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Foi et philosophie, remettre les pendules à l’heure

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  • Foi et philosophie, remettre les pendules à l’heure

    l y a plus de 800 ans, un homme qui combinait une bonne maîtrise des savoirs portant sur les normes religieuses, qui avait entamé quelques années auparavant une carrière de cadi (juge selon la loi islamique), mais qui avait en même temps contracté une passion pour la philosophie (qui comprenait à l’époque à la fois l’enseignement des grands maîtres grecs et les sciences de la nature) prenait sur lui de relever un défi, à savoir, justifier la pratique de la philosophie auprès de ses contemporains. Au temps de Ibn Rochd (1) en effet, la philosophie était suspectée de conduire à l’égarement et à la négation de croyances essentielles. Il voulut la défendre de la meilleure manière, c’est-à-dire en partant des commandements déduits ou extraits du corpus sacré. Il a également voulu produire une démonstration ferme, claire et inattaquable. C’est pour cela qu’il donna à son ouvrage le titre de «Fasl-al-Maqal», qu’on traduit aujourd’hui par «Traité décisif».

    Il est probable qu’un visiteur venant d’une autre planète serait surpris de voir que la question qu’une de nos grandes figures intellectuelles a pensé avoir tranché il y a plus de 800 ans soit posée aujourd’hui pratiquement dans les mêmes termes et qu’elle provoque encore d’intenses débats et suscite de fortes émotions, alors que le pays fait face à des défis sérieux aux plans politique, économique, etc.

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Nous savons aujourd’hui que la conjoncture internationale nous force à faire quelque chose que nous aurions dû faire il y a bien longtemps, à savoir réexaminer l’état de notre système éducatif en matière de religion. Pendant des décennies, nous étions tellement occupés par les problèmes de développement économique et de système de gouvernance que nous avons négligé une matière très sensible, à savoir l’éducation religieuse. Les programmes dans cette discipline ont dû être réexaminés, pour mettre en place une approche qui tienne compte des conditions des sociétés d’aujourd’hui, maintenues en état de fonctionnement par des systèmes institutionnels complexes, et surtout pacifiées par la présence d’un État moderne, puissant et omniprésent.

    La révision des programmes éducatifs a été initiée au niveau des départements concernés, puis, une fois les nouveaux programmes prêts, le champ a été ouvert à des tiers privés, comme le prévoit le règlement, pour rédiger des manuels scolaires selon les nouvelles orientations. Comme il arrive souvent, il y eut plus d’une proposition de manuel, deux dans ce cas, et les deux furent approuvés par le département de tutelle. Quelque temps après, les professeurs de philosophie ont relevé que, dans l’un des deux manuels mis sur le marché, un chapitre intitulé « foi et philosophie » adopte une démarche surprenante et cherche à convaincre l’apprenant qu’il y aurait une incompatibilité fondamentale entre la foi musulmane et la philosophie, comprise comme la démarche de ceux qui aspirent à trouver par leurs propres moyens des réponses aux questions que l’homme se pose.
    Faut-il en être scandalisé ? En fait, il y a toujours eu, pas seulement dans les contextes musulmans, des attitudes qu’on appelle parfois fidéistes, pour lesquelles la foi implique un abandon total des disciplines par lesquelles on tente de trouver par soi-même des réponses aux questions qu’on se pose. Au temps de Ibn Rochd, il y a plus de 800 ans et pendant des siècles, de nombreux lettrés priaient le Créateur de leur accorder une foi semblable à celle des «vieilles femmes», en qui on reconnaissait la présence d’un profond sentiment du divin. Quelques siècles auparavant, également dans notre région, un autre converti à une foi ardente est allé encore plus loin : il a affirmé croire justement parce que c’était incroyable. C’était Saint-Augustin (2), l’un des grands saints du christianisme, originaire d’une région située dans l’est de l’Algérie d’aujourd’hui.

