Que dit vraiment le Coran
Penser et vivre son islamité à la lumière du Coran
Frapper les femmes selon le Coran et en Islam
Les violences faites aux femmes sont le sombre témoin de nos archaïsmes et il
est triste que nous ayons encore à en débattre. Cette misère n’est pas isolée, peu
s’en faut, elle n’est qu’un aspect de la violence qui parasite les relations entre les
êtres humains, perversion quasi universelle. En ce sens, les musulmans ne
peuvent pas se cacher derrière la poutre en l’œil de leurs voisins, car si les
violences envers les femmes existent effectivement en tout point du monde, le
musulman aurait comme spéci cité, voire pour certains le privilège, de pouvoir
battre sa femme au nom du Coran, au nom de Dieu donc. Or, que la sacralisation
de la violence soit opérée par les religions ou les dogmatismes, cette violence
sacrée, pour fort peu d’encre, fait couler d’immenses ots de souffrance et de
sang, plaie toujours ouverte.
Pour autant, l’on attend à priori d’un texte sacré qu’il concoure à l’émergence de la
conscience et à l’élévation de l’esprit et non à ce qu’il participe à l’altération du
jugement et à la libération des instincts. Aussi, comment justi er qu’un verset du
Coran, quand bien même s’agirait-il d’un seul, autoriserait, voire conseillerait, au
mari de frapper sa femme, fût-ce en certaines circonstances et conditions ! Qu’en
est-il réellement ? Par ailleurs, comment admettre que le Coran sur ce point se
contredirait puisque nous avons montré qu’il prônait l’égalité homme femme et
que sa dé nition du couple n’admet que « doux amour et bienveillance » tant pour
la femme que pour l’homme, sur ce point, voir : Le Couple et le mariage selon le
Coran et en Islam.
Que dit l’Islam
– L’unique verset référent auquel nous venons de faire allusion est bien connu et
son interprétation par l’Islam demeure un parfait exemple d’exégèse patriarcale et
misogyne. Le Texte est ici pleinement mis au service d’une conception des
relations hommes femmes issue d’une culture donnée, conception à laquelle le
caractère absolu de l’Exégèse islamique conférerait conséquemment une
dimension intemporelle et universelle ; en voici la traduction standard : « Les
hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à
ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les
femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être
protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à
celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles
dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus
de voie contre elles, car Allah et certes, Haut et Grand ! », S4.V34.
– En un seul verset, est donc exprimée par cette interprétation-traduction la
suprématie du pater familias, la toute-puissance de l’homme sur sa femme : « les
hommes ont autorité sur les femmes ». Cette autorité familiale est justi ée « en
raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci », autrement dit la
supériorité de l’homme sur la femme est ontologique et voulue par Dieu. De plus,
cette autorité des maris est légitimée par les « dépenses qu’ils font de leurs
biens » pour entretenir le foyer conjugal.[1] Ainsi, en cette économie du couple,
« les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris) » et cantonnées au
foyer « pendant l’absence de leurs époux » avec comme devoir de maintenir par
leur silence l’exercice de la domination de l’homme : elles « protègent ce qui doit
être protégé ». Les épouses sont donc telles des mineures placées sous l’entière
dépendance de leurs époux et, s’il advenait à l’une d’elle quelques velléités de
« désobéissance », alors son mari serait en droit de la corriger physiquement : « et
frappez-les ».
– À vrai dire, la violence sourde qu’une telle interprétation distille a été modérée et
nombreuses sont les discussions casuistiques, non pas sur le fait qu’il serait
interdit de frapper son épouse et donc les femmes, mais sur la manière de
procéder. Pour les uns, frapper sa femme n’est possible qu’avec un mouchoir ou
un siwâk, ancêtre de la brosse à dents, pour d’autres il ne faut pas frapper au
visage ou porter des coups qui pourraient laisser des traces et, en n, les moins
libéraux ont jugé qu’il ne fallait pas aller jusqu’à leur briser les os. Cette
“touchante bienveillance” n’a jamais pour autant dénié le principe général : « les
hommes ont autorité sur les femmes », bien au contraire, ni le concept de
supériorité intrinsèque de l’homme vis-à-vis de la femme justi ant en quelque
sorte son autorité naturelle « en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur
celles-ci ». Même cause, même effet, cette liberté accordée aux hommes au
détriment des femmes, même légèrement contingentée, demeure malgré tout une
permission de frapper...
