Ci dessous, un excellent entretien entre Josette Alia du Nouvel Observateur et les deux intellectuels Adel Rifaat et Bahgat Elnadi à l'occasion de la sortie de leur livre «Al-Sîra». Il est un peu long, mais très agréable à lire et nous éclaire sur les débuts de la révélation du Coran et le statut des femmes en Islam.
===
Nouvel Observateur - Etonnant personnage que celui de Khadija! Cela ne correspond pas à ce qu'on connaît du statut des femmes dans l'islam.
M. Hussein. - Dans la société préislamique, certaines femmes avaient un rôle très important, elles avaient même parfois autant de pouvoir que les hommes. Ainsi, le grand-père de Muhammad, Hachem, tomba amoureux d'une très belle femme, Salma, qu'il vit sur une estrade, dans un marché, donnant des ordres, achetant et vendant avec autorité. Il la demanda en mariage, mais elle n'accepta qu'à une condition: elle aurait le droit de divorcer quand elle le voudrait. Hachem accepta. Il y eut d'autres femmes de ce genre dans la société arabe. Elles eurent un réel pouvoir, y compris pour décider elles-mêmes de leur mariage, qu'elles pouvaient assortir de certaines conditions, et d'autres restaient soumises au statut ancestral. Il ne s'agit pas là d'égalité au sens moderne et féministe du terme, évidemment, mais d'un statut particulier, sans doute plus souple qu'il ne le fut par la suite.
N. O. - Après la mort de Khadija, Muhammad se remaria plusieurs fois et peu à peu la condition des femmes changea. Pourquoi?
M. Hussein. - Parce que la société tribale des débuts se structurait, se sédentarisait et se moralisait. Les valeurs avaient profondément changé avec l'arrivée du nouveau monothéisme. A l'époque des idoles, seules comptaient les solidarités et les protections de la tribu. L'apparition d'une transcendance et celle d'un Dieu unique, devant qui chaque croyant est directement responsable de ses actes, dévalorisait complètement les valeurs claniques et bouleversait toutes les perspectives de cette société tribale. «C'est le plus pieux d'entre vous qui occupe auprès de Dieu la place la plus éminente», dit le Prophète. Une hiérarchie complètement inédite! Ce qui explique pourquoi les seigneurs de La Mecque, ainsi dépossédés de leurs privilèges de clan, s'élèveront violemment contre la religion nouvelle. Et aussi pourquoi les compagnons du Prophète lui demanderont d'élaborer de nouvelles règles de vie en commun - qui concernent d'abord les femmes du Prophète, désignées comme des «modèles» à suivre.
N. O. - Les femmes n'y ont apparemment rien gagné. Voilées, lapidées pour adultère, battues, excisées, mariées de force... Tout cela est-il vraiment consigné dans le Coran, comme on l'affirme souvent?
M. Hussein. - Essayons d'être précis. L'excision des filles ne figure nulle part, ni dans le Coran ni dans les hadith. C'est une très ancienne coutume liée à la culture pharaonique, qui s'est répandue en Afrique mais n'a rien à voir avec l'islam. Le mariage forcé est explicitement interdit dans le Coran et un hadith dit: «N'épouse pas une femme précédemment mariée sans son accord. N'épouse pas une vierge sans son consentement.» C'est net! Là aussi, le mariage forcé - qui se pratique encore dans certains pays, musulmans ou non - se réfère plus à la culture de l'ancienne société patriarcale qu'à une prescription de l'islam.
N. O. - Ne me dites pas que la lapidation pour adultère est une ancienne pratique! En Arabie Saoudite et au Nigeria, tout récemment, des tribunaux islamiques ont condamné des femmes à la lapidation - une mort affreuse qu'on n'ose même pas imaginer.
