Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les sciences du cosmos - La cosmologie et la cosmographie

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les sciences du cosmos - La cosmologie et la cosmographie

    Les sciences du cosmos -
    La cosmologie et la cosmographie

    Seyyed Hossein Nasr


    L'étude du cosmos est un vaste projet auquel concourent de nombreuses disciplines scientifiques. À l’époque classique elle intéressait les naturalistes, les géographes, et les historiens, autant que les théologiens, les philosophes et les gnostiques. Toutes les sciences traitant d’un aspect du cosmos — nous les appelons sciences cosmologiques — entrent dans le moule des doctrines dérivées du Coran. En effet, non seulement la loi de la cité devient celle de la Révélation de l’Islam, mais l’environnement cosmique dans lequel s’épanouit la civilisation musulmane se fait islamique.

    Des cosmologies multiples furent élaborées par les écoles de l'Islam. Un certain nombre de formes et de symboles furent puisés au monde de la Nature pour figurer le cosmos, non pas cependant d’une manière spécifique, mais toujours selon les conceptions propres de l'Islam. La cosmologie traditionnelle, qu’elle fàt ou non musulmane, était semblable à un art sacré qui eût choisi parmi toutes celles possibles, quelques formes pour peindre une icône destinée plus à la contemplation qu’à la méditation.
    Les principes fondamentaux des cosmologies islamiques sont les mêmes, et se retrouvent aussi bien chez les naturalistes et les cosmographes, que chez les philosophes et les soufis qui en ont rendu compte avec la plus grande clarté. Ils ont trait à l'Unité et aux degrés de l’Être. Ils affirment l’unité métaphysique ultime du réel, mais aussi que le monde sensible est l’un des états multiples de l’Être, qui sont pour le soufi autant de « Présences divines ». Selon la terminologie coranique, les musulmans ont coutume de citer cinq Présences : le monde de l’Essence Divine ou Ipséité — hâhût —, le monde des Noms et des Attributs de Dieu, Intellect Universel, ou Être Pur — lâhût —, le monde intelligible, ou monde des substances angéliques — jabarût —, le monde des manifestations psychiques et « subtiles » — malakût —, enfin le domaine terrestre ou physique, placé sous la domination de l’homme — nâsût. Un sixième état y est par- fois ajouté : celui de l'Homme Universel — el-Insân el- Kâmil — qui contient tous les autres.

    Chacun est principe pour celui qui le suit et conformément au Coran, qui affirme de Dieu qu’il est Premier et Dernier, Caché et Manifesté; les états de l’Être ont été conceptualisés de deux manières différentes et complémentaires. Aux deux Attributs, le Premier et le Dernier, correspond la confiance dans l’origine divine du temps du monde. « Dieu est le Premier » implique que le cosmos tire son principe de Lui. « Il est le Dernier » suggère qu’il retournera à Lui.
    Les interprétations suscitées par les Attributs, le Caché et le Manifesté, reposent sur un symbolisme spatial, et renvoient à un espace « sacré », celle des deux premières retrouvait la dimension du temps. Manifesté, Dieu est réalité totalisante; Il environne et contient le cosmos.

    Dans cette perspective la manifestation physique est figurée par l'anneau central d’un système de cinq cercles concentriques; puis, viennent en ordre les autres états de l’Être, le cercle extérieur symbolisant l'Essence Divine. Cette construction rappelle les visions d’Avicenne, de Dante et de ceux pour qui le voyage cosmique de la terre au primum mobile symbolise la réalisation graduelle et progressive des états de l’Être, qui s'achève dans la contemplation du Divin.
    L'idée du Dieu caché inverse l'ordonnance de cette cosmologie concentrique, la manifestation brute devenant périphérique, et l'essence divine centrale. Elle est plus proche du symbolisme du microcosme, car l'aspect physique de l’homme est tangible, et sa nature spirituelle plus intime. Mais l’allégorie évoque aussi la conception macrocosmique pour laquelle le monde physique dans son immensité n’est qu'une parcelle d’un ensemble cosmique qui le contient. Les deux visions se répondent et illustrent le principe d’analogie inverse si précieux pour l'interprétation des symboles.

