Dans chacune de nos cellules se logent deux mètres d’ADN enroulés en pelotes. Mais seule une infime portion sert à fabriquer les protéines qui nous permettent de vivre. Le reste, souvent qualifié d’ADN poubelle, ne cesse d’intriguer les scientifiques.
Lise Barnéoud
Les poubelles sont toujours encombrantes. Mais celle-ci embarrasse particulièrement la communauté scientifique depuis plus d’un demi-siècle. Pour certains, notre génome est composé à 80, voire à 90 % d’ADN poubelle, qui ne sert à rien. Pour d’autres, il faut cesser d’utiliser cette expression car la totalité de notre génome serait en réalité utile. Entre les découvertes scientifiques qui s’accumulent, leurs interprétations diverses et variées, nos biais personnels et l’immensité de notre méconnaissance, le débat est loin d’être clos.
Lorsque nous avons commencé à décoder notre ADN, à partir des années 1950, nous pensions mettre la main sur une sorte de chef-d’œuvre de l’évolution, une anthologie en 46 volumes – un par chromosome – à faire pâlir tous les Prix Goncourt. Mais il a vite fallu déchanter : il y a « tellement d’ADN poubelle dans notre génome »,se lamentait le généticien Susumu Ohno dans un article publié en 1972.
La déconvenue se confirme au fur et à mesure que l’on progresse dans le séquençage génétique. Au tournant du millénaire, le « grand livre de la vie » fait place à une sorte de notice de montage illisible. Un interminable texte fait de quatre lettres A, C, G et T – les quatre nucléotides qui composent l’ADN – dans lequel à peine 2 % représente nos gènes, ces séquences qui permettent de fabriquer les protéines essentielles à notre fonctionnement.
Agrandir l’image : Illustration 1Illustration : Justine Vernier pour Mediapart.
Le reste ? des lettres répétées, des gènes tellement tronqués qu’ils ne ressemblent plus à rien, ou encore des restes d’ADN de virus… Du « junk DNA », partout. On peut comprendre la déception des chercheurs et chercheuses : voilà des millions d’années que l’évolution nous sculpte et notre génome se composerait quasi entièrement de déchets inutiles ?
L’éloge funèbre d’une poubelle
Cette déception s’étend en réalité bien au-delà du monde scientifique. « L’idée que notre génome est essentiellement de l’ADN sans fonction pour l’organisme et qu’il est constitué de morceaux de vieux gènes cassés et de parasites génomiques, parmi lesquels surnagent quelques gènes […], n’est pas très conforme à l’idée d’un “grand architecte” tout-puissant et très “intelligent” », notait récemment la revue Médecine/Sciences.
Heureusement, les biologistes moléculaires, avec leurs outils de plus en plus performants, sont venus à notre secours. Lancé en 2003, un projet international dénommé Encode vise à mieux comprendre ce « dark genome » en traquant tous les événements associés à l’ADN et susceptibles de modifier son fonctionnement. Premiers résultats publiés en 2012 : 80 % du génome participe à au moins un événement biochimique, dans au moins un type de cellule, conclut cet énorme consortium de chercheurs et de chercheuses. « Encode écrit l’éloge funèbre de l’ADN poubelle », titre alors la revue Science.
« Plus les années passent, plus je suis convaincu que 100 % du génome est en réalité utile », retrace Antonin Morillon, de l’Institut Curie. L’équipe de ce biologiste moléculaire s’intéresse en particulier aux ARN (des molécules chimiquement très proches de l’ADN) et aux protéines qui sont fabriqués à partir de l’ADN poubelle. « Ces ARN et ces protéines sont tellement inhabituels et non conventionnels qu’on ne les recherchait pas auparavant, mais nous avons montré qu’ils pouvaient participer à la communication entre cellules et à la réponse immunitaire, explique le chercheur. C’est un changement de paradigme majeur : le génome non codant code. »
Et quand bien même l’ADN poubelle ne coderait pas, il peut jouer un rôle dans notre fonctionnement biologique en attirant certaines protéines à lui. « On découvre de plus en plus de séquences, y compris très courtes, sur lesquelles se fixent des protéines qui influencent l’activité des gènes environnants », explique Benoît Ballester, chercheur en bio-informatique à l’Inserm, coordinateur d’un atlas nommé ReMap qui compile l’ensemble de ces séquences repérées par la communauté scientifique. Il en existerait « entre 2 et 3 millions ».
