Salam, bonsoir
GENESE D'UNE CHUTE
Entre 1774 ( traité de Kütchük-katnardja) et 1923 (traité de Lausanne) les sultans de l’empire ottoman vont subir des influences, perdre des guerres, signer des traités et gérer des conflits et des divisions internes qui vont précipiter son déclin.
Les puissances occidentales, en particulier les Russes, les Anglais, les Français et les Autrichiens, vont, en ordre dispersé ou de concert, défendre leurs intérêts et accélérer le démembrement de l’Empire. Leurs interventions se font tant par les conflits engagés à la périphérie du territoire turc que par l’ingérence opérée dans la gestion de ses affaires internes commerciales et économiques.
La grandeur et la puissance de l’Empire ne font pas illusion : l’anarchie latente, la corruption et les volontés de pouvoir se traduisent par des signes chaque jour plus évidents. Dès la fin du XVIII°, des voix se font entendre à l’intérieur qui s’opposent au pouvoir des Turcs et à la décadence de plus en plus manifeste. Les nombreuse insurrections menées en Europe ( alimentées le plus souvent par les puissances occidentales : Grèce, Moldavie, Serbie, Bulgarie, Bosnie, etc.) font écho à des soulèvements et à des révoltes ayant lieu en Arabie, en Syrie, au Liban ou en Egypte.
C’est dans ce contexte troublé qu’il faut situer la formulation de la pensée et l’action de Muhammed Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792) en Arabie.
Malgré toutes les réformes – politique, administrative, financière et militaire—qui vont être réalisées durant la période des Tanzimat entre 1839 et 1878, l’Empire ottoman fait l’expérience quotidienne d’une puissance qui n’a plus les moyens de ses prétentions en Europe comme en Asie.
Au moment où se déroulent de graves troubles dans les Balkans, en Arabie, en Egypte et en Syrie, le sultan Mahmud II met en branle les premières réformes dès 1808 : l’armée ottomane est constituée selon le modèle européen, les instructeurs sont des étrangers et il prescrit l’abandon du costume traditionnel pour suivre la mode européenne. Premiers indices, à l’aube de ce siècle, que les choses sont entrain de changer et que les réformes de l’intérieur consistent en fait à importer le modèle des puissances occidentales qui ne sont d’ailleurs pas en reste de conseils et d’interventions dans les affaires intérieures de l’Empire. C’est ce que confirmera l’action du fils de Mahmud II, Abd al-Majid (1839-1861) qui, dans la Charte impériale qu’il fait lire le 3 novembre 1839, mène une réforme tout à la fois juridique, financière, administrative et militaire. Le boulversement est d’importance : le droit appliqué à l’intérieur de l’Empire n’est plus, pour sa plus grande partie, d’inspiration islamique.
Tout au long de ce siècle, les évènements se précipitent : après la campagne d’Egypte de Bonaparte, l’Empire doit faire face à la sécession grecque, serbe et moldave (1830) ; à la question d’Egypte où les nouvelles ambitions de l’Albanais Mehmet Ali, soutenu par la France, finissent par lui assurer le pouvoir hériditaire sur le pays ; à la guerre de Crimée (1853-1856) ; puis enfin , à la crise des Balkans où de plus en plus de peuples veulent acquérir leur indépendance et qui trouvent soutien chez les Russes, les Anglais, les Autrichiens, les Allemands ou les Français. Cette dernière crise s’aggrave et va entraîner, sur proposition de Bismarck, la réunion d’un grand congrès de la Paix à Berlin, le 13 juin 1878. L’intention y était de freiner, voire de mettre un terme à l’expansion panslaviste des Russes et des Serbes ; mais c’est bien l’Empire ottoman, comme le relève Paul Dumont, qui sort le plus affaibli du congrès de Berlin :
<< Mais c’est malgré tout l’Etat ottoman qui paie le plus gros de la note. A Berlin, il perd la plus grande partie de ses territoires balkaniques, l’île de Chypre, les « trois provinces »de l’Anatolie orientale. Il perd aussi d’importantes ressources financières. Enfin, il perd des populations qui comptaient parmi les plus industrieuses et les plus prospères de l’empire. Ce qu’il obtient en échange n’est que de la monnaie de singe : une vague reproduction des stipulations du traité de Paris, touchant la garantie par les Puissances de son intégrité territoriale.>>( Histoire de l’empire ottoman)
