Le monde compte un milliard et demi de musulmans… Et tous vivraient leur foi à l’identique ? Panorama géohistorique de la diversité…
Au début des an- nées 1950, le monde musulman fut décrit par le journaliste allemand Friedrich W. Fernau comme un « continent intermédiaire ». La formule était séduisante et fut reprise par Fernand Braudel. Elle disait bien ce qu’avait été cet espace jamais réellement dominé par un seul empire, mais traversé de réseaux terrestres et maritimes, parcouru par des marchands, des soldats, des soufis, des pèlerins animés par une religion commune et pourtant diverse. On pourrait autant parler d’un monde musulman, que de mondes musulmans, au pluriel.
Mais ce continent est flou. Les limites franches qu’imaginent certains, à l’instar de Samuel Huntington, n’existent pas. Des musulmans, comme tous les autres pratiquants des grandes religions du monde, il y en a, peu ou prou, partout. Ici, majoritaires, dans le dar al-islam, le « territoire de l’islam » ; ailleurs, minoritaires, tolérés, intégrés, ou au contraire rejetés, parfois violemment, comme les Rohingyas de Birmanie. Toutefois, le dar al-harb, le « territoire de la guerre », n’existe que pour les prédicateurs d’un jihâd violent. Ils sont rares, et cette violence, comme celle du groupe État islamique, est intestine au monde musulman. Elle est dite takfiriste, c’est-à-dire tournée contre ceux qui n’obéiraient pas à une orthodoxie s’appuyant sur un supposé islam des origines, celui des salafistes, et niant la diversité des interprétations et des pratiques.
Trois facteurs principaux contribuent à cette multiplicité, à la fois religieuse, juridique et linguistique : le clivage sunnisme/chi‘isme ; les écoles juridiques sunnites ; le poids des cultures nationales.
FACTEURS DE DIVERSITÉ
1) Sunnisme/chi‘isme
Le principal clivage remonte au premier siècle de l’islam. La divergence entre sunnites et chi‘ites tient en effet à une querelle d’héritage. La mort de Mahomet, en 632, ouvre la question de la direction de la communauté musulmane et de l’organisation d’un proto-État. Les quatre premiers hommes à lui succéder, les califes « bien guidés » (rachidûn) selon l’expression sunnite, maintinrent, tant bien que mal, un semblant d’unanimité. Mais à la mort de ‘Alî, le gendre de Mahomet, la communauté musulmane éclata. La majorité suivit Mu‘âwiya, alors gouverneur de Syrie, issu d’un des principaux clans de La Mecque, celui des Quraych, longtemps hostile à la prédication de Mahomet, tandis qu’une minorité suivit les fils de ‘Alî, Hassan et Hussein. En 680, la victoire des troupes du fondateur de la dynastie umayyade sur celles de Hussein se termina par un massacre, dont le mausolée de Karbala perpétue le souvenir. Pour les chi‘ites, ‘Alî fut le premier imâm* ; à la mort du sixième, en 765, une nouvelle subdivision se fit, entre duodécimains et ismaéliens.
Dans le cadre d’une religion dont les principes fondateurs restent les mêmes, cette présentation historique, toutefois, ne dit pas exactement ce qui diffère entre sunnisme et chi‘isme. Si le sunnisme fait sien la tradition, la sunna*, et entend rassembler, le chi‘isme se présente d’emblée comme un courant minoritaire parce qu’élitiste. Au-delà de la dimension martyrologique, le chi‘isme se fonde sur une logique initiatique de l’islam. Selon une conception duelle qui distingue ce qui est visible et ce qui est caché, ce qui est manifeste (zâhir) et ce qui est secret (bâtin), l’imâm est celui qui révèle le sens, insuffle l’esprit dans la lettre. Sans son enseignement religieux, le Coran reste muet. L’imâm est le « Coran parlant ». Certains auteurs chi‘ites sont même allés jusqu’à considérer que le Coran tel qu’il a été fixé et diffusé est en réalité falsifié.