– Pour autant, il semble bien qu’il ait existé un courant exégétique qui se refusa à
admettre ce droit et qui donc produisit quelques hadîths selon lesquels le
Prophète n’aurait jamais frappé ses épouses ou, plus, qu’il aurait interdit qu’on les
frappât.[2] En contrepoids, il fut imaginé une circonstance de révélation [3] nous
expliquant que ce verset aurait été révélé du fait que le Prophète aurait donné le
droit à une femme battue par son mari de lui appliquer le talion. Que ces textes
soient authentiques ou non n’est pas ici la question, car soit le Prophète en
interdisant de battre les femmes n’aurait pas respecté la recommandation
coranique, soit il nous faudrait admettre que le Hadîth puisse abroger le Coran,
concept tout aussi inacceptable.[4] De plus, l’on notera que le cas présent la
circonstance de révélation invoquée soutient que c’est l’avis du Prophète qui a été
abrogé par le Coran. Cette suite d’incohérence résulte en réalité de prises de
position divergentes ayant été mises en texte par leurs auteurs.
– Il se dégagea donc un compromis postulant qu’il y avait en ce verset une
progression à respecter : « [premièrement] exhortez-les [puis si cela ne su t pas]
éloignez-vous d’elles dans leurs lits et [si cela n’a pas été e cace] frappez-les ».
En quelque sorte une pédagogie divine destinée à ce que l’homme puisse
assurément mater la « désobéissance » de sa femme. Comme nous le verrons
plus avant et comme l’illustre notre mise entre crochets, sémantiquement le texte
de ce segment ne comporte aucun marqueur de cette supposée progression
dans la mise en marche de ces moyens de redressement.
– Au nal, nous aurons constaté que malgré les nombreux moyens de régulation
et d’adoucissement mis en jeu, l’Exégèse a tout de même maintenu de facto le
droit patriarcal pour l’homme de battre son épouse. Cependant, cette position qui
se veut conciliante ne fait pas sens, car si frapper son épouse est ici considéré
comme l’ultime recours, alors la frapper doucettement avec un siwâk ou autres
babioles n’est sûrement pas à même de régler ce que l’exhortation et l’abandon
du lit conjugal n’auraient pas réussi à résoudre. En réalité, la seule logique serait
en l’occurrence de frapper su samment violemment pour que la force impose ce
que la douce persuasion n’a pu obtenir. De plus, dans le cas contraire, pourtant
préconisé, n’administrer qu’une simple chiquenaude ridiculiserait plus l’homme
vis-à-vis de sa femme que cela n’affirmerait son autorité familiale !
Nous présenterons dans un premier temps notre traduction littérale du verset-clef
que nous justi erons ensuite point par point. Notons que ce verset est toujours
cité isolément alors que sa compréhension dépend pour partie du v35, nous les
aborderons donc conjointement :
« Les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes en fonction de ce que Dieu
favorise certains d’entre eux par rapport à d’autres/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin et par
ce qu’ils dépensent de leurs biens. Les vertueuses sont pieuses et gardiennes en
l’intime/al–ghayb de ce que Dieu veut que l’on préserve. Quant à celles dont vous
craignez l’impiété manifeste/nushûz, exhortez-les, et délaissez-les en leurs lits,
et éloignez-vous d’elles/wa–ḍribû-hunna ! Si elles sont en de bonnes dispositions
envers vous, ne cherchez pas de voies contre elles ; certes, Dieu est Élevé, Grand.
