Slimane Azem a vécu exilé. Il est mort loin de sa terre natale au moment où ses chansons constituaient une bouffée d’oxygène pour ses fans auxquels on ne servait que les chansons des artistes aux ordres. En dépit d’un talent indéniable, Slimane Azem est demeuré, pendant des années, un artiste indésirable. C’est un chanteur qu’on présentait à l’époque comme «grand» qui ajouta, au stylo, son nom à la liste des artistes indésirables de la radio Chaîne II. Pour lui avoir rendu un hommage dans sa chanson Ifenanen, Lounès Matoub a subi le même sort. Suite à son premier passage à la radio, l’animateur chanteur lui signifia sèchement que sa voix n’était pas faite pour la chanson. Slimane Azem, contre vent et marées, a pu s’imposer comme l’un des plus grands poètes kabyles. Il a composé des centaines de chansons, qui demeurent des chefs-d’oeuvre malgré le changement de génération. S’il n’est plus aussi écouté qu’avant, il demeure un repère aux vrais artistes, tout comme Cheikh El Hasnaoui.
Slimane Azem est un pilier de l’art
Sur le plan poétique, il est de la trempe de Si Mohand Ou Mhand et de Lounès Matoub. A l’instar de ce dernier, que l’on pourrait qualifier d’élève malgré sa grandeur, Slimane Azem ne s’est jamais compromis, quelle que soit la contrepartie. Il a opté pour la voix de la liberté. Il a payé de sa chair ce choix d’indépendance mais il a gagné le coeur du public qui le considère comme un artiste honnête. Plusieurs travaux universitaires ont été réalisés sur Slimane Azem. Le livre le plus accompli est sans doute celui écrit par Youssef Necib. Pendant une quarantaine d’années, Youssef Necib a travaillé sur la tradition orale en Algérie. C’est un livre de 700 pages qu’il a consacré à Slimane Azem qu’il présente comme l’un des plus grands poètes d’expression amazighe. L’auteur a traduit en langue française plus de cent cinquante poèmes de Slimane Azem. De même que sur cent cinquante pages, il analyse et compare l’oeuvre du poète d’Agouni Gueghrane, près des Ouadhias (Tizi Ouzou). En effet, la diversité thématique de la poésie de Slimane Azem a été l’occasion pour Necib de faire le parallèle entre ce qui est chanté par ce poète et ce qui est vécu dans sa société. De l’enfance jusqu’à l’exil, la poésie de Slimane Azem déroule la vie de milliers de Kabyles à une époque où la fontaine du village revêtait encore une symbolique importante. Ce n’est donc point un hasard si Slimane Azem consacre l’une de ses plus célèbres chansons à ce lieu mythique. Contrairement à d’autres poètes et même écrivains (Mouloud Feraoun, entre autres), Slimane Azem ne réduit pas Tala (la fontaine) au seul rôle de témoin des amours interdites à une époque chaste. Pour Slimane Azem, la fontaine est un cordon ombilical qui relie l’homme à sa terre nourricière. Une fois en exil, c’est cette fontaine qui constitue le témoin de sa solitude. Ainsi, la fontaine, présente ou absente, reste un élément de la personnalité du Kabyle de l’époque. Pour l’écrivain Youssef Necib, «les mythes et les légendes reçus et fixés par son enfance, qu’ils aient trait à de mystérieux gardiens de différents lieux ou à des saints gardiens des valeurs morales codifiées par le groupe, déterminent en partie les croyances, la personnalité et la conduite de Slimane Azem».
L’exil est un thème récurrent chez Slimane Azem. Dans plusieurs chansons, il dit les contradictions infinies qui habitent l’âme de l’émigré. Dans Anetsruhu netsughal, A Muh a Muh, D’aghriv davarani, Aâssas n tala...,Slimane Azem, tout en soupirant son malheur d’être privé de son pays, reflète aussi la déconfiture de milliers d’Algériens sous l’emprise de la même situation que lui: «O gardien de la source, me voici en triste état, mon coeur désire mon pays et ma chance le lui refuse». On retrouve, de façon fréquente, cette ambivalence entre les mots et les sens dans la poésie de Slimane Azem. Dans la chanson, Uliw, on assiste à un monologue intérieur de l’exilé où deux désirs antinomiques ne cessent de se débattre en prenant en otage le poète. Ce dernier se demande pourquoi il ne peut trancher entre l’envie de partir et celle de rester. Grâce à un jeu de mots génial, le poète réussit à restituer ses pensées contradictoires: «Sans cesse, mon coeur se demande s’il doit rester ou partir. S’il reste, il veut partir. Il n’est pas plus resté que parti. Ni plus parti que resté».
