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Islam et astronomie

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  • Islam et astronomie

    L’astronomie


    Seyyed Hossein Nasr

    En astronomie, les musulmans ont continué la tradition de Ptolémée, tout en faisant un usage constant du savoir des Persans et des Indiens. Les premiers astronomes de l'Islam, qui brillèrent au cours de la seconde moitié du 2e /8e siècle, à Bagdad, se fondaient essentiellement sur les tables astronomiques persanes et indiennes. Le plus important traité d'astronomie qui ait survécu de la Perse anté-islamique est le Zéj-i Châht où Zij-i Chahriyâri - les Tables du Roi — composé en 555, sous le règne du roi
    sassanide Anûchirawän le Juste, et fondé dans une large mesure sur les théories et l'expérience des Indiens.
    Cet ouvrage était à l'astronomie des Sassanides ce que les Siddhânta étaient aux Indiens, et l’Almageste aux Grecs; il joua un rôle aussi important dans la formation de l'astronomie islamique que ces deux autres sources, Ce texte, qui présente plus d’un trait particulier — notamment celui de faire commencer le jour à minuit — fut traduit en arabe par Abl-Hasan Et-Tamimi avec un commentaire d’Abû Ma’char — l’Albumasar des Latins - le plus connu des astrologues musulmans. Le Zij-i Châhi fut la base de travail d’astronomes comme Ibn En-Naubakht et Mâché’alläh, illustres à l’époque d'El-Mansür, et qui participèrent aux calculs préliminaires à la fonda- tion de la ville de Bagdad. Les Sassanides transmirent également quelques traités d’astrologie mettant l'accent sur la conjonction Jupiter-Saturne, qu’on retrouvera chez les musulmans.
    C'est avec le premier astronome ofliciel des Abbassides, Mohammed El-Fazâri, mort vers 161 (777, que l'influence ecte de l'Inde l’emporta. Une mission indienne se rendit à Bagdad en 155/771, pour y enseigner les sciences indiennes, et aider à la traduction de textes en arabe. Un an ou deux plus tard parut le 25 d’El-Fazâri, composé à partir du Siddhânta de Brahmagupta. El-Fazâri est aussi l'auteur de poèmes astronomiques, et le premier constructeur musulman d’astrolabe, instrument appelé à jouer un grand rôle dans les pays d’Islam. Son principal ouvrage, connu sous le nom de Grand Siddhänta, fut l’unique fondement de l'astronomie jusqu’à l’époque d’El-Ma’mûn au 30 /9e siècle.
    Un contemporain d'El-Fazäri, Ya’qûb Ibn Târig contribua également à initier l'Islam à l'astronomie; il avait étudié cette science avec un maître indien, et s’y était fait un nom. Ce sont essentiellement ces deux hommes qui ont introduit l'astronomie et les mathématiques de l'Inde dans le courant des études scientifiques en Islam. D’autres textes sanskrits comme le Siddhânta d’Aryabhata, furent également diffusés à cette époque, et constituèrent avec les œuvres persanes que l’on sait, les sources autorisées jusqu’à l'apparition des ouvrages grecs en arabe.

    Pendant le mouvement intensif qui prit place au siècle d'El-Ma’mûn, pour la traduction des œuvres étrangères en arabe, les textes d'astronomie furent en effet l’un des apports majeurs de la science grecque, et ils prirent la place d’une partie des livres persans et indiens jusqu'alors seuls connus. L’Almageste fut traduit plusieurs fois, de même que la Tétra-bible, et les tables astronomiques de Ptolémée, connues sous le titre de Canones prokeyroy.
    Les traductions du syriaque s’ajoutèrent à celles du grec: avec un tel bagage l'essor de l'astronomie en Islam

