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Conférence inaugurale - La primauté métaphysique du Féminin selon Ibn ‘Arabî par Éric GEOFFROY.

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  • Conférence inaugurale - La primauté métaphysique du Féminin selon Ibn ‘Arabî par Éric GEOFFROY.

    Conférence inaugurale
    La primauté métaphysique du Féminin selon Ibn ‘Arabî



    GEOFFROY Éric
    Université de Strasbourg, France

    Résumé :
    Il est communément admis que toute création résulte de l'union de deux polarités. Cependant, dans les écrits de Ibn Arabi, dont les enseignements demeurent d'une pertinence et d'une modernité universelles, émane l’idée de la prééminence du féminin, méritant d'être pleinement éclairée. Ainsi, l’objectif de la présente étude est de dégager les principaux aspects de cette primauté métaphysique du féminin en terre de l'islam.

    Cette conception, décrite par la figure emblématique du mysticisme et soutenue par le disciple Emir Abd el-Kader met en avant la force féminine à travers les noms divins, illustrant la proximité de la femme avec Dieu. La recherche explore également son rôle fondamental dans des processus divins, comme la création, la gestation et la conjonction d'une présence active et réceptive, conférant ainsi à la femme un devançant et une influence prééminente.

    Mots-clés : Prééminence, féminin, Ibn Arabi, spiritualité


    Abstract:
    It is commonly accepted that all creation results from the union of two polarities. However, in the writings of Ibn Arabi, whose teachings remain universally relevant and modern, emerges the idea of the primacy of the feminine, deserving to be fully illuminated. Thus, the objective of this study is to highlight the main aspects of this metaphysical primacy of the feminine in the land of Islam.

    This conception, described by the emblematic figure of mysticism and supported by the disciple Emir Abd el-Kader, emphasizes the feminine force through divine names, illustrating the proximity of women to God. The research also explores their fundamental role in divine processes such as creation, gestation, and the conjunction of an active and receptive presence, thereby endowing women with a surpassing influence.

    Keywords: Primacy, feminine, Ibn Arabi, spirituality

    Ibn ‘Arabî (m. 1240), al-Shaykh al-Akbar, est trop connu pour qu’on le présente.






    La métaphysique du sexe

    Pour comprendre ce qui va être dit, il faut dégager les grands traits de la métaphysique du sexe en islam, telle que formulée principalement chez Ibn ‘Arabî. Tout ce qui est créé est le fruit de l’union de deux polarités : « activité » (fi‘l, fâ‘iliyya) et « réceptivité » (infi‘âl, qâbiliyya), fécondant (nâkih) et fécondé (mankûh), principe masculin et principe féminin, homme et femme, etc. Le verset coranique cité à cet effet est celui-ci : « À partir de toute chose, Nous avons créé des couples, afin que vous méditiez. » La création se reproduit donc par une procession infinie de mariages cosmiques, ou « macrocosmiques » : l’Intellect premier (al-‘aql al-awwal) féconde l’Âme universelle (al-nafs al-kulliyya) ; le Calame, c’est-à-dire la plume divine, féconde la « Table bien gardée » (al-Lawh al-mahfûz) où se grave tout ce qui lui est dicté ; le ciel jette dans la terre le commandement révélé par Dieu ; l’esprit (rûh) féconde l’âme (nafs) ; la nuit et le jour s’interpénètrent, ainsi que l’affirme à plusieurs reprises le Coran ; enfin, bien sûr, Adam féconde Ève : Dieu ne féconde-t-il pas le Prophète en faisant descendre en lui les versets coraniques (tanzîl), alors que celui-ci féconde, selon le hadîth, sa femme ‘Âisha (inzâl, de la même racine que tanzîl) ?

    Le secret de la force féminine

    Dans son commentaire du Nom divin « le Très Fort » (al-Qawî), Ibn ‘Arabî écrit ceci :
    « Il n’y a pas dans le monde créé un être plus puissant que la femme, ceci en vertu d’un secret qui n’est accessible qu’à celui/celle qui sait en quoi le monde a été existentié et par quel mouvement Dieu l’a amené à l’existence ».
    Il donne ensuite un des éléments d’explication :
    Le partenaire sexuel actif (« mâle », nâkih) est dans le besoin, en situation de demande ; il est donc dans l’indigence ou le manque (iftiqâr). Quant au partenaire sexuel qui reçoit (al-mankûh), il est recherché. Et celui qui est recherché [la femme] détient la puissance d’être désiré. Or, le désir est impérieux. Le rang de la femme parmi les créatures t’apparaît donc clairement, ainsi que le regard particulier que la Présence divine porte sur elle, et par quoi cette force se manifeste 1.

