La fin des maîtres spirituels ?
les maîtres spirituels sont-ils en train
de disparaître ? D’évidence, il faut se méfier des illusions
de perspective. A toute époque, en effet, on a annoncé que
le cheminement sur la voie soufie était désormais clos, et
que les vrais maîtres étaient rares, voire absents. On mettait
également en garde contre un attachement trop humain
aux cheikhs, ce qui aboutit souvent à des drames après leur
disparition physique. Le seul et vrai maître n’est autre que
Dieu.
Les choses semblent pourtant se préciser actuellement, et
plusieurs configurations se présentent. Depuis une quaran-
taine d’années beaucoup de cheikhs n’ont pas désigné de
successeur avant de quitter ce monde – ce qui était excep-
tionnel par le passé. D’autres fois, la succession, purement
héréditaire, relève davantage de l’administration de biens
que de la direction spirituelle. Parfois, il y a bien un maître
« vivant » au sein des grandes confréries internationales,
mais le disciple n’a pas de contact avec lui : le compagnon-
nage traditionnel (suhba), issu du modèle prophétique,
n’existe quasiment plus. Certes, l’initiation soufie se joue
du conditionnement spatio-temporel, et il se trouve des
cheikhs pour initier par internet, mais...
— Seul le cheikh, en principe, sait quand advient le
moment du sevrage pour son disciple. Parfois il ne se
réalise qu’après avoir côtoyé plusieurs maîtres dans le
temps, comme ce fut le cas pour Sha‘rânî 16 . En tout état
de cause, que le disciple soit parvenu à une certaine réali-
sation spirituelle ou pas n'y change rien : il doit ‘‘accou-
cher’’, et il le fera en fonction de son potentiel intérieur,
de ses « prédispositions », selon les termes d’Ibn ‘Arabî.
Le guide spirituel est le miroir de « l’être accompli » (al-in-
sân al-kamil) qui sommeille dans le disciple ; en aucun
cas, il ne peut faire le travail à la place du disciple.
La fin des maîtres spirituels ?
Ces précisions s’imposent avec d’autant plus d’acuité que se
profilent des changements profonds dans la relation initia-
tique en soufisme : les maîtres spirituels sont-ils en train
de disparaître ? D’évidence, il faut se méfier des illusions
de perspective. A toute époque, en effet, on a annoncé que
le cheminement sur la voie soufie était désormais clos, et
que les vrais maîtres étaient rares, voire absents. On mettait
également en garde contre un attachement trop humain
aux cheikhs, ce qui aboutit souvent à des drames après leur
disparition physique. Le seul et vrai maître n’est autre que
Dieu.
Les choses semblent pourtant se préciser actuellement, et
plusieurs configurations se présentent. Depuis une quaran-
taine d’années beaucoup de cheikhs n’ont pas désigné de
successeur avant de quitter ce monde – ce qui était excep-
tionnel par le passé. D’autres fois, la succession, purement
héréditaire, relève davantage de l’administration de biens
que de la direction spirituelle. Parfois, il y a bien un maître
« vivant » au sein des grandes confréries internationales,
mais le disciple n’a pas de contact avec lui : le compagnon-
nage traditionnel (suhba), issu du modèle prophétique,
16 . Latâ’if al-minan, Le Caire, 1935, I, p. 51.
Cette éventualité de la « fin des maîtres » est en lien étroit
avec la « fin de l’ésotérisme » augurée par certains. Jusqu’à
présent, seuls les "initiés" étaient censés avoir accès à la
réalisation spirituelle, tandis que l’immense majorité des
humains était prisonnière de ses illusions égotiques. Nous
entrerions maintenant dans une ère de désoccultation, de
révélations, où le « Réel voilé », selon l’expression du physi-
cien Bernard d’Espagnat, se dévoilerait de façon accélérée.
La transmission initiatique traditionnelle se fait/se faisait
dans le cadre d’une relation privée, étroite, ‘‘verticale’’.
Désormais, la gnose se déploierait en mode ‘‘horizontal’’,
comme un souffle en expansion. L’Esprit serait accessible
à un grand nombre d’humains, s’ils en viennent à oser, à
assumer, une telle réception. La réalisation spirituelle, en
effet, fait peur, et c’est ce qui permet à ce bas monde de
persister dans son illusion.
Ceux qui accepteraient cette responsabilité constitueraient
autant de relais dans le monde. Il se dit que, dès lors, il
n’y aurait plus quelques grands phares mais beaucoup de
petites lumières. S’agit-il de la « démocratie spirituelle »
dont parlait le penseur et poète indien Muhammad Iqbal
(m. 1938) ? Tout porte à croire que la femme jouerait un
rôle privilégié dans ce processus, car elle est beaucoup
moins enferrée que l’homme dans la carapace du mental,
et immédiatement réceptive aux changements majeurs qui
sont en cours. Le Dalaï-Lama actuel n’a-t-il pas annoncé que
son successeur pourrait être une femme ? Il a aussi prévenu
en 2015 qu’il ne désignera peut-être pas de successeur : « A
chacun d’être son propre lama ».
Les contrefaçons initiatiques sont et seront inévitables lors
de cette ouverture, mais l’humanité actuelle devra selon
toute vraisemblance en passer par là si elle veut se regé-
nérer, ou préparer l’avènement éventuel d’une nouvelle
humanité. Plus modestement, il y a eu un soufisme avant
les confréries, et il peut y en avoir un après, sous des moda-
lités que nous pouvons déjà pressentir.
