Celle qui parle a vu naître les pierres
Les temples
Comme eux elle a résisté au vent
Aux étés implacables
Au blanc de la neige
À l’obscurité
Elle a étreint les statues
S’est écroulée à leur ombre
S’est écroulée avec elles
S’est toujours relevée
Sans jamais pleurer
S’est époussetée et
A continué
Telle la mémoire
Elle est dépourvue d’affect dépourvue de sentiment
Elle est mémoire
Elle sait mais ne dit pas
Pas tout en tous cas
Elle parle se parle
Ce qu’elle dit a la force de l’évidence
Ne serait-ce que pour elle seule
Chaque mot tonne telle une sentence
Chaque sentence est irrévocable
Ses images sont-elles confuses ?
Elle n’en a cure
Elles lui viennent d’un temps sien
D’un temps autre
Où les dieux badinaient avec les enfants
Où les cieux déchaînaient les éléments
Où les colonnes étaient toutes debout
Ces images lui viennent enroulées dans des suaires blancs
Ce sont ses offrandes
À ce qui reste de l'humanité
Celle qui parle est une gardienne
Gardienne de temples
Gardienne du temps
Revenue de tous les désirs de toutes les guerres
Elle ne fait plus qu’un avec les pierres
Son sang est couleur de marbre
Sa voix couleur du miel éternel
Celle qui parle ne sait pas qu’elle parle
Ni même qu’on l’écoute elle dit
Ne veut convaincre personne
Sa parole est aveugle
Quelque chose de grave et de profond
Qui a à voir avec le ventre de la terre
Avec le ventre
Avec le centre
Parole qui n’hésite pas
Ne tremble pas
Même si elle fait trembler
Celle qui parle a baissé ses armes
Comme qui a traversé les arcs-en-ciel
Celle qui parle a été une femme
A été corps et âme
La-voilà déesse détachée de sa statue
Errant parmi les ombres.
Par : Nabil el-Azan
Octobre 2017
Publications récentes d'Etel Adnan :
Nuit d’Etel Adnan, traduit de l’américain par Françoise Despalle, éditions de l’Attente, 2017.
« Baalbeck », in Ilik ya Baalbak (À toi Baalbeck), La Barraca, 2018.
Les temples
Comme eux elle a résisté au vent
Aux étés implacables
Au blanc de la neige
À l’obscurité
Elle a étreint les statues
S’est écroulée à leur ombre
S’est écroulée avec elles
S’est toujours relevée
Sans jamais pleurer
S’est époussetée et
A continué
Telle la mémoire
Elle est dépourvue d’affect dépourvue de sentiment
Elle est mémoire
Elle sait mais ne dit pas
Pas tout en tous cas
Elle parle se parle
Ce qu’elle dit a la force de l’évidence
Ne serait-ce que pour elle seule
Chaque mot tonne telle une sentence
Chaque sentence est irrévocable
Ses images sont-elles confuses ?
Elle n’en a cure
Elles lui viennent d’un temps sien
D’un temps autre
Où les dieux badinaient avec les enfants
Où les cieux déchaînaient les éléments
Où les colonnes étaient toutes debout
Ces images lui viennent enroulées dans des suaires blancs
Ce sont ses offrandes
À ce qui reste de l'humanité
Celle qui parle est une gardienne
Gardienne de temples
Gardienne du temps
Revenue de tous les désirs de toutes les guerres
Elle ne fait plus qu’un avec les pierres
Son sang est couleur de marbre
Sa voix couleur du miel éternel
Celle qui parle ne sait pas qu’elle parle
Ni même qu’on l’écoute elle dit
Ne veut convaincre personne
Sa parole est aveugle
Quelque chose de grave et de profond
Qui a à voir avec le ventre de la terre
Avec le ventre
Avec le centre
Parole qui n’hésite pas
Ne tremble pas
Même si elle fait trembler
Celle qui parle a baissé ses armes
Comme qui a traversé les arcs-en-ciel
Celle qui parle a été une femme
A été corps et âme
La-voilà déesse détachée de sa statue
Errant parmi les ombres.
Par : Nabil el-Azan
Octobre 2017
Publications récentes d'Etel Adnan :
Nuit d’Etel Adnan, traduit de l’américain par Françoise Despalle, éditions de l’Attente, 2017.
« Baalbeck », in Ilik ya Baalbak (À toi Baalbeck), La Barraca, 2018.
Né à Beyrouth, Nabil el-Azan a accompli successivement deux parcours universitaires, l’un en Sciences politiques et l’autre en Études théâtrales à Paris où il vit depuis 1978. Metteur en scène et directeur de la compagnie La Barraca, il crée principalement des pièces d’auteurs contemporains dont Aziz Chouaki, Enzo Cormann, Daniel Danis, Carole Fréchette, Jean Louvet, Christian Rullier… Auteur de deux ouvrages (May Arida, Le rêve de Baalbeck et Vingt-six lettres de poussières), Nabil el-Azan a également traduit certains textes dont Les Proscrits de Johan Sigurjonsson et Mirages de Issa Makhlouf.