Notice Ikea
Voilà qui offre un autre regard sur notre notice de montage. Faute de connaissance, nous avons mis dans la même corbeille tout ce qui n’était pas lisible pour nous à l’époque. Autant de petits détails dont on comprend aujourd’hui qu’ils jouent un rôle dans l’assemblage.
Imaginons l’extrait suivant : « Visser les les les les éqqquerres sans trop trop trop tgatgatga serrer. » Dans cette séquence, on voit tout d’abord de nombreuses répétitions : ce sont les transposons, qui composent la moitié de notre génome. Le gène est représenté ici par la seule action : « visser ». Tout le reste pourrait être considéré comme superflu. Par exemple, si on enlève la répétition « les les les », le sens ne change pas. « De nombreuses séquences répétées sont uniquement là parce que nous avons une machinerie au sein de nos cellules qui recopie et colle des bouts de séquence un peu partout », explique Virginie Courtier-Orgogozo, directrice du laboratoire Évolution et génétique de l’Institut Jacques Monod.
Au-delà de ces répétitions, on trouve dans notre extrait une précision importante : « sans trop trop trop tgatgatga serrer ». On parle de séquence régulatrice, car elle module l’activité du gène. En l’occurrence ici, ce serait une séquence inhibitrice car elle calme les ardeurs du visseur. Pourrait-on l’enlever sans conséquence ? Rien de moins sûr. « Dans nos expériences sur les drosophiles, de petites mutations dans ces séquences régulatrices changent drastiquement la distribution des poils sur leur corps », illustre la scientifique. Avant d’ajouter : « Les mutations génétiques qui contribuent aux différences observées entre espèces se situent d’ailleurs essentiellement dans ces séquences régulatrices. »
Biais d’argumentation
De là à embrasser le concept d’un génome tout utile, il n’y a qu’un pas… que certains ne franchissent pas. « La plupart du temps, les publications qui affirment qu’une nouvelle séquence doit être sortie de l’ADN poubelle se basent uniquement sur la découverte d’une activité biochimique : telle séquence attire telle molécule ou produit telle minuscule protéine. Mais ce n’est pas parce qu’on voit une activité sur ces séquences qu’elles ont nécessairement un effet », note Michel Morange, biologiste et historien des sciences.
Pour lui, cette tendance à affirmer un peu trop rapidement la fin de l’ADN poubelle découle en parti d’un biais de confirmation : « Nombreux sont ceux qui aiment à penser que tout est bien régulé. Un peu comme le Candide de Voltaire, pour qui le monde est parfait. Avec cette vision, tout ce qui existe a forcément un rôle. »
Autre biais identifié, lié à la formation des chercheurs et chercheuses : « Les biologistes moléculaires cherchent des fonctions. Les évolutionnistes sont centrés sur la sélection naturelle et sont plus enclins à accepter une part de hasard », poursuit Michel Morange. En outre, ces deux communautés de chercheurs et chercheuses, rarement associées, n’ont pas la même définition de ce qu’est une fonction, analyse de son côté le philosophe des sciences Philippe Huneman.
« Pour les biologistes moléculaires, la fonction représente un lien causal à l’intérieur d’un système donné », explique le chercheur. Par exemple, telle séquence régulatrice stimule l’activation de tel gène au sein du génome. Pour les évolutionnistes, la fonction ne dépend pas du système, c’est le résultat de la sélection naturelle. Ils cherchent avant tout à répondre à la question : pourquoi est-ce arrivé là ? Donc quel avantage cela conférait-il à son porteur pour que la sélection naturelle l’ait retenu ?
Or, s’il est déjà difficile de comprendre ce que font toutes ces séquences d’ADN, il paraît encore plus ardu de découvrir pourquoi elles sont là. « Ont-elles persisté jusqu’à nous parce qu’elles ont été sélectionnées par l’évolution ou bien sont-elles là par hasard, du fait de processus stochastiques [aléatoires] au sein des génomes ? Les deux situations existent », développe Philippe Huneman, qui estime pour sa part à 20 % la part de notre ADN poubelle.