Extrait .
les maîtres spirituels sont-ils en train
de disparaître ? D’évidence, il faut se méfier des illusions
de perspective. A toute époque, en effet, on a annoncé que
le cheminement sur la voie soufie était désormais clos, et
que les vrais maîtres étaient rares, voire absents. On mettait
également en garde contre un attachement trop humain
aux cheikhs, ce qui aboutit souvent à des drames après leur
disparition physique. Le seul et vrai maître n’est autre que
Dieu.
Les choses semblent pourtant se préciser actuellement, et
plusieurs configurations se présentent. Depuis une quaran-
taine d’années beaucoup de cheikhs n’ont pas désigné de
successeur avant de quitter ce monde – ce qui était excep-
tionnel par le passé. D’autres fois, la succession, purement
héréditaire, relève davantage de l’administration de biens
que de la direction spirituelle. Parfois, il y a bien un maître
« vivant » au sein des grandes confréries internationales,
mais le disciple n’a pas de contact avec lui : le compagnon-
nage traditionnel (suhba), issu du modèle prophétique,
n’existe quasiment plus. Certes, l’initiation soufie se joue
du conditionnement spatio-temporel, et il se trouve des
cheikhs pour initier par internet, mais...
— Seul le cheikh, en principe, sait quand advient le
moment du sevrage pour son disciple. Parfois il ne se
réalise qu’après avoir côtoyé plusieurs maîtres dans le
temps, comme ce fut le cas pour Sha‘rânî 16 . En tout état
de cause, que le disciple soit parvenu à une certaine réali-
sation spirituelle ou pas n'y change rien : il doit ‘‘accou-
cher’’, et il le fera en fonction de son potentiel intérieur,
de ses « prédispositions », selon les termes d’Ibn ‘Arabî.
Le guide spirituel est le miroir de « l’être accompli » (al-in-
sân al-kamil) qui sommeille dans le disciple ; en aucun
cas, il ne peut faire le travail à la place du disciple.
La fin des maîtres spirituels ?
Ces précisions s’imposent avec d’autant plus d’acuité que se
profilent des changements profonds dans la relation initia-
tique en soufisme : les maîtres spirituels sont-ils en train
de disparaître ? D’évidence, il faut se méfier des illusions
de perspective. A toute époque, en effet, on a annoncé que
le cheminement sur la voie soufie était désormais clos, et
que les vrais maîtres étaient rares, voire absents. On mettait
également en garde contre un attachement trop humain
aux cheikhs, ce qui aboutit souvent à des drames après leur
disparition physique. Le seul et vrai maître n’est autre que
Dieu.
Les choses semblent pourtant se préciser actuellement, et
plusieurs configurations se présentent. Depuis une quaran-
taine d’années beaucoup de cheikhs n’ont pas désigné de
successeur avant de quitter ce monde – ce qui était excep-
tionnel par le passé. D’autres fois, la succession, purement
héréditaire, relève davantage de l’administration de biens
que de la direction spirituelle. Parfois, il y a bien un maître
« vivant » au sein des grandes confréries internationales,
mais le disciple n’a pas de contact avec lui : le compagnon-
nage traditionnel (suhba), issu du modèle prophétique,
16 . Latâ’if al-minan, Le Caire, 1935, I, p. 51.
Cette éventualité de la « fin des maîtres » est en lien étroit
avec la « fin de l’ésotérisme » augurée par certains. Jusqu’à
présent, seuls les "initiés" étaient censés avoir accès à la
réalisation spirituelle, tandis que l’immense majorité des
humains était prisonnière de ses illusions égotiques. Nous
entrerions maintenant dans une ère de désoccultation, de
révélations, où le « Réel voilé », selon l’expression du physi-
cien Bernard d’Espagnat, se dévoilerait de façon accélérée.
La transmission initiatique traditionnelle se fait/se faisait
dans le cadre d’une relation privée, étroite, ‘‘verticale’’.
Désormais, la gnose se déploierait en mode ‘‘horizontal’’,
comme un souffle en expansion. L’Esprit serait accessible
à un grand nombre d’humains, s’ils en viennent à oser, à
assumer, une telle réception. La réalisation spirituelle, en
effet, fait peur, et c’est ce qui permet à ce bas monde de
persister dans son illusion.
Ceux qui accepteraient cette responsabilité constitueraient
autant de relais dans le monde. Il se dit que, dès lors, il
n’y aurait plus quelques grands phares mais beaucoup de
petites lumières. S’agit-il de la « démocratie spirituelle »
dont parlait le penseur et poète indien Muhammad Iqbal
(m. 1938) ? Tout porte à croire que la femme jouerait un
rôle privilégié dans ce processus, car elle est beaucoup
moins enferrée que l’homme dans la carapace du mental,
et immédiatement réceptive aux changements majeurs qui
sont en cours. Le Dalaï-Lama actuel n’a-t-il pas annoncé que
son successeur pourrait être une femme ? Il a aussi prévenu
en 2015 qu’il ne désignera peut-être pas de successeur : « A
chacun d’être son propre lama ».
Les contrefaçons initiatiques sont et seront inévitables lors
de cette ouverture, mais l’humanité actuelle devra selon
toute vraisemblance en passer par là si elle veut se regé-
nérer, ou préparer l’avènement éventuel d’une nouvelle
humanité. Plus modestement, il y a eu un soufisme avant
les confréries, et il peut y en avoir un après, sous des moda-
lités que nous pouvons déjà pressentir.
Extrait .
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