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«Il est en augmentation continue depuis 30 ans» : comment expliquer la mystérieuse «épidémie» de cancer du pancréas ?

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  • «Il est en augmentation continue depuis 30 ans» : comment expliquer la mystérieuse «épidémie» de cancer du pancréas ?



    DÉCRYPTAGE - Avec 16.000 cas diagnostiqués en 2023 en France, la fréquence accrue de ce cancer au pronostic particulièrement sombre inquiète. Des médecins tentent de comprendre d’où vient ce phénomène.

    C’est l’un des cancers qui enregistre la hausse la plus importante ces dernières années en France. Même si, avec 16.000 nouveaux cas diagnostiqués en 2023, le cancer du pancréas est loin d’être le plus fréquent en nombre, il augmente de façon inquiétante. À titre de comparaison, «seuls» 3700 cas avaient été diagnostiqués en 1990, soit plus de quatre fois moins qu’actuellement.

    Cette tendance, qui touche l’ensemble des pays occidentaux, semble particulièrement marquée dans notre pays. «La vitesse de progression de ce cancer en France bat presque tous les pays, alors que nos modes de vie sont similaires, notamment à ceux de nos voisins européens», souligne le Dr Mathias Brugel, hépato-gastro-entérologue au Centre hospitalier de Bayonne. Plus préoccupant encore, cette hausse touche aussi les moins de 50 ans, une classe d’âge généralement moins à risque de cancer.

    Un phénomène que les spécialistes ne parviennent pas totalement à expliquer et surtout, sur lequel ils peinent à se mettre d’accord. Certains font valoir que cette hausse est surtout due à des facteurs environnementaux (pesticides, polluants...), d’autres affirmant qu’elle est surtout due à des éléments déjà bien connus (mode de vie, vieillissement). «Les facteurs de risque habituels - tabac, obésité, notamment - n’augmentent pas aussi rapidement que l’incidence du cancer pancréatique», estime le Dr Matthieu Delaye, oncologue digestif à l’Institut Curie. «On a l’impression qu’il y a des explications qui nous échappent». D’après le Dr Mathias Brugel, «d’autres pays ont des trajectoires plus inquiétantes en termes d’obésité alors qu’ils ne voient pas une augmentation d’incidence aussi majeure». Pour le médecin, il doit y avoir autre chose. «Notre hypothèse est que cette hausse n’est pas seulement due aux facteurs de risque déjà connus, mais qu’il y aurait un ou plusieurs facteurs environnementaux qui restent à découvrir».



    Le rôle des pesticides en question


    À côté de son activité de médecin, le Dr Brugel a une autre casquette : il est chercheur en épidémiologie (la science qui s’intéresse à la santé des populations) à l’université de Lille et à l’Imperial College de Londres. Avec son équipe, il a cherché à savoir si le cancer du pancréas pouvait être lié aux pesticides, dont la France est l’un des plus gros consommateurs en Europe. Pour cela, ils ont combiné deux bases de données : celle utilisée pour la facturation des soins hospitaliers (appelée «PMSI»), et celle de la base nationale de vente des produits phytosanitaires.

    Au total, un peu plus de 134.000 cas de cancer pancréatique ont été identifiés sur la période 2011-2021. Premier enseignement : leur répartition n’est pas homogène sur le territoire métropolitain. «Trois zones sont particulièrement touchées : le bassin parisien, le centre de la France et le bassin méditerranéen», rapporte le médecin. Pourtant, ces régions ne sont pas les plus gourmandes en pesticides. «Quand on regarde les cartes, il n’y a pas une très bonne superposition, mais il ne faut pas se fier à l’information visuelle. Quand on calcule le risque, on retrouve une association», fait valoir le Dr Brugel.

    Après avoir pris en compte certains facteurs de risque habituels (tabagisme, alcool, obésité), les chercheurs concluent que, pour 2,6 kilos de pesticides supplémentaires utilisés à l’hectare, le risque de cancer pancréatique augmente d’environ 1,3 %. Un effet faible, mais solide, selon Mathias Brugel. «Une association existe, mais encore faut-il démontrer une causalité, ce que la méthodologie de l’étude ne permet pas de faire», reconnaît-il. «Pour autant, c’est un signal important qui nous amène à poursuivre nos travaux dans cette direction».