    Le début du siècle fut dominé par Habach El-Hâsib, qui procéda à la mise au point des < tables d'El-Ma’mûn », El-Khuwârazmi, qui outre son œuvre mathématique laissa d'excellentes tables astronomiques, et Abû Ma’char. Ce dernier est l’astrologue musulman le plus cité en Occident; sa Grande introduction à l'astrologie fut traduite et imprimée plusieurs fois en latin. El-Farghâni — Alfraganus — auteur d’éléments d'astronomie très connus, appartient également à l'époque d'El-Ma’mûn.
    Au cours de la seconde moitié du siècle, l'étude de l'astronomie continua de se répandre. El-Nayrii - Anaritius — commenta l’Almageste et composa le tr le plus complet en arabe sur l’astrolabe sphérique. Thâbit Ibn Qurrah, son contemporain, eut une influence capitale sur l'astronomie, avec la théorie du mouvement oscillatoire des équinoxes. Pour rendre compte de cette « trépidation », il ajouta une neuvième sphère à l'astronomie de Ptolémée, innovation qui fut adoptée par la majorité des savants musulmans.

    Son compatriote El-Battâni — Albategnius — pour- suivit ses travaux dans cette direction, mais sans admettre la théorie de la trépidation. Ses observations sont parmi les plus pertinentes de l’histoire de cette science en Islam; il découvrit l'augmentation de l'apogée du soleil depuis le temps de Ptolémée, ce qui lui permit de saisir la variation des apsides solaires. Il put déterminer la précession à 545” par an et l’inclinaison de l’écliptique à 230 35°. Il mit au point une nouvelle méthode pour déterminer le temps de la nouvelle lune, et observer les éclipses solaires et lunaires; Dunthorn s’en servit au 182 siècle pour déter- miner le changement progressif du mouvement de la lune. Les travaux d'El-Battnf, qui comportent aussi des tables, étaient connus en Occident sous le titre De scientia stella- rum, qui fut l’un des ouvrages de base pour l'astronomie, jusqu'à la Renaissance. Il n’est donc pas surprenant que ces travaux, édités, traduits et commentés par l'érudit italien Nallino, aient fait l’objet à l’époque moderne d’une étude plus approfondie que les ouvrages des autres astronomes musulmans.
    L'observation des astres se poursuivit au 4e /10e siècle, avec des hommes comme Abû Sahl El-Kähi, et Abd er- Rahmân Es-Sûfi, Ce dernier est particulièrement connu par ses Figures des étoiles, que le grand historien des sciences G. Sarton, considère avec les zij d’Ibn Yünus et d'Ulugh Beg, comme les trois chefs-d’œuvre de cette époque. Le livre donne une carte des étoiles fixes, et fut très largement diffusé en Orient et en Occident ; les manuscrits sont parmi les plus beaux des sciences médiévales. Cest à la même époque que se sont distingués Abü Sa”id Es-Sijzi, inventeur d’un astrolabe conçu sur un modèle héliocentrique, et Ab’l-Wafà’ El-Burjäni. Astronome et mathématicien accompli, auteur d’une version simplifiée de l'Almageste, destinée au grand public, celui-ci parle de la seconde partie de l’éveetion de la lune, en des termes qui ont amené, au 192 siècle, le savant français Louis- Armand Sédillot, à engager une longue controverse sur l’éventuelle découverte de la troisième inégalité de la lune par Abü’l-Wafà’ avec les partisans de Tycho-Brahé.

    On ne peut manquer de mentionner ici un contemporain d’Aba’I-Wafà, l’astronome et alchimiste andalou, Abû Qâsim El-Majriti, dont la réputation principale est liée à des travaux d’occultisme hermétique. Mais El-Majriti fut aussi un grand astronome, à qui l’on doit un commentaire des Tables de Mohammed Ibn Mûsà El-Khuwârazmi et du Planisphaerium de Ptolémée, et un traité de l’astrolabe. C'est lui et son élève El-Kirmâni qui firent connaître les Lettres des Frères de la Pureté en Andalou:
    Le 5e/11e siècle marque l'apogée des sciences dans les pays d’Islam. Plusieurs grands astronomes y ont figuré, comme El-Birûni, dont la détermination des longitudes et

