24 avr 2020
Libé
Entretien de Ghaleb Bencheikh à Libération, le 23 avril 2020. Propos recueillis par Bernadette Sauvaget.
Le président de la Fondation de l’Islam de France, Ghaleb Bencheikh, est convaincu que ramadan et confinement sont très compatibles.
Selon l’islamologue Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France, il n’y a pas incompatibilité entre le confinement et la célébration du mois de ramadan qui débute ce vendredi. Il regrette également le procès d’intention concernant un éventuel non-respect des consignes lors des repas de rupture du jeûne, qui sont *l’occasion, en temps ordinaire, de grandes retrouvailles familiales et amicales.
Pourquoi ce mois de ramadan est-il important en islam ?
Pour la tradition musulmane, c’est pendant ce mois là (le neuvième dans le calendrier lunaire sémitique) que le Coran a été révélé pour la première fois. De ce fait, il jouit d’une prééminence par rapport aux autres. La pratique du jeûne y est associée, comportant trois dimensions. Elle est d’abord personnelle, faite de maîtrise de soi, de patience, d’endurance, une sorte d’école de la vie pour apprendre à se retenir délibérément soi-même. Le jeûne comporte aussi une dimension familiale, collective, d’inscription dans la cité, une partie festive, mais aussi de solidarité à l’égard des plus fragiles. Dans la tradition, on ne peut pas rompre le jeûne en étant seul. Enfin, il y a une dimension spirituelle dans le fait de revenir à soi-même. Le jeûne contribue à s’apaiser intérieurement, à chasser ses mauvais penchants. Dans l’enseignement classique, il est dit qu’on ne peut pas jeûner et en même temps ourdir des complots ou dire du mal de ses voisins.
Qu’est-ce qui va poser problème dans le fait que le ramadan a lieu pendant le confinement ?
Chez les stricts observants, les priants, c’est essentiellement la tenue des prières surérogatoires [supplémentaires par rapport aux cinq prières obligatoires quotidiennes, ndlr] qui ont lieu chaque soir à la mosquée. Pour eux, les choses essentielles se passent à la mosquée contrairement à ceux qui se réunissent chez eux, après la rupture du jeûne, en famille, en se rendant visite, en allant chez les grands-parents.
Y a-t-il une façon d’y remédier ?
En restant chez soi. Le père de famille (hélas le patriarcat perdure !) peut se substituer à l’imam. Et de mon point de vue, ces prières supplémentaires ne sont pas une nécessité absolue. Pour perdurer intelligemment, une tradition religieuse s’adapte aux circonstances exceptionnelles. Cette année, par soucis de responsabilité, par sagesse, on reste chez soi ! Et ceux qui craignent, pour une raison ou pour une autre, d’être infectés par le virus peuvent ne pas jeûner du tout. La tradition permet de le substituer par l’aumône ou par le fait de reporter son jeûne à une autre période de l’année.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le ramadan prend-t-il une tonalité particulière spirituellement ?
Il y a des fous furieux (très minoritaires) qui disent : « C’est un châtiment de Dieu ». Mettons cela de côté ! Cette pandémie est une rude épreuve. Or les croyants savent qu’ils peuvent être éprouvés par la perte d’êtres chers, par la perte de biens et, bien sûr, par la maladie. Pour eux, ce temps d’épreuves n’est pas celui de la résignation ni d’un fatalisme morose. Ils se tournent vers Dieu en lui adressant des prières ferventes pour que l’épidémie cesse. Cela va de pair, j’en suis convaincu, avec l’idée du jeûne, d’éprouver sa patience et son caractère stoïque.
Le ramadan fait aussi l’objet de critiques à cause de son aspect consumériste. Les circonstances particulières actuelles peuvent-elles le ramener à sa dimension spirituelle ?
Je le crois. En temps ordinaire, certains profitent du ramadan pour festoyer et ripailler. Cette année, sa dimension spirituelle s’impose d’elle-même. Le confinement est assurément un temps d’intériorité, de méditation, de réflexions et de prières personnelles dans l’intimité de sa conscience. C’est aussi, si l’on en a les moyens, un temps pour partager sur les réseaux sociaux, une opportunité pour créer des moments de solidarité .
Ramadan et confinement sont donc conciliables ?
Sauf, bien sûr, en cas de maladies chroniques. Sinon, il n’y pas à ma connaissance d’antinomie entre le fait de jeûner et le confinement.
Que répondez-vous aux franges islamophobes affirmant déjà qu’à cause du ramadan, le confinement ne sera pas respecté dans les quartiers populaires ?
Je ne comprends pas pourquoi il y a de telles spéculations ! D’ailleurs, assimiler quartiers populaires et islamité pose aussi question. Toute personne responsable, tout croyant véritable, privilégiera la préservation de la santé de ses semblables, de ses concitoyens. Et la sienne ! La pratique religieuse est seconde par rapport au fait de préserver la vie. Si des jeunes gens passent outre parce que le confinement leur pèse ou pour braver les autorités, ce sera aux imams de les ramener dans le droit chemin et à leurs parents de veiller à ce qu’ils se conforment à l’impératif premier de préservation de la vie.
