Cri du cœur… Ceux qui savent comprendront… Et tant pis pour les autres ; leur inculture est leur faute à eux seuls.
Les constructions zonales à l’échelle du monde se multiplient du nord au sud et de l’est à l’ouest de la planète. Même les États-Unis, puissance économique, militaire et politique cherchent des complémentarités avec leurs voisins, mexicains et canadiens.
Les pays arabophones doivent faire face aux défis intérieurs. La montée du chômage parmi les jeunes, une démographique galopante et la raréfaction des ressources minières et leur épuisement à terme font peser des menaces inextricables sur la stabilité, l’intégrité et la pérennité de ces pays.
Le destin commun qui prend ses racines dès la fondation de « l’Oumma mouslima » (la nation musulmane) qui s’est réduite à « l’Imama arabya » (le leadership arabe) a ancré l’idée d’une nation arabe divisée par les colonialismes successifs et surtout les accords Sykes-Picot, signés le 16 mai 1916 entre la France et la Grande Bretagne. Ceux-ci prévoyaient un dépeçage du Moyen-Orient, de la Mer Noire, la Mer Méditerranée, la Mer Rouge, l’Océan Indien et la Mer Caspienne, alors partie intégrante de l’Empire Ottoman.
C’est par la force des armes que les Britanniques et les Français réussirent à imposer à la Société des Nations (SDN – l’ancêtre de l’ONU) les nouvelles frontières d’un Moyen-Orient remodelé. La France reçoit mandat sur le Liban et la Syrie tandis que le Royaume-Uni fait main basse sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine…
Les deux puissances coloniales vont installer des dynasties au gré de leurs intérêts respectifs sans pour autant respecter les logiques territoriales et les équilibres socio-économiques. Les discontinuités dans l’espace et la géographie sont flagrantes.
Au Maghreb, le tracé des frontières entre la Tunisie, le Maroc et l’Algérie fut à l’avantage de cette dernière, car considérée comme un département rattaché pour « l’éternité » à l’Hexagone, alors que les premières furent des protectorats dont la souveraineté était limitée dans le temps.
Une fois leur indépendance acquise, en 1956, Tunisiens et Marocains acceptèrent l’idée de ne pas négocier leurs frontières avec leur voisin algérien tant que ce pays était sous le joug français. La « bonne foi » a prévalu entre Mohamed V et les partis nationalistes, côté marocain, Bourguiba et le Néo-Destour, côté tunisien, et Ferhat Abbas à la tête du gouvernement provisoire de la république algérienne créée le 19 septembre 1958.
La conférence de Tanger, qui se tient du 27 au 30 avril 1958, est dévolue à l’unification de la région maghrébine et « recommande aux gouvernements des pays du Maghreb arabe de ne pas engager séparément le destin de l’Afrique du Nord dans les domaines extérieures et de la défense jusqu’à l’installation des institutions fédérales ».
La question des frontières entre les pays du Maghreb est inséparable du processus de colonisation française.
Évidemment, il n’est pas question de modifier les frontières héritées des colonisateurs qui ont agi selon leurs propres intérêts, avec une myopie déconcertante et aux conséquences néfastes pour les populations colonisées.
Je me souviens de ce que m’a dit un haut-gradé de l’armée française, au moment de l’occupation du nord du Mali par AQMI [ndlr : al-Qaeda au Maghreb islamique, qui s’empare du nord du Mali en 2012] et le MNLA [ndlr : le Mouvement national de Libération de l’Azawad ; allié d’AQMI – idem] : « la France a mal définit les frontières et agrégé des populations arabes au Mali. »
Aussi bien dans le cas de ce pays que pour les pays du Maghreb, le principe de l’intangibilité des frontières et du statu quo territorial est une évidence. Autrement dit, si l’on veut reconsidérer les frontières selon leurs logiques historiques, c’est-à-dire selon les réalités qui prévalaient avant la colonisation (ou en termes ethniques, linguistiques et tribales), l’Afrique et le Moyen-Orient éclateraient en mille morceaux !
L’exemple nous vient d’Europe, où l’Allemagne, défaite après la deuxième guerre mondiale, a vu son territoire amputé ; et ce ne fut que le 16 janvier 1992 que l’accord frontalier germano-polonais de 1990 définissant la ligne Oder-Neisse comme frontière entre les deux pays fut conclu. Quant à la Hongrie, elle a été dépecée, et des minorités hongroises sont aujourd’hui encore disséminées dans les pays voisins.
Si l’on se déplace en Asie du sud-est, les litiges frontaliers sont prégnants entre le Vietnam et le Cambodge, entre ce dernier et la Thaïlande. Aussi rappelons-nous les escarmouches entre armée vietnamienne et chinoise tout le long de leurs frontières.
