L’enfoncement dans la métaphysique est un égarement
islamophile.org
Lorsque cet Égyptien envoyé par Ibn Al-`Âs arriva chez `Umar Ibn Al-Khattâb et que ce dernier le surprit en train de discuter de ce qui ressemblerait aujourd’hui à de la théologie, en posant notamment la question de la signification de l’établissement de Dieu sur le Trône [1] et autres sujets équivoques, le Calife le frappa, le renvoya et ordonna aux gens de ne plus lui parler.
Pourtant, le motif pour lequel il l’avait frappé constitue précisément la matière qui remplira par la suite les livres de Kalâm, que nous appelons également la science de l’Unicité divine [2] !
Quant à Mâlik, lorsqu’on lui posa la même question, il la considéra comme une innovation religieuse. Sa célèbre réponse est bien connue de tous [3].
Abû Hanîfah, de son côté, interdit à son fils de débattre avec un homme qui voulait polémiquer sur le destin, et lui ordonna de ne plus recommencer. En outre, il empêcha ses disciples de prier derrière un homme qui aimait à discourir sur la création du Coran. Il les empêcha également de prier derrière un autre homme qui répondrait au premier. On lui demanda alors : « Le premier nie l’incréation du Coran. Mais le second, qu’a-t-il fait de mal ? » Abû Hanîfah répondit : « Il polémique sur la religion - en participant au débat - alors que la polémique religieuse est une innovation. » On rapporte également que l’Imâm Abû Hanîfah interdit de prier derrière les théologiens [2].
Ash-Shâfi`î dit quant à lui : « Mon jugement sur les gens du Kalâm, c’est qu’ils devraient être frappés à coups de fouet et de semelle, et ensuite conduits à travers toutes les tribus et les camps, tandis que l’on proclamerait : "Telle est la récompense de celui qui met de côté le Livre et la Sunnah et qui s’adonne à la théologie." » On rapporte également de lui cette parole : « Il est préférable pour un Serviteur de rencontrer Dieu avec tous les péchés imaginables, exceptée l’association, que de le rencontrer avec le Kalâm. » Il dit encore : « Si vous entendez une personne dire que le nom est le nommé ou qu’il n’est pas le nommé, alors sachez que vous avez affaire à un théologien. » [2]
Ahmad Ibn Hambal dit : « Les théologiens sont des hérétiques. » Il dit aussi : « Le théologien n’est qu’un bon à rien. » [2]
Al-Ash`arî écrit dans son livre Al-Ibânah - le dernier livre qu’il a composé - qu’il a abandonné ses anciennes doctrines pour s’aligner sur l’opinion d’Ibn Hambal [4].
Al-Ghazâlî a également fini par rejoindre l’opinion des pieux prédécesseurs. Il fit acte de ce changement d’avis dans son livre Iljâm Al-`Awâmm dans lequel il se rétracte totalement de ses anciennes théories, si bien qu’il rendit son dernier souffle avec le Sahîh d’Al-Bukhârî posé sur sa poitrine [5].
Ar-Râzî dit : « J’ai médité les voies théologiques et les théories philosophiques, mais j’ai découvert qu’elles n’étaient qu’un cautère sur une jambe de bois. J’ai découvert que la voie la plus vraie était la voie du Coran. Je lis ces versets : « Le Tout Miséricordieux S’est établi sur le Trône. » [6] ; « Vers Lui monte la bonne parole. » [7]
Puis je lis cette négation : « Il n’y a rien qui Lui ressemble. » [8] ; « Et de Sa science, ils [les hommes] n’embrassent que ce qu’Il veut. » [9] »
Ar-Râzî finit ainsi : « Celui qui aura vécu une expérience semblable à la mienne saisira la sincérité de mon conseil. » Il est en outre l’auteur de ces vers :
Nihâyatu iqdâmil-`uqûli `iqâlu *** Wa ghâyatu sa`yl-`âlamîna dalâlu
Wa lam nastafid mim bahthinâ tûla `umrinâ *** Siwâ an jama`nâ fîhi qîla wa qâlû
Traduction
L’aboutissement de l’entreprise rationnelle est un emmêlement de ficelles, et la finalité de toutes ces recherches n’est qu’un égarement.
