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Hnifa - dunith

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    Hnifa Une grande Dame que j'apprécie tout particulièrement


    Hnifa : La vie brûlée

    Elle fera une dernière apparition publique le 2 novembre 1978. Malade, seule, elle s'éteint dans l'anonymat dans un hôtel miteux.

    1924: Depuis presque un siècle déjà, les Français sont installés en Algérie. Bien installés. Dans les journaux de l'époque, la société coloniale étale sans retenue ses goûts, ses envies et ses appétits pour la terre et les plaisirs de la vie. Avide, elle n'a pas le temps de s'occuper des " indigènes : Ceux-ci n'ont même pas le droit de vote. D'ailleurs 1924, c'est l'année des élections législatives, A Azzefoun, petite localité maritime au Nord-Est de Tizir-Ouzou, seules 82 personnes ont été inscrites sur les listes électorales. Tous des Français ou des Juifs. Les paysans Kabyles, eux, ne votaient pas mais vivotaient. Tous voulaient fuir cette région montagneuse. Les villages se vidaient. On se ruait sur la Casbah d'Alger. Comme tous les hommes, le père de Hnifa, Ighil Larba Mohammed, quitte lui aussi son patelin, la tête pleine d'illusions. Si la majorité des villageois atterrissait surtout dans les bains maures, lui s'associa avec les pêcheurs. Devant ce père de famille, une vie simple, sans aspérités. Hnifa (de son vrai prénom Zoubida) naît le 04 avril 1924. Avec sa mère, ses deux frères et quatre sœurs, elle rejoint la Casbah, puis Bologhine où le père avait loué une petite maison. Ils ne reviendront au village natal, Ighil M’henni qu’en 1939 avec les débuts de la guerre. C'était presque des citadins !

    Dans ce petit village de paysans stricts, on voyait vite que cette famille pas comme les autres prenait trop d'écarts. Le père se gausse de l'imam, les filles sont raffinées, la maison était entourée de fleurs et le comble... c'était la seule à posséder un phonographe.

    En 1942, Hnifa avait dix-huit ans. Au village, on ne pouvait imaginer une fête sans sa présence et celles de ses sœurs. Le père ne se sent pas trop dépaysé. La mer est toute proche. Il rachetait des sardines qu'il revendait dans les villages. Au port, il se lie d'amitié avec un certain Ahmed Chentout, dont la mère de Tamasit était apparentée à sa femme. Il était le seul Kabyle à gérer un commerce, à posséder une camionnette. Il connaissait les caïds. Les affaires et les " trafics " en tous genres étaient son fort. La justice, dit-on, a eu 22 fois affaire à lui. Dans ce milieu de pêcheurs, on cultive la redjla. Le kif tisse des complicités. Quand Chentout demande la main de Hnifa, Ammi Moh ne pouvait refuser l'ami et le bon parti. A 18 ans, elle épouse cet homme qui la dépassait de douze ans. Son mari et le décor superbe de Kanis ne la retiennent pas. Elle fugue au bout de quelques mois. Elle retrouve sa famille déchirée entre le père et la mère rien ne va plus. Sa conduite est un scandale et, un malheur n'arrivant jamais seul, son jeune frère Ali est engagé dans l'armée, d'abord comme convoyeur, et tué à Mostaganem. C’était le prélude à la vie d’errance de Hnifa. Plus tard, elle évoquera la période bénie d'avant son premier mariage dans sa chanson

    Quand j’étais chez mon père
    Tous les biens débordaient dans notre maison
    Maintenant je suis devenu Hnifa
    Chacun m’insulte

    Ass-mi liγ ar baba
    Koul lxir yuγer felli
    Tura mi uqlagh d Hnifa
    Koul yiwen iheqriyi


    Brouillée avec son père et son second frère Abdelkader qu'elle ne reverra plus, elle rejoint, à Leveilley, son marie. Pour une vie de citadine recluse, avec, comme seule sortie, le hammam à El Harrach en fin de semaine.

    Elle avait épousé un agent de la RSTA. Pour, au bout du compte, un divorce et une fille-fardeau née en 1950.