Robert Mantran précise de façon utile le rôle des grandes puissances occidentales :
<< Le congrès de Berlin est une nouvelle et grave étape dans le démembrement de l’Empire ottoman : si en Orient il n’a perdu que l’Egypte, à laquelle l’Angleterre impose de plus en plus sa domination, en Europe, il ne possède effectivement que quelques territoires réduits, misérables restes d’un domaine que les nationalismes locaux soutenus par les grandes puissances, ont peu à peu grignoté. Le fait essentiel est la mainmise de ces grandes puissances sur la politique extérieure et, surtout à partir du congrès de Berlin, sur la politique intérieure et la vie économique de la Turquie : « l’homme malade » est aux mains de docteurs qui ne veulent pas spécialement son rétablissement..>> (Histoire de la Turquie)
Ce bilan, les musulmans de Turquie, d’Asie ou du Moyen-Orient le feront de façon plus sévère encore. Les clause du congrès de Berlin ne font que confirmerun processus d’ingérence étrangère qu’avait déjà perçu Ibn Abd al-Wahhab et qui i n’a fait que s’accroître avec le temps : il s’amplifiera encore, une année après Berlin, en 1879, avec la création de l’organisme de la dette publique ottomane, cogéré par la France et l’Angleterre et qui a le monopole sur les revenus du sel, du tabac, des timbres, des taxes sur les alcools, des soies. La Régie des tabacs de l’empire ottoman est européenne et ce sont les entreprises belges, françaises ou allemandes qui sont chargées des constructions ou de l’exploitation des mines. L’empire ottoman est désormais sous tutelle et il en sera ainsi jusqu’à sa disparition.
Devant ce triste spectacle offert au monde musulman, diverses prises de position vont être formulées pour expliquer les causes de ce déclin. D’aucuns accuseront l’Islam d’avoir empêcher que soit réalisé un progrès similaire à celui des puissances occidentales ; d’autres critiqueront plus précisément le traditionalisme ; d’autres encore appelleront à faire comme ils voient faire les européens ; certains verront d’un bon œil l’ingérence étrangère qu’ils jugent salvatrice ; à l’opposé, des savants, des intellectuels ou des responsables politiques prôneront le rejet de « tout ce qui vient d’ailleurs » ou encore la résistance au nom de l’Islam ; certains, enfin, désireux de rester fidèles à l’Islam critiqueront les musulmans et la sclérose de leur pensée. Moment de crise de conscience et d’identité face à un avenir qui apparaît bien noir parce que tout semble présenter les signes d’un assujettissement désormais total à l’Europe.
LE NATIONALISME ARABE
Au cours du XIXe siècle, l’hégémonie de l’Occident s’impose de plus en plus à l’Empire ottoman. Les ambassadeurs européens dictent leur politique aux sultans, imposent l’ouverture des marchés orientaux aux produits européens. La position de subordination politique et économique où est placé l’Orient ottoman suscite des réactions. Les souverains envisagent des réformes d’en haut, des intellectuels poussent à une attitude plus radicale – et d’abord dans la direction de l’occidentalisation pure et simple.
Les désillusions causées par les conséquences catastrophiques du libéralisme économique appliqué à l’Empire ottoman, la poursuite des projets impérialistes européens, le mépris des puissances occidentales pour les efforts de rénovation interne aboutissent à un revirement des intellectuels musulmans. Notamment après l’occupation de la Tunisie par la France (1881) et de l’Égypte par la Grande-Bretagne (1882), la protestation contre l’impérialisme européen se cristallise autour de la communauté musulmane et de l’Empire ottoman, dernière structure étatique musulmane encore relativement puissante. L’une et l’autre sont conçus par les intellectuels d’un nouveau type sur le modèle des nations européennes. En sa qualité de calife et de sultan, Abd ül-hamid (1878-1908) exploite cette tendance dans une tonalité despotique, réactionnaire et obscurantiste.