L’hypothèse de la poubelle « je trie »
Une hypothèse intéressante émerge ces dernières années. Copier à l’identique trois milliards de lettres à chaque fois qu’une de nos cellules se divise, c’est impossible. Des erreurs apparaissent, inévitablement. Ce sont les mutations. Si celles-ci surviennent sur une séquence qui code pour une protéine essentielle à notre fonctionnement, cela risque de nous nuire. En revanche, « ces mutations peuvent s’accumuler tranquillement sur les séquences non codantes, sans que cela perturbe l’organisme », expose Philippe Huneman.
En bricolant ainsi silencieusement le génome, ces modifications peuvent finir par avoir des conséquences visibles. En février 2024, des chercheurs américains ont montré que la perte de notre queue découlait de l’insertion d’un transposon à proximité de séquences codantes. « On estime aujourd’hui que les changements morphologiques qui sont apparus au cours de l’évolution sont effectivement issus pour la plupart de mutations à l’intérieur des séquences régulatrices », confirme Virginie Courtier-Orgogozo, citant un autre exemple : si nous n’avons plus de longs poils tactiles sur le visage, c’est parce qu’une séquence régulatrice a disparu dans le génome de la lignée humaine.
Dans cette hypothèse, l’ADN poubelle devient alors une opportunité d’adaptation. Une opportunité qui coûte cher, car il faut copier ces milliers de lettres lors des divisions cellulaires. Il faut aussi les stocker dans de gros noyaux. Les bactéries, qui sont des championnes de l’adaptation, ne possèdent pratiquement pas d’ADN poubelle : elles misent tout sur leur vitesse de multiplication et les échanges d’ADN entre elles.
En revanche, ce mécanisme pourrait s’avérer crucial chez les plantes, qui ne peuvent pas compter sur des pattes ou des ailes pour fuir. Est-ce la raison pour laquelle leur génome compte parmi les plus grands du règne vivant ? Récemment, les scientifiques ont découvert qu’une minuscule fougère de Nouvelle-Calédonie possédait un génome 50 fois plus grand que le nôtre…
« Les êtres vivants qui se multiplient très vite ont peu d’ADN non codant, alors que ceux qui prennent leur temps en ont beaucoup », confirme Virginie Courtier-Orgogozo. Pour ceux-là, ce mécanisme s’apparente finalement à un recyclage de leur poubelle ADN, offrant une nouvelle vie à ce qui était jusqu’à présent considéré comme un déchet.
Lise Barnéoud
Les poubelles sont toujours encombrantes. Mais celle-ci embarrasse particulièrement la communauté scientifique depuis plus d’un demi-siècle. Pour certains, notre génome est composé à 80, voire à 90 % d’ADN poubelle, qui ne sert à rien. Pour d’autres, il faut cesser d’utiliser cette expression car la totalité de notre génome serait en réalité utile. Entre les découvertes scientifiques qui s’accumulent, leurs interprétations diverses et variées, nos biais personnels et l’immensité de notre méconnaissance, le débat est loin d’être clos.
Lorsque nous avons commencé à décoder notre ADN, à partir des années 1950, nous pensions mettre la main sur une sorte de chef-d’œuvre de l’évolution, une anthologie en 46 volumes – un par chromosome – à faire pâlir tous les Prix Goncourt. Mais il a vite fallu déchanter : il y a « tellement d’ADN poubelle dans notre génome »,se lamentait le généticien Susumu Ohno dans un article publié en 1972.
La déconvenue se confirme au fur et à mesure que l’on progresse dans le séquençage génétique. Au tournant du millénaire, le « grand livre de la vie » fait place à une sorte de notice de montage illisible. Un interminable texte fait de quatre lettres A, C, G et T – les quatre nucléotides qui composent l’ADN – dans lequel à peine 2 % représente nos gènes, ces séquences qui permettent de fabriquer les protéines essentielles à notre fonctionnement.
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Le reste ? des lettres répétées, des gènes tellement tronqués qu’ils ne ressemblent plus à rien, ou encore des restes d’ADN de virus… Du « junk DNA », partout. On peut comprendre la déception des chercheurs et chercheuses : voilà des millions d’années que l’évolution nous sculpte et notre génome se composerait quasi entièrement de déchets inutiles ?