    Ces principes généraux de cosmologie sont présents à toutes les phases de l'évolution des sciences en Islam, On ne saurait sous-estimer le rôle qu’ils ont joué dans la structuration de l'appareil conceptuel grâce auquel les musulmans ont pu s'attacher au déchiffrement de la Nature. Ils furent aux sciences islamiques, ce que le rationalisme du 17e siècle, consciemment et inconsciemment, fut à la science moderne. Par exemple, la divergence fondamentale entre les naturalistes musulmans et les biologistes modernes dans l'interprétation des formes anciennes de la vie et des fossiles, repose sur l'existence pour les premiers d’un degré supérieur du réel, qui transcende le monde des natures physiques, conception étrangère à la pensée. de: naturalistes du 19 siècle, et de leurs successeurs modernes. Les mêmes données de l'observation ont été placées sous des éclairages différents, et la gradation spatiale et verticale des savants médiévaux, convertie en évolution purement temporelle et horizontale. On en arrive même à prétendre, comme le fait Teilhard de Chardin, que les états de l’Être les plus élevés sont une sorte de sublimation du domaine physique, résultant du processus même de l'évolution horizontale. Cependant, telle qu'on la conçoit habituellement, l’idée d'évolution est inacceptable, métaphysiquement et théologiquement; et Teilhard de Chardin ne fit guère moins que de tenter l'impossible en greffant les enseignements de l’Église sur le concept d'évolution horizontale. L'apparition d’une telle conception, véritable parodie de l’idée médiévale de hiérarchie des états de l’Être, met en évidence la nécessité d’un arrière- plan cosmologique pour l'élaboration des sciences de la Nature, qui ne peuvent tirer d’elles-mêmes une conception globale du monde, La cosmologie musulmane reflète l'esprit et la forme particulière de la révélation islamique, non seulement dans ses principes généraux, mais jusque dans sa formulation et dans sa terminologie. Il y a dans le Coran le germe d’une cosmologie, et d’une cosmographie complètes, que soufis, philosophes et savants élaboreront peu à peu. Le Coran évoque sept cieux et sept terres, le Siège — kursi - et le Trône — ’arch — de Dieu, Qâf la montagne cosmique, et l'arbre des origines. Les versets les plus révélateurs à cet égard, et dont le traditionnel commentaire fait partie intégrante des grands traités du genre, sont ceux du Trône et de la Lumière. Le premier affirme avec majesté que toutes choses dépendent de Dieu, le second propose une chaîne de symboles qui suggèrent également une psychologie spirituelle. Le premier dit :
    Dieu ! Il n’y a de Dieu que Lui : le Vivant,
    Celui qui subsiste par Lui-même
    Ni l’assoupissement, ni le sommeil n'ont de prise sur Lui
    Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre Lui appartient.
    Qui intercédera auprès de Lui, sans Sa permission? Il sait ce qui se trouve devant les hommes et derrière eux, alors que ceux-ci n’embrassent, de Sa Science que ce qu’Il veut.
    Son Trône s'étend sur les cieux et sur la terre leur maintien dans l'existence ne Lui est pas une charge.
    Il est le Très-Haut, l’Inaccessible.

    Quant au verset de la Lumière, tout homme de savoir s’est fait une obligation d’en composer un commentaire. Il en existe des dizaines, par des maîtres aussi illustres
    qu'El-Fârâbi, Avicenne, El-Ghazâli, et Mollà Sadrâ, pui- sant chacun aux divers niveaux d'interprétation, auxquels se prête le texte sacré. Le verset de la Lumière dit :
    Dieu est la lumière des cieux et de la terre! Sa lumière est comparable à une niche
    où se trouve une lampe.
    La lampe est dans un verre,
    Le verre est semblable à une étoile brillante.