Le grand idéologue de ce mouvement protestataire anti-impérialiste est, après le poète turc Namyk Kemal, qui développe déjà des idées semblables vers 1871-1876, le Persan Djem al ad-d in dit al-Afgh an i (1839-1897), conspirateur révolutionnaire, semeur d’idées, libre penseur qui se rallie à l’utilisation tactique du sentiment d’appartenance à la communauté musulmane vers 1880. Son panislamisme, à visées anti-impérialistes, ne l’empêche pas de soutenir les luttes pour l’indépendance conçues sur une base plus localisée, comme en Iran, en Égypte, dans l’Inde, en y prêchant la coopération militante des adhérents des diverses religions.
N.B : pour les penseurs arabes, il paraît clair qu’al-Afghani était d’origine afghane et de tradition sunnite ; pour les chercheurs orientalistes, il paraît non moins évident que ledit « Afghani » était n fait persan et shiite.
La mauvaise administration ottomane et la prédominance turque dans l’Asie arabe, le despotisme hamidien, l’orgueil des Arabes fiers de leur rôle dans la création et la diffusion de l’islam, la floraison des études littéraires arabes, notamment à Beyrouth en milieu chrétien, font naître une atmosphère hostile aux Turcs, qui se généralise chez les Arabes d’Asie. Les observateurs la décèlent dès les années 1880. Mais ce mécontentement ne débouche sur l’idée d’un État arabe (limité à la Syrie et au Liban) que chez quelques jeunes chrétiens libanais vers 1880. Les musulmans répugnent à envisager la dissolution de l’Empire ottoman.
Le premier manifeste sans équivoque du nationalisme arabe de quelque influence est l’ouvrage de ‘Abd ar-Rahm an al-Kaw akibi (1849-1903), Syrien exilé en Égypte, Omm al-Qor a (« la mère des cités », c’est-à-dire La Mecque), parue en 1901-1902 au Caire, où il exalte la supériorité des Arabes sur les Turcs et trace un plan de régénération de l’Islam sous l’impulsion d’un califat arabe dont le centre serait La Mecque et dont les pouvoirs seraient uniquement spirituels. Il est fortement influencé par W. S. Blunt (1840-1922), poète britannique, ardent partisan de l’indépendance égyptienne et des Arabes, dont le livre The Future of Islam (1881) émettait des idées analogues. Les idées de Kawa kibi furent reprises et développées par le chrétien syro-palestinien Naji b ‘Azu ri (mort en 1916) qui fonde à Paris, avec le haut fonctionnaire français Eugène Jung, une fantomatique Ligue de la patrie arabe, publie un livre, Le Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque (Paris, 1905) et fonde une revue, L’Indépendance arabe (Paris, 1907-1908). Il est le premier à proposer un empire arabe indépendant. Mais son appartenance minoritaire, le fait que sa propagande est diffusée uniquement en français, ses liens probables avec la politique coloniale française nuisent beaucoup à l’accueil fait à ses idées.
La révolution jeune-turque (1908), instaurant un régime constitutionnel, avec un parlement, dans l’Empire ottoman, permit aux mécontents de toute sorte de s’organiser. En même temps, la politique centralisatrice des Jeunes-Turcs, de plus en plus enclins malgré leurs déclarations à faire fond primordiale ment sur l’élément turc, accroissait le mécontentement des provinces arabes. Des organisations se fondèrent, avec un programme demandant surtout l’égalité des droits des Arabes au sein de l’Empire, des assemblées locales, l’emploi de l’arabe dans les régions de langue arabe pour l’administration, l’éducation, etc. Ce fut notamment le programme du Parti ottoman pour la décentralisation administrative, fondé en 1912. Un comité pour la réforme fut fondé à Beyrouth. Un congrès arabe, avec des délégués chrétiens et musulmans, se tint à Paris en juin 1913. Ses revendications étaient modérées, dirigées surtout contre la centralisation excessive et la turquisation. En même temps se constituaient des sociétés secrètes plus radicales, comme la Qahtaniyya, qui demandait une double monarchie arabo-turque sur le modèle de l’Autriche-Hongrie (1909), la Fat at, qui exigeait l’indépendance arabe (1911), Al-‘Ahd composée surtout de militaires irakiens (1914).