L’éloge funèbre d’une poubelle
Cette déception s’étend en réalité bien au-delà du monde scientifique. « L’idée que notre génome est essentiellement de l’ADN sans fonction pour l’organisme et qu’il est constitué de morceaux de vieux gènes cassés et de parasites génomiques, parmi lesquels surnagent quelques gènes […], n’est pas très conforme à l’idée d’un “grand architecte” tout-puissant et très “intelligent” », notait récemment la revue Médecine/Sciences.
Heureusement, les biologistes moléculaires, avec leurs outils de plus en plus performants, sont venus à notre secours. Lancé en 2003, un projet international dénommé Encode vise à mieux comprendre ce « dark genome » en traquant tous les événements associés à l’ADN et susceptibles de modifier son fonctionnement. Premiers résultats publiés en 2012 : 80 % du génome participe à au moins un événement biochimique, dans au moins un type de cellule, conclut cet énorme consortium de chercheurs et de chercheuses. « Encode écrit l’éloge funèbre de l’ADN poubelle », titre alors la revue Science.
« Plus les années passent, plus je suis convaincu que 100 % du génome est en réalité utile », retrace Antonin Morillon, de l’Institut Curie. L’équipe de ce biologiste moléculaire s’intéresse en particulier aux ARN (des molécules chimiquement très proches de l’ADN) et aux protéines qui sont fabriqués à partir de l’ADN poubelle. « Ces ARN et ces protéines sont tellement inhabituels et non conventionnels qu’on ne les recherchait pas auparavant, mais nous avons montré qu’ils pouvaient participer à la communication entre cellules et à la réponse immunitaire, explique le chercheur. C’est un changement de paradigme majeur : le génome non codant code. »
Et quand bien même l’ADN poubelle ne coderait pas, il peut jouer un rôle dans notre fonctionnement biologique en attirant certaines protéines à lui. « On découvre de plus en plus de séquences, y compris très courtes, sur lesquelles se fixent des protéines qui influencent l’activité des gènes environnants », explique Benoît Ballester, chercheur en bio-informatique à l’Inserm, coordinateur d’un atlas nommé ReMap qui compile l’ensemble de ces séquences repérées par la communauté scientifique. Il en existerait « entre 2 et 3 millions ».
Notice Ikea
Voilà qui offre un autre regard sur notre notice de montage. Faute de connaissance, nous avons mis dans la même corbeille tout ce qui n’était pas lisible pour nous à l’époque. Autant de petits détails dont on comprend aujourd’hui qu’ils jouent un rôle dans l’assemblage.
Imaginons l’extrait suivant : « Visser les les les les éqqquerres sans trop trop trop tgatgatga serrer. » Dans cette séquence, on voit tout d’abord de nombreuses répétitions : ce sont les transposons, qui composent la moitié de notre génome. Le gène est représenté ici par la seule action : « visser ». Tout le reste pourrait être considéré comme superflu. Par exemple, si on enlève la répétition « les les les », le sens ne change pas. « De nombreuses séquences répétées sont uniquement là parce que nous avons une machinerie au sein de nos cellules qui recopie et colle des bouts de séquence un peu partout », explique Virginie Courtier-Orgogozo, directrice du laboratoire Évolution et génétique de l’Institut Jacques Monod.
Au-delà de ces répétitions, on trouve dans notre extrait une précision importante : « sans trop trop trop tgatgatga serrer ». On parle de séquence régulatrice, car elle module l’activité du gène. En l’occurrence ici, ce serait une séquence inhibitrice car elle calme les ardeurs du visseur. Pourrait-on l’enlever sans conséquence ? Rien de moins sûr. « Dans nos expériences sur les drosophiles, de petites mutations dans ces séquences régulatrices changent drastiquement la distribution des poils sur leur corps », illustre la scientifique. Avant d’ajouter : « Les mutations génétiques qui contribuent aux différences observées entre espèces se situent d’ailleurs essentiellement dans ces séquences régulatrices. »
Biais d’argumentation
De là à embrasser le concept d’un génome tout utile, il n’y a qu’un pas… que certains ne franchissent pas. « La plupart du temps, les publications qui affirment qu’une nouvelle séquence doit être sortie de l’ADN poubelle se basent uniquement sur la découverte d’une activité biochimique : telle séquence attire telle molécule ou produit telle minuscule protéine. Mais ce n’est pas parce qu’on voit une activité sur ces séquences qu’elles ont nécessairement un effet », note Michel Morange, biologiste et historien des sciences.
