Pas forcément, explique le chrétien de gauche Stéphane Lavignotte dans un essai stimulant. Entretien.
Le Nouvel Observateur Les religions sont de plus en plus perçues comme des institutions passéistes, qui bloquent l'évolution des sociétés modernes. Dans votre livre «Les religions sont-elles réactionnaires?», vous contestez cette présentation. Pourquoi ?
Stéphane Lavignotte A l'occasion des récents débats de société, les religions ont montré un visage terriblement réactionnaire. Au nom de la «loi naturelle», formulée par Thomas d'Aquin, elles ont prétendu qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul type de famille, de sexualité, d'éducation... Mais si les institutions religieuses se crispent, elles ne représentent pas l'ensemble des croyants. Selon un sondage, 91% des catholiques sont favorables à la liberté d'avorter et 61% au mariage pour tous.
Dans l'histoire, les chrétiens ont pu prendre des positions politiques radicales, de la révolte des paysans menée par Thomas Müntzer au XVIe siècle à la théologie de la libération en Amérique latine, encore très vivace aujourd'hui dans le combat contre le néolibéralisme. Sait-on qu'il existe un puissant courant gay et lesbien au sein du catholicisme américain? Ou qu'en France la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) est présente à la Fête de l'Humanité chaque année?
En réalité, depuis le milieu du XXe siècle un fossé s'est creusé entre les croyants et les institutions religieuses. Les premiers sont nombreux à construire leur foi hors des dogmes et des institutions. Du coup, les plus conservateurs pèsent proportionnellement plus dans les Eglises, où ils développent un sentiment de défaite et d'encerclement. S'ils se raidissent, c'est parce qu'ils ont compris qu'ils avaient perdu la bataille.
Il faut, dites-vous, «cesser de penser la question religieuse de façon religieuse». Qu'est-ce que cela signifie ?
Souvent, la religion est présentée par les militants de gauche comme un bloc monolithique, une «essence» détachée de la réalité sociale. Pourtant, ayant dans leur bagage intellectuel le marxisme et la sociologie, ils devraient savoir que les faits religieux sont des faits sociaux comme les autres, traversés par la lutte des classes, ayant leur histoire, leurs contradictions internes, leurs imaginaires en perpétuelle évolution, qui peuvent être aussi bien révolutionnaires que réactionnaires.
Dans sa fameuse définition, Marx exprimait cette double dimension de la religion, qui peut être une protestation contre le monde autant qu'une acceptation. «La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.»
Il y a tout de même des textes qui affirment des vérités...
La Bible est comme une vaste bibliothèque où l'on trouvera Lénine et Finkielkraut. En tant que croyant, mon interprétation est que Dieu organise le débat et laisse les humains libres et responsables face à lui et au monde. Une lecture plus sociologique y verra le fruit des mouvements de l'histoire...
Vous appelez aussi à « décatholiciser » notre regard sur l'islam.
Quand Nicolas Sarkozy s'adresse au cheikh de l'université islamique d'Al-Azar pour avoir sa position sur le voile ou crée le Conseil français du Culte musulman (CFCM), il plaque sur l'islam le schéma d'une hiérarchie catholique qui dira aux croyants ce qu'ils doivent croire. Or l'islam ne fonctionne pas ainsi: c'est une religion de pratiques, et non de dogmes. Et si les pratiques les plus visibles de l'islam (port du voile, prescriptions alimentaires, etc.) nous choquent, c'est aussi parce que, depuis saint Paul, le christianisme se méfie des rites ostentatoires et privilégie la foi intérieure.
Dans ce mouvement de crispation, où en est le protestantisme français, auquel vous appartenez ?
Après avoir été très à gauche dans les années 1960 à 1980, le protestantisme a connu un glissement à droite, lié notamment au départ d'une partie des progressistes. Ce mouvement a trouvé son aboutissement avec la prise de position de la Fédération protestante contre le mariage pour tous.
Mais je crois que le retour de balancier est proche. La présence grandissante des Eglises issues de l'immigration ancre à nouveau le protestantisme dans des milieux populaires et pourrait le faire revenir vers la gauche. Aux Etats-Unis, les Eglises noires animent la gauche du Parti démocrate et la veuve de Martin Luther King soutient les associations LGBT. Je parie sur une évolution à l'américaine des Eglises noires françaises.
