LE PROPHÈTE
Le minaret blanc de la mosquée semble vouloir traverser l’azur du ciel, le vent frais de novembre balaie le sol de marbre sous les pas d’Aziz, qui vient de faire la prière. Il égrène lentement son chapelet tout en parlant d’une voix rapide :
« On a tellement d’images toutes faites du Prophète, mais est-ce qu’on saisit réellement tout son enseignement ? Aujourd’hui, on veut “revenir vers le Prophète”, mais lequel : vers une image, une représentation vestimentaire ? J’ai lu que Mohammed avait donné la gestion de la cité de Médine à une femme, et aussi que dans la oumma à Médine il y avait de la place pour les autres religions, ça m’a fait réfléchir. D’autant que la tradition du prophète (sunna) a une grande importance pour nous. Il y a énormément de hadith et certains sont parfois contradictoires : comment discerner le vrai du faux ? »
Cheikh Khaled Bentounès :
Après la mort du Prophète à Médine en 632, ceux des musulmans qui ne l’avaient pas connu, demandèrent à sa femme Aïcha : « Comment était-il ? » Elle répondit : « Il était le reflet du Coran ». Pour tout musulman, le Prophète est le modèle de la vertu, l’exemple type de l’homme parfait se reposant totalement sur la Volonté Divine, proclamant et vivant le message de l’unité, facteur d’équilibre et d’harmonie entre spiritualité et temporalité. La grandeur de son œuvre n’a d’égale que son humilité : « Dieu, fais-moi vivre pauvre, mourir pauvre et ressusciter parmi les pauvres », aimait-il à répéter.
De nombreux hommes furent fascinés par la trajectoire de ce destin hors du commun : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? » remarquait Lamartine.
Aussi, interrogeons-nous : par quoi se distinguait-il, et en quoi son expérience est-elle pour nous exemplaire ? Qu’a-t-il apporté d’innovant aux hommes de son époque et que reste-t-il de son enseignement qui puisse être aujourd’hui une source d’inspiration pour les hommes du xxie siècle ? Une chose est certaine : l’écho de ses paroles, l’œuvre immense qu’il bâtit en vingt-et-un ans (611 – 632) se prolongent jusqu’à nos jours, suscitant rejet ou adhésion mais jamais indifférence. La puissance de son Verbe, l’aspect incisif de ses idées, sa sagesse subtile nous invitent à une vision qui concilie l’homme et l’univers, l’essence et l’existence.
Il acceptait, au détriment de ses propres certitudes, d’être contredit par la révélation comme par exemple lorsqu’il répondit à Salman le Perse qui, impressionné par la piété de certains prêtres, interrogeait le Prophète sur leur sort au jour du jugement : « Ô Salman, ils sont destinés aux flammes de l’enfer. » Le trouble jeté dans l’âme de Salman par cette réponse fut levé lorsque vint alors une révélation qui contredît clairement l’affirmation du Prophète : « Certes, ceux qui croient et ceux qui suivent la religion juive, les chrétiens et les sabéens ; quiconque en un mot croit en Dieu, au jour dernier et accomplit de bonnes œuvres, sera récompensé par son Seigneur. Il n’éprouvera aucune crainte et il ne sera jamais affligé. (C. 2, 62) »
Le Prophète n’a pas institué, à proprement parler, de système politique, de théorie de l’État. Il a laissé aux hommes le soin de décider eux-mêmes du contenu de leur projet d’organisation temporelle, en leur donnant une méthode : la consultation (choura). Un acte politique fort va également marquer les premières heures de l’islam : dès l’an 1 de l’hégire à Médine le prophète Mohammed va éditer un texte connu sous le nom de sahifa ou « had » de Médine.
Il instaure les fondements de la vie communautaire : une unité et une égalité entre les différentes composantes musulmanes et non musulmanes de la cité qui jouissent ainsi des mêmes droits et des mêmes devoirs. Ne dit-il pas dans un hadith : « Les hommes sont égaux comme les dents d’un peigne. » Il ira jusqu’à permettre à une délégation chrétienne de Nejran en visite à Médine de servir la messe dans sa Mosquée.
A travers cet acte exemplaire il met en application une de ses paroles : « Tous les prophètes sont frères : ils ont un même père mais des mères différentes. » et montre ainsi le lien qui relie, malgré la pluralité des cultes, les différents messages religieux entre eux et leur foi commune en un seul Dieu. Plus encore, il affirme l’origine commune de tous les êtres et la non supériorité des uns par rapport aux autres : « Vous êtes tous d’Adam et Adam est de terre. » et « Nulle supériorité d’un Arabe sur un non Arabe ». Ces traits de caractère, et beaucoup d’autres encore, révèlent la personnalité du Prophète Mohammed et le contenu du message qu’il nous a transmis.