    Les auteurs du manuel en question ont cru bon de rappeler ce dilemme entre foi et philosophie et de le formuler comme un choix entre la certitude de l’argument d’autorité et la « volatilité » des opinions des philosophes.
    Faut-il s’en offusquer ? Il est certain que les professeurs de philosophie ont raison aujourd’hui de s’émouvoir. L’idée de mobiliser une argumentation rationnelle contre toute argumentation rationnelle est déjà un cercle en elle-même. Ce à quoi il faut ajouter qu’un jeune de 16 à 19 ans est mal armé pour faire face à des semblants d’arguments aussi subtils. Faut-il pour autant demander qu’une telle leçon soit censurée? Il serait plutôt bien plus approprié que le professeur de philosophie fasse ce qui devrait être son travail principal, c’est-à-dire apprendre aux élèves à lire un texte attentivement, à bien évaluer les arguments présentés et à penser les sujets qui sont au cœur des préoccupations de tous.

    Le manuel lui-même, qui a été choisi par un enseignant sur cinq (une donnée importante pour ceux qui veulent mesurer les penchants du corps enseignant), est l’un des instruments mis en place dans le cadre de la nouvelle réforme, laquelle prévoit une évaluation des effets des nouvelles approches éducatives. Notre pays a connu depuis son indépendance une succession de réformes qui étaient adoptées à chaque fois au terme de débats intenses. Toutefois, une fois chacun est rentré chez lui et a repris ses occupations ordinaires, le suivi de la réforme et l’étape d’évaluation ont été tout simplement oubliés. En conséquence, le parcours dans ce domaine se présente comme une succession de bonnes résolutions oubliées peu de temps après avoir été adoptées, et de réveils pénibles à des réalités souvent intolérables.

    Le plus important est de rester vigilant, cette fois-ci, pour que le processus entamé soit poussé jusqu’à son terme, de telle façon qu’il y ait un véritable apprentissage en matière de gouvernance de ce secteur essentiel dans la vie du pays et de façon à enclencher une dynamique d’ajustement qui permette d’avancer au lieu d’être réveillé brutalement de temps en temps à des réalités inacceptables. Pour les professeurs de philosophie, l’opportunité que représente cette situation n’a pas de prix. Elle permet de montrer par les actes que des sujets aussi importants ne sauraient être le monopole exclusif d’un magistère religieux qui répète mécaniquement des leçons héritées d’un autre âge. Elle offre une occasion de procéder à un examen critique de discours qui sont présents et influents autour de nous, le tout dans le respect de la sensibilité et de l’intelligence des jeunes générations. C’est-à-dire sans chercher à leur « bourrer le crâne » par quelque idéologie que ce soit.
    Deux points pour conclure : En 1793, Emmanuel Kant a publié un livre au titre remarquable, «La religion dans les limites de la simple raison». Sa vision a ouvert un champ immense devant la théologie et la pensée éthique en général. Avec une ouverture de l’éducation religieuse aux diverses approches des sciences humaines, il sera possible de transmettre aux jeunes générations une meilleure con-naissance des sources ainsi qu’une bonne initiation à la diversité des points de vue que les musulmans ont adoptés à l’égard de leur héritage religieux. Parmi les suppliques répétées par nos parents, il y en a une qui vient à l’esprit en ce moment : “Que Dieu protège en nous la raison et la foi” (Allahuma sallimi al-‘Aql wa al-Din). L’ordre d’énonciation n’est certainement pas sans signification, car la foi juste, pensaient la plupart de nos ancêtres, n’est possible que si la raison est saine.

    Par Abdou Filali Ansary

    (1) Né à Cordoue en 1126, mort à Marrakech en 1198.
    (2) Né à Taghast en 354, mort à Hipo Regius en 430. On a gardé de lui cette citation : « Le Fils de Dieu a été crucifié ? Je n’ai pas honte puisqu’il faut avoir honte. Le Fils de Dieu est mort ? Il faut y croire parce que c’est absurde. Il a été enseveli, il est ressuscité : cela est certain puisque c’est impossible ».


    Zamane

  • #2
    L’éducation, depuis qu'elle est structurée est devenue très complexe et est emprunte de beaucoup de subtilités qui s'y côtoient, surtout en matière philosophique et religieuse.

    car la foi juste, pensaient la plupart de nos ancêtres, n’est possible que si la raison est saine.
    Cette maxime me laisse perplexe, car la seule raison saine que je connais est celle d'un nouveau né (il n'y a rien dedans, la mémoire est vierge).

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