Ils sont plusieurs milliers chaque année à embrasser une foi différente de celle dans laquelle ils ont été élevés. Quand certains cherchent un retour à un Dieu fort qui marque les interdits, d'autres sont attirés par un Dieu d'amour et de pardon. Tous témoignent des difficultés à vivre leur nouvelle religion, vis-à-vis de leurs proches ou de leur communauté
Ali est devenu Jean-Marc. Au soir de la veillée pascale, le 4 avril dernier, il s'est fait baptiser à l'église de sa paroisse, dans une banlieue cossue de l'Ouest parisien. Trois ans qu'il attendait cela. « C'est un long chemin », dit-il, tandis que les dessins animés défilent sur le grand écran, dans le salon. Sa femme offre le thé. Elle est musulmane, comme leurs familles respectives, mais elle accepte que leurs enfants soient à leur tour baptisés, bientôt. Responsable dans la sécurité, à la Défense, il sait que ses collègues musulmans « parlent » dans son dos, mais n'en a cure. Son petit frère le traite de « menteur ». Mais il est heureux : « Par le baptême, je suis sauvé, lavé de mes péchés. Je peux rencontrer Dieu avec joie, mourir tranquille. C'est ma nouvelle vie. »
De l'autre côté de la capitale, en Seine-Saint-Denis, Charles Pourlier sourit aussi. Il utilise peu son prénom musulman, Yunuss, mais sa nouvelle foi donne à cet ex-catholique une énergie qu'il n'avait jamais connue, dit-il, aussi positive. Dans le deux-pièces où il a installé sa start-up, quartier des Cosmonautes, à Saint-Denis, il décrit avec une sorte de jubilation le kit qu'il espère vendre aux automobilistes pour leur permettre de polluer moins. Il expose surtout sa stratégie d'entreprise, un ensemble de projets alternatifs divers - logements, économies d'énergie, entraide, éducation -, mais qui, conjugués, il en est convaincu, « apporteront du souffle aux plus démunis » et aideront son prochain à mieux vivre. « Cela ne s'adresse pas qu'aux musulmans, précise-t-il, mais à tout le monde. » Nom de la start-up : Become better (« Deviens meilleur »). Sur la couverture de sa brochure, il est écrit : « La France, on l'aime, on reste et on la sauve. » Charles porte la barbe, sa femme est voilée. « Dans ma famille, on m'appelle Ben Laden .» Il se marre : « Ils me voient moins souvent que la télé ! »
Combien sont-ils aujourd'hui en France à passer d'un monothéisme à l'autre, du catholicisme à l'islam, et réciproquement ? Alors que, depuis des décennies, les églises semblent se vider, l'islam, lui, connaît un regain de vitalité. Malgré les attentats, malgré les polémiques. Ou à cause d'eux ? « Le mois suivant les événements de Charlie, les conversions ont doublé », affirme l'imam Abdelmalek, à la mosquée de Paris, qui en a comptabilisé là une quarantaine pour le seul mois de janvier. Des convertis qui renouent avec la religion de leurs ancêtres mais aussi de jeunes catholiques qui, parfois, lâchent la religion de leurs parents comme on lève l'ancre, avec ostentation. Foulard dans la rue, collier de barbe très cadré. Rien à voir, précisent ceux qui acceptent de témoigner, avec l'islam ultraradical sectaire ni avec les enragés qui, au nom d'Allah, embarquent par Internet les plus fragiles d'entre eux et allongent leur patronyme d'un Al Fransi (« Le Français »).
Difficile de savoir combien ils sont à passer de la culture chrétienne à la religion musulmane. Entre imams, on parle volontiers de « boulimie d'islam ». Faute de hiérarchie centralisée, les statistiques sont peu fiables. Même un tour de France des mosquées ne garantirait pas l'information, étant donné que nombre de conversions se font entre amis et ne sont pas officialisées par des certificats, pourtant nécessaires pour se rendre à La Mecque. Selon Virginie Riva - qui a publié au Seuil un excellent livre* sur les femmes converties à l'islam -, Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime qu'il y aurait chaque année « 4 000 Français qui se convertiraient à la religion du Prophète ». En 2011, une étude démographique (Ined-Insee) recensait entre 70 000 et 100 000 convertis à l'islam en France sur un total de 2,1 millions de personnes de 18 à 50 ans se déclarant musulmanes. Un chiffre discuté par ceux qui voudraient attribuer l'étiquette islamique aux 5 à 6 millions d'habitants issus de pays à dominante musulmane.