[34] Et si vous avez peur que les deux se séparent, missionnez un arbitre de sa
famille à lui et un arbitre de sa famille à elle, s’ils souhaitent un arrangement, Dieu
les réconciliera tous deux ; certes, Dieu est parfaitement savant et informé. [35]
»[5]
-1 : « les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes ». Ce
premier segment fait l’objet d’une spéculation interprétative dirigée par la pensée
patriarcale propre aux exégètes et juristes de l’Islam. Ceci explique que la
traduction standard en sa
délité à l’Exégèse classique l’ait rendu par « les
hommes ont autorité sur les femmes ». Or, l’analyse lexicale constate sans peine
que le pluriel qawwâmûn provient de la racine verbale qâma signi ant se
lever, être droit, se dresser, surgir, s’immobiliser, occuper une place, se charger
d’une affaire, devoir faire, s’occuper de, savoir faire, soutenir. De fait, le
pluriel qawwâmûn est une forme intensive du participe actif qâ’im ayant pour
sens connu : qui est debout, qui s’occupe de quelque chose, qui assume, qui est
constant et responsable. Étymologiquement, rien, si ce n’est une volonté
exégétique orientée, ne permet donc de traduire ce pluriel par « ils ont autorité » et
l’homogénéité du champ lexical du terme qawwâmûn implique qu’il n’y ait aucune
di culté à le comprendre ici par « ceux qui ont des responsabilités », d’où notre
« les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes ». Il ne
s’agissait donc pas d’emblée pour le Coran d’a rmer que « les hommes » –
collectif pris ici pour époux, mais qui littéralement concerne plus largement les
relations de couple[6] – aient dans l’ordre des choses autorité sur les femmes.
Nous allons constater ce que le Coran entend par « responsabilités ».
-2 : « en fonction de ce que Dieu favorise certains d’entre eux par rapport à
d’autres/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin et par ce qu’ils dépensent de leurs biens ». Selon la
logique propre à l’interprétation initiale produite par l’Exégèse, ce segment se
comprend par « en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-
ci/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin » comme clairement formulé par la traduction standard.
Ceci signi erait que Dieu a électivement favorisé les hommes par rapport aux
emmes. Cette supériorité ontologique n’est pas sans rappeler l’idée que juifs et
chrétiens se faisaient en ces temps-là de la femme, mais elle est contradiction
avec le principe d’égalité hommes femmes selon le Coran. Quoi qu’il en soit, nous
avons montré que le masculin pluriel qawwâmûn ne pouvait pas signi er que « les
hommes ont autorité sur les femmes » au nom d’une volonté de Dieu, mais qu’ils
avaient « des responsabilités quant aux femmes ». Aussi, la justi cation de
l’autorité naturelle des hommes sur les femmes imaginée par l’Exégèse lui
permettant d’interpréter notre segment par « en raison des faveurs qu’Allah
accorde à ceux-là sur celles-ci » ne fait-elle pas sens. Par contre, l’analyse
sémantique observe qu’en la locution ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin, si il est certain que
pour le complexe ba‘ḍa-hum le pronom masculin pluriel « hum/eux » représente «
les hommes », pour son complément : ‘alâ ba‘ḍin, indéterminé du point de vue
pronominal, rien n’indique que le sujet représenté serait les femmes. Nous ne
pouvons donc retenir que le complexe ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin ait pour sens « à
ceux-là sur celles-ci » comme le soutient l’Exégèse. Aussi, l’indétermination
pronominale en ‘alâ ba‘ḍin impose-t-elle de comprendre que « Dieu favorise
certains d’entre eux/ba‘ḍa-hum [c.-à-d. certains hommes] par rapport/‘alâ à
d’autres/ba‘ḍin [hommes] ». Autrement dit, les « hommes/ar–rijâl » n’ont pas tous
les mêmes moyens, car « Dieu favorise certains » plus que « d’autres », mais tous
se doivent d’assumer leurs « responsabilités quant aux femmes » en « fonction »
de leurs moyens, c’est-à-dire : « par ce qu’ils dépensent de leurs biens ». Pour
autant, ce n’est point là un ordre divin qui imposerait aux hommes la charge
nancière du foyer jusqu’à la n des temps puisqu’il n’est pas dit « aux hommes
d’assumer les femmes » et que la formulation exacte « les hommes ont des
responsabilités » dresse seulement un constat au moment d’énonciation,
autrement dit : la situation usuelle en l’Arabie du VIIe siècle.
