Par : Mohamed-Chérif LACHICHI-LIBERTE
Ceux qui ne sont pas musulmans, qu'ils soient Algériens ou étrangers, nul ne peut les forcer à jeûner. En admettant cette évidence, le ministre du Culte appelle surtout les Algériens à cohabiter avec leurs différences.
À tout seigneur, tout honneur. Le premier invité du Forum de Liberté pour ce mois sacré n’était autre que le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, Mohamed Aïssa, qui a inauguré, mardi soir, notre formule nocturne. Le nouveau ministre du Culte venait d’étrenner, par la même occasion, sa première grande sortie médiatique. À la grande surprise des journalistes présents, l’hôte de Liberté ne s’est, à aucun moment, départi d’une grande ouverture d’esprit et de tolérance, une qualité première prônée par l'Islam.
D’emblée, le ministre s’est réjoui, dans son préambule, de la tribune qui lui était offerte pour remettre en cause certaines “idées reçues” en matière de gestion du culte. “Beaucoup croient à tort que le ministère des Affaires religieuses est un département chargé de la théologie et doté de savants de l’Islam, de muftis et d’imams. Pour lever la confusion, j’ai dû interdire à mes cadres de prononcer au nom du ministère, des fetwas et même de s’adonner publiquement à des activités religieuses. Cela relève des compétences scientifiques et de l’élite savante.” D’après lui, les sujets qui relèvent du culte et qui font l’objet de débat en Algérie, et Dieu sait combien il y en a, doivent trouver pour cadre naturel des “références religieuses nationales”. Et d’expliquer : “L’islam n’a pas de nationalité. L’islamité c’est la révélation, le Coran et la tradition du Prophète L’Algérie n’est ni la Tunisie ni l’Iran, ni même l’Inde. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres en matière d’interprétation du texte sacré mais il y a un fait incontournable, notre pratique de l’Islam est spécifique.”
Il reconnaît, sur ce point précis, que
l’Algérie est plutôt sur la défensive. Et pour cause ! Même après la décennie noire où la religion avait été, et nous en souffrons encore, atrocement instrumentalisée, l’Algérie, de l’aveu même du ministre, continue d’être envahie à ce jour par des mouvements sectaires qu’il, s’appelle le salafisme, le wahhabisme, l’ahmedisme ou le takferisme, “tous les termes se terminant par isme signifient azma (crise en arabe)”, ironise le ministre. Si les faits sont avérés, le ministre confirme également l’existence, par ailleurs, de financements occultes. Sans donner à ce sujet de plus amples détails, il révèlera que cette multiplication de mouvements sectaires qui touchent, rappelle-t-il, l’ensemble du monde musulman, n’émane pas de milieux religieux autorisés mais tout simplement de… l’Occident. À quelle fin ? Nous le saurons peut-être un jour même si la ficelle paraît de plus en plus grosse. En effet, nous le voyons tous les jours, ces doctrines haineuses usent de préceptes pour faire s’entretuer d’abord les musulmans. “Les cibles sont précises et varient différemment selon les contextes.” C’est pourquoi, d’après ce membre du gouvernement, il faut, d’ores et déjà, “immuniser l’Algérie” contre ces dérives et cette intrusion signalée de courants radicaux religieux.
“Notre pratique de la religion doit nous empêcher de nous entredéchirer à cause, notamment, de clivages idéologiques, ethniques ou autres. Il n’y aura qu’un seul Islam !” Diplômé en sciences islamiques, Mohamed Aïssa* (*le nom de famille) sait de quoi il parle quand il invoque la formule “Allah Akbar” (Dieu est Grand) : “Elle est destinée à appeler à la prière mais c’est aussi un appel à la paix.” Il regrette que cette expression ait été galvaudée chez certains pour s’en servir d’appels au meurtre. “Quant au mot djihad, celui-ci est officiellement endossé par notre ministère de la Défense nationale”, souligne-t-il, par ailleurs, comme pour couper l’herbe sous les pieds des nouveaux vandales. Pour parer à cette invasion étrangère, le ministre fonde notamment de grands espoirs sur une “loi d’orientation” qu’il compte soumettre au Parlement pour validation. Ce projet de loi constitue, selon lui, la pierre angulaire pour l’arsenal juridique et réglementaire qu’il veut mettre en place pour les cinq prochaines années.
“Il s’agit d’encadrer tous les aspects du culte en Algérie. Parfois, il suffit de hisser des textes qui existent déjà, au rang de lois.” Au-delà de la paperasse et de la bureaucratie, Mohamed Aïssa se veut pragmatique dans sa réforme de l’administration du culte qui doit, selon lui, davantage s’inspirer des traditions que des circulaires et des notes.