Source : Libération
Libé
Entretien de Ghaleb Bencheikh à Libération, le 23 avril 2020. Propos recueillis par Bernadette Sauvaget.
Le président de la Fondation de l’Islam de France, Ghaleb Bencheikh, est convaincu que ramadan et confinement sont très compatibles.
Selon l’islamologue Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France, il n’y a pas incompatibilité entre le confinement et la célébration du mois de ramadan qui débute ce vendredi. Il regrette également le procès d’intention concernant un éventuel non-respect des consignes lors des repas de rupture du jeûne, qui sont *l’occasion, en temps ordinaire, de grandes retrouvailles familiales et amicales.
Pourquoi ce mois de ramadan est-il important en islam ?
Pour la tradition musulmane, c’est pendant ce mois là (le neuvième dans le calendrier lunaire sémitique) que le Coran a été révélé pour la première fois. De ce fait, il jouit d’une prééminence par rapport aux autres. La pratique du jeûne y est associée, comportant trois dimensions. Elle est d’abord personnelle, faite de maîtrise de soi, de patience, d’endurance, une sorte d’école de la vie pour apprendre à se retenir délibérément soi-même. Le jeûne comporte aussi une dimension familiale, collective, d’inscription dans la cité, une partie festive, mais aussi de solidarité à l’égard des plus fragiles. Dans la tradition, on ne peut pas rompre le jeûne en étant seul. Enfin, il y a une dimension spirituelle dans le fait de revenir à soi-même. Le jeûne contribue à s’apaiser intérieurement, à chasser ses mauvais penchants. Dans l’enseignement classique, il est dit qu’on ne peut pas jeûner et en même temps ourdir des complots ou dire du mal de ses voisins.
Qu’est-ce qui va poser problème dans le fait que le ramadan a lieu pendant le confinement ?
Chez les stricts observants, les priants, c’est essentiellement la tenue des prières surérogatoires [supplémentaires par rapport aux cinq prières obligatoires quotidiennes, ndlr] qui ont lieu chaque soir à la mosquée. Pour eux, les choses essentielles se passent à la mosquée contrairement à ceux qui se réunissent chez eux, après la rupture du jeûne, en famille, en se rendant visite, en allant chez les grands-parents.
Y a-t-il une façon d’y remédier ?
En restant chez soi. Le père de famille (hélas le patriarcat perdure !) peut se substituer à l’imam. Et de mon point de vue, ces prières supplémentaires ne sont pas une nécessité absolue. Pour perdurer intelligemment, une tradition religieuse s’adapte aux circonstances exceptionnelles. Cette année, par soucis de responsabilité, par sagesse, on reste chez soi ! Et ceux qui craignent, pour une raison ou pour une autre, d’être infectés par le virus peuvent ne pas jeûner du tout. La tradition permet de le substituer par l’aumône ou par le fait de reporter son jeûne à une autre période de l’année.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le ramadan prend-t-il une tonalité particulière spirituellement ?
Il y a des fous furieux (très minoritaires) qui disent : « C’est un châtiment de Dieu ». Mettons cela de côté ! Cette pandémie est une rude épreuve. Or les croyants savent qu’ils peuvent être éprouvés par la perte d’êtres chers, par la perte de biens et, bien sûr, par la maladie. Pour eux, ce temps d’épreuves n’est pas celui de la résignation ni d’un fatalisme morose. Ils se tournent vers Dieu en lui adressant des prières ferventes pour que l’épidémie cesse. Cela va de pair, j’en suis convaincu, avec l’idée du jeûne, d’éprouver sa patience et son caractère stoïque.
Le ramadan fait aussi l’objet de critiques à cause de son aspect consumériste. Les circonstances particulières actuelles peuvent-elles le ramener à sa dimension spirituelle ?
Je le crois. En temps ordinaire, certains profitent du ramadan pour festoyer et ripailler. Cette année, sa dimension spirituelle s’impose d’elle-même. Le confinement est assurément un temps d’intériorité, de méditation, de réflexions et de prières personnelles dans l’intimité de sa conscience. C’est aussi, si l’on en a les moyens, un temps pour partager sur les réseaux sociaux, une opportunité pour créer des moments de solidarité .
Ramadan et confinement sont donc conciliables ?
Sauf, bien sûr, en cas de maladies chroniques. Sinon, il n’y pas à ma connaissance d’antinomie entre le fait de jeûner et le confinement.
Que répondez-vous aux franges islamophobes affirmant déjà qu’à cause du ramadan, le confinement ne sera pas respecté dans les quartiers populaires ?
Je ne comprends pas pourquoi il y a de telles spéculations ! D’ailleurs, assimiler quartiers populaires et islamité pose aussi question. Toute personne responsable, tout croyant véritable, privilégiera la préservation de la santé de ses semblables, de ses concitoyens. Et la sienne ! La pratique religieuse est seconde par rapport au fait de préserver la vie. Si des jeunes gens passent outre parce que le confinement leur pèse ou pour braver les autorités, ce sera aux imams de les ramener dans le droit chemin et à leurs parents de veiller à ce qu’ils se conforment à l’impératif premier de préservation de la vie.
Source : Libération
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