    des latitudes, les mesures géodésiques, et plusieurs calculs d'importance majeure, ont fait autorité. Ibn Yânus, astro- nome de la Cour Fatimide du Caire, mit au point en 397 / 1007, des tables remarquables qui sont parmi les plus précises de l'époque musulmane. Les historiens des sciences, comme Sarton, le considèrent comme le premier astronome; également versé dans les mathématiques, il avait résolu les problèmes de la trigonométrie sphérique par les projections orthogonales, et étudié pour la pre- mière fois les oscillations isométriques du pendule — cette étude devait permettre par la suite de construire des horloges mécaniques.
    Au eours de la seconde moitié du siècle, le grand astronome espagnol Ez-Zarqâli invente un nouvel instrument, la sahifah — saphaea Arzachelis — qui fut très répandu; on lui attribue également la preuve explicite du déplace- ment de l'apogée du soleil par rapport aux étoiles fixes. Mais le sommet de son œuvre est l'édition des Ztj de Tolède, composés avec une équipe de savants juifs et musulmans, et largement utilisés par les astronomes des pays latins et islamiques aux siècles suivants.

    Après Ez-Zarqâli, l'astronomie espagnole s’engagea dans une critique de la théorie des es, et s’éloigna de Ptolémée. Au 6e /12e sièele, Jâbir Ibn Aflah, également appelé « Geber » en Occident — et de ce fait souvent confondu avec le célèbre alchimiste — entreprit une eri- tique de l’ensemble du système plan de Ptolémée. Les philosophes Ibn Bâjja et Ibn Tufayl — l'Avempace et l'Abubacher des Latins — firent écho à cette critique. Ibn a, influencé par la cosmologie aristotélicienne qui s'imposait dans l'Andalousie de l'époque, proposa un système fondé seulement sur des cercles excentriques; Ibn Tufayl avança une théorie qui fut développée par son élève El-Bitrûji — Alpetragius — au 7e/13e siècle. Il s'agit d’un système de sphères homocentriques très élaboré, appelé « théorie du mouvement spiral », eu égard au mouvement apparent des planètes. Bien que c4 veau système ne présentât guère d'avantages par rapport à celui de Ptolémée, et qu'il ne fût pas adopté à sa place, la critique d’El-Bitrâji et de ses prédéces par les astronomes de la Renaissance, pour en finir avec cette astronomie d’un autre âge.
    En Orient, l’utilisation du système de Ptolémée engen- dra également une certaine insatisfaction. Au 6e /12e siècle El-Khâzini composa les Ztj Sandjari, auxquels su dèrent au 7e /13e siècle, les Ztj Ilkhanides, fruit des observations de Maragha. Mais l’astronome en chef de Maragha, Nasir ed-Din Et-Tüsi, critiquait déjà sévèrement le système de Ptolémée, dans son Mémorial de l'astronomie. Il proposa un nouveau modèle planétaire qui devait être travaillé et complété par son élève Qutb ed-Din Ech- Chirâzi. Pour être plus fidèle au concept de nature sph rique des cieux, il plaçait la terre au centre géométrique des sphères terrestres et non, comme dans le système ptoléméen, à une certaine distance du dit centre. Ét-Tüsi voulut expliquer le mouvement apparent des planètes par l’idée de deux sphères tournant l’une dans l’autre. Cest pourquoi l'historien américain des mathématiques musulmanes, E.S. Kennedy, qui découvrit ce modèle planétaire, l'appela le Couple de Tüst: il représente en effet la somme de deux vecteurs mobil
    nou-