Penser et vivre son islamité à la lumière du Coran
Frapper les femmes selon le Coran et en Islam
Les violences faites aux femmes sont le sombre témoin de nos archaïsmes et il
est triste que nous ayons encore à en débattre. Cette misère n’est pas isolée, peu
s’en faut, elle n’est qu’un aspect de la violence qui parasite les relations entre les
êtres humains, perversion quasi universelle. En ce sens, les musulmans ne
peuvent pas se cacher derrière la poutre en l’œil de leurs voisins, car si les
violences envers les femmes existent effectivement en tout point du monde, le
musulman aurait comme spéci cité, voire pour certains le privilège, de pouvoir
battre sa femme au nom du Coran, au nom de Dieu donc. Or, que la sacralisation
de la violence soit opérée par les religions ou les dogmatismes, cette violence
sacrée, pour fort peu d’encre, fait couler d’immenses ots de souffrance et de
sang, plaie toujours ouverte.
Pour autant, l’on attend à priori d’un texte sacré qu’il concoure à l’émergence de la
conscience et à l’élévation de l’esprit et non à ce qu’il participe à l’altération du
jugement et à la libération des instincts. Aussi, comment justi er qu’un verset du
Coran, quand bien même s’agirait-il d’un seul, autoriserait, voire conseillerait, au
mari de frapper sa femme, fût-ce en certaines circonstances et conditions ! Qu’en
est-il réellement ? Par ailleurs, comment admettre que le Coran sur ce point se
contredirait puisque nous avons montré qu’il prônait l’égalité homme femme et
que sa dé nition du couple n’admet que « doux amour et bienveillance » tant pour
la femme que pour l’homme, sur ce point, voir : Le Couple et le mariage selon le
Coran et en Islam.
Que dit l’Islam
– L’unique verset référent auquel nous venons de faire allusion est bien connu et
son interprétation par l’Islam demeure un parfait exemple d’exégèse patriarcale et
misogyne. Le Texte est ici pleinement mis au service d’une conception des
relations hommes femmes issue d’une culture donnée, conception à laquelle le
caractère absolu de l’Exégèse islamique conférerait conséquemment une
dimension intemporelle et universelle ; en voici la traduction standard : « Les
hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à
ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les
femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être
protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à
celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles
dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus
de voie contre elles, car Allah et certes, Haut et Grand ! », S4.V34.
– En un seul verset, est donc exprimée par cette interprétation-traduction la
suprématie du pater familias, la toute-puissance de l’homme sur sa femme : « les
hommes ont autorité sur les femmes ». Cette autorité familiale est justi ée « en
raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci », autrement dit la
supériorité de l’homme sur la femme est ontologique et voulue par Dieu. De plus,
cette autorité des maris est légitimée par les « dépenses qu’ils font de leurs
biens » pour entretenir le foyer conjugal.[1] Ainsi, en cette économie du couple,
« les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris) » et cantonnées au
foyer « pendant l’absence de leurs époux » avec comme devoir de maintenir par
leur silence l’exercice de la domination de l’homme : elles « protègent ce qui doit
être protégé ». Les épouses sont donc telles des mineures placées sous l’entière
dépendance de leurs époux et, s’il advenait à l’une d’elle quelques velléités de
« désobéissance », alors son mari serait en droit de la corriger physiquement : « et
frappez-les ».
– À vrai dire, la violence sourde qu’une telle interprétation distille a été modérée et
nombreuses sont les discussions casuistiques, non pas sur le fait qu’il serait
interdit de frapper son épouse et donc les femmes, mais sur la manière de
procéder. Pour les uns, frapper sa femme n’est possible qu’avec un mouchoir ou
un siwâk, ancêtre de la brosse à dents, pour d’autres il ne faut pas frapper au
visage ou porter des coups qui pourraient laisser des traces et, en n, les moins
libéraux ont jugé qu’il ne fallait pas aller jusqu’à leur briser les os. Cette
“touchante bienveillance” n’a jamais pour autant dénié le principe général : « les
hommes ont autorité sur les femmes », bien au contraire, ni le concept de
supériorité intrinsèque de l’homme vis-à-vis de la femme justi ant en quelque
sorte son autorité naturelle « en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur
celles-ci ». Même cause, même effet, cette liberté accordée aux hommes au
détriment des femmes, même légèrement contingentée, demeure malgré tout une
permission de frapper...
