Les libraires s'organisent face aux acteurs qui les menacent et à l'avenir complexe qui les attend en cherchant à proposer des solutions d'e-commerces alternatives aux grandes surfaces culturelles ou à Amazon.
Jérôme Ferrari doit être très apprécié des libraires. Avec son Goncourt, il dopera les ventes jusqu’à la fin de l’année et donnera un peu d’air à des libraires inquiets.
Ces derniers, qui détiennent en France 43 % du marché du livre –l’un des plus forts taux des pays occidentaux– sont confrontés à un effet de ciseaux: augmentation des charges et marché en légère baisse.
Selon Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF), l’activité des libraires a reculé d’environ 1,5% depuis le début de l’année 2012. La grande distribution –qui écoule une BD sur 4– et les grandes surfaces spécialisées connaissent un recul encore plus fort de leurs ventes de livres: -5% pour la FNAC depuis début 2012, alors que Virgin annonce plusieurs fermetures.
Sans bénéfice, la survie
«Le libraire et le fleuriste sont les commerçants qui ont la plus faible rentabilité, à l’opposé de l’opticien», note Matthieu de Montchalin. Les libraires résistent, mais ne dégagent pratiquement pas de bénéfices: 2.200 euros de bénéfice annuel en moyenne et une rentabilité moyenne de 0,3%. Insuffisant.
Progression des ventes en ligne
D’autant qu’en face, il y a une lame de fond. Sur un marché du livre en léger recul depuis 10 ans, seuls les distributeurs de livres par Internet progressent. Parties de zéro il y a quinze ans, ces ventes représentent aujourd’hui 11% des livres vendus en France, dont plus de la moitié le sont par Amazon, le premier cybermarchand du monde (48 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011).
C’est un poids plus faible que dans les économies comparables à la nôtre (20% en Allemagne environ, 30% en Grande-Bretagne et 45% aux Etats-Unis), mais significatif. D’une façon générale, comme le montrent les indicateurs de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD), la culture de l’achat par Internet est un peu moins forte en France que chez nos voisins anglo-saxons.
Amazon à Chalon
Mais Amazon sait que les Français sont de plus en plus acquis à la cause de l’immédiateté qui permet de commander depuis chez soi. Il vient d’ouvrir son troisième entrepôt logistique en France,à Chalon sur Saône (Saône et Loire). Le 26 juin dernier, le distributeur américain avait provoqué un joli tollé en annonçant que pour faire fonctionner cet entrepôt, il allait recruter 1.000 personnes. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, ex-député de Saône et Loire,avait relayé le chiffre sans sourciller. Mais le chiffrage des emplois avait immédiatement fait réagir le Syndicat de la librairie française ( SLF) , estimant que ces emplois de logistique étaient largement surévalués et que l’on serait sans doute plus près de 120/150 emplois que 1.000.
S’appuyant sur un rapport du Sénat, le syndicat des libraires ajoutait qu’Amazon avait bénéficié «d’aides publiques conséquentes» alors que sa filiale française ne déclare en France qu’une petite partie de son chiffre d’affaires (les services logistiques) déclarant l’essentiel au Luxembourg:
Contourner la loi Lang
Les libraires craignent que le champion mondial de l’e-commerce ne réussisse à contourner la fameuse loi Lang qui interdit de vendre un livre neuf en dessous du prix fixé par l’éditeur. Mais jusqu’à quand un livre est-il considéré comme neuf?
En attendant que la question ne soit tranchée, Amazon propose souvent un prix soldé pour un livre qui n’est plus tout à fait neuf. Il existe d’autres moyens de ruser avec la loi. Quand Amazon ou Gibert Joseph «offrent» les frais de livraison à partir d’un certain niveau d’achat, cela signifie que le livre est vendu en dessous du prix fixé par l’éditeur. Et lorsque les libraires consentent des rabais de 5% à leurs clients détenteurs de cartes de fidélité, ils ne respectent pas non plus la loi Lang à la lettre.
La fin des dénicheurs
C’est cette fameuse loi Lang qui leur permet de jouer leur rôle de dénicheur, de passeur, affirment les libraires. «Qui a permis à Amélie Nothomb de trouver des lecteurs quand son premier roman est sorti? Ce sont les libraires», répètent-ils. Leur fonction de vitrine, de présentation, d’exposition serait essentielle pour les éditeurs qui publient en moyenne 64.000 nouveautés par an en France, dont 15.000 titres de littérature.
L'éditrice Sabine Wespieser qui publie dix nouveaux titres de littérature par an, va jusqu’à affirmer que sans la loi Lang,sa maison d'edition n’existerait pas. Les grandes maisons sont les seules à subsister dans les pays où le prix est libre, assure-t-elle. Sa petite entreprise (800.000 euros de chiffre d’affaires) serait comme les maisons équivalentes à la sienne aux Etats-Unis, «une association à but non lucratif financée par le mécénat».
Le libraire créateur
Wespieser voit le libraire comme le «relais» du risque et du pari pris par l’éditeur. «En repérant les textes qu'il fera passer à ses clients, il est, de fait, un maillon fondamental dans la chaîne de la création.»