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GENESE D'UNE CHUTE
Entre 1774 ( traité de Kütchük-katnardja) et 1923 (traité de Lausanne) les sultans de l’empire ottoman vont subir des influences, perdre des guerres, signer des traités et gérer des conflits et des divisions internes qui vont précipiter son déclin.
Les puissances occidentales, en particulier les Russes, les Anglais, les Français et les Autrichiens, vont, en ordre dispersé ou de concert, défendre leurs intérêts et accélérer le démembrement de l’Empire. Leurs interventions se font tant par les conflits engagés à la périphérie du territoire turc que par l’ingérence opérée dans la gestion de ses affaires internes commerciales et économiques.
La grandeur et la puissance de l’Empire ne font pas illusion : l’anarchie latente, la corruption et les volontés de pouvoir se traduisent par des signes chaque jour plus évidents. Dès la fin du XVIII°, des voix se font entendre à l’intérieur qui s’opposent au pouvoir des Turcs et à la décadence de plus en plus manifeste. Les nombreuse insurrections menées en Europe ( alimentées le plus souvent par les puissances occidentales : Grèce, Moldavie, Serbie, Bulgarie, Bosnie, etc.) font écho à des soulèvements et à des révoltes ayant lieu en Arabie, en Syrie, au Liban ou en Egypte.
C’est dans ce contexte troublé qu’il faut situer la formulation de la pensée et l’action de Muhammed Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792) en Arabie.
Malgré toutes les réformes – politique, administrative, financière et militaire—qui vont être réalisées durant la période des Tanzimat entre 1839 et 1878, l’Empire ottoman fait l’expérience quotidienne d’une puissance qui n’a plus les moyens de ses prétentions en Europe comme en Asie.
Au moment où se déroulent de graves troubles dans les Balkans, en Arabie, en Egypte et en Syrie, le sultan Mahmud II met en branle les premières réformes dès 1808 : l’armée ottomane est constituée selon le modèle européen, les instructeurs sont des étrangers et il prescrit l’abandon du costume traditionnel pour suivre la mode européenne. Premiers indices, à l’aube de ce siècle, que les choses sont entrain de changer et que les réformes de l’intérieur consistent en fait à importer le modèle des puissances occidentales qui ne sont d’ailleurs pas en reste de conseils et d’interventions dans les affaires intérieures de l’Empire. C’est ce que confirmera l’action du fils de Mahmud II, Abd al-Majid (1839-1861) qui, dans la Charte impériale qu’il fait lire le 3 novembre 1839, mène une réforme tout à la fois juridique, financière, administrative et militaire. Le boulversement est d’importance : le droit appliqué à l’intérieur de l’Empire n’est plus, pour sa plus grande partie, d’inspiration islamique.
Tout au long de ce siècle, les évènements se précipitent : après la campagne d’Egypte de Bonaparte, l’Empire doit faire face à la sécession grecque, serbe et moldave (1830) ; à la question d’Egypte où les nouvelles ambitions de l’Albanais Mehmet Ali, soutenu par la France, finissent par lui assurer le pouvoir hériditaire sur le pays ; à la guerre de Crimée (1853-1856) ; puis enfin , à la crise des Balkans où de plus en plus de peuples veulent acquérir leur indépendance et qui trouvent soutien chez les Russes, les Anglais, les Autrichiens, les Allemands ou les Français. Cette dernière crise s’aggrave et va entraîner, sur proposition de Bismarck, la réunion d’un grand congrès de la Paix à Berlin, le 13 juin 1878. L’intention y était de freiner, voire de mettre un terme à l’expansion panslaviste des Russes et des Serbes ; mais c’est bien l’Empire ottoman, comme le relève Paul Dumont, qui sort le plus affaibli du congrès de Berlin :
<< Mais c’est malgré tout l’Etat ottoman qui paie le plus gros de la note. A Berlin, il perd la plus grande partie de ses territoires balkaniques, l’île de Chypre, les « trois provinces »de l’Anatolie orientale. Il perd aussi d’importantes ressources financières. Enfin, il perd des populations qui comptaient parmi les plus industrieuses et les plus prospères de l’empire. Ce qu’il obtient en échange n’est que de la monnaie de singe : une vague reproduction des stipulations du traité de Paris, touchant la garantie par les Puissances de son intégrité territoriale.>>( Histoire de l’empire ottoman)