Tout au long de nos vies, nous n’avons rien gagné de ces études, sinon d’avoir récolté rumeurs et on-dit.
Ash-Shahristânî dit à propos des philosophes et des théologiens :
La-`amrî laqat-tuftul-ma`âhida kullahâ *** Wa sayyartu tarfî bayna tilkal-ma`âlimi
Fa-lam ara illâ wâdi`an kaffa hâ’irin *** `Alâ dhiqnihi aw qâri`an sinna nâdimi
Traduction
Par ma vie, j’ai visité tous les instituts, et j’ai promené mon regard sur tous ces hauts lieux de la connaissance.
Mais je n’y ai trouvé que des hommes perplexes, leur main à leur barbe portée, ou des hommes contrits, que leurs dents, font claquer.
Abû Al-Ma`âlî Al-Juwaynî dit : « Chers amis, ne professez pas la théologie. Si je savais que la
théologie allait m’amener à l’état où je suis aujourd’hui, jamais je ne l’aurais professée. »
Il ajouta sur son lit de mort : « Je me suis enfoncé dans une mer profonde. J’ai délaissé les gens de l’Islam et leurs sciences. J’ai pénétré dans ce qu’ils m’avaient pourtant interdit d’approcher. Et maintenant, si mon Seigneur ne m’embrasse pas par Sa Miséricorde, alors malheur à Ibn Al-Juwaynî. » Il finit ces propos en ces termes : « Or voici que je meurs avec la foi des vieilles femmes de Neyshâbûr. »
Un autre dit : « Je me couche dans mon lit le soir avec mon drap relevé sur mon visage.
Je passe la nuit, jusqu’à l’aube, à comparer les arguments des uns et des autres, mais je ne parviens pas à trancher. »
L’erreur sur laquelle s’est fixée pendant bien longtemps la pensée islamique était cet entrain pour les recherches métaphysiques. Car ces recherches se faisaient aux dépens des recherches scientifiques et techniques, ces dernières constituant le pilier central du développement humain et de l’élargissement des activités humaines…
P.-S.
Traduit de l’arabe aux éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
Notes
[1] Il s’agit de la question de l’istiwâ’. Le choix d’une traduction des termes équivoques implique souvent celui d’une interprétation. NdT
[2] Le propos de Sheikh Al-Ghazâlî doit être replacé dans le contexte qu’il délimite dans les précédents chapitres. D’une part, il est nécessaire de condamner la théologie spéculative qui s’aventure, vis-à-vis des Attributs divins, en dehors des limites tracées par la sharî`ah et autorisées par la langue arabe. D’autre part, il convient de reconnaître les mérites des savants du khalaf qui ont su combattre sur le terrain de la dialectique, dans les limites tracées par la sharî`ah et la langue arabe, les thèses fourvoyées de certaines sectes théologiques. Ce sont les spéculateurs qui font l’objet des condamnations imputées à divers grands Imâms et citées plus bas par Sheikh Al-Ghazâlî. NdT
[3] Interrogé sur le comment de l’istiwâ’, l’Imâm Mâlik répondit : "L’istiwâ’ est chose connue, son comment n’est pas accessible à la raison, et l’interrogation à son sujet est une innovation !" et il fit sortir l’innovateur de son assemblée. NdT
[4] Conférer At-Ta`lîm wa Al-Irshâd d’Al-Halabî, page 170, édition du Caire, 1906.
[5] Conférer Sharh Al-Fiqh Al-Akbar de Mullâ `Alî Al-Qâri’, page 5, édition du Caire, 1905, d’après une étude du Professeur `Alî At-Tantâwî parue dans Majallat Al-Azhar (La Revue d’Al-Azhar), sixième volume, tome 25, 15 février 1913.
[6] Sourate 20 intitulée Tâ-Hâ, verset 5.
[7] Sourate 35 intitulée le Créateur, Fâtir, verset 10.
[8] Sourate 42 intitulée la Consultation, Ash-Shûrâ, verset 11.
[9] Sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 255.
