[Q/R - Muhammad al-Maghribî] Je voudrais apprendre le madhhab malékite, quelle méthode d’apprentissage me conseilles-tu ?
PAR MUHAMMAD AL-MAGHRIBI – 29/07/2013
POSTÉ DANS : QUESTION/RÉPONSE - M. AL-MAGHRIBÎ
Question
Je suis ton frère Nassime, 29 ans, de région parisienne. J’ai toujours été passionné par le fiqh, les quatre imams et leurs écoles… En grandissant, j’aimerai me rapprocher plus particulièrement du madhab de mes ancêtres et de mon pays en approfondissant mes connaissances de l’école malikite.
Cependant, avec mon travail quotidien, le temps me manque et je vois les années défiler, et les regrets me ronger. Que me conseilles-tu scheikh ? Mon coeur me dit de mettre ma vie professionnelle entre parenthèses pour me lancer dans le chemin de la science. Ma raison (ou chaytan ??) me conseille le contraire, de rester dans mon petit cocon, dans ma routine, quitte à être pris de regrets lorsque l’heure de faire le bilan de ma vie sera venu.
De plus, concernant l’apprentissage du madhab, conseilles-tu la méthode d’apprentissage traditionnelle en apprenant les différents moutouns par coeur ?
Voilà, je me permets de prendre quelques minutes de ton temps afin de recevoir le conseil d’un frère qui a de la connaissance et que j’aime en Allah.
Wa Salamou ‘alaikoum wa rahmatoullahi wa barakatouhou
Réponse
Ta question m’a beaucoup interpellé et j’ai voulu éclaircir certains points avant de te répondre.
J’ai bien apprécié ta phrase : « En grandissant, j’aimerai me rapprocher plus particulièrement du madhab de mes ancêtres et de mon pays en approfondissant mes connaissances de l’école malikite ».
Avec cet état d’esprit, tu pars, cher frère, sur de bonnes bases. Ainsi tu ne te sentiras pas dépaysé et tu ne te trouveras pas déchiré entre deux personnalités, l’une attachée à la vie occidentale et l’autre liée sentimentalement et intellectuellement à un orient islamique qui a sa propre histoire, sa propre civilisation et surtout sa propre mentalité. Je rappelle à ce titre que la diversité est une caractéristique de notre belle religion. C’est ce qui fait, d’ailleurs, sa force. Dès les premiers siècles de l’Islam, chaque région a développé sa propre qirâ’a du Coran (celle de Médine, celle d’Al-Kûfa, celle de la Mecque), sa propre école du fiqh, sa propre école exégétique, etc. Chaque école se développe de manière à répondre aux exigences du pays où elle se trouve.
Sache, mon frère, que tu appartiens à l’occident islamique qui détient un énorme corpus en matière :
d’exégèse coranique (Abû `Abd Allah Al-Qurtubî, Abû Hayyân, Ibn `Atiyya, Ibn Juzzî Al-Gharnâtî, etc.) pour ne citer que ces quatre, sinon l’Espagne musulmane détient à elle seule une école exégétique à part entière ;
d’exégèse du Hadith où les savants maghrébins étaient les maîtres et les principales références d’Ibn Hajar dans son explication du sahîh d’Al-Bukhârî, d’An-Nawawî dans son explication du sahîh de Muslim et d’autres. Je pense notamment à Ibn Battâl, Al-Mâzirî, Al-Qâdî `Iyyâd, Ibn `Abd Al-Barr, Abû Al-Walîd Al-Bâjî, Ibn At-Tîn, Ibn Abî Jamra, Ibn Al-`Arabî Al-Mu`âfirî, Al-Muhallab, Al-Asîlî (l’un des rapporteurs du sahîh d’Al-Bukhârî), Ibn Rushd, Ibn Bashkawâl, Ad-Dâwudî, Al-Qurtubî (autre que le mufassir) ;