Pour lui, cette tendance à affirmer un peu trop rapidement la fin de l’ADN poubelle découle en parti d’un biais de confirmation : « Nombreux sont ceux qui aiment à penser que tout est bien régulé. Un peu comme le Candide de Voltaire, pour qui le monde est parfait. Avec cette vision, tout ce qui existe a forcément un rôle. »
Autre biais identifié, lié à la formation des chercheurs et chercheuses : « Les biologistes moléculaires cherchent des fonctions. Les évolutionnistes sont centrés sur la sélection naturelle et sont plus enclins à accepter une part de hasard », poursuit Michel Morange. En outre, ces deux communautés de chercheurs et chercheuses, rarement associées, n’ont pas la même définition de ce qu’est une fonction, analyse de son côté le philosophe des sciences Philippe Huneman.
« Pour les biologistes moléculaires, la fonction représente un lien causal à l’intérieur d’un système donné », explique le chercheur. Par exemple, telle séquence régulatrice stimule l’activation de tel gène au sein du génome. Pour les évolutionnistes, la fonction ne dépend pas du système, c’est le résultat de la sélection naturelle. Ils cherchent avant tout à répondre à la question : pourquoi est-ce arrivé là ? Donc quel avantage cela conférait-il à son porteur pour que la sélection naturelle l’ait retenu ?
Or, s’il est déjà difficile de comprendre ce que font toutes ces séquences d’ADN, il paraît encore plus ardu de découvrir pourquoi elles sont là. « Ont-elles persisté jusqu’à nous parce qu’elles ont été sélectionnées par l’évolution ou bien sont-elles là par hasard, du fait de processus stochastiques [aléatoires] au sein des génomes ? Les deux situations existent », développe Philippe Huneman, qui estime pour sa part à 20 % la part de notre ADN poubelle.
L’hypothèse de la poubelle « je trie »
Une hypothèse intéressante émerge ces dernières années. Copier à l’identique trois milliards de lettres à chaque fois qu’une de nos cellules se divise, c’est impossible. Des erreurs apparaissent, inévitablement. Ce sont les mutations. Si celles-ci surviennent sur une séquence qui code pour une protéine essentielle à notre fonctionnement, cela risque de nous nuire. En revanche, « ces mutations peuvent s’accumuler tranquillement sur les séquences non codantes, sans que cela perturbe l’organisme », expose Philippe Huneman.
En bricolant ainsi silencieusement le génome, ces modifications peuvent finir par avoir des conséquences visibles. En février 2024, des chercheurs américains ont montré que la perte de notre queue découlait de l’insertion d’un transposon à proximité de séquences codantes. « On estime aujourd’hui que les changements morphologiques qui sont apparus au cours de l’évolution sont effectivement issus pour la plupart de mutations à l’intérieur des séquences régulatrices », confirme Virginie Courtier-Orgogozo, citant un autre exemple : si nous n’avons plus de longs poils tactiles sur le visage, c’est parce qu’une séquence régulatrice a disparu dans le génome de la lignée humaine.
Dans cette hypothèse, l’ADN poubelle devient alors une opportunité d’adaptation. Une opportunité qui coûte cher, car il faut copier ces milliers de lettres lors des divisions cellulaires. Il faut aussi les stocker dans de gros noyaux. Les bactéries, qui sont des championnes de l’adaptation, ne possèdent pratiquement pas d’ADN poubelle : elles misent tout sur leur vitesse de multiplication et les échanges d’ADN entre elles.
En revanche, ce mécanisme pourrait s’avérer crucial chez les plantes, qui ne peuvent pas compter sur des pattes ou des ailes pour fuir. Est-ce la raison pour laquelle leur génome compte parmi les plus grands du règne vivant ? Récemment, les scientifiques ont découvert qu’une minuscule fougère de Nouvelle-Calédonie possédait un génome 50 fois plus grand que le nôtre…
« Les êtres vivants qui se multiplient très vite ont peu d’ADN non codant, alors que ceux qui prennent leur temps en ont beaucoup », confirme Virginie Courtier-Orgogozo. Pour ceux-là, ce mécanisme s’apparente finalement à un recyclage de leur poubelle ADN, offrant une nouvelle vie à ce qui était jusqu’à présent considéré comme un déchet.
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