Le chi‘isme, qui représente aujourd’hui selon les sources de 10 % à 20 % de l’ensemble des musulmans, n’a donc jamais véritablement pu être en situation dominante. Un temps, l’Irak (entre 932 et 1029) et l’Iran (entre 932 et 1055) furent gouvernés par des émirs chi‘ites, appartenant à la dynastie bouyide, ainsi que l’Égypte, sous les Fatimides (entre 969 et 1171), mais cela ne se traduisit pas par un développement du chi‘isme. La première grande dynastie chi‘ite à s’imposer fut celle des Safavides, qui régna sur l’Iran entre 1501 et 1736. L’exception iranienne tient de là.
Même si l’Azerbaïdjan et Bahreïn comptent aussi des majorités chi‘ites, l’Iran reste donc, à ce jour, le seul grand État chi‘ite au sein du monde musulman. Ailleurs, le chi‘isme demeure minoritaire – bien que l’Irak et le Liban abritent des minorités chi‘ites comptant pour près de la moitié de la population. Outre les chi‘ites duodécimains, il y a des chi‘ites ismaéliens, dispersés dans le monde entier, dont la diaspora la plus notable gravite autour de l’Aga Khan. Ce sont aussi les zaydis, que la guerre civile du Yémen a mis sur le devant de la scène ; les alaouites de Syrie, qui contrôlent le pouvoir par l’entremise de Bachar al-Assad ; et les alevis de Turquie.
Aussi, avec près de 80 % de sa population chi‘ite et plus encore un clergé dominant dans l’organisation du pouvoir, l’Iran constitue une puissance à part dans le monde musulman, le chi‘isme devenant une sorte de soft power pour un pays qui revendique son opposition aux États-Unis, sorte de puissance tutélaire du Moyen-Orient.
2) Les écoles juridiques sunnites
Si le sunnisme est majoritaire, il n’est pas moins divisé, notamment sur le plan juridique. L’enseignement, par la lecture et l’exégèse du Coran, occupe une place fondamentale dans la transmission de la religion musulmane. Cependant, entre 8e et 9e siècles, quatre grandes écoles « juridiques » (madhab au sing., madhâhib au plur.) se sont constituées : hanafite (d’Abû Hanîfa, m. 767), malikite (de Mâlik ibn Anas, m. 796), chafi‘ite (de al-Châfi‘î, m. 820) et hanbalite (d’Ibn Hanbal, m. 855).
• L’école hanafite est considérée comme la plus libérale en termes d’interprétation. Aussi est-elle parfois appelée l’école de libre opinion, ou rationaliste (achab al-ray). Elle est présente en Turquie et en Asie de l’Est.
• L’école malikite diffère des autres par les sources, en accordant une place privilégiée aux coutumes médinoises de l’époque de Mahomet. La pratique de l’interprétation y a progressivement disparu, ce qui en fait une école traditionaliste. Elle est particulièrement présente en Afrique du Nord et de l’Ouest, ce qui explique qu’on la retrouve aujourd’hui en Europe de l’Ouest et aux États-Unis par le biais migratoire.
• L’école chafi‘ite se différencie du hanafisme par le rejet de la préférence juridique, istihsan. Elle constitua pendant plusieurs siècles l’idéologie dominante et servit de référence sous les Seldjoukides, les Ayyoubides, les Mamelouks, avant d’être supplantée, dans le cadre de l’Empire ottoman, par le hanafisme. Aujourd’hui, elle reste particulièrement répandue en Égypte, en Arabie, au Yémen, aux Comores, ainsi qu’en Asie du Sud-Est.
• L’école hanbalite est la plus traditionaliste. Elle est majoritaire en Arabie Saoudite.
La carte le montre bien. La répartition de ces traditions juridiques obéit à des logiques géohistoriques. Mais elle tend à masquer sous une apparente uniformité une réelle diversité née de multiples syncrétismes locaux.
3) Le poids des cultures nationales
En France, il est fréquent de confondre Arabes et musulmans, monde arabe et monde musulman. Ceci tient sans doute pour partie de la place de la langue arabe dans la religion musulmane, comme langue de la révélation coranique et des premiers musulmans, mais aussi de la place des musulmans originaires du Maghreb et du Machrek. Pourtant, les quatre plus grands pays musulmans sont en Asie du Sud et du Sud-Est – par ordre décroissant : Indonésie, Pakistan, Inde, Bangladesh. Il importe donc, dans notre considération du monde musulman, de sortir d’une vision trop européocentrée et de penser les mondes musulmans dans leur ensemble, à commencer par ces islams d’Asie.
