Ibn ‘Arabî – cas des versets ou hadîth contradictoires.
Lorsque deux versets ou deux traditions authentiques se contredisent [ta’ârada], mais qu’il est possible de les rapprocher l’un de l’autre et de les utiliser conjointement, nous ne devons pas renoncer à nous en servir. S’il n’est pas possible de les utiliser ensemble, parce qu’il se trouve dans l’un des deux une exclusion (istithnâ’), il faut alors choisir celui dans lequel se trouve cette exclusion. S’il y a dans l’un des deux une adjonction (ziyâda), il faut l’adopter et s’en servir. Lorsqu’il ne se trouve rien de tout cela, et que les deux versets sont totalement contradictoires, on se réfère alors à la date (târîkh) [de leur révélation respective] et on choisit le plus tardif des deux. Si enfin on ignore cette date, et qu’il est difficile de la connaître, il faut alors prendre en considération celui des deux qui est le plus propre à lever une contrainte en matière de religion (raf’ al-haraj fî l-dîn), et l’appliquer car ce point de vue est confirmé par le verset : « Il ne pèse pas sur vous, dans la religion, de contrainte » (1) et la religion d’Allâh est facile. « Et Dieu veut pour vous ce qui est facile et non ce qui est difficile » (2). [Le Prophète nous a dit également :] « Ce que je vous ai ordonné de faire, accomplissez-le à la mesure de ce vous pouvez, et ce que je vous ai interdit de faire, cessez de le faire ! » (3) Si les deux textes contradictoires sont équivalents sous ce rapport, aucun des deux ne doit être délaissé et tu choisiras d’user de celui des deux que tu désires [ou les deux].
Lorsqu’un verset et une tradition authentique d’entre les traditions provenant d’une seule voie se contredisent, et qu’on en ignore la date, on choisit le verset et on délaisse la tradition, car le premier est sûr alors que la seconde ne bénéficie que d’une présomption [khabar al-wâhid madhnûn]. S’il s’agit d’une tradition rapportée par de nombreuses autorités (khabar mutawâtir) et donc aussi sûre que le verset, mais si on ignore leur relation chronologique et si leur conciliation est impossible, la règle est de choisir librement l’un des deux. Toutefois, s’il se trouve dans l’un de ces textes l’allègement d’une contrainte (raf’ al-haraj), c’est à celui-ci qu’on donnera la préférence.
Chaque fois que deux traditions ou deux versets sont en contradiction l’un avec l’autre, ou que sont en contradiction un verset et une tradition authentique – que cette tradition soit rapportée par plusieurs autorités ou par une seule – mais que l’un des deux comporte une précision supplémentaire (ziyâda) en matière de prescription légale, on doit tenir compte de cette précision et l’appliquer. La prépondérance revient donc à la tradition qui comporte cette adjonction plutôt qu’à celle qui la contredit. Néanmoins, il ne faut prendre en considération parmi les traditions, que celles qui sont authentiques. L’individu qui, sur les questions légales, se conforme à l’une des écoles juridiques mais à qui parvient un hadîth faible (da’îf) attribué à l’Envoyé de Dieu [sur lui la grâce et la paix], qui contredit l’opinion d’un des Imâms [fondateur des écoles juridiques] ou d’un des Compagnons, à laquelle on ne reconnait pas d’argument probant (dalîl), choisira de donner la préférence au hadîth faible et rejettera l’opinion en question. Même si ce hadîth en réalité n’est pas authentique, il a en tout cas le même degré de probabilité que l’opinion contraire et l’on ne doit pas s’en écarter. A plus forte raison est-il exclu de s’en écarter s’il est authentique et l’on doit impérativement ne pas tenir compte de l’opinion contraire d’un Compagnon ou d’un Imâm.