L'éditrice doit notamment aux libraires la mise en valeur du roman Terre des oublis de Duong Thu Huong qui a obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle en 2007:
La loi Lang contre les chaînes et le discount
La loi Lang été copiée par plusieurs pays qui avaient des accords de branche pour encadrer le prix du livre. En Grande-Bretagne, où le prix du livre n’est pas fixé par l’éditeur, le marché a été dérégulé et a provoqué la mort des libraires indépendants. Des chaînes spécialisées les ont remplacés mais elles souffrent aussi aujourd’hui. «Elles pratiquent des prix discount sur le tout venant et tentent de faire leurs marges sur les autres livres qu’elles vendent très cher», analyse Matthieu de Montchalin. Rien de tel en France où, depuis 15 ans, le prix du livre augmente moins que l’inflation.
Montchalin, qui est aussi responsable de la librairie l’Armitière à Rouen (85.000 références), martèle «qu’aucun maillon de la chaîne du livre n’a intérêt à ce que le dernier maillon de la chaîne ne soit menacé; si ce maillon meurt, c’est toute la chaîne qui se désintègre».
Or, le maillon faible est le libraire, selon lui, car il est confronté à de lourds frais fixes: des loyers élevés de centre-ville, des emprunts pour financer ses stocks, des frais de personnel élevés. Dans une librairie indépendante, la masse salariale représente environ 15% du chiffre d’affaires; dans une grande surface spécialisée, le ratio passe à 9% et dans un hypermarché à 5%.
Le secteur de la librairie indépendante n’a cependant rien d’homogène. Sur les 3.600 entreprises dont l’activité principale est le livre, on trouve des Gibert Joseph (présent à Paris et dans 16 autres villes), mais aussi 2.000 entreprises unipersonnelles. Globalement, le secteur génère un milliard d’euros de chiffre d’affaires et emploie 14.000 salariés.
Jérôme Ferrari doit être très apprécié des libraires. Avec son Goncourt, il dopera les ventes jusqu’à la fin de l’année et donnera un peu d’air à des libraires inquiets.
Ces derniers, qui détiennent en France 43 % du marché du livre –l’un des plus forts taux des pays occidentaux– sont confrontés à un effet de ciseaux: augmentation des charges et marché en légère baisse.
Selon Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF), l’activité des libraires a reculé d’environ 1,5% depuis le début de l’année 2012. La grande distribution –qui écoule une BD sur 4– et les grandes surfaces spécialisées connaissent un recul encore plus fort de leurs ventes de livres: -5% pour la FNAC depuis début 2012, alors que Virgin annonce plusieurs fermetures.
Sans bénéfice, la survie
«Le libraire et le fleuriste sont les commerçants qui ont la plus faible rentabilité, à l’opposé de l’opticien», note Matthieu de Montchalin. Les libraires résistent, mais ne dégagent pratiquement pas de bénéfices: 2.200 euros de bénéfice annuel en moyenne et une rentabilité moyenne de 0,3%. Insuffisant.
«Ils doivent emprunter auprès des banques pour financer leurs stocks physiques. Il faudrait qu’ils dégagent une rentabilité de 2% de leur chiffre d’affaires.»
Protégées par la loi Lang sur le "prix unique du livre" , les librairies indépendantes sont pourtant sur le fil. «La moindre vaguelette peut les mettre en péril», observe Serge Wanstok, responsable de la librairie La Galerne au Havre. Progression des ventes en ligne
D’autant qu’en face, il y a une lame de fond. Sur un marché du livre en léger recul depuis 10 ans, seuls les distributeurs de livres par Internet progressent. Parties de zéro il y a quinze ans, ces ventes représentent aujourd’hui 11% des livres vendus en France, dont plus de la moitié le sont par Amazon, le premier cybermarchand du monde (48 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011).
C’est un poids plus faible que dans les économies comparables à la nôtre (20% en Allemagne environ, 30% en Grande-Bretagne et 45% aux Etats-Unis), mais significatif. D’une façon générale, comme le montrent les indicateurs de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD), la culture de l’achat par Internet est un peu moins forte en France que chez nos voisins anglo-saxons.
Amazon à Chalon
Mais Amazon sait que les Français sont de plus en plus acquis à la cause de l’immédiateté qui permet de commander depuis chez soi. Il vient d’ouvrir son troisième entrepôt logistique en France,à Chalon sur Saône (Saône et Loire). Le 26 juin dernier, le distributeur américain avait provoqué un joli tollé en annonçant que pour faire fonctionner cet entrepôt, il allait recruter 1.000 personnes. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, ex-député de Saône et Loire,avait relayé le chiffre sans sourciller. Mais le chiffrage des emplois avait immédiatement fait réagir le Syndicat de la librairie française ( SLF) , estimant que ces emplois de logistique étaient largement surévalués et que l’on serait sans doute plus près de 120/150 emplois que 1.000.