L’enseignement majeure que l’on peut en tirer est le suivant : des pays ayant des conflits de voisinages se sont regroupés pour constituer des unions économiques dans le cadre de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).
Les États arabes du Machrek et du Maghreb devraient faire preuve de pragmatisme et d’une vision constructive et s’abstenir de considérer leurs voisins comme des ennemis éternels, mais plutôt comme des partenaires durables au bénéfice de leurs peuples.
Le morcellement des pays arabes n’a pas pris fin avec la décolonisation. L’exemple du Sud-Soudan, qui a été séparé du Nord sous pression américaine, l’indépendance du Kosovo, de la Serbie, sont des précédents qui risquent de faire des émules.
Les Américains ayant acquis leur indépendance énergétique grâce à la production du gaz et pétrole de schiste se désintéressent des pays producteurs des hydrocarbures du Moyen-Orient. Il est à craindre des soubresauts de minorités demandant leur indépendance comme en Irak, en Libye, en Syrie, au Yémen et peut être au Maghreb !
Les pays arabes, comme les nations africaines et plus généralement celles en développement, devraient se regrouper en communautés économiques pour unir leur force et peser face aux grandes puissances.
Le Maghreb (en incluant un jour l’Égypte pour en faire une communauté économique nord-africaine) devrait se rapprocher davantage du CCG (Conseil de Coopération du Golfe).
Ces zones économiques devraient coordonner leurs projets d’intégration au sein de la Ligue arabe, qui devrait se transformer en une « communauté économique arabe ».
Celle-ci aurait vocation à se tourner vers l’Afrique sub-saharienne ! Comme gisement pour des investissements mutuellement avantageux.
Des fonds souverains des pays exportateurs d’hydrocarbures devraient s’investir dans les autres pays arabes non producteurs de pétrole et de gaz et en Afrique Sub-saharienne, avec la technologie européenne.
Le cadre institutionnel de cette coopération devrait englober cette « communauté économique arabe » (ex-Ligue arabe), l’Union Africaine et l’Union Européenne, avec à la clé des avantages en matière d’accès aux marchés européens contre l’utilisation de capitaux arabes et une protection des investissements et leur facilitation.
Toute l’histoire d’un « rêve »…
CAMILLE SARI
Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives
Le courrier du Maghreb et de l'Orient
Les constructions zonales à l’échelle du monde se multiplient du nord au sud et de l’est à l’ouest de la planète. Même les États-Unis, puissance économique, militaire et politique cherchent des complémentarités avec leurs voisins, mexicains et canadiens.
Les pays arabophones doivent faire face aux défis intérieurs. La montée du chômage parmi les jeunes, une démographique galopante et la raréfaction des ressources minières et leur épuisement à terme font peser des menaces inextricables sur la stabilité, l’intégrité et la pérennité de ces pays.
Le destin commun qui prend ses racines dès la fondation de « l’Oumma mouslima » (la nation musulmane) qui s’est réduite à « l’Imama arabya » (le leadership arabe) a ancré l’idée d’une nation arabe divisée par les colonialismes successifs et surtout les accords Sykes-Picot, signés le 16 mai 1916 entre la France et la Grande Bretagne. Ceux-ci prévoyaient un dépeçage du Moyen-Orient, de la Mer Noire, la Mer Méditerranée, la Mer Rouge, l’Océan Indien et la Mer Caspienne, alors partie intégrante de l’Empire Ottoman.
C’est par la force des armes que les Britanniques et les Français réussirent à imposer à la Société des Nations (SDN – l’ancêtre de l’ONU) les nouvelles frontières d’un Moyen-Orient remodelé. La France reçoit mandat sur le Liban et la Syrie tandis que le Royaume-Uni fait main basse sur l’Irak, la Transjordanie et la Palestine…
Les deux puissances coloniales vont installer des dynasties au gré de leurs intérêts respectifs sans pour autant respecter les logiques territoriales et les équilibres socio-économiques. Les discontinuités dans l’espace et la géographie sont flagrantes.
Au Maghreb, le tracé des frontières entre la Tunisie, le Maroc et l’Algérie fut à l’avantage de cette dernière, car considérée comme un département rattaché pour « l’éternité » à l’Hexagone, alors que les premières furent des protectorats dont la souveraineté était limitée dans le temps.
Une fois leur indépendance acquise, en 1956, Tunisiens et Marocains acceptèrent l’idée de ne pas négocier leurs frontières avec leur voisin algérien tant que ce pays était sous le joug français. La « bonne foi » a prévalu entre Mohamed V et les partis nationalistes, côté marocain, Bourguiba et le Néo-Destour, côté tunisien, et Ferhat Abbas à la tête du gouvernement provisoire de la république algérienne créée le 19 septembre 1958.