Quand la tradition est « relâchée » (mursal : c’est-à-dire rapportée sans chaîne de transmission ou avec une chaîne incomplète) ou « arrêtée » (mawqûf : c’est-à-dire remontant seulement à l’un des Compagnons du Prophète mais non au Prophète lui-même), on ne peut s’y fier que si l’on sait que le second rapporteur (tâbi’) n’a pas reçu ce hadîth d’une autre personne que d’un Compagnon. S’il en est ainsi, et même s’il ne précise pas de quel Compagnon il s’agit, on adoptera ce hadîth mursal. Cette tradition a en effet a le même statut que le hadîth rapporté du Prophète (al-musnad). Tel est le cas lorsque le rapporteur de la seconde génération s’exprime ainsi : « L’Envoyé de Dieu a dit… » sans faire mention du Compagnon d’après lequel il rapporte ce hadîth, dès lors qu’on sait qu’il est de ceux qui ont vu les Compagnons et ont fait partie de leur entourage, qu’il est sûr quant à sa foi et, enfin, qu’il ne compte pas parmi les gens qui professent qu’on peut attribuer au Prophète des propos qu’il n’a pas tenu si c’est pour le bien de la communauté. S’il ne remplit pas ces conditions, on n’utilisera pas le hadîth qu’il rapporte, même si la chaîne de transmission est complète [asnadah]. En résumé, il n’est pas licite de rejeter un verset ou une tradition authentique au bénéfice de l’opinion d’un Compagnons ou d’un des Imâms : celui qui agit ainsi commet une erreur évidente et se met en dehors de la religion de Dieu (4).
Lorsqu’une tradition provient de gens dont on ne sait rien (mastûrîn) et dont on ne parle ni en termes de désapprobation (jarh) ni en termes d’approbation (ta’dîl), il faut accepter ce qu’ils transmettent (5). Mais, si l’on impute à l’un d’entre eux un défaut remettant en cause sa sincérité (sidq) il faut remettre en cause cette tradition. Toutefois, dans le cas où cette infirmité ne se rapporte pas à sa narration (naql), il faut l’accepter sauf s’il s’agit d’un buveur de vin et s’il a parlé en état d’ébriété (sukr). En revanche, si l’on sait qu’il a rapporté cette tradition en état de sobriété (sahw) et fait partie de ceux dont c’est le propre, on acceptera la tradition qu’il rapporte. […]
En tout cela il n’y a pas de différence entre se servir d’un khabar al-wâhid authentique et de la tradition dite mutawâtir, excepté lorsqu’il y a contradiction entre les deux, ainsi que nous l’avons déjà montré. Dieu ne nous oblige nullement à admettre ce que disent d’autres que Son Envoyé [sur lui la grâce et la paix], même s’il nous est prescrit de les respecter et de les aimer.
(1) Cor.22, 78 : wa mâ yaj’alu ‘alaykum fî-d-dîn min haraj.
(2) Cor.2, 78 : yurîdu-Llâhu bikumu-l-yusra wa lâ yurîdu bikumu-l-‘usra.
(3) wa mâ amartukum bihi fa-f’alû minhu mâ stata’tum wa mâ nahaytukum ‘anhu fa-da’ûh.
(4) lâ yajûzu tark âyah aw khabar sahîh li-qawl sâhib aw imâm, wa man yaf’al dhâlika fa-qad dalla dalâlan mubînan wa kharaja ‘an dîni-Llâh.
(5) wajaba-l-akhdh bi-riwâyatihim.
(6) mâ awjaba-Llâh ‘alaynâ al-akhdh bi-qawl ahadi ghayr rasûlu-Llâh salla-Llâh ‘alayhi wa sallam ma’a kawninâ ma’mûrîn bi-ta’dhîmihim wa mahabbatihim.
