Des étiquettes moléculaires, présentes sur les gènes, peuvent en modifier l’expression. En modulant ces accords, les chercheurs mettent au point des thérapies ciblées et espèrent parvenir à des diagnostics précoces. En particulier dans la lutte contre le cancer.
Les priorités ont changé. Désormais, les chercheurs ne se focalisent plus uniquement sur l’ADN et les gènes pour concevoir de nouveaux traitements. En détournant un peu le regard pour s’intéresser à ce qui se passe dans l’environnement immédiat de la double hélice, ils sont en effet tombés sur des molécules très particulières : des marqueurs épigénétiques (« au-dessus des gènes ») qui contrôlent la régulation de notre génome. En clair, ce sont de microscopiques « étiquettes » moléculaires qui indiquent à la machinerie cellulaire si tel ou tel gène doit être lu et interprété ou non. Pour prendre une image, si le génome est « le grand livre de la vie » comme on l’a surnommé, un individu n’a pas accès aux mêmes chapitres que son voisin : ces « marque-pages » lui occultent certains passages tout en laissant d’autres ouverts. L’épigénétique permet ainsi d’expliquer pourquoi, en dépit du fait que tous les humains partagent 99,5 % du même patrimoine génétique, nous sommes tous différents. Pas le même visage, ni la même morphologie… ni les mêmes maladies. Même les jumeaux monozygotes. Ceux-ci illustrent parfaitement la « puissance » de ces étiquettes moléculaires. En effet, s’ils grandissent ensemble et continuent à vivre dans le même environnement, ils partageront peu ou prou les mêmes maux tout au long de leur existence. En revanche, s’ils évoluent dans deux environnements différents, ils ne souffriront pas des mêmes affections, en dépit de génomes strictement identiques. Car la grande particularité de ces étiquettes est de varier au cours du temps, contrairement au génome qui, lui, reste fixe. Elles évoluent constamment en fonction de l’alimentation, des expériences de vie ou des maladies.
Dès lors, pourrait-on soigner certaines pathologies en changeant l’emplacement de ces étiquettes afin de « revenir » à un génome sain ? Oui, à en croire les résultats récents d’une équipe américaine ayant annoncé dans la revue Nature Medicine être parvenue à améliorer la durée de vie d’une souris affligée d’un syndrome de Prader-Willi (une maladie génétique du métabolisme) en ciblant et « corrigeant » une étiquette épigénétique.
Un instantané de l’état de santé d’une personne
De quoi imaginer également des tests pour diagnostiquer bien plus précocement un changement majeur risquant de déclencher une maladie. Jamais fixe, l’adressage épigénétique permet en effet de rendre compte de l’état de santé, physique ou mental, d’une personne à un instant donné. Ainsi, l’épigénome pourrait alerter lorsqu’un individu devient psychotique. « Je suis persuadé que l’épigénome apportera plus d’informations utiles à la thérapie humaine que le séquençage du génome », prédit ainsi François Fuks, directeur du Laboratoire d’épigénétique du cancer de l’Université libre de Bruxelles (Belgique).
Pour l’instant, la majorité des efforts sont tournés vers le traitement du cancer. « Cela tient d’abord à une raison historique, puisque c’est sur des cellules tumorales que les premiers défauts épigénétiques ont été identifiés dans les années 1990, poursuit François Fuks. Mais c’est aussi parce que le processus cancéreux produit des changements drastiques dans le profil génétique. » Surtout, il en va des tumeurs comme des épigénomes : elles sont uniques d’un patient à un autre. Le cancer naît et se développe d’une manière qui lui est propre puisqu’il est affecté par l’environnement du patient - comme la pollution - et plus généralement les expériences de vie du patient (alcoolisme, obésité, etc.). Or, pour l’heure, aucun traitement ne respecte cette logique. « Le problème de toutes les thérapies contre le cancer est leur approche “bulldozer.” Et les médicaments épigénétiques - les “épimédicaments” - n’échappent pas à cette règle. Peu spécifiques, ils ne savent pas cibler une région précise, regrette Florence Cammas, de l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (Hérault). Des progrès ont été accomplis ces dernières années mais tout reste à faire. » En tirant tous azimuts, ces médicaments affectent en effet l’épigénome entier du patient, d’où une kyrielle d’effets secondaires. Mais Sophie Rousseaux, de l’institut de recherche Albert-Bonniot à Grenoble (Isère), y voit tout de même un intérêt : « Le cancer dérégule totalement l’épigénome en lui donnant une nouvelle logique de fonctionnement. Si on “casse” cette dernière, même de manière peu spécifique, l’effet est bien plus important sur les cellules cancéreuses que sur les saines. »
Une arme supplémentaire dans l’arsenal du clinicien
La solution viendrait-elle de l’un des outils les plus prometteurs jamais découverts, le fameux CRISPR-Cas9 (lire S. et A. n° 838, décembre 2016, et 819, avril 2015) ? Capable d’intervenir sur des gènes « à la demande », il pourrait « cibler des endroits précis du génome pour en modifier les étiquettes », pronostique Robert Feil, de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier. Mais pour l’heure, cette stratégie reste expérimentale.