    Et-Tûst comptait étendre ses calculs à l'ensemble des planètes, mais il ne put achever son modèle. Son élève le plus proche, Qutb ed-Din Ech-Chirâzi, étudia une variante du « couple » pour Mercure, et l’astronome damascène Ibn Ech-Châtir y ajouta le modèle lunaire, qui figure dans son texte de l'Etude finale pour la correction des éléments. Se référant au modèle d'Et-Tûsi, il se dispensa de la théorie ptoléméenne, et introduisit un second épicycle dans les systèmes du soleil et de la lune. La théorie de la lune proposée deux siècles plus tard par Copernic est la même que celle d’Ibn Ech-Châtir, dont il semble qu’il ait eu connaissance, sans doute dans une traduction byzan- tine. Tout ce que les travaux de Copernic ont apporté de neuf en astronomie se trouve intégralement dans les œuvres de l’école de Tüsi.
    La tradition de Maragha fut poursuivie par les élèves de Nasir ed-Din, comme Qutb ed-Din Ech-Chirâzi et Muhyi ed-Din El-Maghribi, et par l'académie rassemblée par Ulugh Beg à Samarcande, où #’illustrèrent Ghiyâth ed-Din El-Kächâni et Qüehtehi. Elle a survécu jusqu'à l'époque moderne, dans différents endroits du monde musulman, comme le Nord de l'Inde, la Perse, et dans une certaine mesure le Maroc. De nombreux commentaires d'œuvres antérieures ont été écrits, comme celui du Traité d'astronomie de Qüchtehi, par "Abd el-Hayy Lârt au 11e/ 17 siècle, très populaire en Perse jusqu’à notre époque.
    L’astronomie islamique continua de réduire les lacunes
    eu connaissance, sans doute dans une traduction byzan- tine. Tout ce que les travaux de Copernic ont apporté de neuf en astronomie se trouve intégralement dans les œuvres de l’école de Tüsi.
    La tradition de Maragha fut poursuivie par les élèves de Nasir ed-Din, comme Qutb ed-Din Ech-Chirâzi et Muhyi ed-Din El-Maghribi, et par l'académie rassemblée par Ulugh Beg à Samarcande, où #’illustrèrent Ghiyâth ed-Din El-Kächâni et Qüehtehi. Elle a survécu jusqu'à l'époque moderne, dans différents endroits du monde musulman, comme le Nord de l'Inde, la Perse, et dans une certaine mesure le Maroc. De nombreux commentaires d'œuvres antérieures ont été écrits, comme celui du Traité d'astronomie de Qüchtehi, par "Abd el-Hayy Lârt au 11e/ 17 e siècle, très populaire en Perse jusqu’à notre époque.

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    Dernière modification par wahrani, 30 juin 2020, 00h01.

  • #2
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    L’astronomie islamique continua de réduire les lacunes mathématiques du modèle ptoléméen, mais sans faire éclater les limites de ce système clos si intimement lié aux conceptions du monde médiéval. Les astronomes tardifs ont critiqué Ptolémée, certains même, comme El-Birûni, concevaient la possibilité du mouvement de la terre autour du soleil, voire — comme celui-ci le suggérait dans des questions à Avicenne — celle d’une révolution elliptique et non circulaire des planètes. Mais aucun ne prit linitia- tive — le pouvaient-ils? — de rompre avec l’ordre du monde médiéval; eela n’eût pas seulement entraîné une révolution dans l'astronomie, mais une convulsion générale des espaces religieux, philosophique et social. Nul ne doit mésestimer l'influence de la révolution astronomique sur les esprits des hommes; tant que la hiérarchie de la connaissance demeura intacte, la scientia fut eultivée au sein de la sapientia, et une certaine « limitation » du domaine physique acceptée pour préserver la liberté d’épanouissement du domaine spirituel. Le « mur » du cosmos fut protégé, pour sauvegarder le message symbo- lique dont la vision cosmique ainsi délimitée était porteuse pour l'humanité, comme si les savants et les érudits anciens pressentaient que la rupture de ce « mur » allait provoquer celle du sens symbolique du cosmos — voire la signification même du mot — pour la grande majorité des hommes, à qui il était très difficile de concevoir le ciel à la fois comme une incandescence tourbillonnant dans l’es- , et comme le Trône de Dieu. Ainsi, malgré la possibilité technique qu’ils en avaient, les musulmans ne voulaient pas abattre l'édifice traditionnel, et ils se contentèrent d'améliorer et de développer le système astronomique hérité des Grecs, des Indiens et des Perses, qu'ils avaient totalement intégré à l'univers mental de Dans En dehors des améliorations du modèle ptoléméen, l'astronomie musulmane apporta plusieurs nouveautés : le catalogue des étoiles d’Ulugh Beg, qui fut le premier du genre après Ptolémée, et le remplacement des tangentes par les sinus en trigonométrie. Deux importantes modifications furent apportées au système alexandrin : l’abolition des huit sphères de l'hypothèse de Ptolémée sur le mouvement diurne des eieux, auxquelles les musulmans substituèrent un seul ciel sans étoile, aux confins de l’univers au-delà du ciel des étoiles fixes, qui entraînait tous les cieux avee lui dans le mouvement diurne. La seconde modification porta sur la nature des cieux; c’est la plus importante pour la philosophie des sciences. Les problèmes d'astronomie qui passionnèrent les musulmans étaient la nature des corps célestes, le mouvement, la distance et la taille des planètes, qu'ils étudièrent de façon mathématique. Ils ont également pratiqué l'astronomie descriptive comme le montrent les nouveaux catalogues d'étoiles, et les observations nouvelles des cieux.