[Ibn ‘Arabî, Futûhât, chap. 88, trad. dans l’anthologie Les illuminations de la Mecque, présentée par M. Chodkiewicz, Albin Michel, éd. 1997, p.95-98. Les notes ainsi que certaines annotation entre crochet ne sont pas du traducteur et consistent généralement en des translitérations à partir du texte arabe des Futûhât, éd. Dâr Sâder/1424, T3, p.190-191]
#Ibn Arabi
Lorsque deux versets ou deux traditions authentiques se contredisent [ta’ârada], mais qu’il est possible de les rapprocher l’un de l’autre et de les utiliser conjointement, nous ne devons pas renoncer à nous en servir. S’il n’est pas possible de les utiliser ensemble, parce qu’il se trouve dans l’un des deux une exclusion (istithnâ’), il faut alors choisir celui dans lequel se trouve cette exclusion. S’il y a dans l’un des deux une adjonction (ziyâda), il faut l’adopter et s’en servir. Lorsqu’il ne se trouve rien de tout cela, et que les deux versets sont totalement contradictoires, on se réfère alors à la date (târîkh) [de leur révélation respective] et on choisit le plus tardif des deux. Si enfin on ignore cette date, et qu’il est difficile de la connaître, il faut alors prendre en considération celui des deux qui est le plus propre à lever une contrainte en matière de religion (raf’ al-haraj fî l-dîn), et l’appliquer car ce point de vue est confirmé par le verset : « Il ne pèse pas sur vous, dans la religion, de contrainte » (1) et la religion d’Allâh est facile. « Et Dieu veut pour vous ce qui est facile et non ce qui est difficile » (2). [Le Prophète nous a dit également :] « Ce que je vous ai ordonné de faire, accomplissez-le à la mesure de ce vous pouvez, et ce que je vous ai interdit de faire, cessez de le faire ! » (3) Si les deux textes contradictoires sont équivalents sous ce rapport, aucun des deux ne doit être délaissé et tu choisiras d’user de celui des deux que tu désires [ou les deux].
Lorsqu’un verset et une tradition authentique d’entre les traditions provenant d’une seule voie se contredisent, et qu’on en ignore la date, on choisit le verset et on délaisse la tradition, car le premier est sûr alors que la seconde ne bénéficie que d’une présomption [khabar al-wâhid madhnûn]. S’il s’agit d’une tradition rapportée par de nombreuses autorités (khabar mutawâtir) et donc aussi sûre que le verset, mais si on ignore leur relation chronologique et si leur conciliation est impossible, la règle est de choisir librement l’un des deux. Toutefois, s’il se trouve dans l’un de ces textes l’allègement d’une contrainte (raf’ al-haraj), c’est à celui-ci qu’on donnera la préférence.
Chaque fois que deux traditions ou deux versets sont en contradiction l’un avec l’autre, ou que sont en contradiction un verset et une tradition authentique – que cette tradition soit rapportée par plusieurs autorités ou par une seule – mais que l’un des deux comporte une précision supplémentaire (ziyâda) en matière de prescription légale, on doit tenir compte de cette précision et l’appliquer. La prépondérance revient donc à la tradition qui comporte cette adjonction plutôt qu’à celle qui la contredit. Néanmoins, il ne faut prendre en considération parmi les traditions, que celles qui sont authentiques. L’individu qui, sur les questions légales, se conforme à l’une des écoles juridiques mais à qui parvient un hadîth faible (da’îf) attribué à l’Envoyé de Dieu [sur lui la grâce et la paix], qui contredit l’opinion d’un des Imâms [fondateur des écoles juridiques] ou d’un des Compagnons, à laquelle on ne reconnait pas d’argument probant (dalîl), choisira de donner la préférence au hadîth faible et rejettera l’opinion en question. Même si ce hadîth en réalité n’est pas authentique, il a en tout cas le même degré de probabilité que l’opinion contraire et l’on ne doit pas s’en écarter. A plus forte raison est-il exclu de s’en écarter s’il est authentique et l’on doit impérativement ne pas tenir compte de l’opinion contraire d’un Compagnon ou d’un Imâm.
