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Le paradis des houris. Du carnaval, au scandale

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  • Le paradis des houris. Du carnaval, au scandale

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    INTRODUCTION


    1Le paradis jouit d’un statut particulier dans l’imaginaire arabo-musulman et ce pour deux raisons au moins. D’abord parce qu’il y est question de plaisirs inouïs, tant sur le plan matériel que sur le plan spirituel. Ensuite parce que l’exégèse classique, toutes tendances confondues, s’était longuement attardée sur les délices paradisiaques, déjà abondantes, dans le Coran. Dans les commentaires consacrés à la vie future, on trouve souvent des chapitres concernant la géographie physique du paradis, et les différentes délices que Dieu promet aux croyants bienfaiteurs. Il est des œuvres consacrées uniquement au paradis où tout élément de cette géographie et de ces délices fait l’objet d’un chapitre en bonne et due forme1. Voici à titre d’exemple la liste des chapitres d’une table de matière :
    • De la preuve de l’existence du paradis maintenant...
    • Du nombre des portes du paradis...
    • De la clé du paradis...
    • Du sable du paradis...
    • Du vent du paradis...
    • Des ruisseaux et des puits du paradis...
    • De la nourriture des gens du paradis...
    • De la vaisselle des gens du paradis...
    • Des vêtements des gens du paradis, de leurs bijoux, de leurs lits, de leurs oreillers, et de leurs tapis.
    • Des garçons des gens du paradis et de leurs éphèbes.
    • Des femmes des gens du paradis, de leurs catégories, de leur beauté...
    • Du mariage des gens du paradis, de la pénétration et du plaisir orgasmique le plus intense que cela leur procure...
    • De la musique au paradis et du chant des Houris et de ce qu’il procure comme joie et réjouissance...
    • Des montures des gens du paradis..
    • Du marché du paradis...
    • Du fait que les femmes au paradis sont plus nombreuses que les hommes, et du fait qu’il en est de même dans l’enfer.
    • Du fait que les jouissances paradisiaques dépassent l’entendement...
    • Du fait que les gens du paradis verront leur Dieu au sens propre du mot, comme on voit la pleine lune, et qu’il se manifestera à eux riant.

    2L’œuvre dont est extraite cette table, est d’Ibn Quayem Aljawziya (m 751) de l’hégire2. En 1988 elle en était à sa quatrième édition. De telles œuvres sont souvent publiées en entier ou en partie, dans divers pays arabes sans annotations critiques. Parfois, ce ne sont que de petits opuscules, très répandus dans les milieux populaires3. Est-ce là une preuve que l’imaginaire arabo-musulman n’a pas beaucoup évolué depuis une quinzaine de siècles ? La question mérite bien d’être posée. Dans le travail que nous présentons ici, nous allons traiter d’une autre question non moins importante. Il s’agit en l’occurrence de la réalité des délices paradisiaques. Plus exactement du caractère nettement sensuel des jouissances promises aux bons croyants.


    I. LE PARADIS DES JOUISSANCES MATERIELLES


    3Comment se fait-il que dans le paradis, espace de spiritualité par excellence, il y ait du vin, du miel, du lait, et surtout du commerce avec les femmes ? L’œuvre de chair n’est-elle pas désacralisante ? N’est-elle pas aux yeux de certains le symbole du péché originel ? A vrai dire, la conscience populaire ne s’est jamais posé la question. Elle a toujours cru en ce qui est dit littéralement dans le Coran, dans la Tradition (les dires du prophète = hadiths) et dans tout ce qu’affirment commentateurs et exégètes traditionalistes. Par contre, la question était souvent objet de discussions très vives entre théologiens sunnites (orthodoxes), théologiens moutazilites (rationalistes), soufis, zanadikha (hérétiques), et philosophes. Ghazali, savant érudit appelé « L’argument de l’Islam » taxa d’incroyance les philosophes qui doutaient de la résurrection des corps et donnaient une interprétation figurée des délices et des tourments de la vie future4.

    4Les penseurs sunnites, représentants de l’Islam officiel, avaient à défendre le Califat5 contre les « calomnies » des penseurs chrétiens et surtout contre les critiques de certains hérétiques, lesquelles critiques atteignaient parfois la provocation6. Ibn Arrawandi, appelé par ses adversaires Almoulhid (l’athée), dit sur un ton ironique : « Dieu n’a de remède que l’assassinat. Décrivant le paradis, il prétend qu’il y a des ruisseaux de lait au goût inaltérable, alors que ne le désire à peine que la personne affamée. Dieu cite le miel purifié tandis que personne ne le demande sans mélange, le gingembre qui n’est pas compté parmi les boissons délicieuses, et les vêtements de satin et de brocard, alors que du premier on ne fait pas de vêtements mais des nattes, tandis que le second n’est que, de la broderie peu raffinée. Celui, enfin, qui s’imagine au paradis portant des vêtements si grossiers serait comme un époux kurde ou Nabatéen »7.

    5C’est peut être pour donner la réplique à des hérétiques si « insolents » que les écrivains sunnites tiennent à exhiber fort bien les aspects concrets des plaisirs paradisiaques, comme le montre clairement l’œuvre déjà citée d’Ibn Quayem Aljawziya. Ils le font sans oublier de signaler pour autant, qu’en fin de compte, le bonheur dans la vie future, relève de l’inconnaissable (Du GHAYB), d’un monde « que nul œil n’a vu, nulle oreille entendu, qui n’a jamais traversé le cœur humain ». Ghazali met à profit souvent ce Hadith non pour atténuer les couleurs trop prononcées des descriptions paradisiaques, soit dans le Coran, soit dans la Tradition, mais pour montrer la plénitude du bonheur au paradis et affirmer que rien n’empêche la puissance divine de faire en sorte que les Elus jouissent des délices matérielles et de l’extase spirituelle8.