de sciences du Coran qui ont été entourées d’un intérêt particulier par des savants du Maghreb islamique : la plupart des chaînes de transmission des qirâ’ât du Coran qui sont étudiées aujourd’hui passent par Abû `Amr Ad-Dânî, le savant Andalou, dont le fameux livre taysîr al-qirâ’ât a été présenté sous forme de poème par un autre savant Andalou Abû Muhammad Ash-Shâtibî. C’est ce poème qui constitue la principale référence des qurrâ’, partout dans le monde aujourd’hui. J’en ai d’ailleurs parlé avec plus de détails dans mes cours sur l’Itqân d’As-Suyûtî ;
du fiqh : je ne vais pas citer les innombrables livres du fiqh malékite, mais je me contente de citer certains livres du fiqh comparé, c’est-à-dire les livres qui étudient les avis des quatre madhab, loin de l’opiniâtreté : at-tamhîd d’Ibn `Abd Al-Barr, bidâyatu al-mujatahid de Muhammad b. Rushd, al-qawânîn al-fiqhiyya d’Ibn Juzzî, al-masâlik d’Ibn Al-`Arabî, etc. ;
des principes du droit -usûl al-fiqh- : ihkâmu al-usûl d’Abû Al-Walîd Al-Bâjjî, al-mahsûl d’Ibn Al-`Arâbî Al-Mu`âfirî, taqrîb al-wusûl d’Ibn Juzzî et bien sûr le chef d’œuvre et la fierté de l’Occident islamique al-muwâfaqât d’Ibrâhîm b. Mûsâ Ash-Shâtibî qui est vraiment un réformateur et un rénovateur -mujaddid- dans ce domaine.
De même nous détenons un riche patrimoine dans les sciences de langue (syntaxe, vocabulaire, etc.), l’éthique et d’autres sciences.
Nous devons témoigner une grande reconnaissance à nos anciens savants (Shabtûn, `Abd Allah Farrûkh, Al-Ghâzî b. Qays, Yahyâ b. Yahyâ Al-Laythî etc.) qui ont eu, grâce à une aide providentielle divine, la bonne intuition d’apporter le madhab Malékite au Maghreb islamique qui est le madhab des gens de Médine, la ville de notre Prophète bien-aimé, la ville où s’est complétée la Révélation d’Allah et où elle s’est conclue.
Sache, mon frère, que l’Occident islamique est la région qui n’a connu l’émergence d’aucune grande secte. Les grandes sectes (kharijite, chiite, mutazilite, jahmite, murjia), les grandes hérésies, notamment la contamination du dogme musulman par la philosophie grecque et perse -`ilm al-kalâm-, et les conflits doctrinaux comme l’inquisition imposant le dogme du Coran créé à l’époque des Abbassides, étaient nées dans l’Orient islamique, notamment l’Irak. L’Occident islamique a constitué le rocher sur lequel se sont brisées beaucoup de vagues d’hérésie, notamment celle du chiisme des Ubaydites et des Fatimides. Cela ne veut pas dire que l’Occident islamique a été totalement à l’abri des hérésies et des innovations. Il a certes été contaminé, mais il faut savoir que la nature du madhab malékite fondé sur la pratique des pieux prédécesseurs de Médine -`amal ahl al-madîna- et sa mise en œuvre des finalités de la religion -maqâsid ash-sharî`a- constituent un rempart contre les innovations en matière de `aqîda et les vaines polémiques -jidâl-.
