Juger et punir l'abandon de la prière, du jeûne, du port du voile n’est pas prévu dans le Coran, alors pourquoi une police et des lois qui les interdisent dans certains pays musulmans ?
Certains Pays musulmans ont créé une police religieuse, prétendant se baser sur une exigence de l'islam. Actives en Iran, en Arabie saoudite, en Afghanistan, au Nigeria, en Malaisie et dans une partie de l'Indonésie, cette police des mœurs oblige les femmes à se couvrir, punit les buveurs d'alcool et interdit les livres qu’elle estime subversifs.
Dans le reste du monde musulman, les populations sont plus ou moins soumises à la loi et à leur police nationale, qui peut même s’en aller parfois jusqu’à traquer les non-jeuneurs pendant le mois de Ramadan.
À quoi bon toute pratique religieuse, pourriez-vous penser, si elle n'est pas librement choisie, d’autant que le Saint Coran est clair sur cette question comme le rapporte le verset 256 de la Sourate Al Baqara : "Il n'y a pas de contrainte en religion" !
Il faut savoir que le problème de la coercition religieuse dans l'Islam a été justifié par deux références faisant autorité.
En premier lieu, le devoir coranique de ‘’commander le bien et interdire le mal’’, principe d’ailleurs inscrit à l'article 8 de la Constitution iranienne comme un devoir universel et réciproque, et en second lieu l'institution connue sous le nom de ‘’Hisba’’ (calcul, vérification), qui selon les interprétations peut être individuelle ou collective.
En effet, dans de nombreux versets distincts, le Coran fait référence au concept de "Al Amr bil Ma'rouf wan Nahyi anil Mounkar" qui veut dire : commander (enjoindre) le bien et interdire le mal.
Ce principe est interprété par les différentes écoles musulmanes comme ce qui caractérise le vrai croyant, ou comme un devoir qui lui incombe, et que vient confirmer le verset 3 d’Al-Imran :
« Que s'élève de vous une communauté qui invite au Bien, ordonnant ce qui est convenable, et interdisant ce qui est blâmable, ce seront eux qui réussiront ».
Mais, comme se demande Mustafa Akyol, chercheur principal sur l'islam et la modernité à l'Institut Cato, qui peut véritablement savoir et décider ce qui est ‘’bien’’ et ce qui est ‘’mal’’, sans une interprétation somme toute personnelle et individuelle, quand elle n’est pas influencée par un environnement social soumis à la tradition et à l’Histoire de celui-ci ?
Avant d’aller un peu plus profondément dans le sujet, il parait fondamental d’apporter quelques points de réflexions et de donner le sens du mot ‘’Ma’rouf’’, utilisé bien avant l’émergence de l’Islam en Arabie, pour signifier un ensemble de devoirs et de valeurs éthiques communs.
Au contraire, le mot ''Mounkar'' est défini pour désigner l’ensemble des attitudes méprisables qui offensent la conscience humaine.
Or les premiers commentateurs du Coran n'ont pas nécessairement interprété le devoir de commander le Bien comme une police religieuse, mais plutôt comme un appel aux polythéistes d’embrasser l'Islam et de les enjoindre à la croyance en l'unité de Dieu ''Ma’rouf'', tout en délaissant le ''Mounkar'' du culte des idoles.
Ce n’est que cent ans après la Révélation, à l'époque Abbasside, que les premières interprétations politique de ''commander le bien et interdire le mal'' vont émerger, dans un contexte dominé par des guerres de pouvoir, l'effort d’islamisation des institutions byzantines existantes, l’apport de différents courants de pensée au sein de l’Islam, comme le rationalisme Mu’taziliste, et la dénonciation ainsi que la rébellion contre les tyrans.
N’oublions pas qu’en ces temps-là, la foi était associée à un projet politique d'expansion impérialiste et de suprématie juridique - conformément aux normes politico-religieuses de l'époque, également représentées par les empires byzantin et sassanide.
Ces nouvelles interprétations du principe ''commander le bien et interdire le mal'' auraient trouvé leur source dans certains hadiths attribués au Prophète Mohamed ﷺ qui aurait déclaré :
« Celui qui insulte un dirigeant, Allah l'insultera » « Écoutez le chef et exécutez ses ordres ; même si votre dos est fouetté et votre richesse est arrachée ».
Ainsi, la plupart des écoles de pensées musulmanes sunnites, voulant éviter les premières guerres civiles dans la maison Islam, ont adopté le principe de ne pas se rebeller contre ceux qui sont en charge des affaires publiques, même s'ils sont des oppresseurs.