– Pour autant, il semble bien qu’il ait existé un courant exégétique qui se refusa à
admettre ce droit et qui donc produisit quelques hadîths selon lesquels le
Prophète n’aurait jamais frappé ses épouses ou, plus, qu’il aurait interdit qu’on les
frappât.[2] En contrepoids, il fut imaginé une circonstance de révélation [3] nous
expliquant que ce verset aurait été révélé du fait que le Prophète aurait donné le
droit à une femme battue par son mari de lui appliquer le talion. Que ces textes
soient authentiques ou non n’est pas ici la question, car soit le Prophète en
interdisant de battre les femmes n’aurait pas respecté la recommandation
coranique, soit il nous faudrait admettre que le Hadîth puisse abroger le Coran,
concept tout aussi inacceptable.[4] De plus, l’on notera que le cas présent la
circonstance de révélation invoquée soutient que c’est l’avis du Prophète qui a été
abrogé par le Coran. Cette suite d’incohérence résulte en réalité de prises de
position divergentes ayant été mises en texte par leurs auteurs.
– Il se dégagea donc un compromis postulant qu’il y avait en ce verset une
progression à respecter : « [premièrement] exhortez-les [puis si cela ne su t pas]
éloignez-vous d’elles dans leurs lits et [si cela n’a pas été e cace] frappez-les ».
En quelque sorte une pédagogie divine destinée à ce que l’homme puisse
assurément mater la « désobéissance » de sa femme. Comme nous le verrons
plus avant et comme l’illustre notre mise entre crochets, sémantiquement le texte
de ce segment ne comporte aucun marqueur de cette supposée progression
dans la mise en marche de ces moyens de redressement.
– Au nal, nous aurons constaté que malgré les nombreux moyens de régulation
et d’adoucissement mis en jeu, l’Exégèse a tout de même maintenu de facto le
droit patriarcal pour l’homme de battre son épouse. Cependant, cette position qui
se veut conciliante ne fait pas sens, car si frapper son épouse est ici considéré
comme l’ultime recours, alors la frapper doucettement avec un siwâk ou autres
babioles n’est sûrement pas à même de régler ce que l’exhortation et l’abandon
du lit conjugal n’auraient pas réussi à résoudre. En réalité, la seule logique serait
en l’occurrence de frapper su samment violemment pour que la force impose ce
que la douce persuasion n’a pu obtenir. De plus, dans le cas contraire, pourtant
préconisé, n’administrer qu’une simple chiquenaude ridiculiserait plus l’homme
vis-à-vis de sa femme que cela n’affirmerait son autorité familiale !
Nous présenterons dans un premier temps notre traduction littérale du verset-clef
que nous justi erons ensuite point par point. Notons que ce verset est toujours
cité isolément alors que sa compréhension dépend pour partie du v35, nous les
aborderons donc conjointement :
« Les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes en fonction de ce que Dieu
favorise certains d’entre eux par rapport à d’autres/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin et par
ce qu’ils dépensent de leurs biens. Les vertueuses sont pieuses et gardiennes en
l’intime/al–ghayb de ce que Dieu veut que l’on préserve. Quant à celles dont vous
craignez l’impiété manifeste/nushûz, exhortez-les, et délaissez-les en leurs lits,
et éloignez-vous d’elles/wa–ḍribû-hunna ! Si elles sont en de bonnes dispositions
envers vous, ne cherchez pas de voies contre elles ; certes, Dieu est Élevé, Grand.