Quant au catholicisme, il demeure largement majoritaire dans l'Hexagone - même si les « sans religion » ne cessent de prospérer depuis un demi-siècle -, les deux tiers des Français se déclarant encore catholiques. Pas forcément pratiquants, toutefois : 10 %, seulement, vont à la messe une fois par mois. Bref, les cathos sont de moins en moins pieux et de plus en plus âgés ; c'est l'inverse chez les musulmans. Pourtant, on observe un léger frémissement, centralisé par les services du catéchuménat de l'épiscopat, le nombre de convertis au catholicisme a triplé en dix ans : 3 790 adultes ont été baptisés à Pâques, cette année. Parmi ces convertis, une infime minorité vient de l'islam. Les nouveaux musulmans, en revanche, se recrutent essentiellement dans la mouvance catholique.
Quête de transcendance
Régis Fayette, par exemple, devenu le rappeur Abd al Malik, a reçu une éducation catholique dans des écoles confessionnelles, avant de se convertir à l'islam à 16 ans tout en flirtant avec la délinquance. Il finit par se poser auprès d'un maître soufi et par raconter son histoire dans des livres exaltant la réconciliation de la spiritualité musulmane et de la citoyenneté française, puis dans un film, Allah bénisse la France, sorti à l'automne dernier. Un film béni des institutions, tandis que l'Apôtre, long-métrage de Cheyenne Carron, a vu des projections déprogrammées à la demande du ministère de l'Intérieur, après les attentats de janvier. Comme s'il était aujourd'hui jugé plus provocateur de raconter la conversion d'un musulman au christianisme que l'inverse.
Le soufisme est l'une des voies classiques de l'entrée des Européens dans l'islam. Dans le passé, des intellectuels, surtout, ont répondu à l'appel d'une transcendance qu'ils ne trouvaient pas dans l'Eglise de leur milieu. C'est ce que le sociologue Franck Fregosi nomme les conversions « rationnelles », qu'il distingue des conversions « de proximité » ou de « confort » : on devient musulman par capillarité, parce qu'on a des copains ou des collègues qui le sont et qu'on les estime, et surtout parce qu'on se marie avec un conjoint de cette religion. Dans l'islam, un homme peut se marier avec l'épouse de son choix, peu importent ses convictions. En revanche, même en France, pas question pour une femme musulmane de s'unir à un chrétien, un juif, ou un « mécréant » : elle a l'obligation de choisir un musulman ou, s'il ne l'est pas, exiger sa conversion.
La nouvelle vague des ex-cathos convertis à l'islam se recrute essentiellement chez les jeunes, souvent de milieux populaires, et qui, de fait, ne pratiquaient plus grand-chose depuis l'adolescence. « Dans cet univers matérialiste, obsédés par les marques et leur portable, ils sont confrontés à des déceptions amoureuses, au manque de boulot, à un vide sidéral, analyse M'Hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis. Quand ils subissent des épreuves, accident de voiture, prison, suicide d'un ami, ils se disent : "Quel sens a ma vie ? Si j'ai des repères, je vais peut-être m'en sortir." « La religion les tient, les retient. Pourquoi l'islam ? M'Hammed Henniche, qui suit beaucoup de ces convertis, a des réponses prêtes : « Nous, on leur dit que le bon truc c'est de travailler, même au Smic, et de fonder un foyer plutôt que de chercher la femme idéale ou le prince charmant ; ça, c'est la télé, ce n'est pas la vie. Ils ont besoin d'une communauté, avec des rendez-vous, cinq prières par jour. A la mosquée, il y a du monde. On les aide à trouver du travail, un conjoint. On ne les laisse pas seuls. Beaucoup viennent pour se marier. »
Alexandre-Ali, 23 ans, confirme. « Quand je fais une erreur, l'un de mes "frères" me reprend. On s'aide. On ne soutient. On s'appelle souvent. Avant, je connaissais plein de gens. Aujourd'hui, le cercle s'est réduit, mais ce sont des personnes de confiance, j'ai barré de ma vie les mauvaises fréquentations. » Elevé à Alfortville, ce garçon, dont le père avait taillé la route avant la naissance, raconte qu'il était intrigué par ses copains de classe qui ne mangeaient pas de porc. Il a quitté le collège à 14 ans. Sept ans de galère ont suivi, petits boulots et formations sans issue. « Je me suis converti à l'islam à 18 ans, après une visite à la mosquée, par hasard mais parce que ça devait se faire. Un ami m'a fait prononcer la shahada [profession de foi]. On ne savait pas qu'il fallait deux témoins. On l'a refait plus tard. » Il n'est vraiment devenu pieux que récemment. Marié depuis l'été, il veut s'en sortir, dit-il, et suit des cours de graphisme. Et il commence à être fier de lui : « J'étais très vulgaire, je suis devenu poli. Je me disputais avec ma mère, je me suis radouci. »
