PERDINAND DE MARTINO
ET
ABDEL KHALEK BEY SAROIT
Anthologie
de
l’amour arabe
PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
xv, rue DE L’ÉCHAVDÉ-SAINT-Germain
IL A ÉTÉ tiré de cet OUVRAGE:
Dixept exemplaires sur papier de Hollande
numérotés de 1 à 17
AUX AMANTS DES PAYS LATINS
CES LEÇONs de L’AMOUR
ORIENTAL
MCMII. ( 1902 )
INTRODUCTION :
Si l’on demandait à un lecteur occidental com-
ment il se représente l’héroïne d’un poème arabe
ou il est parlé d’amour, j’imagine que le lecteur
serait d’abord surpris de s’entendre interroger
sur le cours élémentaire de ses connaissances géné-
rales ; qu’ensuite, et pressé de répondre, ilgde’cri-
rait sommairement la silhouette d’une jeune
femme âgée de vingt-cinq ans, vêtue de huit robes
impénétrables, recluse dans un harem aussi for-
tifié qu’une prison et traitée comme une esclave.
Or ce portrait serait justement à l’opposé de
l’exactitude, et presque le plus faux que l’on pût
Ofi’rir : en premier lieu, parce qu’a vingt-cinq ans
une femme arabe est plusieurs fois grand’mëre,
et ne saurait plus (du moins physiquement) ins-
pirer les poètes lyriques... Arrêtons-nous des le
début sur cette question d’âge ou nous trouverons
la clef de toute poésie orientale
I
La jeune fille arabe a de dix à douze ans.
Ceci est capital.
Elle a douze ans comme la jeune fille grecque.
C”est la ômêsxénç Mien des poètes de l’Anthologie.
Nubile depuis plusieurs années, elle est femme par
le corps et par la beauté; mais les transforma-
tions de sa poitrine et de ses hanches ne sau-
raient faire qu’elle ne soit restée, cérébralement,
une petite fille. A Corinthe ainsi qu’a Bagdad
elle joue encore aux osselets, une heure avant de
suivre son premier amant; il n’y a pas de tran-
sition pour elle entre les jeux de la chambre et
ceux du lit, rien de ce que nous appelons en Eu-
rope la « jeunesse », qui sépare l’enfance de la
maternité. La jeune fille arabe est toujours un
enfant, et c’est par la qu’elle donne le. ton (de
même que la vierge Helléne) à la poésie amoureuse
toute naïve qui refleurit depuis trois mille
ans autour des mers levantines.
Volontairement naïve est cette poésie, et sincé-
rement, et à propos. Que de sottises critiques n’a-
vons-nous pas lues sur la «fausse naïveté », sur
la « miévrerie » de Daphnis et Chloé, - pour
prendre cet exemple d’amours orientales. Mais
Chloé a treize ans; Longus le dit (1); et com-
ment une petite bergère éolienne de treize ans s’ex-
primerait-elle selon la vraisemblance, si elle ne
montrait pas ses façons puériles de sentir, de pleu-
rer, de parler ou de se taire?
Les amantes qui sont nées dans nos pays froids,
O!l tous les printemps sont en retard, même celui
de la jeunesse humaine, éprouvent leurs premie-
res passions à l’âge ou leur éducation intellec-
tuelle est terminée. Il est. tout naturel qu’elles
mêlent le monde abstrait au nouveau monde phy-
sique dont l’éveil bouleverse leurs âmes déjà
grandes. Qu’une Mecklembourgeoise de vingt-
quatre ans réponde « Infini » à qui lui dit
«Amour», et personne ne s’en étonnera; elle
peut disserter comme il lui plait sur les affinités
mystérieuses des êtres et même établir une corré-
lation raisonnable entre le mouvement circulaire
des planètes et le manège du lieutenant qui gra-
vite autour de sa blonde personne. Elle a eu tout
le temps d’apprendre sa philosophie. Souvent .
même elle a fait le tour des vanités psychologi-
ques et, vierge comme la Rosalinde de Shakes-
peare, elle pourrait dire comme celle-ci, lisant
son premier billet doux : « Love is merely a mad-
ness. ))
Mais une enfant de douze ans! A quoi peut-
elle comparer les premières voluptés de son corps
si ce n’est aux premières joies matérielles et sim-
ples qu’elle a pu goûter? Dira-t-elle que le désir
est plus amer que le regret? non, mais « doux
comme le miel 5) parce qu’elle est à l’âge ou l’on
aime le miel, et parce que la douceur des lèvres
sur les lèvres, sensualité mal connue d’elle encore,
ne lui rappelle guère que sa gourmandise.