    La nature des sphères célestes
    On sait que dans l’Almageste, Ptolémée avait émis l'hypothèse purement géométrique des sphères célestes, pour « sauver les phénomènes ». Il suivait en cela la tradition des Grecs, moins portés à disserter de la nature dernière des cieux, qu'à traduire leur mouvement en lois mathématiques. Au contraire, les musulmans « solidifièrent » le firmament de Ptolémée avec ce « réalisme » qui leur est propre, et suivant une tendance déjà sensible dans les Hypothèses des planètes, et attribuée à Ptolémée Iui- même. Ils ont toujours assigné à la science de la Nature le rôle de mettre en évidence les aspects du réel représentés par l'existence physique, plutôt que de superposer à la Nature des schémas mentaux indépendants d'aucun de ces aspects. La « solidification » de l’abstraction ptoléméenne représente done une mutation profonde du rapport entre les mathématiques et la Nature, fondamentale pour la philosophie des sciences.

    La tendance à l'interprétation « physique » des cieux était déjà évidente chez le mathématicien-astronome du 3e/9e siècle, Thâbit Ibn Qurrah, notamment dans son traité sur la constitution des cieux. Bien que l'original en soit probablement perdu, des extraits de ce traité cités dans les œuvres de nombreux auteurs postérieurs, dont Maymonide et Albert le Grand, indiquent que Thâbit Ibn Qurrah concevait les cieux comme des sphères séparées par un fluide compressible.
    Cette mutation de la théorie grecque, fut poursuivie par Alhazen, plus connu cependant pour ses travaux d’optique. Dans son Résumé d'astronomie, conservé dans ses versions latine et hébraïque, Alhazen décrit le mouvement des planètes, non seulement en termes d’épicycles et d’excentriques, mais aussi par rapport à un modèle physique, qui eut une grande influence sur le monde chrétien jusqu’à Képler. Il est cependant curieux que les philosophes et les savants musulmans ne semblent pas avoir reconnu les implications de leur théorie. Les Péripatéticiens andalous comme Ibn Tufayl et Averroès, continuèrent d'attaquer l'astronomie ptoléméenne au nom de la physique d’Aristote, sans même tenir compte des travaux d’Alhazen - comme le remarque Duhem, cela eût amoindri leur argumentation. Pourtant Alfonse le Sage fit de la traduction espagnole du livre d’Alhazen l'instrument des partisans latins de Ptolémée, contre les attaques des Péripatéticiens. En retour, Alhazen retrouva la faveur du public musulman; trois siècles plus tard, Nasîr ed-Dîn Et-Tûsi devait composer un traité des cieux fondé sur le Résumé d’Alhazen et fidèle à ses idées.
    Après avoir critiqué les partisans d’une abstraction purement géométrique, Alhazen écrit dans le Résumé d'astronomie :

