Il est, comme on peut l’imaginer, pour le moins improbable de chercher à restituer en quelques lignes introductives la richesse de la vie et l’étendue de l’œuvre mystique et théologique d’un savant de l’envergure du cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi.
Il suffit déjà de savoir que l’emprise qu’il eut de son vivant sur ses fidèles qui le vénéraient littéralement était si forte qu’il n’était pas rare qu’il soit volontairement confondu avec un «Roi d’Alger» tant sa prééminence dans l’esprit des populations était grande.
Aujourd’hui encore, chacun pourra constater que le mausolée qui abrite la dépouille de Sidi Abderrahmane et qui est situé à la basse Casbah d’Alger ne désemplit pas de monde, tandis que les natifs de la capitale se réclament volontiers de la filiation symbolique du saint homme qu’ils considèrent comme leur père spirituel (ouled sidi Abderrahmane).
Personnage religieux emblématique et doué d’un grand sens de l’entregent, le vénérable homme consacra son existence entière au service des plus démunis, à la méditation soufie et à la rédaction d’une multitude d’ouvrages mystiques et de traités savants.
Bien que les pages qui suivent aient pour ambition d’offrir au lecteur francophone un éclairage suffisant sur la vie et l’œuvre du cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi, il convient cependant de bien insister sur les limites objectivement imparties à ce modeste effort de présentation et de traduction d’une infime partie de la volumineuse exégèse coranique de l’auteur.
Autre façon de dire au lecteur qui souhaite en savoir davantage sur le parcours académique et initiatique du saint homme qu’il pourra se référer avec profit aux travaux de recherche déjà accomplis à son sujet par d’éminentes personnalités universitaires algériennes tels que les professeurs Abderrazak Guessoum qui nous fait l’honneur et l’amitié de préfacer cette publication, et les professeurs Ammar Talbi et Mohammed Chérif Gaher.
En ce qui concerne le choix de l’auteur d’aller vers la traduction d’une seule partie de l’exégèse coranique de At-Thaâlibi, il faut savoir que ce choix obéit à la volonté de restituer l’essentiel de l’œuvre afin de proposer au lecteur un contenu tenant compte d’un souci légitime de praxis religieuse : bien qu’elle soit par ailleurs fortement souhaitée, il faut rappeler que la version originale de l’œuvre étant volumineuse car composée de cinq tomes, sa traduction intégrale aurait nécessité de nombreux moyens et un temps d’exécution dont l’auteur de cette traduction ne dispose pas.
En revanche, la traduction ici présentée offre l’immense avantage de réaliser une sorte de «raccourci» méthodologique en référant directement à l’interprétation de cheikh At-Thaâlibi concernant un certain nombre de sourates coraniques que le musulman invoque plus régulièrement dans sa pratique religieuse quotidienne. Il s’agit, plus précisément, de sourates composant la dernière partie du saint Coran.
La vie de At-Thaâlibi
Originaire de Oued Yasser, une région se situant à soixante dix kilomètres de la ville d’Alger, le Cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi naquit au sein d’une famille très pieuse dont la généalogie remonte à Sidna Jâfâr, le cousin du Prophète que la prière et la paix soient sur lui1.
Les Thaâliba qui sont les aïeux de Abderrahmane, avaient longtemps gouverné plusieurs régions de l’Algérie dont celle de la Mitidja avant que leur règne ne tombe, en 1378, entre les mains du roi de Tlemcen Abou Hamou qui fut l’un des chefs de la tribu des Abdel Wadi.
L’âpreté des conditions sociales et économiques dans lesquelles At-Thaâlibi vint au monde ne l’empêcheront pas de s’initier très jeune au Coran, à l’histoire et aux sciences de la religion. A l’âge de quinze ans, il rejoignit avec son père la ville de Bejaia où, peu de temps après, celui-ci décéda. Il y demeura sept ans et eut l’occasion d’y côtoyer les plus grands disciples du célèbre Abderrahmane El-Waghlissi2 tels que Abû El-Huceïn El-Mungalati3.
Agé à peine de vingt-quatre ans, le jeune Abderrahmane quitta Bejaïa pour Tunis où il vécut huit longues années. Il y fit d’abord la connaissance des cheikhs Mohammed Ibn Khelf El-Ûbay4 et de Abû El-Mehdi El-Ghûbrini5 auprès desquels il s’initia à la mystique et à l’exégèse coranique.