    Cette lampe est allumée à un arbre béni : l'olivier, qui ne provient
    ni de l'Orient, ni de l'Occident,
    et dont l'huile est près d'éclairer
    sans que le feu la touche.
    1. Coran, 11-255.

    Lumière sur Lumière Dieu guide, vers Sa lumière, qui Il veut. Dieu propose aux hommes des paraboles. Dieu connaît toute chose.
    Avicenne en donne un commentaire qui rejoint le microscome, au chapitre troisième de son dernier chef- d'œuvre philosophique, le Livre des directives et des remarques :
    Parmi les facultés de l'âme, il y a aussi ce qu’elle possède pour autant qu’elle a besoin de parachever sa substance en la rendant intelligence en acte. La première faculté est une faculté qui la prépare à se tourner vers les intelligibles, ‘certains l'appellent intelligence matérielle, et elle est la niche.
    Celle-ci est suivie par une autre faculté, qui vient à l'âme lors de la mise en acte en elle des premiers intelligibles. Par cette nouvelle faculté, l'âme se dispose à acquérir les seconds, soit par la réflexion, qui est l'olivier, si elle demeure faible, soit par l'intuition intellectuelle, qui est de plus l'huile; si l'intuition est plus forte que la réflexion, elle s'appelle intelligence « habitus », et elle est le verre. Et la faculté noble, mârie, est une faculté sainte, « dont l'huile est presque allumée ».

    Un peu plus tard, lui viennent en acte une faculté et une perfection. La perfection consiste en ce que les intelligibles lui sont donnés en acte, en une intuition qui les représente dans l'esprit, et c’est « lumière sur lumière ». Et la faculté consiste en ceci qu'il lui appartient de réaliser l'intelligible acquis, porté ainsi à son achèvement, comme est l'objet de l'intuition, dès qu’elle le veut, sans avoir besoin de l'acquérir à ce dernier instant, et c’est la lampe. Cette perfection s’ap- pelle intelligence acquise, et cate faculté s'appelle intelli- gence en acte. Ce qui la fait passer de P« habitus » à l'acte parfait, et aussi de l'intelligence matérielle à l'« habitus », c'est l'intellect actif. IL est le feu.
    La cosmologie et la cosmographie reposent sur une angélologie coranique. La description du cosmos ne prend pas uniquement en considération les domaines corporel et terrestre, mais aussi toutes les manifestations formelles, et donc le monde angélique lui-même. Cette angélologie est devenue -chez les auteurs musulmans un système très élaboré, mais certains penseurs comme Suhrawardi se sont également référés au symbolisme de l’angélologie mazdéenne. Les traités populaires de cosmographie consacrés aux espaces célestes, à la géographie et aux sciences naturelles — par exemple Les merveilles de la création d’Abû Yahyà El-Qazwini, le pseudo-Pline des Arabes — sont construits à partir d’une théorie des anges, forces en mouvement qui guident le monde naturel, et aussi modèles proposés à l’émulation des hommes.

    C’est surtout à partir du 6° siècle que se fit jour la vogue de ces grands traités, qui proposent une description de l'univers entier, avec une attention particulière pour l'histoire naturelle, comme déploiement de la sagesse divine dans la création. Au nombre de ces ouvrages, souvent intitulés Les merveilles de la création, il faut mentionner celui de Mohammed Et-Tüsi au 6e /12e siècle, et celui non moins célèbre d'Aba Yahyà El-Qazwini, qui parut un siècle plus tard, et fut également connu sous le titre de Cosmographie. Plusieurs cosmographies célèbres parurent au 8e /14e siècle, telles la Sélection des merveilles des terres et des eaux, de Chams ed-Din Ed-Dimachq, et les Délices du cœur de l'historien et naturaliste persan Hamdalläh El-Mustauft El-Qazwini, qui contient des études détaillées de géographie, de minéralogie, de botanique, de zoologie et d'anthropologie. Ces livres, qui sont en fait des encyclopédies scientifiques, et les histoires universelles comme celles de Tabart et de Mas’âdi, constituent une source remarquable pour la compréhension de la conception musulmane du monde.
Chargement...
X