Et voilà pourquoi le Cantique des Cantiques
chante ainsi le bonheur d’aimer : a Il y a, sous ta
langue, du miel et du lait (1). » Voilà comment
dans la plupart Ides poèmes arabes que l’on va lire, les métaphores même les plus complexes ne
quitteront jamais le champ des réalités pour celui
des abstractions. Ce n’est point que les poètes
orientaux ne paissent briser le cercle des images
visuelles; c’est que, lorsqu’ils parlent d’amour, ils
doivent se refaire une âme d’enfant, par la néces-
sité même du sujet.
Il
Cette très jeune amante, cette femme-enfant, ou
et comment le poète la rencontre-t-il?
Est-ce a travers tous les dangers, au moyen de
tous les artifices, ruses, fourberies et stratagèmes,
dont la légende accréditée chez nous charge les
mœurs orientales? est-ce dans cette forêt de mys-
tères et d’embûches que les aventures d’amour
poursuivent lei-bas leurs fins naturelles ?
Non; ceci n’est vrai que d’Alger, du Caire ou
de Bagdad, cités exceptionnelles de ce grand
peuple errant et libre qui est la famille arabe. Et
même la, tant de secrets et de luttes insidieuses
autour de la femme ne sont ordinairement que
les péripéties de l’adultère: sujet de contes et
non de poèmes. L’innombrable littérature musul-
mane (r) ou les complexités de l’adultère forment
si souvent la trame du récit, excuse l’erreur ou f
nous tombons lorsque nous nous imaginons volon-
tiers l’amant arube à cheval en pleine nuit sur un
mur de harem avec un coutelas entre les dents et
deux pistolets à la ceinture. Une telle posture
n’est pas habituelle aux poètes,et si elle est encore
ici romantique et byronnienne elle ne pourrait pas
servir d’illustration aux mœurs oastorales de la
vieille Arabie.
Pastoral est en eflet, essentiellement, le peuple
arabe. Les Maures et les Mauresques des villes
forment un rameau si digèrent de la souche ori-
ginelle qu’il en semble presque étranger. Si les
poètes terminent souvent leur vie chargée de gloire
à la cour du Khalife, la plupart sont nés dans
les plaines ou la vie antique reste simple et à peu
près immuable depuis les origines. Si quelques-
uns, comme Abou-Nouas, célèbrent sur commande
les maîtresses du souverain, la plupart continuent
de chanter, avec le frisson de leur jeunesse loin-
laine, les jeunes filles de leur patrie, Yémen tout
l en fleurs, Liban couronné d’ombres, bords du Nil
éblouissant et silencieux.
La, et surtout en Arabie, si la femme mariée
est sévèrement tenue, la jeune fille l’est beaucoup
moins ; non pas qu’on lui pardonne une faute éven-
tue!le,mais parce qu’on la croit moins capable de
la commettre et parce que le mariage précoce ne lui
permet pas souvent d’égarer ses premiers désirs.
Ce n’est pas pour elle sans doute que le Koran
édicte son fameux verset sur la décence des fem-
mes (1), car elle est a peine vêtue d’une chemise,
et dans bien des contrées, jusqu’au x1x° siècle,
cette chemise mémene lui est pas donnée avant son
mariage.