Il partit ensuite vers l’Egypte où il demeura quelques temps auprès de Walî Eddîn El-‘Iraqî6, avant de regagner la Turquie où sa vaste érudition fit sensation. En signe de respect et de déférence pour le savant qu’il était, les autorités turques édifieront en son honneur une zawia qui porte son nom et dont on dit qu’elle est aujourd’hui encore parfaitement conservée.
Après ce séjour en Turquie dont At-Thaâlibi devait, à son tour, tirer de nombreux et fructueux enseignements, il retournera de nouveau vers la Tunisie, pays auquel il semble s’être beaucoup attaché en raison, notamment, de la qualité particulièrement chaleureuse de l’accueil dont il y avait bénéficié.
Voici, par exemple, ce qu’en dit le Cheikh dans l’un de ses écrits : «Je constatai alors qu’en ces temps, il n’y avait en Tunisie, par la grâce de Dieu, personne qui puisse m’être supérieur dans la Science des Traditions (‘ilm el hadith). S’il m’arrivait de parler, tous m’écoutaient avec attention et acceptaient ce que je leur rapportais, par modestie de leur part et parce que c’étaient des gens qui savaient reconnaître la vérité.
Quelques Maghrébins m’avouèrent un jour : «En vous voyant arriver du pays de l’Orient, par la grâce de Dieu, certains ont vu en vous le Signe de la Tradition (ayat el hadith). Et malgré cela, à chaque fois que j’entendais parler d’une assemblée où les hadiths étaient enseignés, je m’empressais d’y assister. Que Dieu rende cet acte accompli uniquement pour Le satisfaire, et qu’Il nous garde de la vanité et de l’ostentation»7.
C’est, enfin, à l’âge de 32 ans (soit en 1412) que le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi entreprit de mettre fin à ses pérégrinations initiatiques par un pèlerinage à la Mecque avant de s’en retourner définitivement à Alger, ville qu’il avait quittée vingt ans auparavant.
On rapporte que pendant qu’il parcourait, un jour, les rues de la vieille Casbah, il entendit un jeune homme réciter un verset coranique : «Mangez des choses que votre Seigneur vous a attribuées et soyez-Lui reconnaissants ! Un bon pays et un Seigneur Indulgent» (Coran, s34 v15). «Voilà un joli présage !» s’écria-t-il ! Aussitôt, il prit la résolution de s’établir définitivement à Alger et d’y passer le restant de ses jours.
Peu de temps après, il se vit confier par les autorités de l’époque la Magistrature Suprême, mais préféra abandonner tous les honneurs pour se consacrer à l’ascétisme et à l’initiation à la doctrine. Il disait à ce sujet: «Il est des signes qui montrent que si l’amour qu’on prétend avoir pour le Prophète de Dieu est sincère, il faut renoncer aux plaisirs de ce bas monde, choisir la pauvreté et la vivre».
A ce propos, le Cheikh raconte qu’un soir, il vit en songe le Prophète Mohammed (sur lui le salut) se tenant debout et offrant à manger à des pauvres. Il en donna une part importante au cheikh et lui dit : «Lorsque le Prophète donne de la nourriture à quelqu’un, celui-ci ne doit-il pas aussitôt la vomir ? – «Dois-je donc vomir ?», répondit le Cheikh.
Le prophète se courba et reprit : «Ce n’est pas ce que je voulais dire !». Après ce songe qui le laissa perplexe, le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi comprit enfin le sens véritable de la vision (ru’ya). Elle lui commandait tout simplement de «se consacrer à l’initiation des gens à la voie de Dieu»8.
Il convient, avant de terminer cette brève introduction, de rappeler qu’à l’époque du cheikh At-Thaâlibi (1384-1474), le Maghreb était divisé en trois sous-états qui se distinguaient notamment par l’importance de leurs écoles juridiques: Tunis, Tlemcen et Fès.
En ces temps, la ville d’Alger n’offrait encore aucun espace de rayonnement culturel et religieux. La raison en est, écrit Noureddine Abdelkader (1965), qu’elle «ne comptait que quelques écoles qui enseignaient le Coran, les recueils juridiques et les hadiths. Cette ville était donc très démunie du point de vue culturel. Même au plan économique, elle était loin d’atteindre le niveau des grandes villes»9.
Il faudra donc patienter le temps que le cheikh y fonde son école Al-Thaâlibiya ainsi que la mosquée qui la jouxte, pour voir y affluer de nombreux étudiants des quatre coins du monde. A partir de là, des familles entières résolurent de s’établir autour de l’école et de sa mosquée lesquelles se transformèrent rapidement en un lieu emblématique d’enseignement et de formation. Dès lors la ville d’Alger, devenue entre-temps capitale du Maghreb, allait être surnommée «La ville de Sidi Abderrahmane».