Marianne
Ali est devenu Jean-Marc. Au soir de la veillée pascale, le 4 avril dernier, il s'est fait baptiser à l'église de sa paroisse, dans une banlieue cossue de l'Ouest parisien. Trois ans qu'il attendait cela. « C'est un long chemin », dit-il, tandis que les dessins animés défilent sur le grand écran, dans le salon. Sa femme offre le thé. Elle est musulmane, comme leurs familles respectives, mais elle accepte que leurs enfants soient à leur tour baptisés, bientôt. Responsable dans la sécurité, à la Défense, il sait que ses collègues musulmans « parlent » dans son dos, mais n'en a cure. Son petit frère le traite de « menteur ». Mais il est heureux : « Par le baptême, je suis sauvé, lavé de mes péchés. Je peux rencontrer Dieu avec joie, mourir tranquille. C'est ma nouvelle vie. »
De l'autre côté de la capitale, en Seine-Saint-Denis, Charles Pourlier sourit aussi. Il utilise peu son prénom musulman, Yunuss, mais sa nouvelle foi donne à cet ex-catholique une énergie qu'il n'avait jamais connue, dit-il, aussi positive. Dans le deux-pièces où il a installé sa start-up, quartier des Cosmonautes, à Saint-Denis, il décrit avec une sorte de jubilation le kit qu'il espère vendre aux automobilistes pour leur permettre de polluer moins. Il expose surtout sa stratégie d'entreprise, un ensemble de projets alternatifs divers - logements, économies d'énergie, entraide, éducation -, mais qui, conjugués, il en est convaincu, « apporteront du souffle aux plus démunis » et aideront son prochain à mieux vivre. « Cela ne s'adresse pas qu'aux musulmans, précise-t-il, mais à tout le monde. » Nom de la start-up : Become better (« Deviens meilleur »). Sur la couverture de sa brochure, il est écrit : « La France, on l'aime, on reste et on la sauve. » Charles porte la barbe, sa femme est voilée. « Dans ma famille, on m'appelle Ben Laden .» Il se marre : « Ils me voient moins souvent que la télé ! »
Combien sont-ils aujourd'hui en France à passer d'un monothéisme à l'autre, du catholicisme à l'islam, et réciproquement ? Alors que, depuis des décennies, les églises semblent se vider, l'islam, lui, connaît un regain de vitalité. Malgré les attentats, malgré les polémiques. Ou à cause d'eux ? « Le mois suivant les événements de Charlie, les conversions ont doublé », affirme l'imam Abdelmalek, à la mosquée de Paris, qui en a comptabilisé là une quarantaine pour le seul mois de janvier. Des convertis qui renouent avec la religion de leurs ancêtres mais aussi de jeunes catholiques qui, parfois, lâchent la religion de leurs parents comme on lève l'ancre, avec ostentation. Foulard dans la rue, collier de barbe très cadré. Rien à voir, précisent ceux qui acceptent de témoigner, avec l'islam ultraradical sectaire ni avec les enragés qui, au nom d'Allah, embarquent par Internet les plus fragiles d'entre eux et allongent leur patronyme d'un Al Fransi (« Le Français »).
Difficile de savoir combien ils sont à passer de la culture chrétienne à la religion musulmane. Entre imams, on parle volontiers de « boulimie d'islam ». Faute de hiérarchie centralisée, les statistiques sont peu fiables. Même un tour de France des mosquées ne garantirait pas l'information, étant donné que nombre de conversions se font entre amis et ne sont pas officialisées par des certificats, pourtant nécessaires pour se rendre à La Mecque. Selon Virginie Riva - qui a publié au Seuil un excellent livre* sur les femmes converties à l'islam -, Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), estime qu'il y aurait chaque année « 4 000 Français qui se convertiraient à la religion du Prophète ». En 2011, une étude démographique (Ined-Insee) recensait entre 70 000 et 100 000 convertis à l'islam en France sur un total de 2,1 millions de personnes de 18 à 50 ans se déclarant musulmanes. Un chiffre discuté par ceux qui voudraient attribuer l'étiquette islamique aux 5 à 6 millions d'habitants issus de pays à dominante musulmane.