    Les mouvements circulaires et le point fictif que Ptolémée avait considérés d’une manière entièrement abstraite, nous Les placerons sur des surfaces sphériques ou planes qui seront animées des mêmes mouvements. Cela, en effet, constitue une représentation plus exacte, et en même temps plus claire de l'intelligence. Nos démonstrations seront plus courtes que celles où l'on fait seulement usage de ce point idéal et de ces cercles fictifs.. Nous avons examiné les divers mouvements qui se produisent à l'intérieur des orbes, de telle sorte que nous fassions correspondre à chacun de ces mouvements le mouve- ment simple, continu et éternel d’un corps sphérique; et tous ces corps attribués ainsi à chacun de ces mouvements, il sera possible de les mettre simultanément en action, sans que cette action soit contraire à la position qu’on leur a donnée, sans rien rencontrer qui les heurte, les comprime, ou les brise d'aucune manière; de plus, ces corps, en leurs mouvements, demeureront continus avec la substance interposée
    Décrivant les cieux, Alhazen écrit qu'à l'extrémité de l'univers il y a : le véritable orbe suprême, qui enveloppe toutes choses et qui est immédiatement contigu à la sphère des étoiles fixes ; sur ses pôles particuliers, qui sont les pôles du Monde, il tourne d’un mouvement rapide dirigé d'Orient en Occident ; il entraîne par son mouvement tous les orbes et les divers astres... ; il ne contient aucun astre.
    Quant au ciel des étoiles fixes:

    … L'orbe des étoiles fixes est un globe rond qu’enferment deux surfaces sphériques ayant pour centre le centre de ce globe et du Monde. La surface externe de ce globe est contiguë au plus grand des orbes, à celui qui contient tous les orbes mobiles et les entraîne en son mouvement rapide; la surface interne du même globe touche l'orbe de Saturne. Cet orbe tourne d'Occident en Orient, selon l’ordre des signes, sur deux pôles fixes ; son mouvement est lent, car en chaque intervalle de cent ans, il se meut d’un seul degré alors que le cercle entier est partagé en trois cent soixante de ces degrés ; les pôles de cet orbe sont aussi les pôles de l'orbe des signes, que décrit le soleil; c'est ce qu'a mentionné Ptolémée qui l'avait découvert au moyen des observations des Anciens, et de ses propres observations. Toutes les étoiles fixes sont enchâssées dans cet orbe, et ne quittent jamais la place qu'elles y occupent ; leurs distances mutuelles ne subissent donc aucune variation; elles se transportent toutes ensemble, selon l’ordre des signes, par suite du mouvement lent de leur orbe.
    … Les sphères des 3 planètes supérieures, c'est-à-dire de Saturne, de Jupiter et de Mars, sont absolument semblables entre elles, et par le nombre des orbes qui les composent, et par la nature du mouvement qui les anime... il n’y a donc point, entre elles, grande diversité et, de toutes trois, nous avons composé un discours unique.
    Chacune de ces planètes a sa sphère propre, que déter- minent deux surfaces sphériques, parallèles entre elles, qui ont pour centre commun le centre du Monde. Chacune de ces sphères embrasse immédiatement la sphère suivante. Le premier orbe est celui de Saturne, dont la surface externe confine à la sphère des étoiles fixes, et la surface interne à la sphère de Jupiter. De même, la surface supérieure de la sphère de Jupiter touche l'orbe de Saturne et sa surface inférieure l'orbe de Mars. De même enfin, la surface externe de la sphère de Mars est contiguë à la sphère de Jupiter, et la surface interne touche l'orbe du soleil. Chacun de ces orbes se meut autour de pôles placés sur le même axe que les pôles de l'orbe des signes.