Il suffit déjà de savoir que l’emprise qu’il eut de son vivant sur ses fidèles qui le vénéraient littéralement était si forte qu’il n’était pas rare qu’il soit volontairement confondu avec un «Roi d’Alger» tant sa prééminence dans l’esprit des populations était grande.
Aujourd’hui encore, chacun pourra constater que le mausolée qui abrite la dépouille de Sidi Abderrahmane et qui est situé à la basse Casbah d’Alger ne désemplit pas de monde, tandis que les natifs de la capitale se réclament volontiers de la filiation symbolique du saint homme qu’ils considèrent comme leur père spirituel (ouled sidi Abderrahmane).
Personnage religieux emblématique et doué d’un grand sens de l’entregent, le vénérable homme consacra son existence entière au service des plus démunis, à la méditation soufie et à la rédaction d’une multitude d’ouvrages mystiques et de traités savants.
Bien que les pages qui suivent aient pour ambition d’offrir au lecteur francophone un éclairage suffisant sur la vie et l’œuvre du cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi, il convient cependant de bien insister sur les limites objectivement imparties à ce modeste effort de présentation et de traduction d’une infime partie de la volumineuse exégèse coranique de l’auteur.
Autre façon de dire au lecteur qui souhaite en savoir davantage sur le parcours académique et initiatique du saint homme qu’il pourra se référer avec profit aux travaux de recherche déjà accomplis à son sujet par d’éminentes personnalités universitaires algériennes tels que les professeurs Abderrazak Guessoum qui nous fait l’honneur et l’amitié de préfacer cette publication, et les professeurs Ammar Talbi et Mohammed Chérif Gaher.
En ce qui concerne le choix de l’auteur d’aller vers la traduction d’une seule partie de l’exégèse coranique de At-Thaâlibi, il faut savoir que ce choix obéit à la volonté de restituer l’essentiel de l’œuvre afin de proposer au lecteur un contenu tenant compte d’un souci légitime de praxis religieuse : bien qu’elle soit par ailleurs fortement souhaitée, il faut rappeler que la version originale de l’œuvre étant volumineuse car composée de cinq tomes, sa traduction intégrale aurait nécessité de nombreux moyens et un temps d’exécution dont l’auteur de cette traduction ne dispose pas.
En revanche, la traduction ici présentée offre l’immense avantage de réaliser une sorte de «raccourci» méthodologique en référant directement à l’interprétation de cheikh At-Thaâlibi concernant un certain nombre de sourates coraniques que le musulman invoque plus régulièrement dans sa pratique religieuse quotidienne. Il s’agit, plus précisément, de sourates composant la dernière partie du saint Coran.
La vie de At-Thaâlibi
Originaire de Oued Yasser, une région se situant à soixante dix kilomètres de la ville d’Alger, le Cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi naquit au sein d’une famille très pieuse dont la généalogie remonte à Sidna Jâfâr, le cousin du Prophète que la prière et la paix soient sur lui1.
Les Thaâliba qui sont les aïeux de Abderrahmane, avaient longtemps gouverné plusieurs régions de l’Algérie dont celle de la Mitidja avant que leur règne ne tombe, en 1378, entre les mains du roi de Tlemcen Abou Hamou qui fut l’un des chefs de la tribu des Abdel Wadi.
L’âpreté des conditions sociales et économiques dans lesquelles At-Thaâlibi vint au monde ne l’empêcheront pas de s’initier très jeune au Coran, à l’histoire et aux sciences de la religion. A l’âge de quinze ans, il rejoignit avec son père la ville de Bejaia où, peu de temps après, celui-ci décéda. Il y demeura sept ans et eut l’occasion d’y côtoyer les plus grands disciples du célèbre Abderrahmane El-Waghlissi2 tels que Abû El-Huceïn El-Mungalati3.
Agé à peine de vingt-quatre ans, le jeune Abderrahmane quitta Bejaïa pour Tunis où il vécut huit longues années. Il y fit d’abord la connaissance des cheikhs Mohammed Ibn Khelf El-Ûbay4 et de Abû El-Mehdi El-Ghûbrini5 auprès desquels il s’initia à la mystique et à l’exégèse coranique.
Il partit ensuite vers l’Egypte où il demeura quelques temps auprès de Walî Eddîn El-‘Iraqî6, avant de regagner la Turquie où sa vaste érudition fit sensation. En signe de respect et de déférence pour le savant qu’il était, les autorités turques édifieront en son honneur une zawia qui porte son nom et dont on dit qu’elle est aujourd’hui encore parfaitement conservée.
