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La vie et l’œuvre du saint-patron d’Alger (1384-1474)

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  • La vie et l’œuvre du saint-patron d’Alger (1384-1474)

    Il est, comme on peut l’imaginer, pour le moins improbable de chercher à restituer en quelques lignes introductives la richesse de la vie et l’étendue de l’œuvre mystique et théologique d’un savant de l’envergure du cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi.

    Il suffit déjà de savoir que l’emprise qu’il eut de son vivant sur ses fidèles qui le vénéraient littéralement était si forte qu’il n’était pas rare qu’il soit volontairement confondu avec un «Roi d’Alger» tant sa prééminence dans l’esprit des populations était grande.

    Aujourd’hui encore, chacun pourra constater que le mausolée qui abrite la dépouille de Sidi Abderrahmane et qui est situé à la basse Casbah d’Alger ne désemplit pas de monde, tandis que les natifs de la capitale se réclament volontiers de la filiation symbolique du saint homme qu’ils considèrent comme leur père spirituel (ouled sidi Abderrahmane).

    Personnage religieux emblématique et doué d’un grand sens de l’entregent, le vénérable homme consacra son existence entière au service des plus démunis, à la méditation soufie et à la rédaction d’une multitude d’ouvrages mystiques et de traités savants.

    Bien que les pages qui suivent aient pour ambition d’offrir au lecteur francophone un éclairage suffisant sur la vie et l’œuvre du cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi, il convient cependant de bien insister sur les limites objectivement imparties à ce modeste effort de présentation et de traduction d’une infime partie de la volumineuse exégèse coranique de l’auteur.

    Autre façon de dire au lecteur qui souhaite en savoir davantage sur le parcours académique et initiatique du saint homme qu’il pourra se référer avec profit aux travaux de recherche déjà accomplis à son sujet par d’éminentes personnalités universitaires algériennes tels que les professeurs Abderrazak Guessoum qui nous fait l’honneur et l’amitié de préfacer cette publication, et les professeurs Ammar Talbi et Mohammed Chérif Gaher.

    En ce qui concerne le choix de l’auteur d’aller vers la traduction d’une seule partie de l’exégèse coranique de At-Thaâlibi, il faut savoir que ce choix obéit à la volonté de restituer l’essentiel de l’œuvre afin de proposer au lecteur un contenu tenant compte d’un souci légitime de praxis religieuse : bien qu’elle soit par ailleurs fortement souhaitée, il faut rappeler que la version originale de l’œuvre étant volumineuse car composée de cinq tomes, sa traduction intégrale aurait nécessité de nombreux moyens et un temps d’exécution dont l’auteur de cette traduction ne dispose pas.

    En revanche, la traduction ici présentée offre l’immense avantage de réaliser une sorte de «raccourci» méthodologique en référant directement à l’interprétation de cheikh At-Thaâlibi concernant un certain nombre de sourates coraniques que le musulman invoque plus régulièrement dans sa pratique religieuse quotidienne. Il s’agit, plus précisément, de sourates composant la dernière partie du saint Coran.

    La vie de At-Thaâlibi

    Originaire de Oued Yasser, une région se situant à soixante dix kilomètres de la ville d’Alger, le Cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi naquit au sein d’une famille très pieuse dont la généalogie remonte à Sidna Jâfâr, le cousin du Prophète que la prière et la paix soient sur lui1.

    Les Thaâliba qui sont les aïeux de Abderrahmane, avaient longtemps gouverné plusieurs régions de l’Algérie dont celle de la Mitidja avant que leur règne ne tombe, en 1378, entre les mains du roi de Tlemcen Abou Hamou qui fut l’un des chefs de la tribu des Abdel Wadi.

    L’âpreté des conditions sociales et économiques dans lesquelles At-Thaâlibi vint au monde ne l’empêcheront pas de s’initier très jeune au Coran, à l’histoire et aux sciences de la religion. A l’âge de quinze ans, il rejoignit avec son père la ville de Bejaia où, peu de temps après, celui-ci décéda. Il y demeura sept ans et eut l’occasion d’y côtoyer les plus grands disciples du célèbre Abderrahmane El-Waghlissi2 tels que Abû El-Huceïn El-Mungalati3.

    Agé à peine de vingt-quatre ans, le jeune Abderrahmane quitta Bejaïa pour Tunis où il vécut huit longues années. Il y fit d’abord la connaissance des cheikhs Mohammed Ibn Khelf El-Ûbay4 et de Abû El-Mehdi El-Ghûbrini5 auprès desquels il s’initia à la mystique et à l’exégèse coranique.