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Lorsque cet Égyptien envoyé par Ibn Al-`Âs arriva chez `Umar Ibn Al-Khattâb et que ce dernier le surprit en train de discuter de ce qui ressemblerait aujourd’hui à de la théologie, en posant notamment la question de la signification de l’établissement de Dieu sur le Trône [1] et autres sujets équivoques, le Calife le frappa, le renvoya et ordonna aux gens de ne plus lui parler.
Pourtant, le motif pour lequel il l’avait frappé constitue précisément la matière qui remplira par la suite les livres de Kalâm, que nous appelons également la science de l’Unicité divine [2] !
Quant à Mâlik, lorsqu’on lui posa la même question, il la considéra comme une innovation religieuse. Sa célèbre réponse est bien connue de tous [3].
Abû Hanîfah, de son côté, interdit à son fils de débattre avec un homme qui voulait polémiquer sur le destin, et lui ordonna de ne plus recommencer. En outre, il empêcha ses disciples de prier derrière un homme qui aimait à discourir sur la création du Coran. Il les empêcha également de prier derrière un autre homme qui répondrait au premier. On lui demanda alors : « Le premier nie l’incréation du Coran. Mais le second, qu’a-t-il fait de mal ? » Abû Hanîfah répondit : « Il polémique sur la religion - en participant au débat - alors que la polémique religieuse est une innovation. » On rapporte également que l’Imâm Abû Hanîfah interdit de prier derrière les théologiens [2].
Ash-Shâfi`î dit quant à lui : « Mon jugement sur les gens du Kalâm, c’est qu’ils devraient être frappés à coups de fouet et de semelle, et ensuite conduits à travers toutes les tribus et les camps, tandis que l’on proclamerait : "Telle est la récompense de celui qui met de côté le Livre et la Sunnah et qui s’adonne à la théologie." » On rapporte également de lui cette parole : « Il est préférable pour un Serviteur de rencontrer Dieu avec tous les péchés imaginables, exceptée l’association, que de le rencontrer avec le Kalâm. » Il dit encore : « Si vous entendez une personne dire que le nom est le nommé ou qu’il n’est pas le nommé, alors sachez que vous avez affaire à un théologien. » [2]
Ahmad Ibn Hambal dit : « Les théologiens sont des hérétiques. » Il dit aussi : « Le théologien n’est qu’un bon à rien. » [2]
Al-Ash`arî écrit dans son livre Al-Ibânah - le dernier livre qu’il a composé - qu’il a abandonné ses anciennes doctrines pour s’aligner sur l’opinion d’Ibn Hambal [4].
Al-Ghazâlî a également fini par rejoindre l’opinion des pieux prédécesseurs. Il fit acte de ce changement d’avis dans son livre Iljâm Al-`Awâmm dans lequel il se rétracte totalement de ses anciennes théories, si bien qu’il rendit son dernier souffle avec le Sahîh d’Al-Bukhârî posé sur sa poitrine [5].
Ar-Râzî dit : « J’ai médité les voies théologiques et les théories philosophiques, mais j’ai découvert qu’elles n’étaient qu’un cautère sur une jambe de bois. J’ai découvert que la voie la plus vraie était la voie du Coran. Je lis ces versets : « Le Tout Miséricordieux S’est établi sur le Trône. » [6] ; « Vers Lui monte la bonne parole. » [7]
Puis je lis cette négation : « Il n’y a rien qui Lui ressemble. » [8] ; « Et de Sa science, ils [les hommes] n’embrassent que ce qu’Il veut. » [9] »
Ar-Râzî finit ainsi : « Celui qui aura vécu une expérience semblable à la mienne saisira la sincérité de mon conseil. » Il est en outre l’auteur de ces vers :
Nihâyatu iqdâmil-`uqûli `iqâlu *** Wa ghâyatu sa`yl-`âlamîna dalâlu
Wa lam nastafid mim bahthinâ tûla `umrinâ *** Siwâ an jama`nâ fîhi qîla wa qâlû
Traduction
L’aboutissement de l’entreprise rationnelle est un emmêlement de ficelles, et la finalité de toutes ces recherches n’est qu’un égarement.