    6Mais la question, pèse apparemment plus lourd, sur la conscience des réformistes modernes qui tiennent à répondre aux accusations de plusieurs orientalistes européens, n’ayant de cesse de gloser sur ce thème. En réalité, ils n’ont pas tout à fait tort, puisque depuis l’époque des croisades, l’occident « se scandalise des descriptions alléchantes du paradis de Mahomet »9. Au temps des croisades en effet, l’acharnement idéologique des chrétiens contre l’Islam était très fort parce que, aux yeux de ces derniers Mohammad « ne peut être qu’imposteur, mystificateur lubrique (parce que polygame), qui attire ses zélateurs à travers les images lascives du paradis qu’il leur promet »10. Kazimerski, auteur d’une traduction du Coran très répandue depuis la fin XIXème siècle, qualifie de « grossiers et sensuels » les plaisirs du paradis islamique11.

    Quelques années plus tard Carra de Vaux, à qui nous devons plusieurs articles de l’Encyclopédie de l’Islam, va plus loin, considérant toute l’eschatologie musulmane comme « la plus grossière » et « la plus enfantine » (dépourvue de tout intérêt philosophique) mais qu’il convient de ne pas négliger car elle a « l’intérêt du folklore » (sic)12. Certes un Jacques Berque (le regretté) ou un Maxime Rodinson ne pourraient de nos jours tenir pareils propos. Mais il reste néanmoins que même des orientalistes sympathisants, devant les données brutes du Coran, et devant l’hypertrophie sensualiste de l’exégèse traditionaliste, se sentent quelque peu désarmés.

    Ils ne peuvent défendre facilement les valeurs spirituelles de l’eschatologie musulmane. Louis Gardet, dans sa préface à la seconde édition de la thèse de Soubhi Essalah rappelle, comme pour suggérer l’accord des trois grandes religions monothéistes sur la question, que le dernier mot revient au hadith qui rejoint la même inspiration du prophète Isaïe, selon lequel le paradis relève d’un monde « que nul œil n’a vu... ». Abdelkader Almaghribi, exhortant ses confrères musulmans à une nouvelle interprétation du Coran, dit en substance : « Ils n’est pas bon pour nous musulmans de ne pas répondre aux accusations des occidentaux, surtout à ceux qui parmi eux détestent les musulmans, abhorrent leur religion, et s’appuient dans leurs calomnies sur les jouissances du paradis. Ils suggèrent ainsi que l’Islam serait une religion incompatible avec le civisme et le progrès13. Aussi le cheikh Almaghribi s’emploie-t-il non sans difficulté, à prouver le caractère figuré des plaisirs paradisiaques. En réalité, les réformistes modernes n’ont pas la tâche facile. Ils ont pris sur eux, depuis la fin du XVIIIème siècle (début de ce qu’on appelle la Nahadha. (la renaissance), de « sauver l’Islam ». Il s’agit pour eux de relever le défi occidental en réinterprétant le Coran – du moins certains versets – de façon à ce qu’il ne paraisse pas en contradiction flagrante avec les sciences modernes, sans heurter de front la susceptibilité du « lobby » traditionaliste, faute de quoi ils risqueraient gros. Disons pour résumer, qu’ils ont à mener la bataille sur deux fronts. Celui des orientalistes armés de savoirs scientifiques modernes très efficaces.

    Celui également des penseurs musulmans traditionalistes dotés d’une autorité très forte dans tous les appareils idéologiques de l’Etat. L’enjeu est de taille, parce qu’il porte sur un texte sacré, certes ouvert à l’interprétation, mais jusqu’à certaines limites naturellement. En effet, les versets coraniques traitant du paradis, comme d’ailleurs de l’enfer, sont trop détaillés et explicites pour souffrir une interprétation toute spirituelle. Preuve en sont les quelques données statistiques que voici : dans le Coran, il est question de ruisseaux (d’une eau limpide, d’un vin délicieux, d’un miel purifié, du lait au goût inaltérable) 42 fois ; de vin 10 fois ; de fruit en général 11 fois ; de chair d’oiseau 1 fois ; de lits (ornés d’or et de pierreries) 5 fois ; de bracelets (d’or et d’argent) 5fois ; de divans (bien ornés) 3 fois ; de tapis (doublés de brocart) 2 fois ; de vêtements (de satin et de brocart) 5 fois ; de garçons ou d’éphèbe (éternellement jeunes) ; 3 fois ; d’épouses (purifiées) ou de houris 11 fois au moins et j’en passe.

    Devant de telles occurrences, ce serait heurter le bon sens que de prendre toutes les expressions au sens figuré, ou pour que cela soit plausible, supposer que les premiers destinataires, du message coranique, aussi bien que la majorité des exégètes musulmans n’aient rien compris au Coran. Soubhi Essalah a bien raison de dire que « nul n’a pu dans le monde musulman supprimer la réalité concrète des délices et des tourments ». Nous pouvons ajouter que nul ne pourrait le faire, ni dans le monde musulman, ni dans le monde occidental à moins de forcer impitoyablement le texte ou supposer que les musulmans n’ont pas « cru à leurs mythes » et faire fi du contexte de l’énonciation. Mais si personne ne peut nier objectivement la réalité concrète des délices paradisiaques, peut-on inférer de cela que le « paradis de Mahomet est grossier », vulgaire et dénué de toute dimension spirituelle ? Pas du tout ! Nous pensons, en fait, que le problème était et continue à être mal posé.

    Quels que soient les partis pris idéologiques et les divergences religieuses, il y a à notre avis deux principes de base à respecter. Le premier est que l’interprétation a des limites. Autrement quiconque peut faire dire à n’importe quel texte n’importe quoi. Le deuxième est que toute interprétation, pour qu’elle soit légitime doit tenir compte du contexte. Le contexte historique d’abord, sur lequel insiste à juste titre Jacqueline Chabbi. C’est ce qu’elle appelle, parlant des origines du monde musulman, « la mise en contexte ». Il s’agit dit-elle « de ne plus continuer à traiter des faits de récits comme de faits advenus avant d’en avoir posé les conditions d’existence dans un contexte donné. A négliger cela, on tombe invariablement dans l’extrapolation la plus débridée »14. Ensuite le contexte « textuel » au sens entendu dans les approches pragmatiques.