La conférence de Tanger, qui se tient du 27 au 30 avril 1958, est dévolue à l’unification de la région maghrébine et « recommande aux gouvernements des pays du Maghreb arabe de ne pas engager séparément le destin de l’Afrique du Nord dans les domaines extérieures et de la défense jusqu’à l’installation des institutions fédérales ».
La question des frontières entre les pays du Maghreb est inséparable du processus de colonisation française.
Évidemment, il n’est pas question de modifier les frontières héritées des colonisateurs qui ont agi selon leurs propres intérêts, avec une myopie déconcertante et aux conséquences néfastes pour les populations colonisées.
Je me souviens de ce que m’a dit un haut-gradé de l’armée française, au moment de l’occupation du nord du Mali par AQMI [ndlr : al-Qaeda au Maghreb islamique, qui s’empare du nord du Mali en 2012] et le MNLA [ndlr : le Mouvement national de Libération de l’Azawad ; allié d’AQMI – idem] : « la France a mal définit les frontières et agrégé des populations arabes au Mali. »
Aussi bien dans le cas de ce pays que pour les pays du Maghreb, le principe de l’intangibilité des frontières et du statu quo territorial est une évidence. Autrement dit, si l’on veut reconsidérer les frontières selon leurs logiques historiques, c’est-à-dire selon les réalités qui prévalaient avant la colonisation (ou en termes ethniques, linguistiques et tribales), l’Afrique et le Moyen-Orient éclateraient en mille morceaux !
L’exemple nous vient d’Europe, où l’Allemagne, défaite après la deuxième guerre mondiale, a vu son territoire amputé ; et ce ne fut que le 16 janvier 1992 que l’accord frontalier germano-polonais de 1990 définissant la ligne Oder-Neisse comme frontière entre les deux pays fut conclu. Quant à la Hongrie, elle a été dépecée, et des minorités hongroises sont aujourd’hui encore disséminées dans les pays voisins.
Si l’on se déplace en Asie du sud-est, les litiges frontaliers sont prégnants entre le Vietnam et le Cambodge, entre ce dernier et la Thaïlande. Aussi rappelons-nous les escarmouches entre armée vietnamienne et chinoise tout le long de leurs frontières.
L’enseignement majeure que l’on peut en tirer est le suivant : des pays ayant des conflits de voisinages se sont regroupés pour constituer des unions économiques dans le cadre de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).
Les États arabes du Machrek et du Maghreb devraient faire preuve de pragmatisme et d’une vision constructive et s’abstenir de considérer leurs voisins comme des ennemis éternels, mais plutôt comme des partenaires durables au bénéfice de leurs peuples.
Le morcellement des pays arabes n’a pas pris fin avec la décolonisation. L’exemple du Sud-Soudan, qui a été séparé du Nord sous pression américaine, l’indépendance du Kosovo, de la Serbie, sont des précédents qui risquent de faire des émules.
Les Américains ayant acquis leur indépendance énergétique grâce à la production du gaz et pétrole de schiste se désintéressent des pays producteurs des hydrocarbures du Moyen-Orient. Il est à craindre des soubresauts de minorités demandant leur indépendance comme en Irak, en Libye, en Syrie, au Yémen et peut être au Maghreb !
Les pays arabes, comme les nations africaines et plus généralement celles en développement, devraient se regrouper en communautés économiques pour unir leur force et peser face aux grandes puissances.
Le Maghreb (en incluant un jour l’Égypte pour en faire une communauté économique nord-africaine) devrait se rapprocher davantage du CCG (Conseil de Coopération du Golfe).
Ces zones économiques devraient coordonner leurs projets d’intégration au sein de la Ligue arabe, qui devrait se transformer en une « communauté économique arabe ».
Celle-ci aurait vocation à se tourner vers l’Afrique sub-saharienne ! Comme gisement pour des investissements mutuellement avantageux.
Des fonds souverains des pays exportateurs d’hydrocarbures devraient s’investir dans les autres pays arabes non producteurs de pétrole et de gaz et en Afrique Sub-saharienne, avec la technologie européenne.
Le cadre institutionnel de cette coopération devrait englober cette « communauté économique arabe » (ex-Ligue arabe), l’Union Africaine et l’Union Européenne, avec à la clé des avantages en matière d’accès aux marchés européens contre l’utilisation de capitaux arabes et une protection des investissements et leur facilitation.
Toute l’histoire d’un « rêve »…
CAMILLE SARI
Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives
Le courrier du Maghreb et de l'Orient
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