Tout au long de nos vies, nous n’avons rien gagné de ces études, sinon d’avoir récolté rumeurs et on-dit.
Ash-Shahristânî dit à propos des philosophes et des théologiens :
La-`amrî laqat-tuftul-ma`âhida kullahâ *** Wa sayyartu tarfî bayna tilkal-ma`âlimi
Fa-lam ara illâ wâdi`an kaffa hâ’irin *** `Alâ dhiqnihi aw qâri`an sinna nâdimi
Traduction
Par ma vie, j’ai visité tous les instituts, et j’ai promené mon regard sur tous ces hauts lieux de la connaissance.
Mais je n’y ai trouvé que des hommes perplexes, leur main à leur barbe portée, ou des hommes contrits, que leurs dents, font claquer.
Abû Al-Ma`âlî Al-Juwaynî dit : « Chers amis, ne professez pas la théologie. Si je savais que la
théologie allait m’amener à l’état où je suis aujourd’hui, jamais je ne l’aurais professée. »
Il ajouta sur son lit de mort : « Je me suis enfoncé dans une mer profonde. J’ai délaissé les gens de l’Islam et leurs sciences. J’ai pénétré dans ce qu’ils m’avaient pourtant interdit d’approcher. Et maintenant, si mon Seigneur ne m’embrasse pas par Sa Miséricorde, alors malheur à Ibn Al-Juwaynî. » Il finit ces propos en ces termes : « Or voici que je meurs avec la foi des vieilles femmes de Neyshâbûr. »
Un autre dit : « Je me couche dans mon lit le soir avec mon drap relevé sur mon visage.
Je passe la nuit, jusqu’à l’aube, à comparer les arguments des uns et des autres, mais je ne parviens pas à trancher. »
L’erreur sur laquelle s’est fixée pendant bien longtemps la pensée islamique était cet entrain pour les recherches métaphysiques. Car ces recherches se faisaient aux dépens des recherches scientifiques et techniques, ces dernières constituant le pilier central du développement humain et de l’élargissement des activités humaines…
P.-S.
Traduit de l’arabe aux éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
Notes
[1] Il s’agit de la question de l’istiwâ’. Le choix d’une traduction des termes équivoques implique souvent celui d’une interprétation. NdT
[2] Le propos de Sheikh Al-Ghazâlî doit être replacé dans le contexte qu’il délimite dans les précédents chapitres. D’une part, il est nécessaire de condamner la théologie spéculative qui s’aventure, vis-à-vis des Attributs divins, en dehors des limites tracées par la sharî`ah et autorisées par la langue arabe. D’autre part, il convient de reconnaître les mérites des savants du khalaf qui ont su combattre sur le terrain de la dialectique, dans les limites tracées par la sharî`ah et la langue arabe, les thèses fourvoyées de certaines sectes théologiques. Ce sont les spéculateurs qui font l’objet des condamnations imputées à divers grands Imâms et citées plus bas par Sheikh Al-Ghazâlî. NdT
[3] Interrogé sur le comment de l’istiwâ’, l’Imâm Mâlik répondit : "L’istiwâ’ est chose connue, son comment n’est pas accessible à la raison, et l’interrogation à son sujet est une innovation !" et il fit sortir l’innovateur de son assemblée. NdT
[4] Conférer At-Ta`lîm wa Al-Irshâd d’Al-Halabî, page 170, édition du Caire, 1906.
[5] Conférer Sharh Al-Fiqh Al-Akbar de Mullâ `Alî Al-Qâri’, page 5, édition du Caire, 1905, d’après une étude du Professeur `Alî At-Tantâwî parue dans Majallat Al-Azhar (La Revue d’Al-Azhar), sixième volume, tome 25, 15 février 1913.
[6] Sourate 20 intitulée Tâ-Hâ, verset 5.
[7] Sourate 35 intitulée le Créateur, Fâtir, verset 10.
[8] Sourate 42 intitulée la Consultation, Ash-Shûrâ, verset 11.
[9] Sourate 2 intitulée la Vache, Al-Baqarah, verset 255.