L’Indonésie, dont la population est musulmane à près de 90 %, constitue un exemple intéressant à plus d’un titre. Sur le plan spirituel, l’islam, diffusé par des marchands étrangers à partir du 9e siècle, s’est progressivement imposé en reléguant à l’arrière-plan, mais sans jamais totalement les effacer, des croyances et des pratiques javanaises antérieures : le kebatinan. Sur le plan politique, la charte de Jakarta de 1945 prévoyait, pour les musulmans, de suivre la charî‘a. Finalement, la référence fut supprimée et la neutralité religieuse devint un élément fondamental de la Constitution du nouvel État, indépendant à partir de 1949. Après avoir connu un long intermède dictatorial, le pays s’impose comme un exemple de régime démocratique, tordant le cou à l’idée reçue selon laquelle islam et démocratie seraient incompatibles.
L’Arabie Saoudite offre un tout autre cas de figure. L’État s’est constitué après la Première Guerre mondiale, sur les décombres de l’Empire ottoman, à la marge de l’impérialisme britannique. La dynastie des Ibn Saoud tentait depuis le milieu du 18e siècle de s’imposer au cœur de la péninsule Arabique. Elle avait fait le choix d’une idéologie radicale, le wahhabisme, inspirée, entre autres, par les écrits d’un théologien syrien du 13e siècle, Ibn Taymiyya. L’islam saoudien est aujourd’hui l’un des plus réactionnaires, notamment en ce qui concerne la place de la femme dans la société, comme l’avait dénoncé la réalisatrice saoudienne Haifaa al-Mansour dans le film Wadjda (2013), contant l’histoire improbable d’une jeune fille bravant l’interdiction de faire du vélo.
Ailleurs, dans les pays d’émigration, la question des traditions musulmanes se pose différemment. Celles-ci se mêlent, en fonction des origines diverses des musulmans, cohabitent avec des écoles divergentes, s’oublient, se métissent, ou au contraire se renforcent en se réinventant à l’aune d’un islam globalisé diffusé par Internet et par des chaînes satellites.
SH
Au début des an- nées 1950, le monde musulman fut décrit par le journaliste allemand Friedrich W. Fernau comme un « continent intermédiaire ». La formule était séduisante et fut reprise par Fernand Braudel. Elle disait bien ce qu’avait été cet espace jamais réellement dominé par un seul empire, mais traversé de réseaux terrestres et maritimes, parcouru par des marchands, des soldats, des soufis, des pèlerins animés par une religion commune et pourtant diverse. On pourrait autant parler d’un monde musulman, que de mondes musulmans, au pluriel.
Mais ce continent est flou. Les limites franches qu’imaginent certains, à l’instar de Samuel Huntington, n’existent pas. Des musulmans, comme tous les autres pratiquants des grandes religions du monde, il y en a, peu ou prou, partout. Ici, majoritaires, dans le dar al-islam, le « territoire de l’islam » ; ailleurs, minoritaires, tolérés, intégrés, ou au contraire rejetés, parfois violemment, comme les Rohingyas de Birmanie. Toutefois, le dar al-harb, le « territoire de la guerre », n’existe que pour les prédicateurs d’un jihâd violent. Ils sont rares, et cette violence, comme celle du groupe État islamique, est intestine au monde musulman. Elle est dite takfiriste, c’est-à-dire tournée contre ceux qui n’obéiraient pas à une orthodoxie s’appuyant sur un supposé islam des origines, celui des salafistes, et niant la diversité des interprétations et des pratiques.
Trois facteurs principaux contribuent à cette multiplicité, à la fois religieuse, juridique et linguistique : le clivage sunnisme/chi‘isme ; les écoles juridiques sunnites ; le poids des cultures nationales.
