AMOUR
J’ai ouvert l’armoire fermée
Depuis ma jeunesse
Le livre d’amour que j’y avais laissé
Y était tout couvert de poussière
La poussière qui le recouvrait
Je l’ai secouée pour qu’il pût me voir
Il me dit : Qui me réveille ainsi ?
Ne sachant pas que c’était moi
Les pages mêmes ne me reconnaissaient plus
Le livre que j’avais écrit m’avait oublié
Comme si ce qui s’y trouvait
N’était point issu de moi
Comme si une autre main l’avait écrit
Loin de ma présence
Amour dont jadis nous avions honte
Tout le monde te prône aujourd’hui
On t’embellit on te nomme Tayri
Et à moi ton nom plaît
O combien de fois me suis-je souvenu
Du temps de ma flamme mon cœur
Ce feu-là s’est éteint
Il est devenu cendres
Emporté par le vent il m’a abandonné
Ma jeunesse avec lui s’en est allée
Les traces qui en demeuraient
Ont été couvertes par les neiges du temps
Le chant qui l’aurait ressuscité
Aujourd’hui ne reconnaît plus les lieux
Regarde Tayri ce que je suis devenu
Combien j’ai changé
Mais pour toi c’est tel que je t’ai connue
Que ton visage est demeuré
Dis-moi Tayri pourquoi
Tu m’as laissé ne sachant où aller
Te rappelles-tu quand nous nous
Sommes connus ?
Nous avons fait luire le soleil sur nos jours
Les jours qui t’ont trahie
Ont fini par me trahir aussi
Chacun d’eux portait son coup
Qui m’atteignait et t’épargnait
Encore, encore, encore
Je parle encore de toi
Comme si le temps s’était arrêté
Même quand je regarde ton visage
J’ai peine à croire que les temps sont passés
Laisse-moi croire en mon rêve
Si tu m’as compris ne me reproche rien
Il ne me reste plus que cela
Les temps pour moi ne changeront plus
Rien, rien, rien
Rien n’est aussi doux que toi
Et rien aussi amer
Quand je croyais en toi
Tu m’as tendu les bras
Tu m’as appris l’espoir
Ma jeunesse est restée avec toi
Elle nous a trahis tous les deux
La vieillesse a banni ton nom
Aujourd’hui, aujourd’hui, aujourd’hui
Aujourd’hui en portant mes regards j’ai vu
Entre nous la barrière des années
Tu ne ressens pas le poids des ans
Qui n’accablent que moi
Tu sais que tous mes amis t’ont connue
Ils t’ont connue avant leur vieillesse
lls ne sont pas guéris de toi
Ils te contemplent fût-ce de loin
Fini, fini, fini
Fini je sais c’est le tard de ma vie
Ce n’est pas comme au temps de ma jeunesse
Il ne me sied plus de parler de toi
Je vais brûler ton livre
Je vais garder ton ombre
Simplement pour la revoir
Ce n’est pas dans une tombe sous terre
C’est dans mon cœur que j’enterrerai
L’amour, l’amour, l’amour
Aït MENGUELLET
Traduit par
Tassadit YACINE
Anthropologue et enseignante-chercheuse, spécialiste de la culture berbère.
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