S’appuyant sur un rapport du Sénat, le syndicat des libraires ajoutait qu’Amazon avait bénéficié «d’aides publiques conséquentes» alors que sa filiale française ne déclare en France qu’une petite partie de son chiffre d’affaires (les services logistiques) déclarant l’essentiel au Luxembourg:
«Amazon échappe pratiquement à l’impôt en France. C’est une concurrence déloyale vis-à-vis de commerces indépendants et de proximité qui génèrent bien plus d’emplois, tout en s’acquittant de leurs obligations légales en France.»
Slate.fr qui avait à l’époque voulu donner la parole à Amazon pour qu’il s’explique sur sa stratégie, s’était fait poliment éconduire par EURORSCG, chargé des relations presse d’Amazon en France.Contourner la loi Lang
Les libraires craignent que le champion mondial de l’e-commerce ne réussisse à contourner la fameuse loi Lang qui interdit de vendre un livre neuf en dessous du prix fixé par l’éditeur. Mais jusqu’à quand un livre est-il considéré comme neuf?
En attendant que la question ne soit tranchée, Amazon propose souvent un prix soldé pour un livre qui n’est plus tout à fait neuf. Il existe d’autres moyens de ruser avec la loi. Quand Amazon ou Gibert Joseph «offrent» les frais de livraison à partir d’un certain niveau d’achat, cela signifie que le livre est vendu en dessous du prix fixé par l’éditeur. Et lorsque les libraires consentent des rabais de 5% à leurs clients détenteurs de cartes de fidélité, ils ne respectent pas non plus la loi Lang à la lettre.
La fin des dénicheurs
C’est cette fameuse loi Lang qui leur permet de jouer leur rôle de dénicheur, de passeur, affirment les libraires. «Qui a permis à Amélie Nothomb de trouver des lecteurs quand son premier roman est sorti? Ce sont les libraires», répètent-ils. Leur fonction de vitrine, de présentation, d’exposition serait essentielle pour les éditeurs qui publient en moyenne 64.000 nouveautés par an en France, dont 15.000 titres de littérature.
L'éditrice Sabine Wespieser qui publie dix nouveaux titres de littérature par an, va jusqu’à affirmer que sans la loi Lang,sa maison d'edition n’existerait pas. Les grandes maisons sont les seules à subsister dans les pays où le prix est libre, assure-t-elle. Sa petite entreprise (800.000 euros de chiffre d’affaires) serait comme les maisons équivalentes à la sienne aux Etats-Unis, «une association à but non lucratif financée par le mécénat».
Le libraire créateur
Wespieser voit le libraire comme le «relais» du risque et du pari pris par l’éditeur. «En repérant les textes qu'il fera passer à ses clients, il est, de fait, un maillon fondamental dans la chaîne de la création.»
L'éditrice doit notamment aux libraires la mise en valeur du roman Terre des oublis de Duong Thu Huong qui a obtenu le Grand Prix des lectrices de Elle en 2007:
«Très peu de lecteurs attendaient un nouveau roman de Duong Thu Huong, dont plusieurs livres étaient déjà parus en français chez d'autres éditeurs, mais avec des ventes assez confidentielles. Ce sont les libraires, en conseillant à leurs clients cette fresque de 800 pages, qui ont présenté le roman comme un des incontournables parmi les nouveautés de l'époque.»
Ses ventes en ligne augmentent quand un livre se vend déjà en librairie physique car son existence est connue, explique-t-elle. «Sur Amazon, on trouve forcément ce que l’on cherche dans la multiplicité de l’offre, mais on y fait rarement des découvertes.»La loi Lang contre les chaînes et le discount
La loi Lang été copiée par plusieurs pays qui avaient des accords de branche pour encadrer le prix du livre. En Grande-Bretagne, où le prix du livre n’est pas fixé par l’éditeur, le marché a été dérégulé et a provoqué la mort des libraires indépendants. Des chaînes spécialisées les ont remplacés mais elles souffrent aussi aujourd’hui. «Elles pratiquent des prix discount sur le tout venant et tentent de faire leurs marges sur les autres livres qu’elles vendent très cher», analyse Matthieu de Montchalin. Rien de tel en France où, depuis 15 ans, le prix du livre augmente moins que l’inflation.
Montchalin, qui est aussi responsable de la librairie l’Armitière à Rouen (85.000 références), martèle «qu’aucun maillon de la chaîne du livre n’a intérêt à ce que le dernier maillon de la chaîne ne soit menacé; si ce maillon meurt, c’est toute la chaîne qui se désintègre».
Or, le maillon faible est le libraire, selon lui, car il est confronté à de lourds frais fixes: des loyers élevés de centre-ville, des emprunts pour financer ses stocks, des frais de personnel élevés. Dans une librairie indépendante, la masse salariale représente environ 15% du chiffre d’affaires; dans une grande surface spécialisée, le ratio passe à 9% et dans un hypermarché à 5%.
Le secteur de la librairie indépendante n’a cependant rien d’homogène. Sur les 3.600 entreprises dont l’activité principale est le livre, on trouve des Gibert Joseph (présent à Paris et dans 16 autres villes), mais aussi 2.000 entreprises unipersonnelles. Globalement, le secteur génère un milliard d’euros de chiffre d’affaires et emploie 14.000 salariés.
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