Le jeu de mots ne s’arrête pas au premier couplet. Slimane Azem continue à interroger les mots pour exprimer ses maux: «Il me consulta, je lui dis reste, en fait il voulait partir, donc je lui dis pars, alors qu’il voulait rester, je lui dis pars et il veut rester, je lui dis reste et il veut partir, s’il avait quelque bon guide, il pourrait rester ou partir». Dans la traduction, le poème perd quelque peu de son âme. Dans sa version kabyle, le texte est sublime. Contrairement à Cheikh El Hasnaoui ou à Lounès Matoub, la poésie de Slimane Azem n’est pas trop sentimentale, ni anticonformiste. Slimane Azem use de la morale et de la raison. C’est ce qui fait que certain de ses textes, même empreints de douleur, sont plutôt d’essence philosophique, comme c’est le cas de Ur iruh ur yeqqim. On retrouve cette touche philosophique dans des textes n’ayant pas trait à l’exil comme dans la chanson A yul iw henni yi. Dans ce poème, il est aussi question des contradictions du coeur avec la raison. Ici, le poète s’adresse à son coeur comme s’il s’agissait carrément d’une autre personne ou d’un adversaire honni. Le poète accable son coeur de reproches et lui impute tous ses déboires car il a toujours désiré ce qui est compliqué et voulu tout avoir en même temps.
Marqué par les Fables de La Fontaine
Slimane Azem a réservé une bonne part de son oeuvre à des poèmes où les animaux symbolisent des tas de choses.
L’hirondelle est son poème le plus connu dans cette catégorie. L’hirondelle est envoyée par le poète pour explorer les cieux de la Kabylie qui lui manquent tant.
«Le taon», «La grenouille de la mare», «Criquets hors de ma terre!...», sont autant de textes où l’influence des Fables de La Fontaine se fait le plus sentir. Un autre point sensible qui fait la différence entre Matoub et El Hasnaoui d’une part et Slimane Azem d’autre part: il s’agit de la chanson d’amour. De tout son répertoire, on ne retrouve que deux chansons d’amour: Atas ay sevregh et Kem akc dnek. Dans cette dernière, on découvre aussi un jeu de mots avec des vers laconiques, composés parfois de deux mots mais pleins de sens. Ce poème est présenté sous forme de dialogues entre deux amoureux. Il s’agit de déclarations d’amour sous différentes formes tandis que dans Attas ay sevregh, il est plutôt question du cri du coeur d’une femme esseulée au village avec la promesse non tenue du retour et de la félicité. L’homme parti à l’étranger, n’est plus revenu.
La femme reçoit des nouvelles négatives qui ne laissent poindre aucun espoir. Slimane Azem a beaucoup chanté sur le temps et les temps révolus. Ce qui est parti ne reviendra plus.
Slimane Azem est un pilier de l’art
Sur le plan poétique, il est de la trempe de Si Mohand Ou Mhand et de Lounès Matoub. A l’instar de ce dernier, que l’on pourrait qualifier d’élève malgré sa grandeur, Slimane Azem ne s’est jamais compromis, quelle que soit la contrepartie. Il a opté pour la voix de la liberté. Il a payé de sa chair ce choix d’indépendance mais il a gagné le coeur du public qui le considère comme un artiste honnête. Plusieurs travaux universitaires ont été réalisés sur Slimane Azem. Le livre le plus accompli est sans doute celui écrit par Youssef Necib. Pendant une quarantaine d’années, Youssef Necib a travaillé sur la tradition orale en Algérie. C’est un livre de 700 pages qu’il a consacré à Slimane Azem qu’il présente comme l’un des plus grands poètes d’expression amazighe. L’auteur a traduit en langue française plus de cent cinquante poèmes de Slimane Azem. De même que sur cent cinquante pages, il analyse et compare l’oeuvre du poète d’Agouni Gueghrane, près des Ouadhias (Tizi Ouzou). En effet, la diversité thématique de la poésie de Slimane Azem a été l’occasion pour Necib de faire le parallèle entre ce qui est chanté par ce poète et ce qui est vécu dans sa société. De l’enfance jusqu’à l’exil, la poésie de Slimane Azem déroule la vie de milliers de Kabyles à une époque où la fontaine du village revêtait encore une symbolique importante. Ce n’est donc point un hasard si Slimane Azem consacre l’une de ses plus célèbres chansons à ce lieu mythique. Contrairement à d’autres poètes et même écrivains (Mouloud Feraoun, entre autres), Slimane Azem ne réduit pas Tala (la fontaine) au seul rôle de témoin des amours interdites à une époque chaste. Pour Slimane Azem, la fontaine est un cordon ombilical qui relie l’homme à sa terre nourricière. Une fois en exil, c’est cette fontaine qui constitue le témoin de sa solitude. Ainsi, la fontaine, présente ou absente, reste un élément de la personnalité du Kabyle de l’époque. Pour l’écrivain Youssef Necib, «les mythes et les légendes reçus et fixés par son enfance, qu’ils aient trait à de mystérieux gardiens de différents lieux ou à des saints gardiens des valeurs morales codifiées par le groupe, déterminent en partie les croyances, la personnalité et la conduite de Slimane Azem».