D’autres associations paraissent également prometteuses. Ainsi, toujours en cancérologie, l’épigénétique pourrait venir en renfort de la technique dite de l’ADN circulant, qui consiste à déceler dans le sang des patients des mutations permettant d’orienter la chimiothérapie. Alain Thierry et son équipe de l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier ont développé un test fondé sur ce principe qui étend son usage à tous les types de cancers. « Je fais le pari que d’ici deux à trois ans, l’ADN circulant sera un traitement postchirurgical en accompagnement d’une thérapie adjuvante pour surveiller le risque de récidives et de métastases. » L’épigénétique ne sera ainsi pleinement efficace qu’en appoint d’autres techniques. « Il n’est pas question qu’elle supplante les autres thérapies, dit François Fuks. C’est une arme supplémentaire dans l’arsenal du clinicien. » Mais pour cela, encore faudra-t-il pouvoir disposer du catalogue de l’ensemble de ces « étiquettes ». C’est le but du projet Encode lancé par un consortium public d’une trentaine de laboratoires essentiellement américains. Dans un futur très proche, il suffira de comparer le profil épigénomique d’un individu avec ceux présents dans la base de données pour déterminer si celui-ci est à risque ou non de développer telle ou telle maladie.
Dès lors… attention aux tentations eugénistes ! « C’est un vrai risque, estime Cyrille Delpierre, épidémiologiste à l’université de Toulouse (Inserm). L’épigénétique est un marqueur d’adaptation à l’environnement. En ce sens, elle peut constituer un moyen de réduire les inégalités sociales face à la santé car il est bien connu que plus le niveau d’étude augmente, meilleur est l’état de santé. Mais le risque de discrimination est réel si on met en évidence, par exemple, que certains comportements pourraient se mettre en place chez le fœtus durant la grossesse de la mère ! » Ira-t-on vers des interruptions volontaires de grossesse sélectives ? On se souvient aussi qu’un président de la République proposait il n’y a pas si longtemps de dépister dès la maternelle les individus à risque de devenir des criminels… Si le futur promis par l’épigénétique dans les thérapies est enthousiasmant, il comporte également une part d’ombre avec laquelle les chercheurs doivent composer.
Sciences et Avenir
Les priorités ont changé. Désormais, les chercheurs ne se focalisent plus uniquement sur l’ADN et les gènes pour concevoir de nouveaux traitements. En détournant un peu le regard pour s’intéresser à ce qui se passe dans l’environnement immédiat de la double hélice, ils sont en effet tombés sur des molécules très particulières : des marqueurs épigénétiques (« au-dessus des gènes ») qui contrôlent la régulation de notre génome. En clair, ce sont de microscopiques « étiquettes » moléculaires qui indiquent à la machinerie cellulaire si tel ou tel gène doit être lu et interprété ou non. Pour prendre une image, si le génome est « le grand livre de la vie » comme on l’a surnommé, un individu n’a pas accès aux mêmes chapitres que son voisin : ces « marque-pages » lui occultent certains passages tout en laissant d’autres ouverts. L’épigénétique permet ainsi d’expliquer pourquoi, en dépit du fait que tous les humains partagent 99,5 % du même patrimoine génétique, nous sommes tous différents. Pas le même visage, ni la même morphologie… ni les mêmes maladies. Même les jumeaux monozygotes. Ceux-ci illustrent parfaitement la « puissance » de ces étiquettes moléculaires. En effet, s’ils grandissent ensemble et continuent à vivre dans le même environnement, ils partageront peu ou prou les mêmes maux tout au long de leur existence. En revanche, s’ils évoluent dans deux environnements différents, ils ne souffriront pas des mêmes affections, en dépit de génomes strictement identiques. Car la grande particularité de ces étiquettes est de varier au cours du temps, contrairement au génome qui, lui, reste fixe. Elles évoluent constamment en fonction de l’alimentation, des expériences de vie ou des maladies.
Dès lors, pourrait-on soigner certaines pathologies en changeant l’emplacement de ces étiquettes afin de « revenir » à un génome sain ? Oui, à en croire les résultats récents d’une équipe américaine ayant annoncé dans la revue Nature Medicine être parvenue à améliorer la durée de vie d’une souris affligée d’un syndrome de Prader-Willi (une maladie génétique du métabolisme) en ciblant et « corrigeant » une étiquette épigénétique.