    Un lien fragile à confirmer


    Ce résultat ne convainc pas les experts interrogés par Le Figaro. «L’étude est très bien menée, mais les données utilisées ne permettent que des estimations. Ce sont beaucoup d’approximations pour, au final, obtenir un risque faible», juge le Dr Anne-Marie Bouvier, épidémiologiste et directrice de recherche Inserm, en charge du registre des cancers digestifs en Bourgogne.

    Un défaut également pointé par Pierre Lebailly, enseignant-chercheur en épidémiologie. «C’est la mode des méga data, or dans le cas présent, ce sont de part et d’autres des données de mauvaise qualité. Quand vous mélangez tout ça, vous finissez souvent par trouver des choses», cingle-t-il. «Je ne mettrais pas ma main au feu pour dire qu’il se passe quoi que ce soit. Il faut arrêter de croire que le big data va donner des réponses de qualité à des questions complexes».

    Si les pesticides avaient un effet flagrant sur le risque de cancer du pancréas, la logique voudrait qu’il se voie en priorité chez les personnes les plus exposées : les agriculteurs. En France, la cohorte Agrican permet justement de suivre la santé d’environ 120.000 agriculteurs depuis 20 ans. C’est elle qui a notamment permis de mettre en évidence le lien entre pesticides et maladie de Parkinson. «D’après nos premières analyses, il semble qu’il n’y a pas d’excès de cancer du pancréas chez les agriculteurs par rapport à la population générale», rapporte Pierre Lebailly, qui coordonne la cohorte Agrican. «Nous allons approfondir ce travail. Mais si l’effet était massif, nous l’aurions probablement déjà vu». Ce qui ne veut pas dire que ce lien n’existe pas.

    Vieillissement et mode de vie


    Plusieurs éléments permettent en partie d’expliquer l’inquiétante trajectoire que suit ce cancer. «De nombreux facteurs de risque sont déjà connus. Si l’on prend en compte le tabagisme, le vieillissement de la population, l’obésité, le diabète de type 2, l’alimentation transformée, la baisse d’activité physique et l’amélioration du diagnostic, on explique déjà une bonne partie des cas de cancer du pancréas», souligne le Dr Claire Morgand, médecin épidémiologiste et directrice de l’observation, des sciences de données et de l’évaluation à l’Institut national du cancer (INCa). Ainsi, selon une étude de Santé publique France de 2023, environ un tiers de l’augmentation peut déjà s’expliquer par le vieillissement et l’augmentation de la population. Le reste serait dû au mode de vie et aux facteurs environnementaux.

    Mais que dire de la hausse des cas de cancer chez les jeunes ? «L’augmentation des cas de cancer pancréatique s’observe aussi chez les moins de 50 ans. Donc la pyramide des âges n’explique pas à elle seule ce phénomène», relève le Dr Mathias Brugel. Pour le Dr Claire Morgand, «il n’y a pas d’explosion du nombre de cancer du pancréas chez les jeunes». «L’incidence augmente mais le nombre de cas en valeur absolue reste très bas (environ 500 nouveaux cas en 2023 chez les moins de 50 ans). Cette tendance, que nous surveillons, s’explique en partie par les habitudes de vie : une mauvaise alimentation, le tabac et la consommation d’alcool», estime-t-elle.

    «Comme d’autres cancers plurifactoriels, le cancer du pancréas a peut-être d’autres causes. Mais aujourd’hui, l’absence de données de qualité ne nous permet pas d’établir leur imputabilité», résume le Dr Morgand. «Notre étude ne nie pas le poids des autres facteurs de risque, mais elle ouvre la piste d’un facteur moins étudié», fait quant à lui valoir le Dr Mathias Brugel, coauteur de l’étude sur les pesticides. «Le message, c’est qu’il y a des facteurs connus sur lesquels on peut agir, et probablement d’autres facteurs qu’on ne connaît pas encore et qu’il faut continuer à étudier», conclut le médecin.

    Par Cécile Thibert
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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