L’exil est un thème récurrent chez Slimane Azem. Dans plusieurs chansons, il dit les contradictions infinies qui habitent l’âme de l’émigré. Dans Anetsruhu netsughal, A Muh a Muh, D’aghriv davarani, Aâssas n tala...,Slimane Azem, tout en soupirant son malheur d’être privé de son pays, reflète aussi la déconfiture de milliers d’Algériens sous l’emprise de la même situation que lui: «O gardien de la source, me voici en triste état, mon coeur désire mon pays et ma chance le lui refuse». On retrouve, de façon fréquente, cette ambivalence entre les mots et les sens dans la poésie de Slimane Azem. Dans la chanson, Uliw, on assiste à un monologue intérieur de l’exilé où deux désirs antinomiques ne cessent de se débattre en prenant en otage le poète. Ce dernier se demande pourquoi il ne peut trancher entre l’envie de partir et celle de rester. Grâce à un jeu de mots génial, le poète réussit à restituer ses pensées contradictoires: «Sans cesse, mon coeur se demande s’il doit rester ou partir. S’il reste, il veut partir. Il n’est pas plus resté que parti. Ni plus parti que resté».
Le jeu de mots ne s’arrête pas au premier couplet. Slimane Azem continue à interroger les mots pour exprimer ses maux: «Il me consulta, je lui dis reste, en fait il voulait partir, donc je lui dis pars, alors qu’il voulait rester, je lui dis pars et il veut rester, je lui dis reste et il veut partir, s’il avait quelque bon guide, il pourrait rester ou partir». Dans la traduction, le poème perd quelque peu de son âme. Dans sa version kabyle, le texte est sublime. Contrairement à Cheikh El Hasnaoui ou à Lounès Matoub, la poésie de Slimane Azem n’est pas trop sentimentale, ni anticonformiste. Slimane Azem use de la morale et de la raison. C’est ce qui fait que certain de ses textes, même empreints de douleur, sont plutôt d’essence philosophique, comme c’est le cas de Ur iruh ur yeqqim. On retrouve cette touche philosophique dans des textes n’ayant pas trait à l’exil comme dans la chanson A yul iw henni yi. Dans ce poème, il est aussi question des contradictions du coeur avec la raison. Ici, le poète s’adresse à son coeur comme s’il s’agissait carrément d’une autre personne ou d’un adversaire honni. Le poète accable son coeur de reproches et lui impute tous ses déboires car il a toujours désiré ce qui est compliqué et voulu tout avoir en même temps.
Marqué par les Fables de La Fontaine
Slimane Azem a réservé une bonne part de son oeuvre à des poèmes où les animaux symbolisent des tas de choses.
L’hirondelle est son poème le plus connu dans cette catégorie. L’hirondelle est envoyée par le poète pour explorer les cieux de la Kabylie qui lui manquent tant.
«Le taon», «La grenouille de la mare», «Criquets hors de ma terre!...», sont autant de textes où l’influence des Fables de La Fontaine se fait le plus sentir. Un autre point sensible qui fait la différence entre Matoub et El Hasnaoui d’une part et Slimane Azem d’autre part: il s’agit de la chanson d’amour. De tout son répertoire, on ne retrouve que deux chansons d’amour: Atas ay sevregh et Kem akc dnek. Dans cette dernière, on découvre aussi un jeu de mots avec des vers laconiques, composés parfois de deux mots mais pleins de sens. Ce poème est présenté sous forme de dialogues entre deux amoureux. Il s’agit de déclarations d’amour sous différentes formes tandis que dans Attas ay sevregh, il est plutôt question du cri du coeur d’une femme esseulée au village avec la promesse non tenue du retour et de la félicité. L’homme parti à l’étranger, n’est plus revenu.
La femme reçoit des nouvelles négatives qui ne laissent poindre aucun espoir. Slimane Azem a beaucoup chanté sur le temps et les temps révolus. Ce qui est parti ne reviendra plus.
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