Le plus important, voire l’essentiel, pour lui, est que “la pratique religieuse doive être bénéfique à la société et à l’Algérie”. Une finalité dont l’impact doit nécessairement se refléter, selon lui, dans notre humanité. Dans cette optique, il appelle à un véritable débat où la presse et la société civile seront conviées. “Nous pourrions même envisager une charte, un référentiel qui nous prémunira contre tous les égarements”, suggère-t-il. Mieux, le ministre des Affaires religieuses propose une “approche cartésienne” même si ce concept est venu longtemps après l’islam. “Les savants de l’islam et leurs homologues des sciences humaines comme les sociologues, les historiens et autres spécialistes qui ont un autre référent que la religion, vont se rencontrer à cette occasion.”
D’après lui, il ne s’agit pas d’une confrontation mais bien d’une “concertation de l’élite intellectuelle nationale” qui émettra ainsi, des “avis autorisés”. S’il s’agit dans ce cas de figure d’encadrer le discours religieux national, le ministre précise qu’à l’heure actuelle “rien n’est dicté ni prescrit” par son administration aux imams. “Le contrôle se fait surtout en aval” soit a posteriori, dévoile-t-il. Cette liberté accordée aux imams doit toutefois, selon lui, être accompagnée par de inspecteurs pédagogiques et par la formation continue. “Nous combattrons les prêches radicaux”, promet-il.
Juifs, chrétiens et … “mangeurs” de Ramadhan
Il faut dire que le ministre a fait preuve tout au long de cette soirée ramadhanesque d’une grande tolérance, manifestant de l'intérêt, de la curiosité et de la compréhension pour les idées qui diffèrent en partie ou totalement des siennes.
Très à l’aise, il abordera, pour ainsi dire, tous les sujets dits tabous. Informé précisément de la tenue d’un rassemblement de dé-jeûneurs annoncé aujourd’hui à Tizi Ouzou, le ministre des Affaires religieuses ne veut pas se scandaliser à tout prix. Il appellera seulement à la raison ses initiateurs qui, d’après lui, doivent tenir compte de la “portée nationale” de leur geste et des “intérêts de l’Algérie”. “Nous n’allons pas décréter contre eux de fetwa ni solliciter les forces de l’ordre pour les arrêter !”, assure-t-il. Ceci dit, il considère que cela ne relève pas moins de “l’outrage” d’autant que cela reste confiné à une région particulière de l’Algérie. “Savez-vous que la wilaya de Tizi Ouzou compte le plus grand nombre de mosquées en Algérie (850), le plus grand nombre de zaouïas et d’écoles coraniques ?”
Le ministre semble soupçonner derrière cet “étalage” quelques arrière-pensées politiques. Et de se montrer didactique en rappelant, à ce sujet, certaines évidences. “Le jeûne est d’ordre privé et tellement privé qu’il ne doit pas se manifester en société.” D'après lui, l’inverse est donc vrai, nous n’avons pas besoin, non plus, de manger et de boire ostensiblement durant le Ramadhan devant les autres et à plus forte raison en terre d’Islam. “C’est dans le même ordre d’idées que nous ne montrons pas le commerce charnel en public.” D’après lui, et même si “les lois de la République défendent la liberté de conscience”, la discrétion doit être de mise, pour les uns et pour les autres. Le ministre dit toutefois pouvoir comprendre s’il s’agit réellement d’un “geste de refus” ou d’une manifestation du “droit à la différence”. Sur ce dernier chapitre, le ministre s’est montré, de l’avis de tous, le plus admirable. Jugeons-en : “Mon programme vise à l’amélioration de la pratique rituelle religieuse. Et pas seulement musulmane. Pour nous, la gestion du culte a une valeur absolue.”
Les choses sont dites mais le ministre tient à être encore plus explicite : “Quand je dis que je suis le ministre des Affaires religieuses, il faut entendre toutes les religions. Quand nous sortons de la sphère musulmane, il y a la religion chrétienne et ses églises au pluriel, catholique, protestante, méthodiste, évangéliste, calviniste, et j’en passe encore, nous les recevons toutes !” Aussitôt surgit une question à brûle pourpoint : quid du rite israélite ? Le ministre révèle l’existence en Algérie d’une communauté juive qui serait, selon lui, très bien acceptée par la population, notamment dans les quartiers populaires où elle vit pour l’essentiel : “Nous recevons régulièrement son représentant, c’est un patriote et un nationaliste algérien !” Peu avare en révélations, Mohamed Aïssa a reconnu sa disponibilité à ouvrir en Algérie des synagogues. “Même si pour le moment, l’État, pour des raisons de sécurité, n’envisage pas de les ouvrir dans l’immédiat partant du postulat qu’il faut d’abord sécuriser un lieu de culte avant de le livrer aux fidèles.”
Si rien d’autre ne l’empêche, l’intention est là.