Grand pédagogue imprégné d’un humanisme profond, il appelle tous les hommes, musulmans et non musulmans, à s’élever par le comportement et la noblesse des caractères au degré le plus haut que peut réaliser l’être humain. Ainsi par ses injonctions il encourage la quête du savoir : « Demandez le savoir du berceau jusqu’au tombeau. », et « Allez chercher la science jusqu’en Chine », le savoir et la connaissance étant pour lui en effet, plus précieux que le sang du martyr.
Il accordait donc une importance capitale à l’éducation et préconisait, à travers une vision pédagogique novatrice une méthode éducative active ; « Jouez avec eux sept, éduquez- les sept ans, et soyez leur amis sept ans ». Cette méthode par tranche de sept ans permet à l’enfant de grandir dans un environnement qui respecte les différentes étapes de sa croissance. Dans un premier temps, elle le laissera jouir de sa liberté, de l’insouciance et du goût du jeu propre à l’enfance, lui évitant trop tôt des contraintes qui pourraient brider sa personnalité.
La deuxième période correspond à la mise en place d’un cadre éducatif exigeant. Tandis que la troisième étape participe à faire de lui un homme prêt à affronter la vie, respecté et respectueux puisqu’il n’est plus le fils ou la fille de, mais l’ami de ses parents.
Il recommandait également le sport pour les adultes comme remède aux infirmités du corps, quant aux enfants il demandait qu’on leur apprenne : « la nage, les jeux d’adresse et l’équitation ». Il allait, lui-même, jusqu’à organiser et participer à des courses de chameaux.
Nous sommes loin de l’image caricaturale d’un homme replié sur lui-même, coupé du monde, voué uniquement à la pratique religieuse. Il est en fait l’apôtre de la voie du milieu, préconisant un équilibre entre la vie du corps et celle de l’esprit. Ainsi, ses conseils concernant une hygiène de vie serviront de base à l’élaboration de la médecine de l’islam et à une pratique médicale qui, à travers l’extraordinaire développement scientifique de la civilisation musulmane, servira de fondement à la médecine moderne.
.../...
Le minaret blanc de la mosquée semble vouloir traverser l’azur du ciel, le vent frais de novembre balaie le sol de marbre sous les pas d’Aziz, qui vient de faire la prière. Il égrène lentement son chapelet tout en parlant d’une voix rapide :
« On a tellement d’images toutes faites du Prophète, mais est-ce qu’on saisit réellement tout son enseignement ? Aujourd’hui, on veut “revenir vers le Prophète”, mais lequel : vers une image, une représentation vestimentaire ? J’ai lu que Mohammed avait donné la gestion de la cité de Médine à une femme, et aussi que dans la oumma à Médine il y avait de la place pour les autres religions, ça m’a fait réfléchir. D’autant que la tradition du prophète (sunna) a une grande importance pour nous. Il y a énormément de hadith et certains sont parfois contradictoires : comment discerner le vrai du faux ? »
Cheikh Khaled Bentounès :
Après la mort du Prophète à Médine en 632, ceux des musulmans qui ne l’avaient pas connu, demandèrent à sa femme Aïcha : « Comment était-il ? » Elle répondit : « Il était le reflet du Coran ». Pour tout musulman, le Prophète est le modèle de la vertu, l’exemple type de l’homme parfait se reposant totalement sur la Volonté Divine, proclamant et vivant le message de l’unité, facteur d’équilibre et d’harmonie entre spiritualité et temporalité. La grandeur de son œuvre n’a d’égale que son humilité : « Dieu, fais-moi vivre pauvre, mourir pauvre et ressusciter parmi les pauvres », aimait-il à répéter.
De nombreux hommes furent fascinés par la trajectoire de ce destin hors du commun : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? » remarquait Lamartine.
Aussi, interrogeons-nous : par quoi se distinguait-il, et en quoi son expérience est-elle pour nous exemplaire ? Qu’a-t-il apporté d’innovant aux hommes de son époque et que reste-t-il de son enseignement qui puisse être aujourd’hui une source d’inspiration pour les hommes du xxie siècle ? Une chose est certaine : l’écho de ses paroles, l’œuvre immense qu’il bâtit en vingt-et-un ans (611 – 632) se prolongent jusqu’à nos jours, suscitant rejet ou adhésion mais jamais indifférence. La puissance de son Verbe, l’aspect incisif de ses idées, sa sagesse subtile nous invitent à une vision qui concilie l’homme et l’univers, l’essence et l’existence.