M. Hussein. - C'est une longue histoire. Avant l'islam, les Arabes ne pratiquaient pas la lapidation pour punir l'adultère, pour la bonne raison que l'adultère, très courant, faisait partie des moeurs du temps. Mais un jour, à Médine, des notables juifs soumirent à Muhammad le problème d'un couple juif accusé d'adultère. «Quel châtiment préconise la Bible, en ce cas?», demanda le Prophète à deux rabbins juifs. «La lapidation des deux partenaires», répondit un des rabbins. Le châtiment fut donc appliqué et un des cousins de Muhammad, Ibn Abbas, raconte avec émotion que lorsque commença le supplice l'homme recouvrit de son corps celui de sa bien-aimée avant de mourir avec elle.
C'est bien après la mort du Prophète, sous le règne du deuxième calife Omar, que le problème de l'adultère et de sa punition se posa pour des musulmans. Omar ordonna la lapidation, et lorsque des compagnons du Prophète lui rappelèrent que le Coran ne mentionnait nulle part cette punition, Omar répondit qu'il se souvenait d'un verset ordonnant ce châtiment, que ce verset «avait été perdu, avec d'autres», mais qu'il fallait en tenir compte. Omar prenait là une grande responsabilité, ce qui suscita une querelle de théologiens. Certains préconisaient la flagellation. D'autres invoquaient un verset disant: «Si vos femmes commettent une infamie, appelez quatre témoins de votre choix. S'ils témoignent, enfermez les coupables dans les maisons jusqu'à ce que la mort les surprenne ou bien que Dieu leur offre une voie de salut.» D'autres affirmaient qu'un homme adultère ne peut vivre qu'avec une femme adultère - ce qui supposait tout de même qu'ils restent en vie.
N. O. - Finalement, la lapidation pour adultère figure dans le Coran ou non?
M. Hussein. - Non. La commission chargée d'établir la Vulgate coranique, vers 650, ne l'a pas retenue. La lapidation pour cause d'adultère n'a donc rien à voir avec le Coran.
N. O. - Quelle est votre interprétation des textes concernant le voile?
M. Hussein. - Nous n'avons aucune interprétation, nous citons seulement les textes, traduits aussi précisément que possible, en les situant dans leur contexte. Il y a sur ce sujet trois versets essentiels.
Le premier a été délivré à Médine. Les compagnons du Prophète, en exil, habitaient des maisons petites et souvent inconfortables. A la nuit tombée, les femmes devaient sortir pour satisfaire leurs besoins naturels et des jeunes gens en profitaient pour les harceler sans vergogne. Elles se plaignirent à Muhammad, qui reçut le verset suivant: «Dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leur cape. C'est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées.» Le mot arabe employé ici est julbâb, qui signifie «cape» ou «mante».
Plus tard, dans un deuxième verset traitant de la chasteté (qui concerne les hommes aussi bien que les femmes), Dieu précisa: «Dis aux croyants de baisser les yeux et d'être chastes... Dis aux croyantes de ne montrer de leurs attraits que ce qui apparaît, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement... et de ne pas frapper le sol de leurs pieds pour laisser apparaître leurs attraits cachés.» Le mot arabe employé est khimâr, qui désigne plutôt un «fichu» - le mot «foulard» est peut-être trop «moderne» pour l'époque. L'injonction s'adressait aux femmes qui, selon les habitudes bédouines, portaient des étoffes nouées et flottantes ou aux hommes qui par les grandes chaleurs se contentaient d'un pagne sans même un sous-vêtement.
Le mot hijâb, qui désigne le «voile», apparaît dans un troisième verset assez énigmatique: «Si vous demandez un objet aux épouses du Prophète, faites-le à travers un voile, ce sera plus pur pour vos coeurs comme pour le leur.» «A travers un voile» signifie-t-il qu'on doit leur parler derrière un rideau ou qu'elles doivent se couvrir elles-mêmes d'un voile? Ou encore, comme le pensent les soufis (les mystiques de l'islam), qu'il s'agit du «voile de la pudeur» qui vient du coeur et ne suppose pas une pièce d'étoffe particulière? Ce n'est pas tranché, mais le Coran n'en dit pas davantage. Bien évidemment, des interprétations très différentes de ces mêmes versets ont été produites selon les lieux, les sensibilités et les époques.