FACTEURS DE DIVERSITÉ
1) Sunnisme/chi‘isme
Le principal clivage remonte au premier siècle de l’islam. La divergence entre sunnites et chi‘ites tient en effet à une querelle d’héritage. La mort de Mahomet, en 632, ouvre la question de la direction de la communauté musulmane et de l’organisation d’un proto-État. Les quatre premiers hommes à lui succéder, les califes « bien guidés » (rachidûn) selon l’expression sunnite, maintinrent, tant bien que mal, un semblant d’unanimité. Mais à la mort de ‘Alî, le gendre de Mahomet, la communauté musulmane éclata. La majorité suivit Mu‘âwiya, alors gouverneur de Syrie, issu d’un des principaux clans de La Mecque, celui des Quraych, longtemps hostile à la prédication de Mahomet, tandis qu’une minorité suivit les fils de ‘Alî, Hassan et Hussein. En 680, la victoire des troupes du fondateur de la dynastie umayyade sur celles de Hussein se termina par un massacre, dont le mausolée de Karbala perpétue le souvenir. Pour les chi‘ites, ‘Alî fut le premier imâm* ; à la mort du sixième, en 765, une nouvelle subdivision se fit, entre duodécimains et ismaéliens.
Dans le cadre d’une religion dont les principes fondateurs restent les mêmes, cette présentation historique, toutefois, ne dit pas exactement ce qui diffère entre sunnisme et chi‘isme. Si le sunnisme fait sien la tradition, la sunna*, et entend rassembler, le chi‘isme se présente d’emblée comme un courant minoritaire parce qu’élitiste. Au-delà de la dimension martyrologique, le chi‘isme se fonde sur une logique initiatique de l’islam. Selon une conception duelle qui distingue ce qui est visible et ce qui est caché, ce qui est manifeste (zâhir) et ce qui est secret (bâtin), l’imâm est celui qui révèle le sens, insuffle l’esprit dans la lettre. Sans son enseignement religieux, le Coran reste muet. L’imâm est le « Coran parlant ». Certains auteurs chi‘ites sont même allés jusqu’à considérer que le Coran tel qu’il a été fixé et diffusé est en réalité falsifié.
Le chi‘isme, qui représente aujourd’hui selon les sources de 10 % à 20 % de l’ensemble des musulmans, n’a donc jamais véritablement pu être en situation dominante. Un temps, l’Irak (entre 932 et 1029) et l’Iran (entre 932 et 1055) furent gouvernés par des émirs chi‘ites, appartenant à la dynastie bouyide, ainsi que l’Égypte, sous les Fatimides (entre 969 et 1171), mais cela ne se traduisit pas par un développement du chi‘isme. La première grande dynastie chi‘ite à s’imposer fut celle des Safavides, qui régna sur l’Iran entre 1501 et 1736. L’exception iranienne tient de là.
Même si l’Azerbaïdjan et Bahreïn comptent aussi des majorités chi‘ites, l’Iran reste donc, à ce jour, le seul grand État chi‘ite au sein du monde musulman. Ailleurs, le chi‘isme demeure minoritaire – bien que l’Irak et le Liban abritent des minorités chi‘ites comptant pour près de la moitié de la population. Outre les chi‘ites duodécimains, il y a des chi‘ites ismaéliens, dispersés dans le monde entier, dont la diaspora la plus notable gravite autour de l’Aga Khan. Ce sont aussi les zaydis, que la guerre civile du Yémen a mis sur le devant de la scène ; les alaouites de Syrie, qui contrôlent le pouvoir par l’entremise de Bachar al-Assad ; et les alevis de Turquie.
Aussi, avec près de 80 % de sa population chi‘ite et plus encore un clergé dominant dans l’organisation du pouvoir, l’Iran constitue une puissance à part dans le monde musulman, le chi‘isme devenant une sorte de soft power pour un pays qui revendique son opposition aux États-Unis, sorte de puissance tutélaire du Moyen-Orient.
2) Les écoles juridiques sunnites
Si le sunnisme est majoritaire, il n’est pas moins divisé, notamment sur le plan juridique. L’enseignement, par la lecture et l’exégèse du Coran, occupe une place fondamentale dans la transmission de la religion musulmane. Cependant, entre 8e et 9e siècles, quatre grandes écoles « juridiques » (madhab au sing., madhâhib au plur.) se sont constituées : hanafite (d’Abû Hanîfa, m. 767), malikite (de Mâlik ibn Anas, m. 796), chafi‘ite (de al-Châfi‘î, m. 820) et hanbalite (d’Ibn Hanbal, m. 855).