Il acceptait, au détriment de ses propres certitudes, d’être contredit par la révélation comme par exemple lorsqu’il répondit à Salman le Perse qui, impressionné par la piété de certains prêtres, interrogeait le Prophète sur leur sort au jour du jugement : « Ô Salman, ils sont destinés aux flammes de l’enfer. » Le trouble jeté dans l’âme de Salman par cette réponse fut levé lorsque vint alors une révélation qui contredît clairement l’affirmation du Prophète : « Certes, ceux qui croient et ceux qui suivent la religion juive, les chrétiens et les sabéens ; quiconque en un mot croit en Dieu, au jour dernier et accomplit de bonnes œuvres, sera récompensé par son Seigneur. Il n’éprouvera aucune crainte et il ne sera jamais affligé. (C. 2, 62) »
Le Prophète n’a pas institué, à proprement parler, de système politique, de théorie de l’État. Il a laissé aux hommes le soin de décider eux-mêmes du contenu de leur projet d’organisation temporelle, en leur donnant une méthode : la consultation (choura). Un acte politique fort va également marquer les premières heures de l’islam : dès l’an 1 de l’hégire à Médine le prophète Mohammed va éditer un texte connu sous le nom de sahifa ou « had » de Médine.
Il instaure les fondements de la vie communautaire : une unité et une égalité entre les différentes composantes musulmanes et non musulmanes de la cité qui jouissent ainsi des mêmes droits et des mêmes devoirs. Ne dit-il pas dans un hadith : « Les hommes sont égaux comme les dents d’un peigne. » Il ira jusqu’à permettre à une délégation chrétienne de Nejran en visite à Médine de servir la messe dans sa Mosquée.
A travers cet acte exemplaire il met en application une de ses paroles : « Tous les prophètes sont frères : ils ont un même père mais des mères différentes. » et montre ainsi le lien qui relie, malgré la pluralité des cultes, les différents messages religieux entre eux et leur foi commune en un seul Dieu. Plus encore, il affirme l’origine commune de tous les êtres et la non supériorité des uns par rapport aux autres : « Vous êtes tous d’Adam et Adam est de terre. » et « Nulle supériorité d’un Arabe sur un non Arabe ». Ces traits de caractère, et beaucoup d’autres encore, révèlent la personnalité du Prophète Mohammed et le contenu du message qu’il nous a transmis.
Grand pédagogue imprégné d’un humanisme profond, il appelle tous les hommes, musulmans et non musulmans, à s’élever par le comportement et la noblesse des caractères au degré le plus haut que peut réaliser l’être humain. Ainsi par ses injonctions il encourage la quête du savoir : « Demandez le savoir du berceau jusqu’au tombeau. », et « Allez chercher la science jusqu’en Chine », le savoir et la connaissance étant pour lui en effet, plus précieux que le sang du martyr.
Il accordait donc une importance capitale à l’éducation et préconisait, à travers une vision pédagogique novatrice une méthode éducative active ; « Jouez avec eux sept, éduquez- les sept ans, et soyez leur amis sept ans ». Cette méthode par tranche de sept ans permet à l’enfant de grandir dans un environnement qui respecte les différentes étapes de sa croissance. Dans un premier temps, elle le laissera jouir de sa liberté, de l’insouciance et du goût du jeu propre à l’enfance, lui évitant trop tôt des contraintes qui pourraient brider sa personnalité.
La deuxième période correspond à la mise en place d’un cadre éducatif exigeant. Tandis que la troisième étape participe à faire de lui un homme prêt à affronter la vie, respecté et respectueux puisqu’il n’est plus le fils ou la fille de, mais l’ami de ses parents.
Il recommandait également le sport pour les adultes comme remède aux infirmités du corps, quant aux enfants il demandait qu’on leur apprenne : « la nage, les jeux d’adresse et l’équitation ». Il allait, lui-même, jusqu’à organiser et participer à des courses de chameaux.
Nous sommes loin de l’image caricaturale d’un homme replié sur lui-même, coupé du monde, voué uniquement à la pratique religieuse. Il est en fait l’apôtre de la voie du milieu, préconisant un équilibre entre la vie du corps et celle de l’esprit. Ainsi, ses conseils concernant une hygiène de vie serviront de base à l’élaboration de la médecine de l’islam et à une pratique médicale qui, à travers l’extraordinaire développement scientifique de la civilisation musulmane, servira de fondement à la médecine moderne.
.../...
Commentaire