    Il partit ensuite vers l’Egypte où il demeura quelques temps auprès de Walî Eddîn El-‘Iraqî6, avant de regagner la Turquie où sa vaste érudition fit sensation. En signe de respect et de déférence pour le savant qu’il était, les autorités turques édifieront en son honneur une zawia qui porte son nom et dont on dit qu’elle est aujourd’hui encore parfaitement conservée.

    Après ce séjour en Turquie dont At-Thaâlibi devait, à son tour, tirer de nombreux et fructueux enseignements, il retournera de nouveau vers la Tunisie, pays auquel il semble s’être beaucoup attaché en raison, notamment, de la qualité particulièrement chaleureuse de l’accueil dont il y avait bénéficié.

    Voici, par exemple, ce qu’en dit le Cheikh dans l’un de ses écrits : «Je constatai alors qu’en ces temps, il n’y avait en Tunisie, par la grâce de Dieu, personne qui puisse m’être supérieur dans la Science des Traditions (‘ilm el hadith). S’il m’arrivait de parler, tous m’écoutaient avec attention et acceptaient ce que je leur rapportais, par modestie de leur part et parce que c’étaient des gens qui savaient reconnaître la vérité.

    Quelques Maghrébins m’avouèrent un jour : «En vous voyant arriver du pays de l’Orient, par la grâce de Dieu, certains ont vu en vous le Signe de la Tradition (ayat el hadith). Et malgré cela, à chaque fois que j’entendais parler d’une assemblée où les hadiths étaient enseignés, je m’empressais d’y assister. Que Dieu rende cet acte accompli uniquement pour Le satisfaire, et qu’Il nous garde de la vanité et de l’ostentation»7.

    C’est, enfin, à l’âge de 32 ans (soit en 1412) que le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi entreprit de mettre fin à ses pérégrinations initiatiques par un pèlerinage à la Mecque avant de s’en retourner définitivement à Alger, ville qu’il avait quittée vingt ans auparavant.

    On rapporte que pendant qu’il parcourait, un jour, les rues de la vieille Casbah, il entendit un jeune homme réciter un verset coranique : «Mangez des choses que votre Seigneur vous a attribuées et soyez-Lui reconnaissants ! Un bon pays et un Seigneur Indulgent» (Coran, s34 v15). «Voilà un joli présage !» s’écria-t-il ! Aussitôt, il prit la résolution de s’établir définitivement à Alger et d’y passer le restant de ses jours.

    Peu de temps après, il se vit confier par les autorités de l’époque la Magistrature Suprême, mais préféra abandonner tous les honneurs pour se consacrer à l’ascétisme et à l’initiation à la doctrine. Il disait à ce sujet: «Il est des signes qui montrent que si l’amour qu’on prétend avoir pour le Prophète de Dieu est sincère, il faut renoncer aux plaisirs de ce bas monde, choisir la pauvreté et la vivre».

    A ce propos, le Cheikh raconte qu’un soir, il vit en songe le Prophète Mohammed (sur lui le salut) se tenant debout et offrant à manger à des pauvres. Il en donna une part importante au cheikh et lui dit : «Lorsque le Prophète donne de la nourriture à quelqu’un, celui-ci ne doit-il pas aussitôt la vomir ? – «Dois-je donc vomir ?», répondit le Cheikh.

    Le prophète se courba et reprit : «Ce n’est pas ce que je voulais dire !». Après ce songe qui le laissa perplexe, le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi comprit enfin le sens véritable de la vision (ru’ya). Elle lui commandait tout simplement de «se consacrer à l’initiation des gens à la voie de Dieu»8.

    Il convient, avant de terminer cette brève introduction, de rappeler qu’à l’époque du cheikh At-Thaâlibi (1384-1474), le Maghreb était divisé en trois sous-états qui se distinguaient notamment par l’importance de leurs écoles juridiques: Tunis, Tlemcen et Fès.

    En ces temps, la ville d’Alger n’offrait encore aucun espace de rayonnement culturel et religieux. La raison en est, écrit Noureddine Abdelkader (1965), qu’elle «ne comptait que quelques écoles qui enseignaient le Coran, les recueils juridiques et les hadiths. Cette ville était donc très démunie du point de vue culturel. Même au plan économique, elle était loin d’atteindre le niveau des grandes villes»9.