    Partant de ces deux principes, nous allons essayer de montrer à quel point l’attitude orientaliste en général, concernant la matérialité des délices paradisiaques, est loin d’être soutenable. Nous montrerons également que l’attitude spiritualisante des réformistes modernes est loin d’être défendable. Pour ce faire nous avons choisi un exemple révélateur, tant il permet de dévoiler facilement les errements des uns et des autres. Il s’agit des épouses que Dieu promet aux bienfaiteurs dans le paradis.

    ...
    J'ai toujours prôné l'instruction et le savoir et de les appliquer au développement du pays, l'argent du tourisme et gain malsain n'apportent qu'immoralité, concupiscence et déchéance .
    aristochat

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    II. LES VERSETS « HOURISTIOUES » : UN PRÉTEXTE FACILE


    7Partant de quelques versets, les exégètes musulmans ont fait, tout en étant de bonne foi, des houris un spectacle des plus merveilleux, un feuilleton inépuisable, un carnaval au sens propre du mot, bref toute une littérature. De cette littérature, mis à part certains qui en ont apprécié la poésie, la plupart des orientalistes, ainsi que leurs disciples dans le monde arabe, ont fait un scandale. Les réformistes, quant à eux, préfèrent suspendre tout jugement faute de pouvoir spiritualiser à tous les niveaux. Enfin l’Islam de « l’Etat moderne » ne veut pas qu’on en parle15. Pour bien cerner les tenants et les aboutissants de cette « affaire », ou disons pour avoir une idée claire du scénario du spectacle avant sa réalisation, il faut nous semble-t-il revenir au Coran. Il n’est pas sans intérêt à cet.effet de re-lire toutes les citations coraniques à ce sujet.

    8Remarquons tout de suite, avant de les passer en revue, que contrairement aux apparences, parmi les 6326 versets du Coran, il n’est question d’épouses au paradis, toutes catégories confondues que dans 17 versets seulement16 (soit 13 passages dans les 13 sourates parmi les 114 qui constituent tout le Coran). Les voici dans leurs contextes17 :
    « Entrez au paradis vous et vos épouses, vous y serez fêtés // On fera circuler parmi eux des plats d’or et des coupes, et il y aura là pour eux tout ce que les âmes désirent et ce qui réjouit les yeux... »
    L’ornement, XL111, 70 71
    « Les gens du Paradis seront là dans une occupation qui les remplit de bonheur // eux et leurs épouses sont sous des ombrages, accoudés sur les divans // Là ils auront des fruits, et ils auront ce qu’il réclameront // « Salàm »\ [paix et salut] ! Parole de la part d’un Seigneur très miséricordieux.//.
    Yàcin XXXVI, 55 → 58
    « Seigneur ! Fais-les entrer aux jardins d’Eden que Tu leur a promis, ainsi qu’aux vertueux parmi leurs ancêtres, leurs épouses et leurs descendants, car c’est Toi le Puissant, le Sage »
    Le Par donneur XL, 8
    « les jardins d’Eden où ils entreront, ainsi que tous ceux de leurs ascendants, épouses et descendants qui ont été de bons croyants. De chaque porte les Anges entreront auprès d’eux // Paix sur vous pour ce que vous avez enduré /
    Le tonnerre X11123 → 24
    « Annonce à ceux qui croient et pratiquent de bonnes ouvres qu’ils auront pour demeures des jardins sous lesquels coulent des ruisseaux ; chaque fois qu’ils seront gratifiés d’un fruit des jardins, ils diront :
    « C’est bien là ce qui nous avait été servi auparavant ». Or c’est quelque chose de semblable (seulement dans la forme) ; ils auront là des épouses pures, et là ils demeureront éternellement. »
    La vache II, 25.
    « Dis : « Puis-je vous apprendre quelque chose de meilleur que tout cela ? Pour les pieux, il y a auprès de leur Seigneur des jardins sous lesquels coulent des ruisseaux, pour y demeurer éternellement, et aussi des épouses purifiées, et l’agrément d’Allah » Et Allah est clairvoyant sur (ses) serviteurs »
    La famille d Imran 111, 15
    « Et quant à ceux qui ont cru et fait de bonnes œuvres, bientôt, Nous les ferons entrer aux jardins sous lesquels coulent des ruisseaux. Ils y demeureront éternellement. Il y aura là pour eux des épouses purifiées. Et nous les ferons entrer sous un ombrage épais.
    Les femmes IV, 57
    « Les pieux seront dans des jardins et des délices // se réjouissant de ce que leur Seigneur leur aura donné, et leur Seigneur les aura protégés du châtiment de la Fournaise // « En récompense de ce que vous faisiez, mangez et buvez en toute sérénité/Zaccoudés sur des lits bien rangés », et Nous leur ferons épouser des houris aux grands yeux noirs »
    At-tour LU, 17 → 20
    « Les pieux seront dans une demeure sûre // parmi des jardins et des sources // Ils porteront des vêtements de satin et de brocart et seront placés face à face // C’est ainsi ! Et nous leur donnerons pour épouses des houris aux grands yeux. »
    La fumée XLI V, 52 – > 54
    « Ce sont ceux-là les plus rapprochés d’Allah, // dans les jardins des délices //sur des lits ornés (d’or et de pierreries) // s’accoudant et se faisant face //. Parmi eux circulent des garçons éternellement jeunes // avec des coupes, des aiguières et un verre (rempli) d’une liqueur de source, qui ne leur provoquera ni maux de tête ni étourdissement, // et des fruits de leur choix // et toute chair d’oiseau qu’ils désireront.// Et ils auront des houris aux yeux grands et beaux// pareilles à des perles en coquille... »
    L’événement LVI II →26
    « Ils seront accoudés sur des tapis doublés de brocart, et les fruits des deux jardins seront à leur portée (pour être cueillis) // Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous ? Ils y trouveront [les houris] aux regards chastes, qu’avant eux aucun homme ou djinn n’aura déflorées...//Elles seront aussi belles que le rubis et le corail // [...] là, il y aura des vertueuses et des belles... Des houris cloîtrées dans les tentes (...) qu’avant eux aucun homme ni djinn n’a déflorées //.
    Le Tout Miséricordieux LV 54 →74
    « Les jardins d’Eden, aux portes ouvertes pour eux // où, accoudés, ils demanderont des fruits abondants et des boissons // Et auprès d’eux seront les belles celles au regard chaste, toutes de même âge »
    Sad XXXVIII, 50→52
    « Pour les pieux se sera une réussite / /jardins et vignes // des belles aux seins arrondis, d’une égale jeunesse // »
    La Nouvelle. LXXV11131 → 33