[34] Et si vous avez peur que les deux se séparent, missionnez un arbitre de sa
famille à lui et un arbitre de sa famille à elle, s’ils souhaitent un arrangement, Dieu
les réconciliera tous deux ; certes, Dieu est parfaitement savant et informé. [35]
»[5]
-1 : « les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes ». Ce
premier segment fait l’objet d’une spéculation interprétative dirigée par la pensée
patriarcale propre aux exégètes et juristes de l’Islam. Ceci explique que la
traduction standard en sa
délité à l’Exégèse classique l’ait rendu par « les
hommes ont autorité sur les femmes ». Or, l’analyse lexicale constate sans peine
que le pluriel qawwâmûn provient de la racine verbale qâma signi ant se
lever, être droit, se dresser, surgir, s’immobiliser, occuper une place, se charger
d’une affaire, devoir faire, s’occuper de, savoir faire, soutenir. De fait, le
pluriel qawwâmûn est une forme intensive du participe actif qâ’im ayant pour
sens connu : qui est debout, qui s’occupe de quelque chose, qui assume, qui est
constant et responsable. Étymologiquement, rien, si ce n’est une volonté
exégétique orientée, ne permet donc de traduire ce pluriel par « ils ont autorité » et
l’homogénéité du champ lexical du terme qawwâmûn implique qu’il n’y ait aucune
di culté à le comprendre ici par « ceux qui ont des responsabilités », d’où notre
« les hommes ont des responsabilités/qawwâmûn quant aux femmes ». Il ne
s’agissait donc pas d’emblée pour le Coran d’a rmer que « les hommes » –
collectif pris ici pour époux, mais qui littéralement concerne plus largement les
relations de couple[6] – aient dans l’ordre des choses autorité sur les femmes.
Nous allons constater ce que le Coran entend par « responsabilités ».
-2 : « en fonction de ce que Dieu favorise certains d’entre eux par rapport à
d’autres/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin et par ce qu’ils dépensent de leurs biens ». Selon la
logique propre à l’interprétation initiale produite par l’Exégèse, ce segment se
comprend par « en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-
ci/ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin » comme clairement formulé par la traduction standard.
Ceci signi erait que Dieu a électivement favorisé les hommes par rapport aux
emmes. Cette supériorité ontologique n’est pas sans rappeler l’idée que juifs et
chrétiens se faisaient en ces temps-là de la femme, mais elle est contradiction
avec le principe d’égalité hommes femmes selon le Coran. Quoi qu’il en soit, nous
avons montré que le masculin pluriel qawwâmûn ne pouvait pas signi er que « les
hommes ont autorité sur les femmes » au nom d’une volonté de Dieu, mais qu’ils
avaient « des responsabilités quant aux femmes ». Aussi, la justi cation de
l’autorité naturelle des hommes sur les femmes imaginée par l’Exégèse lui
permettant d’interpréter notre segment par « en raison des faveurs qu’Allah
accorde à ceux-là sur celles-ci » ne fait-elle pas sens. Par contre, l’analyse
sémantique observe qu’en la locution ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin, si il est certain que
pour le complexe ba‘ḍa-hum le pronom masculin pluriel « hum/eux » représente «
les hommes », pour son complément : ‘alâ ba‘ḍin, indéterminé du point de vue
pronominal, rien n’indique que le sujet représenté serait les femmes. Nous ne
pouvons donc retenir que le complexe ba‘ḍa-hum ‘alâ ba‘ḍin ait pour sens « à
ceux-là sur celles-ci » comme le soutient l’Exégèse. Aussi, l’indétermination
pronominale en ‘alâ ba‘ḍin impose-t-elle de comprendre que « Dieu favorise
certains d’entre eux/ba‘ḍa-hum [c.-à-d. certains hommes] par rapport/‘alâ à
d’autres/ba‘ḍin [hommes] ». Autrement dit, les « hommes/ar–rijâl » n’ont pas tous
les mêmes moyens, car « Dieu favorise certains » plus que « d’autres », mais tous
se doivent d’assumer leurs « responsabilités quant aux femmes » en « fonction »
de leurs moyens, c’est-à-dire : « par ce qu’ils dépensent de leurs biens ». Pour
autant, ce n’est point là un ordre divin qui imposerait aux hommes la charge
nancière du foyer jusqu’à la n des temps puisqu’il n’est pas dit « aux hommes
d’assumer les femmes » et que la formulation exacte « les hommes ont des
responsabilités » dresse seulement un constat au moment d’énonciation,
autrement dit : la situation usuelle en l’Arabie du VIIe siècle.
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