    Il faudra donc patienter le temps que le cheikh y fonde son école Al-Thaâlibiya ainsi que la mosquée qui la jouxte, pour voir y affluer de nombreux étudiants des quatre coins du monde. A partir de là, des familles entières résolurent de s’établir autour de l’école et de sa mosquée lesquelles se transformèrent rapidement en un lieu emblématique d’enseignement et de formation. Dès lors la ville d’Alger, devenue entre-temps capitale du Maghreb, allait être surnommée «La ville de Sidi Abderrahmane».

  • #2
    L’œuvre de At-Thaâlibî

    Elle est, à proprement parler, colossale car elle englobe presque tous les aspects des sciences religieuses.

    Excepté ses ouvrages portant sur «L’exégèse coranique» (et-tafsir), «La vie du Prophète» (la sirâ) et «Les nobles sciences dans la vision des représentations de l’au-delà» et qui ont déjà fait l’objet d’une publication, le reste des traités du cheikh At-Thaâlibi est conservé dans la plupart des bibliothèques nationales du Maghreb sous la forme de simples manuscrits subissant l’usure du temps. On peut, à titre indicatif, en citer quelques uns :

    – En matière d’exégèse coranique (et-tâfsîr) : «Les joyaux éclatants dans l’exégèse du Coran» (el djawahir el hiçan fi tafsîr el qûr’ân)

    – En théologie (el fîqh): Le livre des rites (el djami’ fi ahqâm el ‘ibadat)

    – En matière de traditions (el hadith): Les sources choisies (el mukhta’ mina el djawami’)

    – Le soufisme et l’ésotérisme : «Vérités sur le soufisme» (haqa’iq fi et taçawwûf), «Les lumières éclatantes pour rassembler la Loi et la Vérité» (el anwâr el-mudi’ât fil djam’ baynâ el haqiqâ wa es-shairat), «Les jardins des pieux» (ryyâd es-salihîn), «Les nobles sciences dans la vision des représentations de l’au-delà» (el ‘ulum el fakhirât fi ma’rifat ahwêl el akhirât).

    – L’histoire : «Les lumières dans les signes et les miracles du Prophète» (el anwâr fi aya twa mu’djizat en-nêbi el mukhtâr).

    Ces quelques indications témoignent amplement de la richesse de l’œuvre de Abderrahmane At-Thaâlibi qui devait choisir, parmi les trois formes d’exégèses prévues par le corps doctrinal de l’Islam, la forme la plus appropriée pour la rédaction de ses traités :

    – L’exégèse traditionnelle, et-têfsîr bî el mênqûl, qui consiste à rapporter l’interprétation des versets telle qu’elle fut donnée par le Prophète ou ses compagnons, après lui.

    – L’exégèse allégorique, et-têfsîr bil isharât qui vise à restituer le sens profond du texte sacré, c’est-à-dire le sens symbolique et métaphysique du verset. On dit que seuls les initiés (el-muhaqqaqûn) et les connaissants (el-‘arifûn) sont suffisamment armés pour parvenir à ce niveau d’analyse et de compréhension. Aussi, cette exégèse ne s’appuie pas sur une transmission orale, mais sur le dévoilement ou l’illumination spirituelle (el-kêshf er-rûhî).

    – L’exégèse moderne ou scientifique, et-têfsîr el ‘ilmî, dont la méthodologie consiste à relier le verset aux données de la science moderne aux fins de révéler ce qui s’apparente au «miracle scientifique» du Coran (el-i’djaz el-‘ilmi).

    Il convient donc de noter que l’exégèse de At-Thaâlibî s’inscrit dans la première catégorie et ce, d’autant que son traité constitue, d’une certaine façon, un résumé savant de l’exégèse d’Ibn ‘Atyyat. Toutefois, cette préférence méthodologique ne l’empêchera pas de compléter son travail et de l’enrichir en s’inspirant de nouvelles sources associant livres d’exégèse et ceux se référant aux traditions du Prophète.

    Il faut enfin ajouter que Thaâlibi prit également soin d’insérer dans ses recherches les sentences de nombreux docteurs de la loi musulmane tels que Ibn El-‘Arabi12 ou les sagesses de ses maîtres de la tariqâ Shadhîlyyah13.

    Le décès du Maître

    Le Cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi mourut la nuit du vendredi 15 mars 1474 en plein mois de Ramadhan. Il fut enseveli dans son mausolée au cœur de la ville d’Alger. Etaient présents à ses funérailles de nombreuses personnalités politiques et de grands savants parmi ses anciens élèves tels que Shû’ayb Es-Sunuçi, Abd Allah Ez-Ziwawi et Ahmed Zerrûq.