    9Ces passages mériteraient une analyse détaillée que la nature de cet exposé ne permet pas. Contentons-nous cependant, de quelques remarques. Apparemment les Elus bénéficieront de deux catégories de femmes : leurs Ex-épouses terrestres, celles qui étaient pieuses, et – sous forme de « bonus » en quelque sorte – des Houris : (de l’arabe Hawra : femme qui a le blanc et le noir des yeux très tranchés). Qu’est ce qui caractérise ces femmes au juste sur le plan physique ? Objectivement pas grand chose : elles sont très belles, vierges, elles ont de grand yeux et des seins arrondis. Sur le plan moral, il est dit qu’elles sont purifiées18, bonnes, et au regard chaste.

    Signalons d’ailleurs que dans quatre passages des treize en question, les épouses ne sont pas qualifiées du tout. Il convient de remarquer aussi que rien dans le contexte ne permet de considérer ces épouses comme un élément vraiment plus pertinent que les autres19. Enfin il y a une donnée contextuelle importante qu’on passe souvent sous silence, c’est que dans ces passages, il est question de gratification divine, juste après épouses purifiées (El Imrane III, 15) d’anges et paix après « épouses et descendants » (Le tonnerre XIII, 23,24) de Salam, (Paix et Salut) dans (Yaçin XXXVI, 58) Nous voyons bien, là, que la dimension spirituelle n’est pas absente de la description des délices. Elle est juxtaposée aux plaisirs charnels. En Islam, la sexualité n’exclut pas la sacralité. Dieu est là, partout, il veille sur ses Elus.

    D’où vient alors cette image d’un paradis bondé de femmes en attente d’hommes qui « bandent » ! De la Tradition sans doute. Certes, le prophète avait eu dans certaines occasions à s’expliquer sur ces fameuses houris, mais nul doute que ce qu’on lui a fait dire dépasse de loin ce qu’il aurait dit. D’où, préjugés et fantasmes aidant, d’aucuns mélangent tout et parlent sans distinction du paradis coranique comme du paradis de l’Islam. Voici comment Roger Caratini, dans un beau livre sur le Génie de l’Islamisme informe ses lecteurs occidentaux sur la question : « La description du Paradis est un des grands thèmes du Coran...

    Le Paradis est dépeint comme un jardin au mille ramures dont l’immensité égale celle des cieux et de la terre, avec des demeures pour les Elus qui auront à leur disposition des femmes merveilleusement belles, les Houris, perles cachées qui feront goûter à ces croyants récompensés, les délices du Paradis. Ces femmes, faites de safran, de musc, d’ambre et de camphre, aux couleurs diverses (blanc, jaune, vert, rouge) dont la peau est si fine qu’on peut voir, à travers elle, les muscles de leurs jambes que l’on croirait d’hyacinthe et de corail, vierges que nul homme ni djinn n’a ensanglantées, prodigueront aux Elus les soins les plus doux.

    Elles logent dans des châteaux creusés en une seule perle, meublés de soixante-dix lits et de soixante-dix sofa de rubis, recouverts de soixante- dix tapis entourées de soixante-dix mille dames d’honneur. Elles ont toutes trente-trois ans (c’est l’âge de Jésus lorsqu’il mourut). Les Elus leur raviront leur virginité sans cesse reconstituée, en connaissant un plaisir mille fois plus vif que le plaisir terrestre. Certains auront pour eux cent houris, et ils pourront s’unir à elles autant de fois qu’ils auront jeûné de jours dans le mois de Ramadan. Quant aux croyantes, elles retrouveront leurs époux et ne connaîtront aucune des misères de la vie terrestre »20. Il est clair que Caratini confond ici, Coran et hadiths « apocryphes ». Avant de présenter une description non moins détaillée des Houris, Soubhi Essalah affirme que « pour rassembler les interprétations des traditionalistes sur les Houris il faudrait tout un volume. »21. Al-Quourtoubi dans sa fameuse Tidhkira a consacré non moins de treize pages truffées de hadiths décrivant les femmes et les Houris au paradis22. Ibn Quayem Aljawzyia leur a consacré cinq chapitres23.

    Toute cette littérature « heuristique » s’appuie sur des hadiths, dont la majorité appartient à la catégorie du Daif (faibles) ou du Mawdhou (apocryphe), c’est-à-dire de l’inauthentique, dans les deux cas. Certains réformistes modernes semblent récuser tout ce que les traditionalistes rapportent sur la question. Mohammad Abdou, le maître des réformistes, dit que : « tout ce qui est rapporté sur la multiplicité des femmes au paradis n’a aucun fondement »24.

    10Nous n’avons pas l’intention d’atténuer l’image « excessivement lascive » des délices charnelles au paradis parce que peu importe que ce qui en est dit soit basé sur des propos authentiques ou non, l’imaginaire étant le produit d’une culture et non d’un individu. D’ailleurs, les hadiths faibles ou apocryphes, nous renseignent peut-être mieux sur l’inconscient collectif, et les fantasmes des musulmans que les hadiths authentiques ou le Coran. Qu’on nous apprenne que « les corps de ces Houris sont faits de safran, de musc, d’ambre et de camphres », que « chaque fois que l’on couche avec une Houri on la trouve vierge et qu’elle n’ait ni urines, ni vents, ni défection, ni menstrues, et que la verge de l’Elu ne se replie jamais etc. »25, rien de plus beau ; voire de plus poétique. N’est-ce pas le paradis ? Toutefois, il est inadmissible que sur le plan méthodologique, on ne fasse pas la part des choses et qu’on ne distingue pas le Hadith du Coran voire le Coran de la pure littérature. C’est comme si, enseignant le christianisme à des musulmans, on citait des passages de textes apocryphes comme faisant partie de la Bible.

