Comment expliquer que l'idéologie jihadiste séduise tant d'hommes ? Trois mois après les attentats du 13 novembre, la question du soubassement idéologique de ces événements sanguinaires fait toujours débat. Pour Mohamed Ali-Adraoui, auteur de "Du Golfe aux banlieues. Le salafisme mondialisé", penser le salafisme sous l’angle uniquement religieux est une erreur
Que nous apprend au sujet de la situation actuelle le chercheur ayant travaillé plusieurs années sur le salafisme ?
Figure récurrente du débat politique, la question du soubassement idéologique des événements sanguinaires du 13 novembre dernier est une nouvelle fois posée, comme l’illustrent les dernières interventions de Manuel Valls, citant nommément le rôle du salafisme dans l’éclosion de mouvements violents et insurrectionnels.
Mettant en garde contre toute analyse sociologique, risquant de relativiser le poids de l’idéologie, cette analyse vise en fait à prévenir l’historicisation de celle-ci, ce qui constitue pourtant la démarche idoine.
L’idéologie n’émerge jamais de nulle part
Tout est par définition sociologique. L’idéologie n’émerge jamais de nulle part, elle reflète les constructions intellectuelles et symboliques provenant d’acteurs désireux de composer avec et au sein d’une période donnée. Il en va de même pour qui souhaite étudier les profils jihadistes.
Penser le salafisme, concept éminemment pluriel, sous l’angle uniquement idéologique, c’est volens nolens taire les conditions de production d’une théorie de l’histoire situant le renouveau des musulmans dans le retour aux origines, y compris aux yeux de certains par l’usage de la violence.
De fait, toute tentative de saisir les raisons de l’émergence de ces courants doit s’insérer dans une démarche dialogique comme y invite Edgar Morin attentive à une multiplicité et une hiérarchie de facteurs.
Les salafis revendiquent de s’éloigner de toute révérence jugée excessive à l’endroit des écoles instituées, pour mieux revenir à la source, ses adeptes pouvant être démocrates, apolitiques ou violents. Ces derniers se reconnaissent dans une vision véhémente du jihad, notion désignant l’effort de mise en conformité avec les principes de la religion.
Une réaction à la "trahison" d'un pouvoir politique
On peut présenter l’appropriation d’un courant de manière anhistorique comme s’il n’existait rien entre offre et demande de doctrine. La conclusion dès lors tirée est la nécessité de mener un débat scripturaire afin de cerner la lecture '"juste" du dogme supposée désarmer au sens propre comme figuré les radicaux.
L’universitaire n’a pas qualité à trancher cette politique de la sourate. Ce que nous sommes néanmoins en mesure de démontrer, c’est l’évidente historicité du phénomène jihadiste contemporain d’une part, la régularité de certains traits offerts par les adeptes de cette idéologie d’autre part.
Déclarer la légitimité de l’action armée contre régimes, États et individus censément iniques a reconquis une légitimité certaine à l’époque contemporaine du fait de l’interaction entre certains Frères musulmans et gouvernements vilipendés pour leur peu de respect de la religion.
Le jihadisme ne résulte pas primordialement d’une lecture "théologique" que de l’itinéraire du penseur Sayyed Qutb, de profil séculier, amené à penser la réaction "orthodoxe" à la "trahison" du pouvoir nassérien, offrant ce faisant l’empreinte excommunicatrice qui sera suivie par des générations de militants désignant au gré des circonstances un nouvel ennemi.
Un espace qui offre une légitimité aux thèses jihadistes
L’interprétation de Qutb ne repose pas tant sur un savoir religieux, bien que de nombreux clercs lui aient apporté leur soutien, que sur une réflexion sur les raisons de l’échec des islamistes à prendre le pouvoir.
Si les justifications deviennent religieuses, c’est souvent l’ouverture d’un espace conflictuel qui offre une légitimité aux thèses jihadistes et non l’inverse. Ces dernières s’insèrent dans des sociétés brutalisées et traumatisées parvenant à transformer la grammaire de la guerre mais l’initiant rarement.