Robert Mantran précise de façon utile le rôle des grandes puissances occidentales :
<< Le congrès de Berlin est une nouvelle et grave étape dans le démembrement de l’Empire ottoman : si en Orient il n’a perdu que l’Egypte, à laquelle l’Angleterre impose de plus en plus sa domination, en Europe, il ne possède effectivement que quelques territoires réduits, misérables restes d’un domaine que les nationalismes locaux soutenus par les grandes puissances, ont peu à peu grignoté. Le fait essentiel est la mainmise de ces grandes puissances sur la politique extérieure et, surtout à partir du congrès de Berlin, sur la politique intérieure et la vie économique de la Turquie : « l’homme malade » est aux mains de docteurs qui ne veulent pas spécialement son rétablissement..>> (Histoire de la Turquie)
Ce bilan, les musulmans de Turquie, d’Asie ou du Moyen-Orient le feront de façon plus sévère encore. Les clause du congrès de Berlin ne font que confirmerun processus d’ingérence étrangère qu’avait déjà perçu Ibn Abd al-Wahhab et qui i n’a fait que s’accroître avec le temps : il s’amplifiera encore, une année après Berlin, en 1879, avec la création de l’organisme de la dette publique ottomane, cogéré par la France et l’Angleterre et qui a le monopole sur les revenus du sel, du tabac, des timbres, des taxes sur les alcools, des soies. La Régie des tabacs de l’empire ottoman est européenne et ce sont les entreprises belges, françaises ou allemandes qui sont chargées des constructions ou de l’exploitation des mines. L’empire ottoman est désormais sous tutelle et il en sera ainsi jusqu’à sa disparition.
Devant ce triste spectacle offert au monde musulman, diverses prises de position vont être formulées pour expliquer les causes de ce déclin. D’aucuns accuseront l’Islam d’avoir empêcher que soit réalisé un progrès similaire à celui des puissances occidentales ; d’autres critiqueront plus précisément le traditionalisme ; d’autres encore appelleront à faire comme ils voient faire les européens ; certains verront d’un bon œil l’ingérence étrangère qu’ils jugent salvatrice ; à l’opposé, des savants, des intellectuels ou des responsables politiques prôneront le rejet de « tout ce qui vient d’ailleurs » ou encore la résistance au nom de l’Islam ; certains, enfin, désireux de rester fidèles à l’Islam critiqueront les musulmans et la sclérose de leur pensée. Moment de crise de conscience et d’identité face à un avenir qui apparaît bien noir parce que tout semble présenter les signes d’un assujettissement désormais total à l’Europe.
LE NATIONALISME ARABE
Au cours du XIXe siècle, l’hégémonie de l’Occident s’impose de plus en plus à l’Empire ottoman. Les ambassadeurs européens dictent leur politique aux sultans, imposent l’ouverture des marchés orientaux aux produits européens. La position de subordination politique et économique où est placé l’Orient ottoman suscite des réactions. Les souverains envisagent des réformes d’en haut, des intellectuels poussent à une attitude plus radicale – et d’abord dans la direction de l’occidentalisation pure et simple.
Les désillusions causées par les conséquences catastrophiques du libéralisme économique appliqué à l’Empire ottoman, la poursuite des projets impérialistes européens, le mépris des puissances occidentales pour les efforts de rénovation interne aboutissent à un revirement des intellectuels musulmans. Notamment après l’occupation de la Tunisie par la France (1881) et de l’Égypte par la Grande-Bretagne (1882), la protestation contre l’impérialisme européen se cristallise autour de la communauté musulmane et de l’Empire ottoman, dernière structure étatique musulmane encore relativement puissante. L’une et l’autre sont conçus par les intellectuels d’un nouveau type sur le modèle des nations européennes. En sa qualité de calife et de sultan, Abd ül-hamid (1878-1908) exploite cette tendance dans une tonalité despotique, réactionnaire et obscurantiste.