Quant au catholicisme, il demeure largement majoritaire dans l'Hexagone - même si les « sans religion » ne cessent de prospérer depuis un demi-siècle -, les deux tiers des Français se déclarant encore catholiques. Pas forcément pratiquants, toutefois : 10 %, seulement, vont à la messe une fois par mois. Bref, les cathos sont de moins en moins pieux et de plus en plus âgés ; c'est l'inverse chez les musulmans. Pourtant, on observe un léger frémissement, centralisé par les services du catéchuménat de l'épiscopat, le nombre de convertis au catholicisme a triplé en dix ans : 3 790 adultes ont été baptisés à Pâques, cette année. Parmi ces convertis, une infime minorité vient de l'islam. Les nouveaux musulmans, en revanche, se recrutent essentiellement dans la mouvance catholique.
Quête de transcendance
Régis Fayette, par exemple, devenu le rappeur Abd al Malik, a reçu une éducation catholique dans des écoles confessionnelles, avant de se convertir à l'islam à 16 ans tout en flirtant avec la délinquance. Il finit par se poser auprès d'un maître soufi et par raconter son histoire dans des livres exaltant la réconciliation de la spiritualité musulmane et de la citoyenneté française, puis dans un film, Allah bénisse la France, sorti à l'automne dernier. Un film béni des institutions, tandis que l'Apôtre, long-métrage de Cheyenne Carron, a vu des projections déprogrammées à la demande du ministère de l'Intérieur, après les attentats de janvier. Comme s'il était aujourd'hui jugé plus provocateur de raconter la conversion d'un musulman au christianisme que l'inverse.
Le soufisme est l'une des voies classiques de l'entrée des Européens dans l'islam. Dans le passé, des intellectuels, surtout, ont répondu à l'appel d'une transcendance qu'ils ne trouvaient pas dans l'Eglise de leur milieu. C'est ce que le sociologue Franck Fregosi nomme les conversions « rationnelles », qu'il distingue des conversions « de proximité » ou de « confort » : on devient musulman par capillarité, parce qu'on a des copains ou des collègues qui le sont et qu'on les estime, et surtout parce qu'on se marie avec un conjoint de cette religion. Dans l'islam, un homme peut se marier avec l'épouse de son choix, peu importent ses convictions. En revanche, même en France, pas question pour une femme musulmane de s'unir à un chrétien, un juif, ou un « mécréant » : elle a l'obligation de choisir un musulman ou, s'il ne l'est pas, exiger sa conversion.
La nouvelle vague des ex-cathos convertis à l'islam se recrute essentiellement chez les jeunes, souvent de milieux populaires, et qui, de fait, ne pratiquaient plus grand-chose depuis l'adolescence. « Dans cet univers matérialiste, obsédés par les marques et leur portable, ils sont confrontés à des déceptions amoureuses, au manque de boulot, à un vide sidéral, analyse M'Hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis. Quand ils subissent des épreuves, accident de voiture, prison, suicide d'un ami, ils se disent : "Quel sens a ma vie ? Si j'ai des repères, je vais peut-être m'en sortir." « La religion les tient, les retient. Pourquoi l'islam ? M'Hammed Henniche, qui suit beaucoup de ces convertis, a des réponses prêtes : « Nous, on leur dit que le bon truc c'est de travailler, même au Smic, et de fonder un foyer plutôt que de chercher la femme idéale ou le prince charmant ; ça, c'est la télé, ce n'est pas la vie. Ils ont besoin d'une communauté, avec des rendez-vous, cinq prières par jour. A la mosquée, il y a du monde. On les aide à trouver du travail, un conjoint. On ne les laisse pas seuls. Beaucoup viennent pour se marier. »
Alexandre-Ali, 23 ans, confirme. « Quand je fais une erreur, l'un de mes "frères" me reprend. On s'aide. On ne soutient. On s'appelle souvent. Avant, je connaissais plein de gens. Aujourd'hui, le cercle s'est réduit, mais ce sont des personnes de confiance, j'ai barré de ma vie les mauvaises fréquentations. » Elevé à Alfortville, ce garçon, dont le père avait taillé la route avant la naissance, raconte qu'il était intrigué par ses copains de classe qui ne mangeaient pas de porc. Il a quitté le collège à 14 ans. Sept ans de galère ont suivi, petits boulots et formations sans issue. « Je me suis converti à l'islam à 18 ans, après une visite à la mosquée, par hasard mais parce que ça devait se faire. Un ami m'a fait prononcer la shahada [profession de foi]. On ne savait pas qu'il fallait deux témoins. On l'a refait plus tard. » Il n'est vraiment devenu pieux que récemment. Marié depuis l'été, il veut s'en sortir, dit-il, et suit des cours de graphisme. Et il commence à être fier de lui : « J'étais très vulgaire, je suis devenu poli. Je me disputais avec ma mère, je me suis radouci. »
Marianne
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