Un instantané de l’état de santé d’une personne
De quoi imaginer également des tests pour diagnostiquer bien plus précocement un changement majeur risquant de déclencher une maladie. Jamais fixe, l’adressage épigénétique permet en effet de rendre compte de l’état de santé, physique ou mental, d’une personne à un instant donné. Ainsi, l’épigénome pourrait alerter lorsqu’un individu devient psychotique. « Je suis persuadé que l’épigénome apportera plus d’informations utiles à la thérapie humaine que le séquençage du génome », prédit ainsi François Fuks, directeur du Laboratoire d’épigénétique du cancer de l’Université libre de Bruxelles (Belgique).
Pour l’instant, la majorité des efforts sont tournés vers le traitement du cancer. « Cela tient d’abord à une raison historique, puisque c’est sur des cellules tumorales que les premiers défauts épigénétiques ont été identifiés dans les années 1990, poursuit François Fuks. Mais c’est aussi parce que le processus cancéreux produit des changements drastiques dans le profil génétique. » Surtout, il en va des tumeurs comme des épigénomes : elles sont uniques d’un patient à un autre. Le cancer naît et se développe d’une manière qui lui est propre puisqu’il est affecté par l’environnement du patient - comme la pollution - et plus généralement les expériences de vie du patient (alcoolisme, obésité, etc.). Or, pour l’heure, aucun traitement ne respecte cette logique. « Le problème de toutes les thérapies contre le cancer est leur approche “bulldozer.” Et les médicaments épigénétiques - les “épimédicaments” - n’échappent pas à cette règle. Peu spécifiques, ils ne savent pas cibler une région précise, regrette Florence Cammas, de l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (Hérault). Des progrès ont été accomplis ces dernières années mais tout reste à faire. » En tirant tous azimuts, ces médicaments affectent en effet l’épigénome entier du patient, d’où une kyrielle d’effets secondaires. Mais Sophie Rousseaux, de l’institut de recherche Albert-Bonniot à Grenoble (Isère), y voit tout de même un intérêt : « Le cancer dérégule totalement l’épigénome en lui donnant une nouvelle logique de fonctionnement. Si on “casse” cette dernière, même de manière peu spécifique, l’effet est bien plus important sur les cellules cancéreuses que sur les saines. »
Une arme supplémentaire dans l’arsenal du clinicien
La solution viendrait-elle de l’un des outils les plus prometteurs jamais découverts, le fameux CRISPR-Cas9 (lire S. et A. n° 838, décembre 2016, et 819, avril 2015) ? Capable d’intervenir sur des gènes « à la demande », il pourrait « cibler des endroits précis du génome pour en modifier les étiquettes », pronostique Robert Feil, de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier. Mais pour l’heure, cette stratégie reste expérimentale.
D’autres associations paraissent également prometteuses. Ainsi, toujours en cancérologie, l’épigénétique pourrait venir en renfort de la technique dite de l’ADN circulant, qui consiste à déceler dans le sang des patients des mutations permettant d’orienter la chimiothérapie. Alain Thierry et son équipe de l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier ont développé un test fondé sur ce principe qui étend son usage à tous les types de cancers. « Je fais le pari que d’ici deux à trois ans, l’ADN circulant sera un traitement postchirurgical en accompagnement d’une thérapie adjuvante pour surveiller le risque de récidives et de métastases. » L’épigénétique ne sera ainsi pleinement efficace qu’en appoint d’autres techniques. « Il n’est pas question qu’elle supplante les autres thérapies, dit François Fuks. C’est une arme supplémentaire dans l’arsenal du clinicien. » Mais pour cela, encore faudra-t-il pouvoir disposer du catalogue de l’ensemble de ces « étiquettes ». C’est le but du projet Encode lancé par un consortium public d’une trentaine de laboratoires essentiellement américains. Dans un futur très proche, il suffira de comparer le profil épigénomique d’un individu avec ceux présents dans la base de données pour déterminer si celui-ci est à risque ou non de développer telle ou telle maladie.
Dès lors… attention aux tentations eugénistes ! « C’est un vrai risque, estime Cyrille Delpierre, épidémiologiste à l’université de Toulouse (Inserm). L’épigénétique est un marqueur d’adaptation à l’environnement. En ce sens, elle peut constituer un moyen de réduire les inégalités sociales face à la santé car il est bien connu que plus le niveau d’étude augmente, meilleur est l’état de santé. Mais le risque de discrimination est réel si on met en évidence, par exemple, que certains comportements pourraient se mettre en place chez le fœtus durant la grossesse de la mère ! » Ira-t-on vers des interruptions volontaires de grossesse sélectives ? On se souvient aussi qu’un président de la République proposait il n’y a pas si longtemps de dépister dès la maternelle les individus à risque de devenir des criminels… Si le futur promis par l’épigénétique dans les thérapies est enthousiasmant, il comporte également une part d’ombre avec laquelle les chercheurs doivent composer.
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