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      III. LES DELICES CHARNELLES AU PARADIS : UN RÊVE LÉGITIME.


      11A chaque culture son imaginaire propre. Si dans le christianisme l’œuvre de chair est le symbole du péché originel, le mariage une obligation nécessaire tout au plus, il n’en n’est pas de même en Islam. Coran et Tradition sont on ne peut plus explicites sur cette question « ... Il est permis d’épouser, deux, trois ou quatre parmi les femmes qui vous plaisent mais si vous craignez ne pas être justes, avec celles-ci, alors une seule ou des esclaves que vous possédez » (Coran : Les femmes IV, 3). Blachère traduit « esclaves » (littéralement dans le texte : de ce que possède votre main droite) par concubines26. D’aucuns pourraient y voir un choix tendancieux. Soit ! Mais si au début il s’agissait bien d’esclaves, avec l’expansion de l’Islam, il était pratiquement question de « concubinage légitime ». Le nombre de ces esclaves « Jawaris » sorte d’anti-épouses selon l’expression de Bouhdiba, est illimité. C’est-à-dire que tout musulman, tant qu’il en a les moyens, a droit, en dehors de ses quatre épouses officielles, à un nombre illimité d’autres « femmes ». C’est pourquoi, certains Califes Omeyyades ou Abbassides pouvaient rassembler dans leurs sérails des centaines d’« esclaves-concubines » sans en avoir honte devant le grand public, ni devant les docteurs de la loi. Selon certains biographes arabes le Calife Almoutawakil (m.248) possédait quatre mille « esclaves-concubines » qu’il a toutes pénétrées, sans exception27 Pourquoi pas, puisque le Coran, et la Tradition le lui permettent ? Le prophète, n’ avait-il pas à un certain moment de sa vie neuf femmes dont deux esclaves ? Ses successeurs en avaient autant à l’exception d’AbouBakr qui n’en avait que quatre28. Ils n’en avaient nullement honte. Ghazali rapporte dans son argumentation en faveur du mariage que Alhassan Ibn Ali, personnalité vénérée chez les musulmans chiites, avait connu, sa vie durant, pas moins de deux cents femmes. II rapporte, dans le même ordre d’idées, que selon certains Oulamas (savants en sciences religieuses) : « Se marier voudrait mieux que vouer sa vie au culte de Dieu29. Voici quelques hadiths authentiques, ou considérés comme tels ; qui encouragent les jeunes à se marier, les mariés à se remarier et blâment les célibataires :
      • « Se marier, c’est accomplir la moitié de sa religion ».
      • « Coïtez, et procurez, je tirerai gloire de votre nombre, au jour du jugement dernier ».
      • « Les meilleurs de cette communauté, sont ceux qui disposent du plus grand nombre de femmes ».
      • « Ceux qui vivent en célibataire sont de la pire espèce, ceux qui meurent en célibataire sont de la plus ignoble. »
      • « Dans chaque œuvre de chair, il y a une aumône ».

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      • #4
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        12 Sur ce chapitre, on peut citer des dizaines de hadiths. Ibn Hajar (m.974) consacra toute une œuvre traitant du Nikah (mariage), rassemblant ainsi, plus de cent trente hadiths30. Il n’est jamais assez de dire à quel point l’Islam est ouvert à l’exercice de la sexualité. On rapporte que le prophète aurait dit : « Il m’a été donné de votre bas-monde trois choses les femmes, les parfums, mais la prière est la prunelle de mes yeux ». Allant un peu à contre courant, le mystique Ibn Arabi profite de ce hadith pour montrer, non sans acrobaties, mais avec un art dans l’interprétation qui est le sien, à prouver la primauté des femmes sur la prière31.

        II est d’ailleurs étonnant que les mystiques aillent plus loin que les traditionalistes en matière de sexualité. Le hasard nous a gardé intacte une œuvre extraordinaire d’Al-Mouhasibi, un mystique sunnite du troisième siècle de l’hégire. C’est kitab At-tawahoum (le livre du songe) : une vision humaine des fins dernières, où il interpelle le lecteur musulman, l’exhortant à réfléchir sur les délices paradisiaques et apprécier le charme des Houris : « Comme tu t’approches de ta couche, tu va t’adosser à même ton lit. Et la houri se soulève et avec elle tu te hisses. Vois ! Son ascension sur le lit où se pousse son corps énorme et suave, jusqu’à ce qu’elle prenne sa place assise, en équilibre. Puis, tu te hisses sur le lit et comme elle, tu y prends ta place avec elle. Elle te fait face. Tu lui fais face. Ô la beauté de ton regard sur cette femme assise dans ses robes et ses parures, écrins d’un visage qui a l’éclat d’un matin, (écrins) de son corps suave. Aux poignets, elle a des bracelets, aux mains des bagues, aux chevilles des anneaux.

        Une ceinture précieuse (est nouée) à ses reins. Un plastron constellé de pierreries prend ses deux seins et s’arrondit sur ses hanches. Elle a des colliers à son cou, des sautoirs sur sa gorge, des diadèmes, (des ferronnières), de perles et de rubis sur les bandeaux (de ses cheveux) et son front. Une tiare coiffe sa tête. Et ses tresses échappées, de sa tiare cascadent sur ses épaules et son dos de callipyge jusqu’à ses sandales. Tu vois ton visage sur sa gorge, elle regarde son visage sur ta poitrine. Ronde des éphèbes autour de ton pavillon. (Tes) gens se tiennent devant toi, devant elle. Les arbres inclinent sur les côtés de ton alcôve, leurs (branches chargées de) fruits. Des rivières courent sur le pourtour de ton palais. Des ruisseaux couronnent la tente, de vin, de lait, de miel, de Salsabil »32.