Il faut reconnaître que la négligence de notre patrimoine par nos savants — il y a aussi des causes externes à ce problème — a laissé une grande lacune par laquelle se sont infiltrées les innovations et certaines pratiques qui relèvent même du shikr auxquelles nous assistons malheureusement dans nos sociétés maghrébines, laquelle lacune a été comblée par le réveil islamique initié par les savants et les prédicateurs du Hedjaz et des environs. La prédication et les œuvres de ces savants ont été très bénéfiques pour nous les musulmans de l’Occident islamique, voire pour les musulmans du monde entier. En effet, elles ont appelé les gens au tawhîd, au rejet de l’associationnisme, au retour à la Sunna pure et authentique, ont ressuscité beaucoup de pratiques sunna et ont fait sortir de l’oubliette beaucoup d’œuvres de savants anciens. Le problème est qu’on a tout importé de l’Orient islamique, y compris certaines ijtihâdât qui relèvent purement du madhab hanbalite, y compris certaines fatwas qui s’appliquent à leur réalité et à la spécificité de leur région et pas à la nôtre, y compris certains conflits doctrinaux qui sévissaient et qui continuent de sévir dans leur région, y compris un certain rigorisme en matière de dogme allant jusqu’à la mise à l’épreuve de la foi des musulmans et qui a souvent dégénéré en takfîr, y compris cette tendance inquisitrice dont le seul souci est de censurer, de critiquer et de jeter l’anathème sur tout réformateur musulman et toute initiative de réforme, une tendance nue de scrupule religieux et de respect des droits sacrés des musulmans et qui essaie de cacher son affreuse nudité par un piteux réseau de flatterie qu’elle tisse autour des grands savants et de l’éminente science de la récusation et de la réhabilitation des rapporteurs de hadiths -al-jarh wa-t-ta`dîl- [1] et ce, dans le but de légitimer son soi-disant manhaj.
La conséquence de cette importation en vrac fut des heurts dans les mosquées et ailleurs, des divisions au sein du rang musulman et l’émergence de groupes qui se revendiquent de la voie du salaf, alors qu’ils sont plutôt proches des kharidjites avec lesquels ils partagent deux points caractéristiques : la superficialité et la raideur [2] (dans l’accomplissement des actes cultuels, le comportement, le jugement des autres, etc.) quoique les deux soient étroitement liées puisqu’en explorant les profondeurs des textes de la Révélation, on explore les profondeurs de sa propre âme et on ravive en elle les belles vertus, notamment la souplesse, la magnanimité et le respect de la diversité. C’est cet effort d’éducation de son âme -tazkiyya- [3] qui permet de percevoir la religion de l’Islam dans ses dimensions spirituelle, rationnelle, éthique et esthétique.
A cause de leur esprit superficiel qui est la conséquence directe d’une crise de la tazkiyya, certains sont allés jusqu’à rejeter tous les madhâhib, comme si ceux-ci étaient venus rivaliser avec la religion d’Allah. Pauvres gens ! Ne savent-ils pas que ces madhâhib ne sont que des méthodes de compréhension de la Révélation divine -manâhij fî al-fahm `ani-l-Lâh- ? Ne savent-ils pas que ces madhahib ne sont que le prolongement des écoles préexistantes comme celle d’Ibn `Abbâs à La Mecque et celle d’Ibn `Umar à Médine ? Qu’est-ce que le madhab de Mâlik si ce n’est la quintessence de l’ijtihâd de Rabî`a Ar-Ra’y, d’Az-Zuhrî, d’Ibn `Umar et d’autres savants de Médine ? Qu’est-ce que le madhab hanafite si ce n’est le fruit des appréciations d’Ibn Mas`ûd et de `Alî b. Abî Tâlib ? On peut en dire autant concernant le madhab chaféite et le madhab hanbalite. En dehors de ces madhâhib on tombe dans le désordre parce que chacun aura son propre madhab selon sa compréhension des textes, et le fameux madhab du salaf qu’on essaie de distinguer des quatre madhâhib n’a d’existence que dans les esprits superficiels dont la vision s’arrête au sens superficiel des textes sans regarder cet énorme héritage que nous ont légué les madhâhib, héritage sur lequel des civilisations ont été fondées (civilisation andalouse fondée sur le madhab malékite, civilisations Abbasside et Ottomanes fondées sur le madhab hanafite, etc.) et qui est le fruit d’ijtihâd, de jihâd et de sacrifices de savants sincères.