Quand la tradition est « relâchée » (mursal : c’est-à-dire rapportée sans chaîne de transmission ou avec une chaîne incomplète) ou « arrêtée » (mawqûf : c’est-à-dire remontant seulement à l’un des Compagnons du Prophète mais non au Prophète lui-même), on ne peut s’y fier que si l’on sait que le second rapporteur (tâbi’) n’a pas reçu ce hadîth d’une autre personne que d’un Compagnon. S’il en est ainsi, et même s’il ne précise pas de quel Compagnon il s’agit, on adoptera ce hadîth mursal. Cette tradition a en effet a le même statut que le hadîth rapporté du Prophète (al-musnad). Tel est le cas lorsque le rapporteur de la seconde génération s’exprime ainsi : « L’Envoyé de Dieu a dit… » sans faire mention du Compagnon d’après lequel il rapporte ce hadîth, dès lors qu’on sait qu’il est de ceux qui ont vu les Compagnons et ont fait partie de leur entourage, qu’il est sûr quant à sa foi et, enfin, qu’il ne compte pas parmi les gens qui professent qu’on peut attribuer au Prophète des propos qu’il n’a pas tenu si c’est pour le bien de la communauté. S’il ne remplit pas ces conditions, on n’utilisera pas le hadîth qu’il rapporte, même si la chaîne de transmission est complète [asnadah]. En résumé, il n’est pas licite de rejeter un verset ou une tradition authentique au bénéfice de l’opinion d’un Compagnons ou d’un des Imâms : celui qui agit ainsi commet une erreur évidente et se met en dehors de la religion de Dieu (4).
Lorsqu’une tradition provient de gens dont on ne sait rien (mastûrîn) et dont on ne parle ni en termes de désapprobation (jarh) ni en termes d’approbation (ta’dîl), il faut accepter ce qu’ils transmettent (5). Mais, si l’on impute à l’un d’entre eux un défaut remettant en cause sa sincérité (sidq) il faut remettre en cause cette tradition. Toutefois, dans le cas où cette infirmité ne se rapporte pas à sa narration (naql), il faut l’accepter sauf s’il s’agit d’un buveur de vin et s’il a parlé en état d’ébriété (sukr). En revanche, si l’on sait qu’il a rapporté cette tradition en état de sobriété (sahw) et fait partie de ceux dont c’est le propre, on acceptera la tradition qu’il rapporte. […]
En tout cela il n’y a pas de différence entre se servir d’un khabar al-wâhid authentique et de la tradition dite mutawâtir, excepté lorsqu’il y a contradiction entre les deux, ainsi que nous l’avons déjà montré. Dieu ne nous oblige nullement à admettre ce que disent d’autres que Son Envoyé [sur lui la grâce et la paix], même s’il nous est prescrit de les respecter et de les aimer.
(1) Cor.22, 78 : wa mâ yaj’alu ‘alaykum fî-d-dîn min haraj.
(2) Cor.2, 78 : yurîdu-Llâhu bikumu-l-yusra wa lâ yurîdu bikumu-l-‘usra.
(3) wa mâ amartukum bihi fa-f’alû minhu mâ stata’tum wa mâ nahaytukum ‘anhu fa-da’ûh.
(4) lâ yajûzu tark âyah aw khabar sahîh li-qawl sâhib aw imâm, wa man yaf’al dhâlika fa-qad dalla dalâlan mubînan wa kharaja ‘an dîni-Llâh.
(5) wajaba-l-akhdh bi-riwâyatihim.
(6) mâ awjaba-Llâh ‘alaynâ al-akhdh bi-qawl ahadi ghayr rasûlu-Llâh salla-Llâh ‘alayhi wa sallam ma’a kawninâ ma’mûrîn bi-ta’dhîmihim wa mahabbatihim.
[Ibn ‘Arabî, Futûhât, chap. 88, trad. dans l’anthologie Les illuminations de la Mecque, présentée par M. Chodkiewicz, Albin Michel, éd. 1997, p.95-98. Les notes ainsi que certaines annotation entre crochet ne sont pas du traducteur et consistent généralement en des translitérations à partir du texte arabe des Futûhât, éd. Dâr Sâder/1424, T3, p.190-191]
#Ibn Arabi
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