        13Nous comprenons bien que de tels propos sont de nature à scandaliser le commun des chrétiens, car son éducation religieuse lui apprend que l’œuvre de chair est le symbole du péché originel. Dans l’au-delà, a fortiori, les Elus de Dieu devraient être plus chastes que jamais, « asexués », comme le dit à juste titre Bouhdiba. Dans sa réponse aux saducéens, Jésus ne leur dit-il pas qu’« A la résurrection en effet, on ne prend ni femme, ni mari, on est comme des anges ? »33

        Dans le paradis de l’Islam au contraire, on reste des êtres humains, on mange, on boit et on s’adonne au plaisir du sexe à cœur joie. C’est ce que ne veulent pas comprendre certains orientalistes censés être plus informés que d’autres. Leurs critiques, au cas où elles ne seraient pas de mauvaise foi, ne s’appuient sur aucun fondement scientifique et ce, pour deux raisons au moins. D’abord parce que ceux qui les avancent ont comme point de départ un a priori positiviste tributaire d’un héritage gréco-latin qui a toujours sous estimé le rôle de l’imaginaire dans la formation des cultures, encore plus son efficace dans la création scientifique et artistique34.

        Ensuite, parce que ces critiques ne prennent pas en considération le contexte historique du message coranique ou n’arrivent pas, inconsciemment peut être, à se défaire de leur eurocentrisme. Autrement comment comprendre ces propos de Kazimerski, qui pour expliquer, non sans dénigrement, les plaisirs sensuels du paradis de Mahomet, dit que : « Brûlés par le soleil, entourés de plaines et de montagnes arides, manquant souvent d’eau, les arabes ne trouvaient dans l’autre moitié du genre humain qu’une très courte période de plaisirs » ! Que les références récurrentes dans le Coran à l’eau et aux ruisseaux s’expliquent par le climat aride de la péninsule arabique et que l’imaginaire arabe de l’époque soit hanté par la verdure des oasis, microcosme du paradis, cela se comprend bien.

        Mais prétendre que les conditions climatiques seraient à l’origine d’un certain refoulement sexuel ce qui expliquerait le commerce avec les Houris au paradis, ne relève que de l’extrapolation pure et simple. Il suffit de lire la poésie préislamique pour comprendre à quel point les Arabes de l’époque, s’intéressaient aux choses du sexe. D’où d’ailleurs, le libertinage à outrance que le Coran condamne à maintes reprises. Qu’aurait-on dit de ces vers fascinants d’Imru el Qays, censurés aujourd’hui dans tous les manuels scolaires ? : « Et toi l’enceinte l’allaitante, je te visitai, je t’ai distraite du nourrisson aux amulettes / Si derrière toi il pleurait, du buste vers lui te détournais, mais le reste de ton corps sous moi ne dérobais »35 N’étais-ce l’iconoclasme strict de l’Islam, un peintre musulman en aurait fait un tableau digne, d’un Renoir, ou d’un Ingres.

        14La jeunesse, la beauté, la chasteté du regard, les seins arrondis, la grandeur des yeux, (le Hawar, d’où Houris)36, ces qualités des femmes paradisiaques constituent les mêmes caractéristiques de l’idéal esthétique féminin dans la poésie antéislamique. L’image « houristique », n’est pas une innovation coranique ni même le substrat de je ne sais quelle influence perse comme voudraient nous le faire croire certains spécialistes.

        Elle est avant tout le produit d’un imaginaire bien ancré dans la culture de l’Arabie préislamique, depuis des siècles. Le message coranique, ne faisait que mettre de l’ordre dans une tradition arabe très ancienne. Dans l’Arabie préislamique la polygamie était monnaie courante. Pire elle n’était pas limitée. Les Arabes avaient une dizaine de type de mariages légaux, dont le Coran n’a préservé qu’un37. Quel paradis dénué de toute sensualité aurait pu « donner à voir » l’imaginaire d’un tel contexte culturel ? N’est-ce pas faire fi des règles qui sous-tendent la dialectique Réel-Imaginaire que de reprocher à un peuple de rêver d’un au-delà à l’image de ses conditions de vie ?

        Un croyant, dont la religion est si permissive en matière de sexualité n’est-il pas en droit de rêver d’un paradis peuplé de belles épouses en récompense à ses bienfaits ? Ghazali rappelle que « la sagesse divine a fait en sorte que l’exercice de la sexualité ne vise pas uniquement la procréation. II a pour but, parallèlement de nous faire goûter à un plaisir qu’aucun autre n’égalerait s’il durait. Aussi avons nous là, un avant goût de ce que seraient les jouissances paradisiaques. Tous les plaisirs de la vie terrestre nous incitent à ce que nous souhaitions leur perpétuité dans la vie future, mais ne mérite le paradis que celui qui voue sa vie au culte de Dieu. Quiconque renonce au mariage désobéit par conséquent à la volonté divine »38.

        15 Les premiers musulmans, destinataires concernés en premier lieu par le message coranique avaient le même idéal esthétique que les Arabes de la période antéislamique. Il ne pouvait en être autrement, car les modèles esthétiques de base ne changent pas d’une année à une autre, surtout dans les sociétés traditionnelles. Les citoyens d’une même société, partageant les mêmes conditions de vie à un moment bien précis de leur existence, ne pouvaient qu’épouser le même imaginaire. Les premiers à s’être convertis à l’Islam pour des raisons diverses, étaient certes subjugués par la rhétorique du Coran, mais ils étaient également fascinés par ses descriptions paradisiaques. Ils étaient certes matérialistes, et voulaient goûter à toutes les nourritures terrestres, mais ne manquaient pas de spiritualité.

