Dimanche 10 novembre, le président du conseil, Enrico Letta, invité d'une émission de télévision de grande écoute, recevait – ému comme il se doit – un maillot du Milan AC, son équipe de cœur, dédicacé par les coéquipiers de Mario Balotelli. A peu près à la même heure, la formation de la ville de Campanie Nocera Inferiore, Nocerina, évoluant en Lega Pro (3e division), quittait le stade Arechi de Salerne, la ville voisine, vingt minutes après le coup d'envoi. Sous les sifflets et les divers projectiles tombés des tribunes.
La partie n'était pas commencée depuis soixante secondes que l'entraîneur de la Nocerina avait déjà effectué ses trois changements réglementaires. Ensuite, cinq joueurs (oui, cinq, vous avez bien lu) se blessaient coup sur coup. A peine un joueur de Salerne s'approchait-il à moins d'un mètre d'un de ses adversaire de Nocera Inferiore que ce dernier tombait comme une mouche, hurlant de douleur et frappant la pelouse de la paume de la main comme le faisaient les catcheurs quand ils mimaient une souffrance insupportable. Une hécatombe pour une veille d'Armistice.
Le club de Salerne possédant une voiturette électrique pour évacué les blessés, les 3 000 spectateurs ne virent qu'elle allant et venant des vestiaires à la pelouse. "Cela arrive souvent quand les joueurs n'ont pas le temps de s'échauffer", a commenté, sérieusement, le directeur sportif de la Nocerina après cette rencontre tronquée. Ne pas oublier qu'en 1911, lorsque l'équipe fut fondée, elle comportait une section "théâtre"…
Oui, c'est vrai, les joueurs ne se sont pas échauffés. Alors qu'ils auraient dû être sur le pré, ils discutaient ferme à l'intérieur de leur bus. Un peu comme les Bleus à Knysna, mais pour d'autres motifs. Quelques heures plus tôt au moment de la collation, ils avaient reçu la visite menaçante d'une bonne centaine de leurs supporteurs ultras, interdits de stade en raison de la rivalité ancestrale, tribale, légendaire et sans répit qui oppose Nocera Inferiore et Salerne, distantes de 15 kilomètres. "C'est comme de faire disputer une rencontre entre Israël et la Palestine", a déclaré un dirigeant de club qui a le sens de la mesure. Dans ces conditions, le procureur et le préfet avaient estimé que mieux valait que les tifosis de l'équipe visiteuse restassent dans leurs pénates.
"Si on ne peut pas entrer dans le stade, vous ne devez pas jouer", ont expliqué les supporteus, accompagnant leur conseil de menaces de mort comme il est coutumier d'en entendre dans le sud de l'Italie. Les footballeurs de Nocerina, aspirants professionnels payés 1 000 euros par mois ou anciens joueurs de Serie A et Serie B désireux de finir leur carrière en paix, n'ont pas été longs à se décider. D'autant qu'avant d'entrer sur le terrain, avec quarante minutes de retard, un petit avion, comme on en voit l'été au large des plages, était passé tirant une banderole où l'on pouvait lire : "Respect pour Nocera et ses ultras".
SUPPORTEURS VIOLENTS, ESPRIT DE CLOCHER EXACERBÉ, RACISME…
"Je me suis ch… dessus", a avoué sans ambages, mais sous couvert d'anonymat, un joueur de Nocerina à l'envoyé spécial du quotidien La Stampa. Depuis dimanche, en effet, Nocera Inferiore est devenue l'épicentre du football italien. Sa face noire. A peine remis du scandale des matchs truqués (Calcioscommesse), alors que les Azzurri ont déjà en poche leur billet pour le Mondial brésilien de 2014, le foot italien aurait pu faire le beau avec un des championnats d'élite les plus intéressants d'Europe. Et voilà que ses vieux vices le rattrapent : supporteurs violents, esprit de clocher exacerbé, racisme (à ce propos la Juventus de Turin jouera ses deux prochains matchs avec une tribune fermée pour cause d'insultes aux joueurs de Naples).
"Une partie des tifosis sont des malades, expliquait le procureur de Salerne, Antonio De Iesu, qui a ouvert une enquête. Ce sont des personnes qui cherchent à exorciser leur propre médiocrité à travers ce genre de comportement". "Dans le foot italien, désormais ce n'est plus la pression qui règne, c'est l'obsession, explique Cesare Prandelli, le sélectionneur national. Chaque fois que je parle avec mes collègues étrangers, ils me parlent d'un football différent, d'une vie différente, de supporters différents. La situation est compliquée et je ne suis pas très optimiste pour l'avenir".
A Nocera Inferiore, une trentaine d'ultras photographiés dimanche risquent d'être interdits de stade. Les prochains entraînements des joueurs de Nocerina se dérouleront à huis clos, sans doute pour les mettre à l'abri de leurs bouillants supporters. Le staff technique et la direction ont donné leur démission et le club, qui a perdu la rencontre sur tapis vert (3-0), risque une relégation. De toute façon, il était déjà dernier de son groupe. Mais, raconte l'envoyé spécial du Fatto Quotidiano, dans la ville, non loin du bar Las Vegas dont les tifosis ont fait leur point de rencontre, on peut voir sur un mur, écrit en grandes lettres noires : "Honneur aux vaincus".
Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Journaliste au Monde
La partie n'était pas commencée depuis soixante secondes que l'entraîneur de la Nocerina avait déjà effectué ses trois changements réglementaires. Ensuite, cinq joueurs (oui, cinq, vous avez bien lu) se blessaient coup sur coup. A peine un joueur de Salerne s'approchait-il à moins d'un mètre d'un de ses adversaire de Nocera Inferiore que ce dernier tombait comme une mouche, hurlant de douleur et frappant la pelouse de la paume de la main comme le faisaient les catcheurs quand ils mimaient une souffrance insupportable. Une hécatombe pour une veille d'Armistice.
Le club de Salerne possédant une voiturette électrique pour évacué les blessés, les 3 000 spectateurs ne virent qu'elle allant et venant des vestiaires à la pelouse. "Cela arrive souvent quand les joueurs n'ont pas le temps de s'échauffer", a commenté, sérieusement, le directeur sportif de la Nocerina après cette rencontre tronquée. Ne pas oublier qu'en 1911, lorsque l'équipe fut fondée, elle comportait une section "théâtre"…
Oui, c'est vrai, les joueurs ne se sont pas échauffés. Alors qu'ils auraient dû être sur le pré, ils discutaient ferme à l'intérieur de leur bus. Un peu comme les Bleus à Knysna, mais pour d'autres motifs. Quelques heures plus tôt au moment de la collation, ils avaient reçu la visite menaçante d'une bonne centaine de leurs supporteurs ultras, interdits de stade en raison de la rivalité ancestrale, tribale, légendaire et sans répit qui oppose Nocera Inferiore et Salerne, distantes de 15 kilomètres. "C'est comme de faire disputer une rencontre entre Israël et la Palestine", a déclaré un dirigeant de club qui a le sens de la mesure. Dans ces conditions, le procureur et le préfet avaient estimé que mieux valait que les tifosis de l'équipe visiteuse restassent dans leurs pénates.
"Si on ne peut pas entrer dans le stade, vous ne devez pas jouer", ont expliqué les supporteus, accompagnant leur conseil de menaces de mort comme il est coutumier d'en entendre dans le sud de l'Italie. Les footballeurs de Nocerina, aspirants professionnels payés 1 000 euros par mois ou anciens joueurs de Serie A et Serie B désireux de finir leur carrière en paix, n'ont pas été longs à se décider. D'autant qu'avant d'entrer sur le terrain, avec quarante minutes de retard, un petit avion, comme on en voit l'été au large des plages, était passé tirant une banderole où l'on pouvait lire : "Respect pour Nocera et ses ultras".
SUPPORTEURS VIOLENTS, ESPRIT DE CLOCHER EXACERBÉ, RACISME…
"Je me suis ch… dessus", a avoué sans ambages, mais sous couvert d'anonymat, un joueur de Nocerina à l'envoyé spécial du quotidien La Stampa. Depuis dimanche, en effet, Nocera Inferiore est devenue l'épicentre du football italien. Sa face noire. A peine remis du scandale des matchs truqués (Calcioscommesse), alors que les Azzurri ont déjà en poche leur billet pour le Mondial brésilien de 2014, le foot italien aurait pu faire le beau avec un des championnats d'élite les plus intéressants d'Europe. Et voilà que ses vieux vices le rattrapent : supporteurs violents, esprit de clocher exacerbé, racisme (à ce propos la Juventus de Turin jouera ses deux prochains matchs avec une tribune fermée pour cause d'insultes aux joueurs de Naples).
"Une partie des tifosis sont des malades, expliquait le procureur de Salerne, Antonio De Iesu, qui a ouvert une enquête. Ce sont des personnes qui cherchent à exorciser leur propre médiocrité à travers ce genre de comportement". "Dans le foot italien, désormais ce n'est plus la pression qui règne, c'est l'obsession, explique Cesare Prandelli, le sélectionneur national. Chaque fois que je parle avec mes collègues étrangers, ils me parlent d'un football différent, d'une vie différente, de supporters différents. La situation est compliquée et je ne suis pas très optimiste pour l'avenir".
A Nocera Inferiore, une trentaine d'ultras photographiés dimanche risquent d'être interdits de stade. Les prochains entraînements des joueurs de Nocerina se dérouleront à huis clos, sans doute pour les mettre à l'abri de leurs bouillants supporters. Le staff technique et la direction ont donné leur démission et le club, qui a perdu la rencontre sur tapis vert (3-0), risque une relégation. De toute façon, il était déjà dernier de son groupe. Mais, raconte l'envoyé spécial du Fatto Quotidiano, dans la ville, non loin du bar Las Vegas dont les tifosis ont fait leur point de rencontre, on peut voir sur un mur, écrit en grandes lettres noires : "Honneur aux vaincus".
Philippe Ridet (Rome, correspondant)
Journaliste au Monde