Gabriel Sionite, savant religieux des Maroni-
tes du Liban, qui devint, en 1614, professeur
d’arabe au Collège de France,noud dit son etonne
ment d’avoir rencontré dans les rues du Caire
a des jeunes filles de I4 à 15 ans qui n’éprouvaient
pas de pudeur d se. promener sans aucune chemi-
se, sans aucun voile, absolument nues » (1).]!
ajoute qu’aux environs du Caire et surtout sur
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ET
ABDEL KHALEK BEY SAROIT
Anthologie
de
l’amour arabe
PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
xv, rue DE L’ÉCHAVDÉ-SAINT-Germain
IL A ÉTÉ tiré de cet OUVRAGE:
Dixept exemplaires sur papier de Hollande
numérotés de 1 à 17
AUX AMANTS DES PAYS LATINS
CES LEÇONs de L’AMOUR
ORIENTAL
MCMII. ( 1902 )
INTRODUCTION :
Si l’on demandait à un lecteur occidental com-
ment il se représente l’héroïne d’un poème arabe
ou il est parlé d’amour, j’imagine que le lecteur
serait d’abord surpris de s’entendre interroger
sur le cours élémentaire de ses connaissances géné-
rales ; qu’ensuite, et pressé de répondre, ilgde’cri-
rait sommairement la silhouette d’une jeune
femme âgée de vingt-cinq ans, vêtue de huit robes
impénétrables, recluse dans un harem aussi for-
tifié qu’une prison et traitée comme une esclave.
Or ce portrait serait justement à l’opposé de
l’exactitude, et presque le plus faux que l’on pût
Ofi’rir : en premier lieu, parce qu’a vingt-cinq ans
une femme arabe est plusieurs fois grand’mëre,
et ne saurait plus (du moins physiquement) ins-
pirer les poètes lyriques... Arrêtons-nous des le
début sur cette question d’âge ou nous trouverons
la clef de toute poésie orientale
I
La jeune fille arabe a de dix à douze ans.
Ceci est capital.
Elle a douze ans comme la jeune fille grecque.
C”est la ômêsxénç Mien des poètes de l’Anthologie.
Nubile depuis plusieurs années, elle est femme par
le corps et par la beauté; mais les transforma-
tions de sa poitrine et de ses hanches ne sau-
raient faire qu’elle ne soit restée, cérébralement,
une petite fille. A Corinthe ainsi qu’a Bagdad
elle joue encore aux osselets, une heure avant de
suivre son premier amant; il n’y a pas de tran-
sition pour elle entre les jeux de la chambre et
ceux du lit, rien de ce que nous appelons en Eu-
rope la « jeunesse », qui sépare l’enfance de la
maternité. La jeune fille arabe est toujours un
enfant, et c’est par la qu’elle donne le. ton (de
même que la vierge Helléne) à la poésie amoureuse
toute naïve qui refleurit depuis trois mille
ans autour des mers levantines.
Volontairement naïve est cette poésie, et sincé-
rement, et à propos. Que de sottises critiques n’a-
vons-nous pas lues sur la «fausse naïveté », sur
la « miévrerie » de Daphnis et Chloé, - pour
prendre cet exemple d’amours orientales. Mais
Chloé a treize ans; Longus le dit (1); et com-
ment une petite bergère éolienne de treize ans s’ex-
primerait-elle selon la vraisemblance, si elle ne
montrait pas ses façons puériles de sentir, de pleu-
rer, de parler ou de se taire?
Les amantes qui sont nées dans nos pays froids,
O!l tous les printemps sont en retard, même celui
de la jeunesse humaine, éprouvent leurs premie-
res passions à l’âge ou leur éducation intellec-
tuelle est terminée. Il est. tout naturel qu’elles
mêlent le monde abstrait au nouveau monde phy-
sique dont l’éveil bouleverse leurs âmes déjà
grandes. Qu’une Mecklembourgeoise de vingt-
quatre ans réponde « Infini » à qui lui dit
«Amour», et personne ne s’en étonnera; elle
peut disserter comme il lui plait sur les affinités
mystérieuses des êtres et même établir une corré-
lation raisonnable entre le mouvement circulaire
des planètes et le manège du lieutenant qui gra-
vite autour de sa blonde personne. Elle a eu tout
le temps d’apprendre sa philosophie. Souvent .
même elle a fait le tour des vanités psychologi-
ques et, vierge comme la Rosalinde de Shakes-
peare, elle pourrait dire comme celle-ci, lisant
son premier billet doux : « Love is merely a mad-
ness. ))
Mais une enfant de douze ans! A quoi peut-
elle comparer les premières voluptés de son corps
si ce n’est aux premières joies matérielles et sim-
ples qu’elle a pu goûter? Dira-t-elle que le désir
est plus amer que le regret? non, mais « doux
comme le miel 5) parce qu’elle est à l’âge ou l’on
aime le miel, et parce que la douceur des lèvres
sur les lèvres, sensualité mal connue d’elle encore,
ne lui rappelle guère que sa gourmandise.