- Lire l'article entier : http://archives.nouvelobs.com/recher....cfm?id=136652
===
Nouvel Observateur - Etonnant personnage que celui de Khadija! Cela ne correspond pas à ce qu'on connaît du statut des femmes dans l'islam.
M. Hussein. - Dans la société préislamique, certaines femmes avaient un rôle très important, elles avaient même parfois autant de pouvoir que les hommes. Ainsi, le grand-père de Muhammad, Hachem, tomba amoureux d'une très belle femme, Salma, qu'il vit sur une estrade, dans un marché, donnant des ordres, achetant et vendant avec autorité. Il la demanda en mariage, mais elle n'accepta qu'à une condition: elle aurait le droit de divorcer quand elle le voudrait. Hachem accepta. Il y eut d'autres femmes de ce genre dans la société arabe. Elles eurent un réel pouvoir, y compris pour décider elles-mêmes de leur mariage, qu'elles pouvaient assortir de certaines conditions, et d'autres restaient soumises au statut ancestral. Il ne s'agit pas là d'égalité au sens moderne et féministe du terme, évidemment, mais d'un statut particulier, sans doute plus souple qu'il ne le fut par la suite.
N. O. - Après la mort de Khadija, Muhammad se remaria plusieurs fois et peu à peu la condition des femmes changea. Pourquoi?
M. Hussein. - Parce que la société tribale des débuts se structurait, se sédentarisait et se moralisait. Les valeurs avaient profondément changé avec l'arrivée du nouveau monothéisme. A l'époque des idoles, seules comptaient les solidarités et les protections de la tribu. L'apparition d'une transcendance et celle d'un Dieu unique, devant qui chaque croyant est directement responsable de ses actes, dévalorisait complètement les valeurs claniques et bouleversait toutes les perspectives de cette société tribale. «C'est le plus pieux d'entre vous qui occupe auprès de Dieu la place la plus éminente», dit le Prophète. Une hiérarchie complètement inédite! Ce qui explique pourquoi les seigneurs de La Mecque, ainsi dépossédés de leurs privilèges de clan, s'élèveront violemment contre la religion nouvelle. Et aussi pourquoi les compagnons du Prophète lui demanderont d'élaborer de nouvelles règles de vie en commun - qui concernent d'abord les femmes du Prophète, désignées comme des «modèles» à suivre.
N. O. - Les femmes n'y ont apparemment rien gagné. Voilées, lapidées pour adultère, battues, excisées, mariées de force... Tout cela est-il vraiment consigné dans le Coran, comme on l'affirme souvent?
M. Hussein. - Essayons d'être précis. L'excision des filles ne figure nulle part, ni dans le Coran ni dans les hadith. C'est une très ancienne coutume liée à la culture pharaonique, qui s'est répandue en Afrique mais n'a rien à voir avec l'islam. Le mariage forcé est explicitement interdit dans le Coran et un hadith dit: «N'épouse pas une femme précédemment mariée sans son accord. N'épouse pas une vierge sans son consentement.» C'est net! Là aussi, le mariage forcé - qui se pratique encore dans certains pays, musulmans ou non - se réfère plus à la culture de l'ancienne société patriarcale qu'à une prescription de l'islam.
N. O. - Ne me dites pas que la lapidation pour adultère est une ancienne pratique! En Arabie Saoudite et au Nigeria, tout récemment, des tribunaux islamiques ont condamné des femmes à la lapidation - une mort affreuse qu'on n'ose même pas imaginer.
M. Hussein. - C'est une longue histoire. Avant l'islam, les Arabes ne pratiquaient pas la lapidation pour punir l'adultère, pour la bonne raison que l'adultère, très courant, faisait partie des moeurs du temps. Mais un jour, à Médine, des notables juifs soumirent à Muhammad le problème d'un couple juif accusé d'adultère. «Quel châtiment préconise la Bible, en ce cas?», demanda le Prophète à deux rabbins juifs. «La lapidation des deux partenaires», répondit un des rabbins. Le châtiment fut donc appliqué et un des cousins de Muhammad, Ibn Abbas, raconte avec émotion que lorsque commença le supplice l'homme recouvrit de son corps celui de sa bien-aimée avant de mourir avec elle.