M.-C. L.
Ceux qui ne sont pas musulmans, qu'ils soient Algériens ou étrangers, nul ne peut les forcer à jeûner. En admettant cette évidence, le ministre du Culte appelle surtout les Algériens à cohabiter avec leurs différences.
À tout seigneur, tout honneur. Le premier invité du Forum de Liberté pour ce mois sacré n’était autre que le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, Mohamed Aïssa, qui a inauguré, mardi soir, notre formule nocturne. Le nouveau ministre du Culte venait d’étrenner, par la même occasion, sa première grande sortie médiatique. À la grande surprise des journalistes présents, l’hôte de Liberté ne s’est, à aucun moment, départi d’une grande ouverture d’esprit et de tolérance, une qualité première prônée par l'Islam.
D’emblée, le ministre s’est réjoui, dans son préambule, de la tribune qui lui était offerte pour remettre en cause certaines “idées reçues” en matière de gestion du culte. “Beaucoup croient à tort que le ministère des Affaires religieuses est un département chargé de la théologie et doté de savants de l’Islam, de muftis et d’imams. Pour lever la confusion, j’ai dû interdire à mes cadres de prononcer au nom du ministère, des fetwas et même de s’adonner publiquement à des activités religieuses. Cela relève des compétences scientifiques et de l’élite savante.” D’après lui, les sujets qui relèvent du culte et qui font l’objet de débat en Algérie, et Dieu sait combien il y en a, doivent trouver pour cadre naturel des “références religieuses nationales”. Et d’expliquer : “L’islam n’a pas de nationalité. L’islamité c’est la révélation, le Coran et la tradition du Prophète L’Algérie n’est ni la Tunisie ni l’Iran, ni même l’Inde. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres en matière d’interprétation du texte sacré mais il y a un fait incontournable, notre pratique de l’Islam est spécifique.”
Il reconnaît, sur ce point précis, que
l’Algérie est plutôt sur la défensive. Et pour cause ! Même après la décennie noire où la religion avait été, et nous en souffrons encore, atrocement instrumentalisée, l’Algérie, de l’aveu même du ministre, continue d’être envahie à ce jour par des mouvements sectaires qu’il, s’appelle le salafisme, le wahhabisme, l’ahmedisme ou le takferisme, “tous les termes se terminant par isme signifient azma (crise en arabe)”, ironise le ministre. Si les faits sont avérés, le ministre confirme également l’existence, par ailleurs, de financements occultes. Sans donner à ce sujet de plus amples détails, il révèlera que cette multiplication de mouvements sectaires qui touchent, rappelle-t-il, l’ensemble du monde musulman, n’émane pas de milieux religieux autorisés mais tout simplement de… l’Occident. À quelle fin ? Nous le saurons peut-être un jour même si la ficelle paraît de plus en plus grosse. En effet, nous le voyons tous les jours, ces doctrines haineuses usent de préceptes pour faire s’entretuer d’abord les musulmans. “Les cibles sont précises et varient différemment selon les contextes.” C’est pourquoi, d’après ce membre du gouvernement, il faut, d’ores et déjà, “immuniser l’Algérie” contre ces dérives et cette intrusion signalée de courants radicaux religieux.
“Notre pratique de la religion doit nous empêcher de nous entredéchirer à cause, notamment, de clivages idéologiques, ethniques ou autres. Il n’y aura qu’un seul Islam !” Diplômé en sciences islamiques, Mohamed Aïssa* (*le nom de famille) sait de quoi il parle quand il invoque la formule “Allah Akbar” (Dieu est Grand) : “Elle est destinée à appeler à la prière mais c’est aussi un appel à la paix.” Il regrette que cette expression ait été galvaudée chez certains pour s’en servir d’appels au meurtre. “Quant au mot djihad, celui-ci est officiellement endossé par notre ministère de la Défense nationale”, souligne-t-il, par ailleurs, comme pour couper l’herbe sous les pieds des nouveaux vandales. Pour parer à cette invasion étrangère, le ministre fonde notamment de grands espoirs sur une “loi d’orientation” qu’il compte soumettre au Parlement pour validation. Ce projet de loi constitue, selon lui, la pierre angulaire pour l’arsenal juridique et réglementaire qu’il veut mettre en place pour les cinq prochaines années.
“Il s’agit d’encadrer tous les aspects du culte en Algérie. Parfois, il suffit de hisser des textes qui existent déjà, au rang de lois.” Au-delà de la paperasse et de la bureaucratie, Mohamed Aïssa se veut pragmatique dans sa réforme de l’administration du culte qui doit, selon lui, davantage s’inspirer des traditions que des circulaires et des notes.