Après ce séjour en Turquie dont At-Thaâlibi devait, à son tour, tirer de nombreux et fructueux enseignements, il retournera de nouveau vers la Tunisie, pays auquel il semble s’être beaucoup attaché en raison, notamment, de la qualité particulièrement chaleureuse de l’accueil dont il y avait bénéficié.
Voici, par exemple, ce qu’en dit le Cheikh dans l’un de ses écrits : «Je constatai alors qu’en ces temps, il n’y avait en Tunisie, par la grâce de Dieu, personne qui puisse m’être supérieur dans la Science des Traditions (‘ilm el hadith). S’il m’arrivait de parler, tous m’écoutaient avec attention et acceptaient ce que je leur rapportais, par modestie de leur part et parce que c’étaient des gens qui savaient reconnaître la vérité.
Quelques Maghrébins m’avouèrent un jour : «En vous voyant arriver du pays de l’Orient, par la grâce de Dieu, certains ont vu en vous le Signe de la Tradition (ayat el hadith). Et malgré cela, à chaque fois que j’entendais parler d’une assemblée où les hadiths étaient enseignés, je m’empressais d’y assister. Que Dieu rende cet acte accompli uniquement pour Le satisfaire, et qu’Il nous garde de la vanité et de l’ostentation»7.
C’est, enfin, à l’âge de 32 ans (soit en 1412) que le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi entreprit de mettre fin à ses pérégrinations initiatiques par un pèlerinage à la Mecque avant de s’en retourner définitivement à Alger, ville qu’il avait quittée vingt ans auparavant.
On rapporte que pendant qu’il parcourait, un jour, les rues de la vieille Casbah, il entendit un jeune homme réciter un verset coranique : «Mangez des choses que votre Seigneur vous a attribuées et soyez-Lui reconnaissants ! Un bon pays et un Seigneur Indulgent» (Coran, s34 v15). «Voilà un joli présage !» s’écria-t-il ! Aussitôt, il prit la résolution de s’établir définitivement à Alger et d’y passer le restant de ses jours.
Peu de temps après, il se vit confier par les autorités de l’époque la Magistrature Suprême, mais préféra abandonner tous les honneurs pour se consacrer à l’ascétisme et à l’initiation à la doctrine. Il disait à ce sujet: «Il est des signes qui montrent que si l’amour qu’on prétend avoir pour le Prophète de Dieu est sincère, il faut renoncer aux plaisirs de ce bas monde, choisir la pauvreté et la vivre».
A ce propos, le Cheikh raconte qu’un soir, il vit en songe le Prophète Mohammed (sur lui le salut) se tenant debout et offrant à manger à des pauvres. Il en donna une part importante au cheikh et lui dit : «Lorsque le Prophète donne de la nourriture à quelqu’un, celui-ci ne doit-il pas aussitôt la vomir ? – «Dois-je donc vomir ?», répondit le Cheikh.
Le prophète se courba et reprit : «Ce n’est pas ce que je voulais dire !». Après ce songe qui le laissa perplexe, le cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi comprit enfin le sens véritable de la vision (ru’ya). Elle lui commandait tout simplement de «se consacrer à l’initiation des gens à la voie de Dieu»8.
Il convient, avant de terminer cette brève introduction, de rappeler qu’à l’époque du cheikh At-Thaâlibi (1384-1474), le Maghreb était divisé en trois sous-états qui se distinguaient notamment par l’importance de leurs écoles juridiques: Tunis, Tlemcen et Fès.
En ces temps, la ville d’Alger n’offrait encore aucun espace de rayonnement culturel et religieux. La raison en est, écrit Noureddine Abdelkader (1965), qu’elle «ne comptait que quelques écoles qui enseignaient le Coran, les recueils juridiques et les hadiths. Cette ville était donc très démunie du point de vue culturel. Même au plan économique, elle était loin d’atteindre le niveau des grandes villes»9.
Il faudra donc patienter le temps que le cheikh y fonde son école Al-Thaâlibiya ainsi que la mosquée qui la jouxte, pour voir y affluer de nombreux étudiants des quatre coins du monde. A partir de là, des familles entières résolurent de s’établir autour de l’école et de sa mosquée lesquelles se transformèrent rapidement en un lieu emblématique d’enseignement et de formation. Dès lors la ville d’Alger, devenue entre-temps capitale du Maghreb, allait être surnommée «La ville de Sidi Abderrahmane».
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