    Entre les deux surfaces parallèles, qui délimitent cet orbe, une sphère est renfermée..; cette sphère prend, pour chaque planète, le nom d’épicyle de cette planète; cette sphère se meut cireulairement autour de son propre centre et de deux pôles particuliers.
    Enfin, la substance de chacune des trois planètes supérieures est enchâssée dans la substance de son épicycle et se meut du mouvement de celui-ci. Lorsque l'orbe déférent se meut de son mouvement propre, la sphère épieycle se meut en même temps, et son centre décrit un cercle fictif qui porte également le nom de déférents.

    Le mouvement planétaire
    Presque tous les astronomes musulmans, et surtout ceux qui pratiquaient une astronomie mathématique, se sont attachés au problème du mouvement planétaire. Très peu cependant ont su faire preuve de la rigueur d’El-Birûni dont nous avons vu ailleurs qu'il était l’un des savants universels de l'époque islamique. En astronomie, comme en physique, il donna quelques œuvres de première importance. Son Canon d'El-Mas’di, est la première encyclopédie astronomique, qui traite de géographie astronomique, de cartographie et de diverses branches des mathématiques, puisant aux sources grecques, indiennes, babyloniennes et persanes, comme dans les auteurs musulmans antérieurs; il comprend aussi ses propres observations. Traduit en latin, ce livre aurait connu la même destinée que le Canon d’Avicenne. Ecrivant à la même époque qu’Alhazen, El-Birûni donne du mouvement planétaire, une description à la manière de Ptolémée, portant le système excentrique et épicyclique à un degré de complexité propre à l'astronomie médiévale. Cette encyclopédie est un bon exemple de la manière des savants musulmans attelés à l'interprétation des mouvements complexes des planètes en termes de cireularité pythagorique — par un double mouvement de l'esprit, l’abstraction grecque des figures géométriques est matérialisée en sphères concrètes, et l'idée de l'harmonie céleste, déjà chère aux gnostiques grecs, préservée. Suivons El-Birüni dans la description du mouvement de Mercure :
    Pour avoir une idée du mouvement de Mercure, plaçons le déférent sur le centre D, donnons-nous le diamètre ADHIJ, et divisons DH par KT en trois parties égales. Traçons un cercle DFT centré en K et de rayon KT, qui soit le déférent du centre du cercle déférent. Nous affirmons que le mouvement de Mercure est semblable à celui de la lune, du fait que le déférent n'a pas de position fixe, mais se déplace de façon discontinue sur la circonférence du cercle DFT, et accomplit ainsi une révolution complète en un an.

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    • #3
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      Supposons que le centre de l'épicycle soit en À, lorsque le centre du déférent est en D. Dans ce cas, si le centre se déplace selon FD, le lieu du déférent se déplace selon MB. Le centre de l'épicycle tourne autour du déférent de façon continue, d’un mouvement égal au sien, de sorte qu'ils accomplissent leur révolution dans la même période de temps, cependant que le centre du déférent ayant parcouru l'are DE, le centre de l'épicyele atteint le point B. IL est clair qu'il atteint l'apogée M quand la ligne KM coïncide avec la ligne KF, ce qui demande une demi-année. Pour atteindre le périgée, la moitié de chaque moitié de AJ et de JA est nécessaire, de sorte que l'épicycle de la lune atteigne l'apogée du déférent dans un rapport double. Toutefois, l'épicycle de Mercure n’est pas au milieu du centre du déférent, mais plutôt au point T situé entre K et H.
      Soit les lignes TBZ, et HBX telles que le point équant soit en Z et le point de vision en X. Pour que les mouvements dont nous venons de parler soient égaux, les angles DKF et ATB doivent être égaux. L’angle AHB constitue la longitude moyenne, et l'angle TBH la longitude égalée, ou plus précisément l'angle partagé. Le point Ÿ, qui marque l'endroit où l'orbite de Mercure est uniforme, est situé entre H, milieu du ciel du Zodiaque (ciel des étoiles fixes), et K, centre d'un cercle qui est lui-même le déférent du centre du cercle déférent, de même que le centre du déférent des quatre planètes, Mars, Jupiter, Saturne et Vénus, est placé entre H le centre du ciel, et le point où l'orbite est uniforme.