Le grand idéologue de ce mouvement protestataire anti-impérialiste est, après le poète turc Namyk Kemal, qui développe déjà des idées semblables vers 1871-1876, le Persan Djem al ad-d in dit al-Afgh an i (1839-1897), conspirateur révolutionnaire, semeur d’idées, libre penseur qui se rallie à l’utilisation tactique du sentiment d’appartenance à la communauté musulmane vers 1880. Son panislamisme, à visées anti-impérialistes, ne l’empêche pas de soutenir les luttes pour l’indépendance conçues sur une base plus localisée, comme en Iran, en Égypte, dans l’Inde, en y prêchant la coopération militante des adhérents des diverses religions.
N.B : pour les penseurs arabes, il paraît clair qu’al-Afghani était d’origine afghane et de tradition sunnite ; pour les chercheurs orientalistes, il paraît non moins évident que ledit « Afghani » était n fait persan et shiite.
La mauvaise administration ottomane et la prédominance turque dans l’Asie arabe, le despotisme hamidien, l’orgueil des Arabes fiers de leur rôle dans la création et la diffusion de l’islam, la floraison des études littéraires arabes, notamment à Beyrouth en milieu chrétien, font naître une atmosphère hostile aux Turcs, qui se généralise chez les Arabes d’Asie. Les observateurs la décèlent dès les années 1880. Mais ce mécontentement ne débouche sur l’idée d’un État arabe (limité à la Syrie et au Liban) que chez quelques jeunes chrétiens libanais vers 1880. Les musulmans répugnent à envisager la dissolution de l’Empire ottoman.
Le premier manifeste sans équivoque du nationalisme arabe de quelque influence est l’ouvrage de ‘Abd ar-Rahm an al-Kaw akibi (1849-1903), Syrien exilé en Égypte, Omm al-Qor a (« la mère des cités », c’est-à-dire La Mecque), parue en 1901-1902 au Caire, où il exalte la supériorité des Arabes sur les Turcs et trace un plan de régénération de l’Islam sous l’impulsion d’un califat arabe dont le centre serait La Mecque et dont les pouvoirs seraient uniquement spirituels. Il est fortement influencé par W. S. Blunt (1840-1922), poète britannique, ardent partisan de l’indépendance égyptienne et des Arabes, dont le livre The Future of Islam (1881) émettait des idées analogues. Les idées de Kawa kibi furent reprises et développées par le chrétien syro-palestinien Naji b ‘Azu ri (mort en 1916) qui fonde à Paris, avec le haut fonctionnaire français Eugène Jung, une fantomatique Ligue de la patrie arabe, publie un livre, Le Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque (Paris, 1905) et fonde une revue, L’Indépendance arabe (Paris, 1907-1908). Il est le premier à proposer un empire arabe indépendant. Mais son appartenance minoritaire, le fait que sa propagande est diffusée uniquement en français, ses liens probables avec la politique coloniale française nuisent beaucoup à l’accueil fait à ses idées.
La révolution jeune-turque (1908), instaurant un régime constitutionnel, avec un parlement, dans l’Empire ottoman, permit aux mécontents de toute sorte de s’organiser. En même temps, la politique centralisatrice des Jeunes-Turcs, de plus en plus enclins malgré leurs déclarations à faire fond primordiale ment sur l’élément turc, accroissait le mécontentement des provinces arabes. Des organisations se fondèrent, avec un programme demandant surtout l’égalité des droits des Arabes au sein de l’Empire, des assemblées locales, l’emploi de l’arabe dans les régions de langue arabe pour l’administration, l’éducation, etc. Ce fut notamment le programme du Parti ottoman pour la décentralisation administrative, fondé en 1912. Un comité pour la réforme fut fondé à Beyrouth. Un congrès arabe, avec des délégués chrétiens et musulmans, se tint à Paris en juin 1913. Ses revendications étaient modérées, dirigées surtout contre la centralisation excessive et la turquisation. En même temps se constituaient des sociétés secrètes plus radicales, comme la Qahtaniyya, qui demandait une double monarchie arabo-turque sur le modèle de l’Autriche-Hongrie (1909), la Fat at, qui exigeait l’indépendance arabe (1911), Al-‘Ahd composée surtout de militaires irakiens (1914).
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