Reste la question de la porosité entre salafisme quiétiste et insurrectionnel. Autrement dit, rechercher une forme de coupure avec la société pour se plonger dans une purification revendiquée de ses mœurs et croyances constitue-t-il une condition nécessaire et suffisante à l’embrigadement dans un mouvement jihadiste, la césure psychologique précédant le passage à la violence ?
Les auteurs d’actes terroristes ou de ralliement à des mouvements radicaux au Moyen-Orient trouvent-ils dans le jihadisme un exutoire à leurs aspirations préexistantes à la violence ou l’identification au salafisme offre-t-elle l’incubation requise ?
Il est question d’un phénomène générationnel
Il apparaît, après fréquentation sur plusieurs années des communautés salafies en France et ailleurs, qu’il est bien question d’un phénomène générationnel. C’est là le caractère primordial.
Loin de renvoyer à un islam de patriarches, quiétistes et jihadistes sont bien les représentants d’une réaction et d’un dépassement des formes traditionnelles d’ancrage dans la religiosité.
De fait, qu’on le veuille ou non, la fonction de réaction à une socialisation familiale jugée défaillante ainsi qu’aux carences des États et régimes inefficaces à défendre la oumma de par le monde parce que refusant de suivre l’islam "véritable" est constitutive de la fameuse radicalisation.
En cela, si l’environnement au sein duquel pointent les appels à la violence importe incontestablement, l’itinéraire personnel n’en demeure pas moins central puisque nos recherches ont montré l’antériorité de la dichotomie opposant le "soi" et le "système", l’affiliation à l’islam radical dé-sécularisant l’imaginaire mais ne le créant pas.
Ne pas surdéterminer le rôle de la matrice salafie
En outre, la nécessaire approche comparative du fondamentalisme religieux contemporain nous amène à ne pas surdéterminer le rôle de la matrice salafie (condamnant majoritairement le jihadisme) dans le fait de mobiliser ces références islamiques pour justifier l’entreprise violente.
En effet, orthodoxes, amish ou traditionalistes dans d’autres religions peuvent pousser volontairement à la rupture avec ce qui relève à leurs yeux de l’impiété mais, n’étant pas adossés aux conflits et crises du monde arabe actuel, ne disposent pas du terreau pour le coup indispensable à l’éclosion du jihadisme moderne, à savoir la déflagration politique dans un contexte donné.
l'OBS
Que nous apprend au sujet de la situation actuelle le chercheur ayant travaillé plusieurs années sur le salafisme ?
Figure récurrente du débat politique, la question du soubassement idéologique des événements sanguinaires du 13 novembre dernier est une nouvelle fois posée, comme l’illustrent les dernières interventions de Manuel Valls, citant nommément le rôle du salafisme dans l’éclosion de mouvements violents et insurrectionnels.
Mettant en garde contre toute analyse sociologique, risquant de relativiser le poids de l’idéologie, cette analyse vise en fait à prévenir l’historicisation de celle-ci, ce qui constitue pourtant la démarche idoine.
L’idéologie n’émerge jamais de nulle part
Tout est par définition sociologique. L’idéologie n’émerge jamais de nulle part, elle reflète les constructions intellectuelles et symboliques provenant d’acteurs désireux de composer avec et au sein d’une période donnée. Il en va de même pour qui souhaite étudier les profils jihadistes.
Penser le salafisme, concept éminemment pluriel, sous l’angle uniquement idéologique, c’est volens nolens taire les conditions de production d’une théorie de l’histoire situant le renouveau des musulmans dans le retour aux origines, y compris aux yeux de certains par l’usage de la violence.
De fait, toute tentative de saisir les raisons de l’émergence de ces courants doit s’insérer dans une démarche dialogique comme y invite Edgar Morin attentive à une multiplicité et une hiérarchie de facteurs.
Les salafis revendiquent de s’éloigner de toute révérence jugée excessive à l’endroit des écoles instituées, pour mieux revenir à la source, ses adeptes pouvant être démocrates, apolitiques ou violents. Ces derniers se reconnaissent dans une vision véhémente du jihad, notion désignant l’effort de mise en conformité avec les principes de la religion.