      De tout cela il découle pour le mouvement particulier des planètes par rapport à celui du soleil, que le centre de l'épi- cycle de chacune des planètes inférieures accompagne le soleil, dont elles ne peuvent s'éloigner dans aucune direction au- delà du rayon de leur épicycle. Il en découle également que le mouvement de chacune des planètes supérieures sur son épicycle est égal à la somme de deux mouvements — celui de son propre épieycle et celui du soleil — de sorte qu'il implique l’occultation permanente de ces planètes derrière l'apex - (disparition des planètes supérieures du fait de leur proximité du soleil). On peut localiser une planète en tout point d'une sphère donnée relative au soleil. Car le mouvement du centre de l’épicycle est très voisin de celui du soleil, jusqu'au moment où il le rejoint, le dépasse, puis revient vers lui. C'est ce mouvement apparent des planètes dans les cieux qui est cause de l'harmonie du cosmos, sans évidence de sa propre cause.
      L'apparence accidentelle de ce mouvement tient à la perception que nous en avons. C’est pourquoi, s'il devait arriver que le milieu du ciel de l'apogée du soleil Z fât situé sur une ligne passant par H au milieu du ciel du Zodiaque et T, et que le centre de l'épicycle ft en A (l'apogée) ou en J (le périgée), la planète serait occultée par l'apex K en atteignant cite ligne qui marque la position limite du soleil moyen par rapport à elle. De la même manière, pour une planète basse, M serait le point d’occultation, et pour une planète haute, le lieu de l'apparition du Soleil moyen. Mais l'apogée du soleil ne coïncide avec l'apogée d'aucune planète

      La distance et la taille des planètes
      Le calcul des dimensions du cosmos et des planètes a également occupé une position centrale dans l'astronomie musulmane. Nul ne se distingua dans ce domaine autant qu'El-Farghâni, astronome du 3° /10e siècle, originaire de Transoxiane. Ses Eléments d'astronomie furent traduits en latin, et les distances qui y sont indiquées furent universellement admises en Occident jusqu’à Copernic. El Farghâni suivait la théorie selon laquelle il n’y a pas d’« espace perdu » dans l'univers — c'est-à-dire, que l'apogée d’une planète est tangent au périgée de la suivante. Il écrit dans ses Eléments :
      Après avoir énuméré les étoiles selon leurs divers ordres, donnons la mesure de leurs distances à la Terre. Dans son livre, Ptolémée nous a seulement fait connaître la distance du Soleil et de la Lune à la Terre; mais nous n'avons pas trouvé qu'il ait parlé des distances des autres étoiles ; il s’est contenté de dire ce que nous avons rapporté ci-dessus touchant la distance des centres des orbites au centre de la Terre, et la grandeur des orbes de révolution (épicycle). Ayant donc admis que la plus grande distance de la Terre à l'ensemble des deux cercles de la Lune, savoir à l'ensemble de l'orbe excentrique et de l'orbe épicycle, était la moindre distance de Mercure à la Terre, nous avons fait usage du rapport que nous avions déterminé; nous avons ensuite répété la même opération pour Vénus et pour Mercure; nous avons ainsi trouvé que la plus grande distance de la Terre à l'ensemble des deux orbites de Vénus coïncidait avec la plus petite distance du Soleil déterminée par Ptolémée. Nous avons démontré par là qu'il n’y avait point de vide entre les orbes. Nous avons ensuite opéré de même, pour les autres étoiles, jusqu'à ce que nous soyons parvenus à l'orbe des étoiles fixes. qui a pour centre le centre de la Terre.

      Nous donnons ci-après le tableau des distances et des dimensions des planètes d’El-Farghâni, en regard de celui des modernes, pour mettre en relief la finitude du cosmos médiéval par rapport aux conceptions actuelles du système planétaire. Les distances d'El-Farghâni pour les apogée et périgée de chaque planète dans le système épicyclique correspondent à l’excentricité des ellipses en astronomie moderne .

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