PAR MUHAMMAD AL-MAGHRIBI – 29/07/2013
POSTÉ DANS : QUESTION/RÉPONSE - M. AL-MAGHRIBÎ
Question
Je suis ton frère Nassime, 29 ans, de région parisienne. J’ai toujours été passionné par le fiqh, les quatre imams et leurs écoles… En grandissant, j’aimerai me rapprocher plus particulièrement du madhab de mes ancêtres et de mon pays en approfondissant mes connaissances de l’école malikite.
Cependant, avec mon travail quotidien, le temps me manque et je vois les années défiler, et les regrets me ronger. Que me conseilles-tu scheikh ? Mon coeur me dit de mettre ma vie professionnelle entre parenthèses pour me lancer dans le chemin de la science. Ma raison (ou chaytan ??) me conseille le contraire, de rester dans mon petit cocon, dans ma routine, quitte à être pris de regrets lorsque l’heure de faire le bilan de ma vie sera venu.
De plus, concernant l’apprentissage du madhab, conseilles-tu la méthode d’apprentissage traditionnelle en apprenant les différents moutouns par coeur ?
Voilà, je me permets de prendre quelques minutes de ton temps afin de recevoir le conseil d’un frère qui a de la connaissance et que j’aime en Allah.
Wa Salamou ‘alaikoum wa rahmatoullahi wa barakatouhou
Réponse
Ta question m’a beaucoup interpellé et j’ai voulu éclaircir certains points avant de te répondre.
J’ai bien apprécié ta phrase : « En grandissant, j’aimerai me rapprocher plus particulièrement du madhab de mes ancêtres et de mon pays en approfondissant mes connaissances de l’école malikite ».
Avec cet état d’esprit, tu pars, cher frère, sur de bonnes bases. Ainsi tu ne te sentiras pas dépaysé et tu ne te trouveras pas déchiré entre deux personnalités, l’une attachée à la vie occidentale et l’autre liée sentimentalement et intellectuellement à un orient islamique qui a sa propre histoire, sa propre civilisation et surtout sa propre mentalité. Je rappelle à ce titre que la diversité est une caractéristique de notre belle religion. C’est ce qui fait, d’ailleurs, sa force. Dès les premiers siècles de l’Islam, chaque région a développé sa propre qirâ’a du Coran (celle de Médine, celle d’Al-Kûfa, celle de la Mecque), sa propre école du fiqh, sa propre école exégétique, etc. Chaque école se développe de manière à répondre aux exigences du pays où elle se trouve.
Sache, mon frère, que tu appartiens à l’occident islamique qui détient un énorme corpus en matière :
d’exégèse coranique (Abû `Abd Allah Al-Qurtubî, Abû Hayyân, Ibn `Atiyya, Ibn Juzzî Al-Gharnâtî, etc.) pour ne citer que ces quatre, sinon l’Espagne musulmane détient à elle seule une école exégétique à part entière ;
d’exégèse du Hadith où les savants maghrébins étaient les maîtres et les principales références d’Ibn Hajar dans son explication du sahîh d’Al-Bukhârî, d’An-Nawawî dans son explication du sahîh de Muslim et d’autres. Je pense notamment à Ibn Battâl, Al-Mâzirî, Al-Qâdî `Iyyâd, Ibn `Abd Al-Barr, Abû Al-Walîd Al-Bâjî, Ibn At-Tîn, Ibn Abî Jamra, Ibn Al-`Arabî Al-Mu`âfirî, Al-Muhallab, Al-Asîlî (l’un des rapporteurs du sahîh d’Al-Bukhârî), Ibn Rushd, Ibn Bashkawâl, Ad-Dâwudî, Al-Qurtubî (autre que le mufassir) ;