Une réaction à la "trahison" d'un pouvoir politique
On peut présenter l’appropriation d’un courant de manière anhistorique comme s’il n’existait rien entre offre et demande de doctrine. La conclusion dès lors tirée est la nécessité de mener un débat scripturaire afin de cerner la lecture '"juste" du dogme supposée désarmer au sens propre comme figuré les radicaux.
L’universitaire n’a pas qualité à trancher cette politique de la sourate. Ce que nous sommes néanmoins en mesure de démontrer, c’est l’évidente historicité du phénomène jihadiste contemporain d’une part, la régularité de certains traits offerts par les adeptes de cette idéologie d’autre part.
Déclarer la légitimité de l’action armée contre régimes, États et individus censément iniques a reconquis une légitimité certaine à l’époque contemporaine du fait de l’interaction entre certains Frères musulmans et gouvernements vilipendés pour leur peu de respect de la religion.
Le jihadisme ne résulte pas primordialement d’une lecture "théologique" que de l’itinéraire du penseur Sayyed Qutb, de profil séculier, amené à penser la réaction "orthodoxe" à la "trahison" du pouvoir nassérien, offrant ce faisant l’empreinte excommunicatrice qui sera suivie par des générations de militants désignant au gré des circonstances un nouvel ennemi.
Un espace qui offre une légitimité aux thèses jihadistes
L’interprétation de Qutb ne repose pas tant sur un savoir religieux, bien que de nombreux clercs lui aient apporté leur soutien, que sur une réflexion sur les raisons de l’échec des islamistes à prendre le pouvoir.
Si les justifications deviennent religieuses, c’est souvent l’ouverture d’un espace conflictuel qui offre une légitimité aux thèses jihadistes et non l’inverse. Ces dernières s’insèrent dans des sociétés brutalisées et traumatisées parvenant à transformer la grammaire de la guerre mais l’initiant rarement.
Reste la question de la porosité entre salafisme quiétiste et insurrectionnel. Autrement dit, rechercher une forme de coupure avec la société pour se plonger dans une purification revendiquée de ses mœurs et croyances constitue-t-il une condition nécessaire et suffisante à l’embrigadement dans un mouvement jihadiste, la césure psychologique précédant le passage à la violence ?
Les auteurs d’actes terroristes ou de ralliement à des mouvements radicaux au Moyen-Orient trouvent-ils dans le jihadisme un exutoire à leurs aspirations préexistantes à la violence ou l’identification au salafisme offre-t-elle l’incubation requise ?
Il est question d’un phénomène générationnel
Il apparaît, après fréquentation sur plusieurs années des communautés salafies en France et ailleurs, qu’il est bien question d’un phénomène générationnel. C’est là le caractère primordial.
Loin de renvoyer à un islam de patriarches, quiétistes et jihadistes sont bien les représentants d’une réaction et d’un dépassement des formes traditionnelles d’ancrage dans la religiosité.
De fait, qu’on le veuille ou non, la fonction de réaction à une socialisation familiale jugée défaillante ainsi qu’aux carences des États et régimes inefficaces à défendre la oumma de par le monde parce que refusant de suivre l’islam "véritable" est constitutive de la fameuse radicalisation.
En cela, si l’environnement au sein duquel pointent les appels à la violence importe incontestablement, l’itinéraire personnel n’en demeure pas moins central puisque nos recherches ont montré l’antériorité de la dichotomie opposant le "soi" et le "système", l’affiliation à l’islam radical dé-sécularisant l’imaginaire mais ne le créant pas.
Ne pas surdéterminer le rôle de la matrice salafie
En outre, la nécessaire approche comparative du fondamentalisme religieux contemporain nous amène à ne pas surdéterminer le rôle de la matrice salafie (condamnant majoritairement le jihadisme) dans le fait de mobiliser ces références islamiques pour justifier l’entreprise violente.
En effet, orthodoxes, amish ou traditionalistes dans d’autres religions peuvent pousser volontairement à la rupture avec ce qui relève à leurs yeux de l’impiété mais, n’étant pas adossés aux conflits et crises du monde arabe actuel, ne disposent pas du terreau pour le coup indispensable à l’éclosion du jihadisme moderne, à savoir la déflagration politique dans un contexte donné.
l'OBS