    J’ai ramené ma fille toute petite,

    Elle m’a fait goûter toutes les misères


    Oubiγed yelli ttamezianet,
    T sarwayi di lemhani


    A l'époque, une " musulmane " illettrée comme l’était Hnifa ne pouvait être que boniche. Mais dans sa tête trottaient encore les airs de la montagne natale, et sa voix était superbe. Elle adorait Siham Refki, une vedette syro-libanaise dont elle reprendra certaines musiques (A Sidi Abederrahmane). " Tu peux la dépasser ", lui disent les voisines. Elle débarque chez Ccix Nourredine à la chaîne Kabyle de Radio-Alger où elle chante en direct une fois par semaine et participe à la chorale féminine. Seule, libre, confiant sa fille à sa mère, elle vivait jusqu'au bout des fantaisies, surtout un amour passion pour le regretté M. Hasni. Instable, elle quitte vite son boulot de femme de ménage. Au bidonville de Salembier. où elle vivait à côté de Chérifa, son unique chambre en tôle ondulée embaumait le basilic. Un troisième mariage, avec un riche de la Glacière, n'arrange rien Alger était ravagée par la guerre. En 1967, Hnifa s'en va à Paris où elle évoluera dans les cafés nord-africa

    ins avec Missoum, Abchiche Bélaïd, Taleb Rabah, Bahia Farah, Mustapha El Anka. Jusqu'en 62, c'était sa période de gloire. Ses meilleures chansons datent de cette époque. Pathétiques, elles traduisaient surtout le désarroi, la solitude des femmes Kabyles restées seules dans les villages désertés par les hommes. Par la voix de Hnifa, les femmes exhalaient leurs sentiments refoulés, leur peur des sortilèges de l'exil.

    Oh ! dépose ta valise
    Le mot voyage, oublie-le
    On se sépare, sans avoir vécu notre
    Jeunesse
    On aura tout perdu


    La radio n'avait pas encore pénétré les foyers. On l'écoutait en groupe quand les hommes n'étaient pas là. Bien des anecdotes circulent sur cet appareil magique. Telle cette femme qui promet à une chanteuse de lui ramener le lendemain, ... un thermos de café.

    Ecouter Hnifa, c'était alléger et aérer des cœurs pleins. Ses chants reflétaient les intimités réprimées. Sa voix était là comme pour établir un dialogue entre elle et l'être cher, si loin des yeux.

    On peut te le jurer par Sidi Aïch, si tu veux
    Ton mari à Paris fréquente les françaises
    La Kabyle qui a tout supporté
    Est abandonnée pour s’occuper des oliviers.

    Ma tebγid ad am negal hek Sidi Aïch
    Argaz im deg l-paris ay ttrebbi aqcic
    Taqbayelit achehal tesbar, yeratt i lehchich
    Tebbar tura



    Fin 62, elle rentre au pays. Sans domicile fixe, évoluant dans un milieu de " requins ", sans protection, séparée de son compagnon qui mourra deux ans plus tard, elle se retrouvera sans repères, perdue, happée par les mauvais garçons. Kamal Hamadi lui tendra une perche. Avec des mots simples et justes, il lui écrit toutes ces chansons où elle se lamente sur son sort " Tout est cause de ma chance " (D zahr-iw i d sebba).

    Elle conjure son cœur de se soumettre à ce qui est écrit " Asber a ul-iw ". Chanson où se lit le malheur d'une femme sans perspectives, malmenée par le destin. Peu à peu, elle sombre dans l'alcoolisme, fréquente les lieux malfamés à Fort de l'eau, à Alger. Elle se produit rarement. Elle n'est pas une chanteuse comme les autres. " Macci d loghna ay tghenigh, dayen ig Edan felli " (Ce n'est pas de la chanson que je fais, je raconte ce que j'ai vécu) était un de ses refrains. Vieillissante, elle s'en va vers 1973 en France où elle chantera dans les cafés arabes mais son destin, sa solitude, elle ne pouvait les oublier que dans l'alcool.

    Elle jouera dans la série " Les chevaux du soleil " avec Ccix Nourredine et fera une dernière apparition publique à la mutualité le 2 novembre 1978. Ce fut sa dernière révérence. Malade, seule, entouré de sa fille, elle s'éteint dans l'anonymat dans un hôtel miteux à Paris (21 rue de la Harpe, dans le Quartier Latin), le 24 septembre 1981. Elle resta un mois à la morgue. De bonnes âmes finissent par la rapatrier pour être enterrée à El Alia

    Des années après sa mort, des membres d'une association voulurent déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe. Personne ne connaissait sa... sépulture. Même morte, la malchance s'acharne sur elle.

    H.R.
    Source : Passerelles, Novembre 2005

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