- Raphaël Duqué Astrophysicien
TRIBUNE. Le livre Dieu, la science, les preuves, sorti en octobre, a bénéficié d’une vaste campagne de promotion et a été vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Pour l’astrophysicien Raphaël Duqué, cette nouvelle tentative de prouver scientifiquement l’existence de Dieu est une erreur tant scientifique que religieuse.
Avec leur livre Dieu, la science, les preuves (Guy Trédaniel, 2021), Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies ont jeté un pavé dans la mare. Ils ambitionnent de décrire les avancées récentes dans les domaines de la physique et de la cosmologie, et d’en déduire « des preuves de l’existence de Dieu (qui soient) modernes, claires, rationnelles, multidisciplinaires, confrontables objectivement (sic) à l’univers réel ». Après le « règne sans partage du matérialisme » sur le monde intellectuel, les auteurs se félicitent que « la science semble devenir une alliée de Dieu ». Hélas, l’ouvrage contient des contrevérités, ce que l’on peut comprendre de la part de non-scientifiques. Il propose un schéma de pensée de la question de Dieu à la fois simpliste et fallacieux, que l’on pourrait nommer « matérialisme creux ».
La nature est sublime et chacun, tout particulièrement le scientifique, peut s’étonner de son ordre minutieux. D’après MM. Bolloré et Bonnassies, la science contemporaine aurait exploré cet ordre à un niveau de détail tel que nous ne serions plus très loin de poser le doigt sur le Créateur, comme au plafond de la chapelle Sixtine. Il ne s’agit ni plus ni moins que de l’argument téléologique : la nature, parfaitement harmonieuse, ne peut être l’œuvre que d’un être parfait, Dieu. Les auteurs s’approprient cet argument sans le nommer et le dénaturent pour servir leur propos. L’expérience sensible de la nature doit-elle passer par l’exercice de la science ? Non, bien sûr : le promeneur solitaire qui surprend le vol d’oiseaux au-dessus d’un lac fait l’expérience pleine du sublime naturel sans exercer de démarche scientifique. Quoi qu’en pensent MM. Bolloré et Bonnassies, nul n’a attendu le Hubble Space Telescope pour contempler la Création et sentir le geste de Dieu autour de soi.
Des erreurs factuelles
Les auteurs rapportent que la cosmologie moderne « implique que l’univers a eu un début », confortant un récit de la Création et l’existence d’un Créateur. C’est faux : la théorie du big bang suggère que l’univers occupe un état toujours plus dense et plus chaud à mesure que l’on remonte le temps, si bien qu’il atteint des régimes de densité et de température où notre compréhension actuelle de la physique ne s’applique plus. Alors, la science cesse d’être prédictive et un quelconque énoncé scientifique à propos d’un commencement ne peut être qu’une extrapolation incertaine. Mais qu’importe, MM. Bolloré et Bonnassies vendent la peau de l’ours : on aurait trouvé le point originel.
Mais prouve-t-on vraiment ainsi l’existence de Dieu ? En filigrane, on comprend que les auteurs invoquent l’argument cosmologique : tout mouvement ayant une cause, il faut qu’il y ait un mouvement premier, qui est Dieu. À nouveau, le propos est livré en réduisant l’argument historique à une expression creuse : la science a trouvé le mouvement premier, Dieu est le mouvement premier, par conséquent la science a trouvé Dieu. Mais cette preuve ne peut pas satisfaire les croyants ! Ce grand horloger qui a lancé le big bang et calcule les constantes fondamentales de la physique, est-il le Dieu de miséricorde qui est descendu sur la Terre et a souffert la Passion pour le pardon des péchés ? Évidemment, personne n’y croit.
Des impasses spirituelles
Certes, penser à l’harmonie de l’univers ou à Dieu comme primum mobile peut conforter les croyants dans leur foi, mais les arguments cosmologique et téléologique sont des impasses spirituelles, ils n’aident pas à avancer sur un chemin de foi dans le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Cette impasse spirituelle en cache en fait une autre, logique cette fois : l’existence de Dieu ne peut pas être un objet de science. Comme nous l’enseigne Karl Popper, ne sont scientifiques que les énoncés qui sont falsifiables, c’est-à-dire que l’apport de nouvelles expériences pourra infirmer. Ainsi avance la science : par falsification et raffinement progressifs de son contenu. Cela exclut de la science, par principe, nombre d’énoncés, dont l’existence de Dieu. Se tourner vers la science pour prouver l’existence de Dieu est donc une double impasse, d’ailleurs bien connue.
Dieu est une révélation
D’abord, Dieu est une révélation. Ensuite, pour qui veut contempler la vérité, « la foi et la raison sont comme deux ailes », écrit Jean-Paul II dans Fides et ratio, un monument incontournable sur la présente question, et une lacune dans les références de l’ouvrage. En outre, ces ailes ne sont pas étrangères l’une à l’autre. La foi se nourrit de connaissance, en particulier de la connaissance de Dieu par l’étude de la vie du Christ et de ses enseignements, au travers de l’exégèse et de la théologie, qui sont des sciences. Naturellement, les fidèles sont invités à acquérir cette connaissance pour affermir leur foi, comme le suggère l’encyclique Lumen fidei.
En cherchant à reléguer le matérialisme à l’état de « croyance irrationnelle », MM. Bolloré et Bonnassies se contredisent. Proposer la manifestation de Dieu dans la nature comme preuve de son existence est un matérialisme. Cantonner l’entendement de cette manifestation à la science est pire encore : c’est un matérialisme creux. Leur ouvrage propose un discours scientifico-mystique qui dessert ensemble la science, soudain privée de ses principes et de son objet, et la foi, soudain retirée du domaine du cœur de l’homme.
Pourtant, le cœur de l’homme est le lieu de manifestation de Dieu dans sa dimension première, c’est-à-dire spirituelle. La force de l’amour, la joie du pardon, la persistance de la foi et de l’espérance, le bonheur de la charité : s’il doit y avoir prosélytisme, c’est assurément ces mouvements intérieurs qu’il faut chercher à décrire et à susciter. Car si Dieu se manifeste aussi dans la contemplation de la Création, cette dernière, bien que sublime, n’est pas sa seule œuvre.
Raphaël Duqué est docteur en astrophysique et astrophysicien des hautes énergies, actuellement en poste à l’université Goethe de Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
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