Le plus important, voire l’essentiel, pour lui, est que “la pratique religieuse doive être bénéfique à la société et à l’Algérie”. Une finalité dont l’impact doit nécessairement se refléter, selon lui, dans notre humanité. Dans cette optique, il appelle à un véritable débat où la presse et la société civile seront conviées. “Nous pourrions même envisager une charte, un référentiel qui nous prémunira contre tous les égarements”, suggère-t-il. Mieux, le ministre des Affaires religieuses propose une “approche cartésienne” même si ce concept est venu longtemps après l’islam. “Les savants de l’islam et leurs homologues des sciences humaines comme les sociologues, les historiens et autres spécialistes qui ont un autre référent que la religion, vont se rencontrer à cette occasion.”
D’après lui, il ne s’agit pas d’une confrontation mais bien d’une “concertation de l’élite intellectuelle nationale” qui émettra ainsi, des “avis autorisés”. S’il s’agit dans ce cas de figure d’encadrer le discours religieux national, le ministre précise qu’à l’heure actuelle “rien n’est dicté ni prescrit” par son administration aux imams. “Le contrôle se fait surtout en aval” soit a posteriori, dévoile-t-il. Cette liberté accordée aux imams doit toutefois, selon lui, être accompagnée par de inspecteurs pédagogiques et par la formation continue. “Nous combattrons les prêches radicaux”, promet-il.
Juifs, chrétiens et … “mangeurs” de Ramadhan
Il faut dire que le ministre a fait preuve tout au long de cette soirée ramadhanesque d’une grande tolérance, manifestant de l'intérêt, de la curiosité et de la compréhension pour les idées qui diffèrent en partie ou totalement des siennes.
Très à l’aise, il abordera, pour ainsi dire, tous les sujets dits tabous. Informé précisément de la tenue d’un rassemblement de dé-jeûneurs annoncé aujourd’hui à Tizi Ouzou, le ministre des Affaires religieuses ne veut pas se scandaliser à tout prix. Il appellera seulement à la raison ses initiateurs qui, d’après lui, doivent tenir compte de la “portée nationale” de leur geste et des “intérêts de l’Algérie”. “Nous n’allons pas décréter contre eux de fetwa ni solliciter les forces de l’ordre pour les arrêter !”, assure-t-il. Ceci dit, il considère que cela ne relève pas moins de “l’outrage” d’autant que cela reste confiné à une région particulière de l’Algérie. “Savez-vous que la wilaya de Tizi Ouzou compte le plus grand nombre de mosquées en Algérie (850), le plus grand nombre de zaouïas et d’écoles coraniques ?”
Le ministre semble soupçonner derrière cet “étalage” quelques arrière-pensées politiques. Et de se montrer didactique en rappelant, à ce sujet, certaines évidences. “Le jeûne est d’ordre privé et tellement privé qu’il ne doit pas se manifester en société.” D'après lui, l’inverse est donc vrai, nous n’avons pas besoin, non plus, de manger et de boire ostensiblement durant le Ramadhan devant les autres et à plus forte raison en terre d’Islam. “C’est dans le même ordre d’idées que nous ne montrons pas le commerce charnel en public.” D’après lui, et même si “les lois de la République défendent la liberté de conscience”, la discrétion doit être de mise, pour les uns et pour les autres. Le ministre dit toutefois pouvoir comprendre s’il s’agit réellement d’un “geste de refus” ou d’une manifestation du “droit à la différence”. Sur ce dernier chapitre, le ministre s’est montré, de l’avis de tous, le plus admirable. Jugeons-en : “Mon programme vise à l’amélioration de la pratique rituelle religieuse. Et pas seulement musulmane. Pour nous, la gestion du culte a une valeur absolue.”
Les choses sont dites mais le ministre tient à être encore plus explicite : “Quand je dis que je suis le ministre des Affaires religieuses, il faut entendre toutes les religions. Quand nous sortons de la sphère musulmane, il y a la religion chrétienne et ses églises au pluriel, catholique, protestante, méthodiste, évangéliste, calviniste, et j’en passe encore, nous les recevons toutes !” Aussitôt surgit une question à brûle pourpoint : quid du rite israélite ? Le ministre révèle l’existence en Algérie d’une communauté juive qui serait, selon lui, très bien acceptée par la population, notamment dans les quartiers populaires où elle vit pour l’essentiel : “Nous recevons régulièrement son représentant, c’est un patriote et un nationaliste algérien !” Peu avare en révélations, Mohamed Aïssa a reconnu sa disponibilité à ouvrir en Algérie des synagogues. “Même si pour le moment, l’État, pour des raisons de sécurité, n’envisage pas de les ouvrir dans l’immédiat partant du postulat qu’il faut d’abord sécuriser un lieu de culte avant de le livrer aux fidèles.”
Si rien d’autre ne l’empêche, l’intention est là.
M.-C. L.