        En s’engageant dans le Gihad (la lutte contre les incroyants), ils n’avaient rien à perdre, plutôt tout à gagner. En cas de victoire, ils profiteront, des terres, des biens, des esclaves, des maisons, des palais etc. S’ils meurent, ils bénéficieront des récompenses de Dieu dont les houris. Il importe de rappeler un fait qu’on a tendance à oublier, c’est que les premiers musulmans croyaient à l’imminence de l’Apocalypse39. Plusieurs versets et hadiths affermissaient cette certitude dans leur conscience. La stratégie argumentative du Coran, comme toute stratégie visant la persuasion à tout prix, ne pouvait tenir un langage qui serait au-delà des compétences imaginatives de ses destinataires. Il fallait « jouer » sur leur imaginaire collectif comme le font aujourd’hui, toutes proportions gardées à travers la publicité, les psychologues au service du marketing. Ibn Kathir, exégète et historien (m.774), commentant l’image des « lits surélevés » au paradis et autres conforts et délices dit à juste titre : « Dieu, dans le Coran ; s’adressa aux Arabes en fonction de ce qu’ils considéraient comme idéal, et dans le paradis il y a de toutes sortes de plaisirs et de spectacles plus grands et plus sublimes que ne le souhaite toute âme »40. L’auteur, lui qui est musulman traditionaliste, mais fin savant parait-il, a bien compris le décalage historique entre son époque et celle des premiers musulmans.

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        J'ai toujours prôné l'instruction et le savoir et de les appliquer au développement du pays, l'argent du tourisme et gain malsain n'apportent qu'immoralité, concupiscence et déchéance .
        aristochat

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        • #5
          ...

          Aussi met-il en garde ses lecteurs contre tout anachronisme. Maintenant que des orientalistes armés d’esprit cartésiens soient scandalisés par la sensualité des plaisirs du paradis dans le Coran, voilà qui scandalise ! Qu’un Malek Chebel, sociologue averti et auteur d’un dictionnaire sur l’imaginaire arabo-musulman se sente intrigué par la figure des houris, voilà qui intrigue41 ! Qu’un Ghassan Acha, auteur d’un livre publié récemment sur la femme en Islam, préfacé par Roger Amaldez, après avoir passé au crible tous les écrits arabes sur la question, mettant sur le même plan, Coran, Hadith, œuvres classiques, essais de fondamentalistes et réformistes contemporains, et même celles d’un sociologue aussi averti que Bouhdiba, ironise sur la description du paradis dans le Coran, et s’étonne que les jouissances concernent uniquement les hommes, voilà qui étonne42 !

          Nous voyons bien, qu’il s’agisse de christiano-euro-centrisme ou de positivisme désuet, c’est toujours ici et là le contexte du message coranique qui est sacrifié. Il y a deux siècles – ironie du sort – Voltaire dont on sait les pensées à l’égard de Mahomet paraissait avoir compris que l’Islam marie facilement « sexualité et sacralité », « orgasme et extase ». Mahomet dit-il « n’exclut point les femmes de son paradis comme on le dit souvent parmi nous. Ce n’est qu’une raillerie sans fondement telles que les peuples en font les uns des autres.

          Il promet des jardins. C’est le nom du paradis, mais il promet pour souveraine béatitude la vision, la communication avec l’Etre suprême »43. Denise Masson, dans son gros livre sur le monothéisme, dira à peu près la même chose du paradis Coranique.

          16 Ce serait de la polémique vaine que de chercher à tout prix dans la Bible des allusions à des plaisirs charnels. Autrement, rien n’empêche d’interpréter dans ce sens le passage suivant de l’Apocalypse :

          17– « réjouissons-nous, exultons d’allégresses [...] Voici bientôt les noces de l’agneau, sa fiancée s’est préparée » (Ap XIX, 7,8) ou cet autre passage, quand, ébloui par la beauté de la Jérusalem Céleste, Jean dit :

          18– « Je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem descendre du ciel, d’auprès de Dieu, belle comme une mariée qui s’est parée pour son époux ». (Ap XXI, 3). Il ne s’agit là que de comparaisons innocentes dirait un bon chrétien. Le pauvre ! S’il savait ce qu’en dirait le psychanalyste44.

          19 Si aujourd’hui les Arabes passent souvent pour des « refoulés sexuels » ce qui n’est pas toujours faux, vu le poids d’une éducation très coercitive, les Arabes de l’époque classique autant que les premiers convertis à l’Islam ne l’étaient point. Le mariage aurait dit le prophète est le grand pèlerinage. De bons musulmans, au sens anthropologique de l’expression, n’ont-ils pas le droit de rêver d’un pèlerinage encore plus grand dans la vie future. Enfin, si c’est le sexe qui mène vraiment le monde ici-bas, maintenant comme depuis la nuit des temps45, pourquoi n’en serait-il pas de même, là haut, demain auprès de Dieu, au Paradis ?

          Footnotes


          1 II en existe plusieurs. Le commentaire le plus connu des occidentaux est celui de Ghazali (Abou hamed) : Addourra Al fakhira fi ouloum Al Akhira. « La perle précieuse » trad. franc, par Lucien Gautier Leipsig 1925. Mais il n’est pas le plus complet en la matière, cf. surtout :
          – Al Qurtoubi (chamseddin) : Attithkira. Liban. 1988.
          – Ibn Quayem (Aljawziya) : Hadil Arwah Ilà bilàdil afrah Liban. 1988.

          2 Cf. Hadil Arwah. La liste des chapitres est en réalité plus longue et les titres sont plus détaillés.

          3 Cf. à titre d’exemple
          – Wanli (kayreddin) : Sifatou Aljanna. Damas. 1991.
          – Achour (Abdellatif) : Naim Aljanna. Tunis. 1983.

          4 Ghazali (Abou hamed) : Thafoutou-Alfalasifa. Beyrouth. Dar Almachrekh. 1986. p. 235.

          5 Les Califes Oumeyades et Abbassides se considéraient comme les successeurs du prophète.

          6 Ibn Hazm : Alfisal fil milal wa nihal. Beyrouth. Dar Aljil 5T.

          7 AlKayat (Aboulhasan) Xitab AI intisar. Beyrouth. 1988. p. 18.

          8 Thafout Alfalasifa. p. 24.

          9 M. Gaudefroy- Démombynes : Mahomet. Paris. Albin Michel. 1969. p. 431.

          10 Cité par Thierry. Hentsh : L’Orient imaginaire Paris. Les Editions de Minuit. 1988. p. 66.

          11 Cité par Soubhi Le-Salah : La vie future dans le Coran. Paris. Vrin 1986. p. 141.

          12 Carra de Vaux : Fragments d’eschatologie musulmane : compte rendu au 3ème congrès scientifique international des catholiques Bruxelles 1985. p. 5.