de sciences du Coran qui ont été entourées d’un intérêt particulier par des savants du Maghreb islamique : la plupart des chaînes de transmission des qirâ’ât du Coran qui sont étudiées aujourd’hui passent par Abû `Amr Ad-Dânî, le savant Andalou, dont le fameux livre taysîr al-qirâ’ât a été présenté sous forme de poème par un autre savant Andalou Abû Muhammad Ash-Shâtibî. C’est ce poème qui constitue la principale référence des qurrâ’, partout dans le monde aujourd’hui. J’en ai d’ailleurs parlé avec plus de détails dans mes cours sur l’Itqân d’As-Suyûtî ;
du fiqh : je ne vais pas citer les innombrables livres du fiqh malékite, mais je me contente de citer certains livres du fiqh comparé, c’est-à-dire les livres qui étudient les avis des quatre madhab, loin de l’opiniâtreté : at-tamhîd d’Ibn `Abd Al-Barr, bidâyatu al-mujatahid de Muhammad b. Rushd, al-qawânîn al-fiqhiyya d’Ibn Juzzî, al-masâlik d’Ibn Al-`Arabî, etc. ;
des principes du droit -usûl al-fiqh- : ihkâmu al-usûl d’Abû Al-Walîd Al-Bâjjî, al-mahsûl d’Ibn Al-`Arâbî Al-Mu`âfirî, taqrîb al-wusûl d’Ibn Juzzî et bien sûr le chef d’œuvre et la fierté de l’Occident islamique al-muwâfaqât d’Ibrâhîm b. Mûsâ Ash-Shâtibî qui est vraiment un réformateur et un rénovateur -mujaddid- dans ce domaine.
De même nous détenons un riche patrimoine dans les sciences de langue (syntaxe, vocabulaire, etc.), l’éthique et d’autres sciences.
Nous devons témoigner une grande reconnaissance à nos anciens savants (Shabtûn, `Abd Allah Farrûkh, Al-Ghâzî b. Qays, Yahyâ b. Yahyâ Al-Laythî etc.) qui ont eu, grâce à une aide providentielle divine, la bonne intuition d’apporter le madhab Malékite au Maghreb islamique qui est le madhab des gens de Médine, la ville de notre Prophète bien-aimé, la ville où s’est complétée la Révélation d’Allah et où elle s’est conclue.
Sache, mon frère, que l’Occident islamique est la région qui n’a connu l’émergence d’aucune grande secte. Les grandes sectes (kharijite, chiite, mutazilite, jahmite, murjia), les grandes hérésies, notamment la contamination du dogme musulman par la philosophie grecque et perse -`ilm al-kalâm-, et les conflits doctrinaux comme l’inquisition imposant le dogme du Coran créé à l’époque des Abbassides, étaient nées dans l’Orient islamique, notamment l’Irak. L’Occident islamique a constitué le rocher sur lequel se sont brisées beaucoup de vagues d’hérésie, notamment celle du chiisme des Ubaydites et des Fatimides. Cela ne veut pas dire que l’Occident islamique a été totalement à l’abri des hérésies et des innovations. Il a certes été contaminé, mais il faut savoir que la nature du madhab malékite fondé sur la pratique des pieux prédécesseurs de Médine -`amal ahl al-madîna- et sa mise en œuvre des finalités de la religion -maqâsid ash-sharî`a- constituent un rempart contre les innovations en matière de `aqîda et les vaines polémiques -jidâl-.