Propos recueillis par Eric Aeschimann
Le Nouvel Observateur Les religions sont de plus en plus perçues comme des institutions passéistes, qui bloquent l'évolution des sociétés modernes. Dans votre livre «Les religions sont-elles réactionnaires?», vous contestez cette présentation. Pourquoi ?
Stéphane Lavignotte A l'occasion des récents débats de société, les religions ont montré un visage terriblement réactionnaire. Au nom de la «loi naturelle», formulée par Thomas d'Aquin, elles ont prétendu qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul type de famille, de sexualité, d'éducation... Mais si les institutions religieuses se crispent, elles ne représentent pas l'ensemble des croyants. Selon un sondage, 91% des catholiques sont favorables à la liberté d'avorter et 61% au mariage pour tous.
Dans l'histoire, les chrétiens ont pu prendre des positions politiques radicales, de la révolte des paysans menée par Thomas Müntzer au XVIe siècle à la théologie de la libération en Amérique latine, encore très vivace aujourd'hui dans le combat contre le néolibéralisme. Sait-on qu'il existe un puissant courant gay et lesbien au sein du catholicisme américain? Ou qu'en France la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) est présente à la Fête de l'Humanité chaque année?
En réalité, depuis le milieu du XXe siècle un fossé s'est creusé entre les croyants et les institutions religieuses. Les premiers sont nombreux à construire leur foi hors des dogmes et des institutions. Du coup, les plus conservateurs pèsent proportionnellement plus dans les Eglises, où ils développent un sentiment de défaite et d'encerclement. S'ils se raidissent, c'est parce qu'ils ont compris qu'ils avaient perdu la bataille.
Il faut, dites-vous, «cesser de penser la question religieuse de façon religieuse». Qu'est-ce que cela signifie ?
Souvent, la religion est présentée par les militants de gauche comme un bloc monolithique, une «essence» détachée de la réalité sociale. Pourtant, ayant dans leur bagage intellectuel le marxisme et la sociologie, ils devraient savoir que les faits religieux sont des faits sociaux comme les autres, traversés par la lutte des classes, ayant leur histoire, leurs contradictions internes, leurs imaginaires en perpétuelle évolution, qui peuvent être aussi bien révolutionnaires que réactionnaires.
Dans sa fameuse définition, Marx exprimait cette double dimension de la religion, qui peut être une protestation contre le monde autant qu'une acceptation. «La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.»
Il y a tout de même des textes qui affirment des vérités...
La Bible est comme une vaste bibliothèque où l'on trouvera Lénine et Finkielkraut. En tant que croyant, mon interprétation est que Dieu organise le débat et laisse les humains libres et responsables face à lui et au monde. Une lecture plus sociologique y verra le fruit des mouvements de l'histoire...
Vous appelez aussi à « décatholiciser » notre regard sur l'islam.
Quand Nicolas Sarkozy s'adresse au cheikh de l'université islamique d'Al-Azar pour avoir sa position sur le voile ou crée le Conseil français du Culte musulman (CFCM), il plaque sur l'islam le schéma d'une hiérarchie catholique qui dira aux croyants ce qu'ils doivent croire. Or l'islam ne fonctionne pas ainsi: c'est une religion de pratiques, et non de dogmes. Et si les pratiques les plus visibles de l'islam (port du voile, prescriptions alimentaires, etc.) nous choquent, c'est aussi parce que, depuis saint Paul, le christianisme se méfie des rites ostentatoires et privilégie la foi intérieure.
Dans ce mouvement de crispation, où en est le protestantisme français, auquel vous appartenez ?
Après avoir été très à gauche dans les années 1960 à 1980, le protestantisme a connu un glissement à droite, lié notamment au départ d'une partie des progressistes. Ce mouvement a trouvé son aboutissement avec la prise de position de la Fédération protestante contre le mariage pour tous.
Mais je crois que le retour de balancier est proche. La présence grandissante des Eglises issues de l'immigration ancre à nouveau le protestantisme dans des milieux populaires et pourrait le faire revenir vers la gauche. Aux Etats-Unis, les Eglises noires animent la gauche du Parti démocrate et la veuve de Martin Luther King soutient les associations LGBT. Je parie sur une évolution à l'américaine des Eglises noires françaises.
Propos recueillis par Eric Aeschimann
Commentaire