Notons le paradoxe dans l’application de l’injonction divine de ‘’Commander le bien et interdire le mal’’ dans les nouveaux commandements de la loi islamique, le devoir exigeant désormais l'imposition de toute piété, toutefois proscrite quand il s’agit de leaders politique, mais appliquée avec ferveur contre les pécheurs et les hérétiques.
N’est-ce pas là une différence de lecture du Coran qui avait décrété les nombreux commandements à ses croyants afin qu’ils obéissent en raison de leur foi en l’existence en Dieu et dans l’espoir du salut de leur âme dans l'au-delà, et non en raison d'une mesure coercitive terrestre ?
Car comme tout le monde le sait, le Coran ne menace les incroyants ou les apostats que de la colère de Dieu dans l'au-delà. De même, il est ordonné aux musulmans de prier et de jeûner, et de s'abstenir de boire ou de jouer, sans aucune précision sur la punition pour les violations de ces commandements.
Le Coran ordonne également aux femmes musulmanes de s'habiller modestement mais, encore une fois, ne décrète aucune conséquence terrestre pour celles qui ne le font pas.
Les seuls châtiments terrestres punis corporellement prévus par le Coran concernent cinq péchés dont 4 sont inscrits dans la charia ou loi islamique : le vol, le meurtre ou les blessures infligées, le banditisme, l'adultère et les fausses accusations d'adultère.
Juger et punir l'abandon de la prière, du jeûne, du port du voile n’est pas prévu dans le Coran, alors pourquoi une police et des lois qui les interdisent dans certains pays musulmans ?
Certains répondent en affirmant que presque tous les commandements religieux se sont transformés en lois exécutoires, en raison de l'interprétation moderne de "commander le droit et interdire le mal".
C’est ce qui expliquerait, en partie, l’augmentation des châtiments terrestres au cours des premiers siècles de l’Islam, alimentés par des hadiths, dont certains ne sont pas toujours authentifiés.
Ainsi, l'apostasie est devenue un crime capital pour toutes les écoles juridiques de l’Islam, en raison d’un des hadiths du Prophète Mohamed ﷺ qu’avait rapporté Ibn Abbas : « Quiconque change de religion, tue-le ».
Mohamed Charfi, un des savants de l’Islam considère ce hadith rapporté uniquement par Ibn Abbas qui n'avait que 13 ans à la mort du prophète comme Ahad, et donc peu fiable.
Le Dr Mohammad Habash, directeur du Centre d’études islamiques à Damas estime que les différentes interprétations des propos attribués au Prophète concernent quelques cas isolés et ne constituent pas un phénomène général ou une crise en islam.
Il en est ainsi également de la renonciation aux prières quotidiennes, devenue un crime grave, comme expliqué par le juriste du XIe siècle al-Mawardi dans son livre, "al-Ahkam al-Sultaniyyah" ("Ordonnances du gouvernement") :
« Si la personne abandonne [la prière], prétendant que ce n'est pas une obligation, alors c'est un incroyant ; et la même règle que celle régissant l'apostat s'applique, c'est-à-dire qu'il est tué pour son reniement, à moins qu'il ne se tourne vers le pardon ».
Les différentes écoles de pensée musulmanes diffèrent quant au jugement de cette même personne dans le cas où elle ne se tourne pas vers le pardon, mais reconnait son obligation.
Les Hanifites considèrent qu'il doit être battu à chaque prière, mais ne dois pas être tué. Les Hanbalites le désignent, contrairement aux malékites, comme mécréant (kafir) et doit donc être tué pour ce déni. Les Chafiites considèrent eux qu'il ne doit pas être mis à mort tant qu'on ne lui a pas demandé de se repentir, et ne le sera qu’en cas de refus, par l'épée ou avec un bâton en bois jusqu'à ce que mort s’ensuive...
Pour ce qui est du jeûne lors du mois sacré du Ramadan, la sanction pour manger, boire ou fumer en public pendant ce mois Sacré peut, actuellement, entraîner des amendes ou l'incarcération dans de nombreux Pays musulmans.
Al-Mawardi a écrit que le musulman qui refuse de jeûner "n'est pas mis à mort", mais reçoit toujours "une punition discrétionnaire pour lui donner une leçon par des coups de fouet ou de courtes peines de prison.
Les autorités responsables de l'application de ces lois étaient constituées de juges et de cadis qui dirigeaient des tribunaux, ou des juges, mais ils ne poursuivaient pas les contrevenants eux-mêmes.
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