C'est bien après la mort du Prophète, sous le règne du deuxième calife Omar, que le problème de l'adultère et de sa punition se posa pour des musulmans. Omar ordonna la lapidation, et lorsque des compagnons du Prophète lui rappelèrent que le Coran ne mentionnait nulle part cette punition, Omar répondit qu'il se souvenait d'un verset ordonnant ce châtiment, que ce verset «avait été perdu, avec d'autres», mais qu'il fallait en tenir compte. Omar prenait là une grande responsabilité, ce qui suscita une querelle de théologiens. Certains préconisaient la flagellation. D'autres invoquaient un verset disant: «Si vos femmes commettent une infamie, appelez quatre témoins de votre choix. S'ils témoignent, enfermez les coupables dans les maisons jusqu'à ce que la mort les surprenne ou bien que Dieu leur offre une voie de salut.» D'autres affirmaient qu'un homme adultère ne peut vivre qu'avec une femme adultère - ce qui supposait tout de même qu'ils restent en vie.
N. O. - Finalement, la lapidation pour adultère figure dans le Coran ou non?
M. Hussein. - Non. La commission chargée d'établir la Vulgate coranique, vers 650, ne l'a pas retenue. La lapidation pour cause d'adultère n'a donc rien à voir avec le Coran.
N. O. - Quelle est votre interprétation des textes concernant le voile?
M. Hussein. - Nous n'avons aucune interprétation, nous citons seulement les textes, traduits aussi précisément que possible, en les situant dans leur contexte. Il y a sur ce sujet trois versets essentiels.
Le premier a été délivré à Médine. Les compagnons du Prophète, en exil, habitaient des maisons petites et souvent inconfortables. A la nuit tombée, les femmes devaient sortir pour satisfaire leurs besoins naturels et des jeunes gens en profitaient pour les harceler sans vergogne. Elles se plaignirent à Muhammad, qui reçut le verset suivant: «Dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leur cape. C'est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées.» Le mot arabe employé ici est julbâb, qui signifie «cape» ou «mante».
Plus tard, dans un deuxième verset traitant de la chasteté (qui concerne les hommes aussi bien que les femmes), Dieu précisa: «Dis aux croyants de baisser les yeux et d'être chastes... Dis aux croyantes de ne montrer de leurs attraits que ce qui apparaît, de rabattre leur fichu sur les échancrures de leur vêtement... et de ne pas frapper le sol de leurs pieds pour laisser apparaître leurs attraits cachés.» Le mot arabe employé est khimâr, qui désigne plutôt un «fichu» - le mot «foulard» est peut-être trop «moderne» pour l'époque. L'injonction s'adressait aux femmes qui, selon les habitudes bédouines, portaient des étoffes nouées et flottantes ou aux hommes qui par les grandes chaleurs se contentaient d'un pagne sans même un sous-vêtement.
Le mot hijâb, qui désigne le «voile», apparaît dans un troisième verset assez énigmatique: «Si vous demandez un objet aux épouses du Prophète, faites-le à travers un voile, ce sera plus pur pour vos coeurs comme pour le leur.» «A travers un voile» signifie-t-il qu'on doit leur parler derrière un rideau ou qu'elles doivent se couvrir elles-mêmes d'un voile? Ou encore, comme le pensent les soufis (les mystiques de l'islam), qu'il s'agit du «voile de la pudeur» qui vient du coeur et ne suppose pas une pièce d'étoffe particulière? Ce n'est pas tranché, mais le Coran n'en dit pas davantage. Bien évidemment, des interprétations très différentes de ces mêmes versets ont été produites selon les lieux, les sensibilités et les époques.
- Lire l'article entier : http://archives.nouvelobs.com/recher....cfm?id=136652
Commentaire