• L’école hanafite est considérée comme la plus libérale en termes d’interprétation. Aussi est-elle parfois appelée l’école de libre opinion, ou rationaliste (achab al-ray). Elle est présente en Turquie et en Asie de l’Est.
• L’école malikite diffère des autres par les sources, en accordant une place privilégiée aux coutumes médinoises de l’époque de Mahomet. La pratique de l’interprétation y a progressivement disparu, ce qui en fait une école traditionaliste. Elle est particulièrement présente en Afrique du Nord et de l’Ouest, ce qui explique qu’on la retrouve aujourd’hui en Europe de l’Ouest et aux États-Unis par le biais migratoire.
• L’école chafi‘ite se différencie du hanafisme par le rejet de la préférence juridique, istihsan. Elle constitua pendant plusieurs siècles l’idéologie dominante et servit de référence sous les Seldjoukides, les Ayyoubides, les Mamelouks, avant d’être supplantée, dans le cadre de l’Empire ottoman, par le hanafisme. Aujourd’hui, elle reste particulièrement répandue en Égypte, en Arabie, au Yémen, aux Comores, ainsi qu’en Asie du Sud-Est.
• L’école hanbalite est la plus traditionaliste. Elle est majoritaire en Arabie Saoudite.
La carte le montre bien. La répartition de ces traditions juridiques obéit à des logiques géohistoriques. Mais elle tend à masquer sous une apparente uniformité une réelle diversité née de multiples syncrétismes locaux.
3) Le poids des cultures nationales
En France, il est fréquent de confondre Arabes et musulmans, monde arabe et monde musulman. Ceci tient sans doute pour partie de la place de la langue arabe dans la religion musulmane, comme langue de la révélation coranique et des premiers musulmans, mais aussi de la place des musulmans originaires du Maghreb et du Machrek. Pourtant, les quatre plus grands pays musulmans sont en Asie du Sud et du Sud-Est – par ordre décroissant : Indonésie, Pakistan, Inde, Bangladesh. Il importe donc, dans notre considération du monde musulman, de sortir d’une vision trop européocentrée et de penser les mondes musulmans dans leur ensemble, à commencer par ces islams d’Asie.
L’Indonésie, dont la population est musulmane à près de 90 %, constitue un exemple intéressant à plus d’un titre. Sur le plan spirituel, l’islam, diffusé par des marchands étrangers à partir du 9e siècle, s’est progressivement imposé en reléguant à l’arrière-plan, mais sans jamais totalement les effacer, des croyances et des pratiques javanaises antérieures : le kebatinan. Sur le plan politique, la charte de Jakarta de 1945 prévoyait, pour les musulmans, de suivre la charî‘a. Finalement, la référence fut supprimée et la neutralité religieuse devint un élément fondamental de la Constitution du nouvel État, indépendant à partir de 1949. Après avoir connu un long intermède dictatorial, le pays s’impose comme un exemple de régime démocratique, tordant le cou à l’idée reçue selon laquelle islam et démocratie seraient incompatibles.
L’Arabie Saoudite offre un tout autre cas de figure. L’État s’est constitué après la Première Guerre mondiale, sur les décombres de l’Empire ottoman, à la marge de l’impérialisme britannique. La dynastie des Ibn Saoud tentait depuis le milieu du 18e siècle de s’imposer au cœur de la péninsule Arabique. Elle avait fait le choix d’une idéologie radicale, le wahhabisme, inspirée, entre autres, par les écrits d’un théologien syrien du 13e siècle, Ibn Taymiyya. L’islam saoudien est aujourd’hui l’un des plus réactionnaires, notamment en ce qui concerne la place de la femme dans la société, comme l’avait dénoncé la réalisatrice saoudienne Haifaa al-Mansour dans le film Wadjda (2013), contant l’histoire improbable d’une jeune fille bravant l’interdiction de faire du vélo.
Ailleurs, dans les pays d’émigration, la question des traditions musulmanes se pose différemment. Celles-ci se mêlent, en fonction des origines diverses des musulmans, cohabitent avec des écoles divergentes, s’oublient, se métissent, ou au contraire se renforcent en se réinventant à l’aune d’un islam globalisé diffusé par Internet et par des chaînes satellites.
SH
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