    Il laissa une descendance nombreuse14 se composant de quatre fils (Mohammed Kebir, Mohammed Seghir, Mohammed Abi Al Salihîne et Yahia) et de quatre filles (Fatima, Rûqyyat, Mahdjouba et Aïcha). Tandis que sa fille Aïcha sera enterrée à ses côtés à Alger, la seconde, Fatima, appelée aussi Zineb, sera ensevelie avec son époux dans le sud algérien. Son mausolée porte le nom de dharih bint sidi Abderrahmane.

    Parmi les hommes de religion provenant de sa lignée, nous pouvons citer Sidi Yekhleftin, le petit-fils de Sidi Abderrahmane auprès duquel s’initia le célèbre historien maghrébin Et-Tenbeqî, mais aussi Abû Mehdi ‘Issa At-Thaâlibî15, le maghrébin Mohammed El-Hedjwinî At-Thaâlibî16, le nationaliste tunisien Abdel Aziz At-Thaâlibi 17 et, enfin, l’imam algérien Mohammed Améziane Toualbi-At-Thaâlibî18 et son frère Mohammed Chérif.

    Quelques témoignages sur le cheikh

    J’éprouve, avant de terminer cette brève bibliographie consacrée au cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi, le besoin irrésistible de citer quelques témoignages de savants musulmans qui l’ont bien connu de son vivant. Ces quelques témoignages indiquent à souhait l’étendue de son savoir autant que l’immense respect dans lequel le tenaient tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher :

    – Témoignage du cheikh Ibn Marzûk : «Sidi le vénérable cheikh, le noble théologien, le respectable associé, le traditionaliste, le juste nomade, le saint-hadj béni et accompli ; Abderrahmane At-Thaâlibi».

    – Témoignage du cheikh Wali Eddîn El-‘Iraqî : «le Saint-cheikh, le noble accompli, le chercheur de vérité et le grand voyageur, Abu Zeyd ben Makhlouf At-Thaâlibi que Dieu en fasse bénéficier les gens !».

    – Témoignage du cheikh Zerrûq : «Notre maître était un saint théologien. Il avait pour habitude de toujours vérifier l’authenticité des informations qu’il rapportait».

    – Témoignage du cheikh Ibn Salam : «Notre maître At-Thaâlibi était un homme bon, un ascète, un savant et un saint. Il est l’auteur d’un énorme ouvrage, «Les joyaux éclatants». Il m’en donna une copie sans me demander la moindre chose en contrepartie ; que Dieu lui donne le Paradis en échange!».

    C’est par l’expression poétique dont il était par ailleurs également féru, que cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi aimait témoigner du contenu de ses méditations secrètes ou des malheurs des populations algériennes à l’égard desquelles il montrait une grande compassion. Voici, par exemple, ce qu’il écrit à propos du temps, de la mort et de l’au-delà :

    Ma jeunesse s’enfuit, la vieillesse vient s’implanter,

    Et combien en moi le souvenir de la mort est médité…

    Mon chemin est long, mes provisions sont limitées,

    Mon fardeau est lourd, comment pourrai-je le supporter?!

    En me rappelant l’immensité de mes impiétés,

    Mon malheur ne fait qu’augmenter…

    Mais la clémence de mon Seigneur demeure illimitée !

    Ô Toi dont les attributs sont Majesté et Beauté !

    Ô Toi le plus Elevé ! Sur Toi Seul je continue à compter.

    Sois comme je T’imagine et ne vas pas me lâcher !

    Ne me fais pas gouter à la honte de par mes péchés !

    Tu es notre Espoir, et nous ne faisons que T’offenser,

    C’est Toi qui donne, réponds à la prière qui T’est adressée !

    Mais par-delà les angoisses existentielles du saint homme, il y avait surtout l’immense attachement que le cheikh At-Thaâlibi témoignait pour son pays, l’Algérie. Car ce pays qui fut constamment au cœur de ses préoccupations et de ses prières connut, en son temps, des vicissitudes nombreuses qui l’auront douloureusement interpellé, mais auxquelles il devait opposer une foi inébranlable. Voici, à ce propos, ce qu’il écrit sur la grande capacité des Algériens à faire face au malheur et à l’adversité :

    Les états de l’Algérie sont très inaccoutumés;

    Pour les gens, jamais le malheur ne peut l’emporter.

    A chaque fois que par un désastre elle se trouve affectée,

    Ou bien qu’y apparaisse quelque adversité,

    Le Miséricordieux la fait suivre par une grande facilité.

    N’est-ce pas là des paroles prémonitoires indiquant aujourd’hui encore et avec le recul des siècles, le courage et l’abnégation du peuple algérien ?

    source : quotidien alwatan de 30 novembre 2018 .

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