    Le verset 66 : 4

    Ibn ‘Arabî prend alors appui sur le surprenant verset 4 de la sourate 66. Sa révélation a été suscitée par des ‘‘secrets d’alcôve’’, par l’un des épisodes de conflit, teinté de jalousie, entre les femmes du Prophète et lui-même. Le verset met en scène deux de ses épouses, ‘Âïcha et Hafsa, qui, en bref, s’étaient liguées contre lui. Le verset commence ainsi : « Si vous vous repentez toutes deux, c’est que votre coeur incline désormais au bien ». C’est la suite du verset qui interroge Ibn ‘Arabî, et plus largement la logique humaine : « Mais si vous vous liguez contre lui [le Prophète], alors sachez que Dieu est son Maître, qu’il a pour soutien Gabriel, et tout homme juste parmi les croyants, et même les anges ! ». Pourquoi Dieu se convoque-t-Il Lui-même et convoque-t-il les anges supérieurs et les saints pour apporter leur soutien au Prophète contre deux femmes ?

    Tous ces êtres pour résister à deux femmes ! s’exclame Ibn ‘Arabî. Et Dieu n’a mentionné [parmi Ses alliés] que des êtres forts, puissants. Les croyants vertueux agissent par pure énergie spirituelle, c’est ce qu’il y a de plus fort ! Si tu comprends cela tu es véritablement sur la Voie2 ! » Le cheikh souligne encore à propos de ce verset que les anges créés à partir des souffles (nafas, pl. anfâs) des femmes sont les plus forts de tous3.

    La femme est plus proche de Dieu que l’homme, plus ‘‘divine’’ car, comme Dieu, elle est le siège de la gestation, de la production de l’être (al-takwîn), le lieu indispensable où se forme l’être humain. Le « Producteur de l’être » (al-Mukawwin) ne fait pas partie de la liste canonique des Noms divins, mais il entre d’évidence dans les attributs de Dieu, qui est celui qui ‘‘existencie’’, amène la créature à l’existence. Après Dieu, c’est-à-dire sur le plan créaturel, c’est bien la femme qui est à l’origine de la vie. Ibn ‘Arabî remarque à ce propos que le terme arabe khalîfa (le « représentant de Dieu sur terre » ; donc l’être humain accompli) porte la marque du féminin (le tâ’ marbûta), bien qu’il soit de genre masculin, et il en va de même pour le terme qui désigne cette fonction, khilâfa. « En effet, c’est d’eux, explique-t-il, que procède l’existenciation (takwîn) et la femme est l’organe de cette dernière. Il y a dans cette dénomination un avertissement !4»

    1 Al-Futûhât al-makkiyya, Beyrouth : éd. Sader, s.d., II, p. 466.
    2 Futûhât, II, p. 466.
    3 Ibid.
    4 Futûhât, III, p. 297.

    Tentons de résumer la position d’Ibn ‘Arabî à propos du verset 66 : 4. Le secret de la force féminine réside dans la conjonction des présences active et réceptive, du moins lorsqu’elle s’exprime chez des femmes telles que ‘Âïcha et Hafsa. De telles femmes, ayant réalisé en elles la complétude, détiennent la précellence sur l’homme, du fait qu’il aurait oublié sa féminité, sa réceptivité originelle. La réceptivité propre au Féminin est plus englobante, plus complète (jâmi‘)1, et l’homme en est privé2. Le principe actif, masculin, ne peut produire son effet qu’à partir de cette réceptivité, et qu’en sa présence ; sinon il n’est que de l’ordre des possibles (mumkinât), et peut en définitive rester pur néant.

    Plus largement, tout ce qui est aussi bien de l’ordre de la réceptivité que de la croissance et de la créativité peut être qualifié de « féminin », même s’il s’agit d’un homme. En définitive, toute créature est en état de réceptivité par rapport à Dieu, seul Agent actif qui se manifeste en elle : « Toutes les âmes ont pour statut la féminité, pour quiconque réfléchit. En effet, tout agent réceptif (munfa‘il) [recevant de Dieu] relève du féminin ; il n’existe donc [dans l’univers] que l’agent réceptif !3» Ainsi s’éclairent les vers suivants :

    Nous sommes des femmes en ce qu’Il fait naître en nous
    Louons Dieu, il n’y a pas un seul homme dans l’univers !
    Les « hommes » ainsi désignés par l’usage
    Ils sont les femmes, ils sont mon être, et mon espoir4 !



    Féminin et grammaire arabe


    Repérons encore d’autres indices mettant en exergue la précellence du Féminin et de la femme. Ibn ‘Arabî déploie différents arguments pour avancer le surcroît spirituel dont serait gratifiée la femme. La grammaire arabe elle-même ne témoigne-t-elle pas de la primordialité de la femme ? Pour un fin connaisseur de la langue arabe comme Ibn ‘Arabî, il y a là autant de signes. Ainsi al-dhât, l’Essence divine, est-elle de genre féminin (comme en français d’ailleurs). « Tu peux dire également que al-sifa, la Qualité divine, est de genre féminin [en arabe], et il en va de même pour al-qudra, la Puissance divine, et al-‘illa, la Cause première. Quelle que soit ta doctrine, tu trouveras toujours un féminin initial ! »


    ...
    J'ai désiré et demandé la beauté dans ce bas monde , on m'a montré et donné la laideur de ce bas monde.
    aristochat.

  • #2
    ...

    D’autres indices linguistiques ne trompent pas.