Et voilà pourquoi le Cantique des Cantiques
chante ainsi le bonheur d’aimer : a Il y a, sous ta
langue, du miel et du lait (1). » Voilà comment
dans la plupart Ides poèmes arabes que l’on va lire, les métaphores même les plus complexes ne
quitteront jamais le champ des réalités pour celui
des abstractions. Ce n’est point que les poètes
orientaux ne paissent briser le cercle des images
visuelles; c’est que, lorsqu’ils parlent d’amour, ils
doivent se refaire une âme d’enfant, par la néces-
sité même du sujet.
Il
Cette très jeune amante, cette femme-enfant, ou
et comment le poète la rencontre-t-il?
Est-ce a travers tous les dangers, au moyen de
tous les artifices, ruses, fourberies et stratagèmes,
dont la légende accréditée chez nous charge les
mœurs orientales? est-ce dans cette forêt de mys-
tères et d’embûches que les aventures d’amour
poursuivent lei-bas leurs fins naturelles ?
Non; ceci n’est vrai que d’Alger, du Caire ou
de Bagdad, cités exceptionnelles de ce grand
peuple errant et libre qui est la famille arabe. Et
même la, tant de secrets et de luttes insidieuses
autour de la femme ne sont ordinairement que
les péripéties de l’adultère: sujet de contes et
non de poèmes. L’innombrable littérature musul-
mane (r) ou les complexités de l’adultère forment
si souvent la trame du récit, excuse l’erreur ou f
nous tombons lorsque nous nous imaginons volon-
tiers l’amant arube à cheval en pleine nuit sur un
mur de harem avec un coutelas entre les dents et
deux pistolets à la ceinture. Une telle posture
n’est pas habituelle aux poètes,et si elle est encore
ici romantique et byronnienne elle ne pourrait pas
servir d’illustration aux mœurs oastorales de la
vieille Arabie.
Pastoral est en eflet, essentiellement, le peuple
arabe. Les Maures et les Mauresques des villes
forment un rameau si digèrent de la souche ori-
ginelle qu’il en semble presque étranger. Si les
poètes terminent souvent leur vie chargée de gloire
à la cour du Khalife, la plupart sont nés dans
les plaines ou la vie antique reste simple et à peu
près immuable depuis les origines. Si quelques-
uns, comme Abou-Nouas, célèbrent sur commande
les maîtresses du souverain, la plupart continuent
de chanter, avec le frisson de leur jeunesse loin-
laine, les jeunes filles de leur patrie, Yémen tout
l en fleurs, Liban couronné d’ombres, bords du Nil
éblouissant et silencieux.
La, et surtout en Arabie, si la femme mariée
est sévèrement tenue, la jeune fille l’est beaucoup
moins ; non pas qu’on lui pardonne une faute éven-
tue!le,mais parce qu’on la croit moins capable de
la commettre et parce que le mariage précoce ne lui
permet pas souvent d’égarer ses premiers désirs.
Ce n’est pas pour elle sans doute que le Koran
édicte son fameux verset sur la décence des fem-
mes (1), car elle est a peine vêtue d’une chemise,
et dans bien des contrées, jusqu’au x1x° siècle,
cette chemise mémene lui est pas donnée avant son
mariage.
Gabriel Sionite, savant religieux des Maroni-
tes du Liban, qui devint, en 1614, professeur
d’arabe au Collège de France,noud dit son etonne
ment d’avoir rencontré dans les rues du Caire
a des jeunes filles de I4 à 15 ans qui n’éprouvaient
pas de pudeur d se. promener sans aucune chemi-
se, sans aucun voile, absolument nues » (1).]!
ajoute qu’aux environs du Caire et surtout sur
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