Il faut reconnaître que la négligence de notre patrimoine par nos savants — il y a aussi des causes externes à ce problème — a laissé une grande lacune par laquelle se sont infiltrées les innovations et certaines pratiques qui relèvent même du shikr auxquelles nous assistons malheureusement dans nos sociétés maghrébines, laquelle lacune a été comblée par le réveil islamique initié par les savants et les prédicateurs du Hedjaz et des environs. La prédication et les œuvres de ces savants ont été très bénéfiques pour nous les musulmans de l’Occident islamique, voire pour les musulmans du monde entier. En effet, elles ont appelé les gens au tawhîd, au rejet de l’associationnisme, au retour à la Sunna pure et authentique, ont ressuscité beaucoup de pratiques sunna et ont fait sortir de l’oubliette beaucoup d’œuvres de savants anciens. Le problème est qu’on a tout importé de l’Orient islamique, y compris certaines ijtihâdât qui relèvent purement du madhab hanbalite, y compris certaines fatwas qui s’appliquent à leur réalité et à la spécificité de leur région et pas à la nôtre, y compris certains conflits doctrinaux qui sévissaient et qui continuent de sévir dans leur région, y compris un certain rigorisme en matière de dogme allant jusqu’à la mise à l’épreuve de la foi des musulmans et qui a souvent dégénéré en takfîr, y compris cette tendance inquisitrice dont le seul souci est de censurer, de critiquer et de jeter l’anathème sur tout réformateur musulman et toute initiative de réforme, une tendance nue de scrupule religieux et de respect des droits sacrés des musulmans et qui essaie de cacher son affreuse nudité par un piteux réseau de flatterie qu’elle tisse autour des grands savants et de l’éminente science de la récusation et de la réhabilitation des rapporteurs de hadiths -al-jarh wa-t-ta`dîl- [1] et ce, dans le but de légitimer son soi-disant manhaj.
La conséquence de cette importation en vrac fut des heurts dans les mosquées et ailleurs, des divisions au sein du rang musulman et l’émergence de groupes qui se revendiquent de la voie du salaf, alors qu’ils sont plutôt proches des kharidjites avec lesquels ils partagent deux points caractéristiques : la superficialité et la raideur [2] (dans l’accomplissement des actes cultuels, le comportement, le jugement des autres, etc.) quoique les deux soient étroitement liées puisqu’en explorant les profondeurs des textes de la Révélation, on explore les profondeurs de sa propre âme et on ravive en elle les belles vertus, notamment la souplesse, la magnanimité et le respect de la diversité. C’est cet effort d’éducation de son âme -tazkiyya- [3] qui permet de percevoir la religion de l’Islam dans ses dimensions spirituelle, rationnelle, éthique et esthétique.
A cause de leur esprit superficiel qui est la conséquence directe d’une crise de la tazkiyya, certains sont allés jusqu’à rejeter tous les madhâhib, comme si ceux-ci étaient venus rivaliser avec la religion d’Allah. Pauvres gens ! Ne savent-ils pas que ces madhâhib ne sont que des méthodes de compréhension de la Révélation divine -manâhij fî al-fahm `ani-l-Lâh- ? Ne savent-ils pas que ces madhahib ne sont que le prolongement des écoles préexistantes comme celle d’Ibn `Abbâs à La Mecque et celle d’Ibn `Umar à Médine ? Qu’est-ce que le madhab de Mâlik si ce n’est la quintessence de l’ijtihâd de Rabî`a Ar-Ra’y, d’Az-Zuhrî, d’Ibn `Umar et d’autres savants de Médine ? Qu’est-ce que le madhab hanafite si ce n’est le fruit des appréciations d’Ibn Mas`ûd et de `Alî b. Abî Tâlib ? On peut en dire autant concernant le madhab chaféite et le madhab hanbalite. En dehors de ces madhâhib on tombe dans le désordre parce que chacun aura son propre madhab selon sa compréhension des textes, et le fameux madhab du salaf qu’on essaie de distinguer des quatre madhâhib n’a d’existence que dans les esprits superficiels dont la vision s’arrête au sens superficiel des textes sans regarder cet énorme héritage que nous ont légué les madhâhib, héritage sur lequel des civilisations ont été fondées (civilisation andalouse fondée sur le madhab malékite, civilisations Abbasside et Ottomanes fondées sur le madhab hanafite, etc.) et qui est le fruit d’ijtihâd, de jihâd et de sacrifices de savants sincères.
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