication puis revenir et dormir et s'endormir, on se demande où est le Destin en Algérie ! Qui est-il ? Comme passer de l'Intestin au Destin pendant sa vie et pas après ? Par l'amour d'une femme si belle qu'elle ne peut poser les pieds sur terre sans qu'on lui demande ses mains ou qu'on les ligote ? Par un accident d'étoiles organisées en comité de soutien ? Par un concours de chances si improbables qu'on dirait que c'est une fraude électorale ? En attendant, les yeux fermés, dans un arrêt de bus mythique ? Ou en faisant confiance à l'histoire nationale des fées socialistes ? Comment faire en sorte que votre vie brille ? Aille au-delà de la procréation vers la création ? Se transforme en guitare humaine ? Comment ? En sortant de l'Algérie, même à pied, marchant sur les eaux comme des Jésus paniqués qui refusent les croix, disent les Harraga. Là-bas, dans ces pays où la liberté est un présent pas une photo de groupe un 05 juillet 1962. Là-bas où on peut avoir un Destin et oublier son intestin, rien qu'en regardant une Espagnole aux cheveux haletant négliger les cieux qui essayent de lui ressembler. C'est du n'importe quoi mais c'est vrai. C'est ce que l'Etat isolé n'a pas compris: il y a une différence entre remplir un Intestin et offrir un Destin. On ne peut pas garder un peuple lorsqu'on lui prend toutes ses étoiles pour en faire des galons pour ses propres épaules.
Source : Le Quotidien d'Oran