          13 Almaghribi (Abdelkader) : Alà Hamich Attafsir. Le Caire, pp. 19, 20.

          14 Chabbi (Jacqueline) : Le seigneur des tributs. Paris. 1994. Editions Noesis. p. 20.

          15 Dernièrement les autorités égyptiennes aurait censuré un livre traitant du Paradis.

          16 Dans le Coran le verset n’équivaut pas forcément à une phrase.

          17 Pour une raison pratique, nous avons préféré utiliser une traduction Saoudite du Coran : Le saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets. Révisé et édité par la Présidence Générale des directeurs des recherches scientifiques Islamiques de l’ifta, de la prédication et de l’Orientation religieuse. Almadina Almounawara. Pour plus de précisions, nous avons procédé à certaines rectifications sur la base d’autres traductions : Le Coran : Essai de traduction de l’arabe annoté et suivi d’une étude exégétique par Jacques Berque Sinbad 1990 // Le Coran : Traduit de l’arabe par Régis Blachère. Maisonneuve-Larose. 1980.

          18 Le qualificatif « pures » ne signifie pas uniquement la pureté physique. (Pure de tout ce qu’élimine le corps : menstrues, crachat, vents...) mais que ces épouses sont également vertueuses. Cf. (M. R) RidhaTafsir al Coran Alkarim. Dar Alfkir T1. p. 223. Voir aussi Bouhdiba. (Abdewahab) : la sexualité en Islam. Paris PUF. pp. 71-72.

          19 R. Bell est l’un des rares à s’être rendu compte de la glose injustifiée concernant les Houris sur une base coranique. Cf. Bell’s introduction of the Qur’an completely revised and enlarged by W. Montgomery-Watt Edinburg at the university press. 1970. pp. 161-162.

          20 R. Caratini : Le génie de L’islamisme. Editions Michel Laffont 1992. p. 280.

          21 La vie future, p. 38.

          22 Attilhkira. p. 146→158.

          23 Hàdi Al Arwah. p. 257 -> 296.

          24 M.R. Ridha. Tafsir Alcoràn Alkarim. Dar Alfakir. T 1. p. 234.

          25 Sayouti, cité par Bouhdiba. La sexualité, pp. 95-96.

          26 Le Coran : traduit par Régis Blachère Paris Maisormeuve-Larose. 1980. p. 104.

          27 Cf. METZ (Adam) : La civilisation Islamique au IVème s de l’Hégire. Traduction arabe, par Abdelhedi. Abou Ridha. Beyrouth 1967. T1. p. 295. Termanini (Abdesalem) : Arriqh Koeit. 1979. p. 137.

          28 Khalil (Abdelkarim) : Aljoudhour Attarikhiya-li-a charià Al Islamya. Le Caire. Beyrouth. 1997. Chap. IB.

          29 Alghazali- (Abou Hamed) : Ihiyà Ulum Addin. Addar AI miçriyà AUubnanya. T2. p. 24.

          30 Ibn Hadjar (Alhaythami) : Kitab Al Ifsah’an Ahadith Annikah – Le Caire.

          31 Ibn Arabi : Fouçous Alhikam. Liban. Dar Alkitab AI arabi. p. 215.

          32 Nous devons à André Roman une belle traduction de ce chef d’œuvre. Cf. « kitab Atawahum ». Paris Librairie c. Klincksie. 1978. p. 65.

          33 Le Nouveau Testament : Traduction d’Ostie et Trinquet. Edition Siloé. p. 93.

          34 Cf. G. Durand : Introduction à la mythodologie. Tunis. Cérès. 1996.
          – Voir aussi l’article très intéressant du même auteur : « Archétype et mythe in l’Occident contemporain ». Mythes et traditions sous la direction d’André Akoun. Brépols. 1991. p. 433-452.
          – Sur le rôle de l’imagination dans la création scientifique Cf. Reeves (Hubert). Images d’action physique en Science et imaginaire. Elly. Paris. 1985.

          35 Les grandes odes arabes de l’Anté-lslam. Présentées et traduites par J. Berques. Paris Sindbad. p. 69.

          36 Encyclopédie de l’Islam. 2ème ed. Article « HùR ».

          37 Le prophète aurait permis le mariage temporaire « Zawaj Almut’a » mais l’aurait interdit à la fin de sa prédication. Sur ces types de mariage Cf. Altermanini Abdessalem « Azzawaju inda Al Arab fi Aljahilia wal Islam ». Le Koweit. 1984.

          38 Ihya Ulùm Addin. p. 31.

          39 Coran (Al-Anbiya XXI, 1,97), (Ach-Choura XLIII, 17) (Al-qunamar LFV, 1). Cf. Sur La question Blachère (Régis). Introduction au Coran. Maisonneuve-Larose. 1977. pp. 21-22.

          40 Ibn Kathir « Al Bidaya wa’annihaya ». Liban Dar Alfikr. 1998. T 10. p. 527.

          41 M. Chebel : L’imaginaire arabo-musulman. Puf. Paris. 1973. p. 161.

          42 G. Ascha : Du Statut inférieur de la femme en Islam. L’Harmattan Paris. 1989. p. 31.

          43 Voltaire : Essai sur les mœurs. T 1 chapitre VII. p. 272.

          44 Dolto (Françoise). L’Evangile au risque de la psychanalyse. Seuil Collection Point N° 111.

          45 Chiland (Colette). Le sexe mène le monde. Calman-Lévy. 1999.


          Author

          Hafedh Gouiaa

          Université de Sfax

          books.openedition.org
          J'ai toujours prôné l'instruction et le savoir et de les appliquer au développement du pays, l'argent du tourisme et gain malsain n'apportent qu'immoralité, concupiscence et déchéance .
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