    « N’as-tu pas considéré la Sagesse divine en ce qu’elle donne davantage à la femme qu’à l’homme concernant le nom ? L’homme est appelé al-mar’ ; la femme, elle, al-mar’a, a droit à une lettre supplémentaire. Sous ce rapport, la femme possède un degré en plus que l’homme, en contraste avec le “degré” donné à l’homme dans le verset 2 : 228. Dieu a comblé cette faille en accordant ici un supplément à la femme » : on mesure à nouveau l’importance du verset sur le degré de supériorité, et les débats qu’il a suscités dans la culture islamique. N’emploie-t-on pas, par ailleurs, le genre féminin en arabe pour désigner un homme « très savant » (‘allâma), un « grand voyageur » (rahhâla), etc. ? Le « soleil », qui pourvoit sa lumière à tous les autres astres de notre galaxie, n’est-il pas de genre féminin en arabe, alors que la lune est de genre masculin, en son terme commun, al-qamar, comme en celui qui désigne la pleine lune, et symbolise la plénitude du Prophète, al-badr ?


    Plus subtile encore est la force que le Prophète accorde au Féminin dans un hadîth célèbre, force subtile car il faut être rompu aux règles de l’accord en langue arabe. On voit ici que le Prophète était tout sauf « illettré » au sens profane. Voici le hadîth : « Il m’a été donné d’aimer de votre monde trois choses : les femmes, le parfum et la prière, qui est mon plaisir suprême. » On peut d’abord relever que les femmes se trouvent associées à ce qu’il y a de plus subtil (le parfum) et de plus spirituel (la prière). Ensuite, c’est l’allusion grammaticale qui nous intéresse : le Prophète aurait dû, selon l’usage, accorder le chiffre « trois » (thalâth) au masculin qui l’emporte dès lors qu’un des termes est de genre masculin.

    En arabe, on écrit « Les Fâtima et Zayd sont sortis », note Ibn ‘Arabî. Il en va de même en français : on dit bien « ils » en parlant d’un garçon et de filles, fussent-elles un millier. Le Prophète a donc fait prévaloir le féminin sur le masculin « pour marquer l’importance qu’il attachait aux femmes ». En outre, il a enchâssé le terme masculin (le parfum) entre deux féminins (les femmes et la prière) ; il en va de même pour Adam, qui se trouve entre l’Essence dont il provient, et Ève qui provient de lui. En d’autres termes, l’antériorité et la postériorité relèvent du Féminin.
    Autre enseignement subtil de cette parole du Prophète : celui-ci n’a pas dit : « J’aime de votre monde les femmes… », par quelque penchant naturel, mais : « Il m’a été donné d’aimer… » ou « On m’a fait aimer… ». Cet amour de la femme lui venait de Dieu : le Prophète « était conforme à la Forme divine jusque dans l’amour qu’il portait à sa femme ».


    Ibn ‘Arabî nous explique encore que « le Prophète a mentionné tout d’abord [dans ce hadîth] les femmes parce qu’elles sont le lieu de la réceptivité, de la même façon que la Nature primordiale (al-tabî‘a) précède tout ce qui est formé à partir d’elle. Or la Nature primordiale, en elle-même invisible, porte toutes les choses qui, sans elle, ne pourraient être existenciées. Pour Ibn ‘Arabî, elle est synonyme du « Souffle du Tout Miséricordieux » (al-nafas al-rahmânî), support de la Manifestation universelle sans lequel le monde ne pourrait exister. C’est par ce Souffle que se déploient les formes du monde, des plus élevées jusqu’aux plus basses. En tant que réceptacle du Souffle, la femme représente un lieu théophanique, un lieu de réception du Divin, privilégié.

    1 Futûhât, IV, p. 84.
    2 Ibid., III, p. 87.
    3 Ibid., I, p. 507.
    4 Futûhât, IV, p. 445. Une autre édition donne : « Ils sont les femmes, ils sont ma requête, et mon espoir ».

    Conclusion :

    Si l’homme, Adam, est premier dans la hiérarchie créaturelle, le problème est que, de ce fait, il se pose promptement en rival de Dieu. « L’homme est avide et ambitieux de voir toutes les choses en son pouvoir, constate Ibn ‘Arabî ; et cela pour manifester l’autorité temporelle de la forme selon laquelle il a été créé et qui exige que toutes choses lui soient soumises, au point que certains […] se montrent jaloux d’Allâh, alors qu’ils n’ont été créés et soumis à l’obligation légale que pour être jaloux de ce qui revient à Allâh, et non jaloux de Lui ! ». A l’inverse, il y aurait une « transparence » à l’Être divin chez la femme, et cette aptitude, sur le modèle de Marie (Maryam), lui donne une précellence de nature ontologique et spirituelle.

    Références bibliographiques :

    − IBN ‘ARABI. Al-Futûhât al-makkiyya, Beyrouth : éd. Sader, s.d.
    − GEOFFROY, Eric. Allah au féminin, Paris : Albin Michel, 2020
    J'ai désiré et demandé la beauté dans ce bas monde , on m'a montré et donné la laideur de ce bas monde.
    aristochat.

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