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Aïssaoua vit une mutation erronée selon cheikh Benabdallah

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  • Aïssaoua vit une mutation erronée selon cheikh Benabdallah

    Elles sont nombreuses à se revêtir de kamis, de se doter de percussions et de s’auto-titrer groupe d’Aïssaoua. Elles accompagnent les mariées au seuil de la porte, les circoncis, et animent d’autres moments de joie de la vie quotidienne. Ces groupes qui poussent comme des champignons sont pourtant loin de la lignée du fondateur Benaïssa.

    Les fondements avec lesquelles elles activent ne se conjuguent pas avec délicatesse avec les préceptes empiriques de la confrérie au point de la menacer par manque d’instruction auprès des chouyoukh.

    Cela devient un commerce alors que la vocation principale des Aïssaouis est de donner sans retour tout en se contentant d’une «baraka». C’est dire toute la profondeur du fossé qui ne cesse de s’approfondir par cette nouvelle tendance «in» excentrée de la tariqa aïsaouia. (la méthode).

    A Constantine, on estime que deux formations demeurent authentiques. Elles sont issues de la même source ayant suivi à la lettre les conseils des maîtres ascendants pour rester sur bonne orbite spirituelle. Pour le reste, ce ne sont que des «groupes folkloriques» animant les fêtes sans un véritable rituel établi.

    La tariqa aïssaouia «ne peut pénétrer dans un cœur dur, ni dans un corps rebelle, ni dans un esprit inculte». Cet axiome élaboré par le fondateur cheikh Benaïssa constitue avec son wassiyya (ensemble des conseils) les préceptes de cette confrérie de générosité qui s’est répandue au fur et à mesures des années du Maroc pour s’enraciner en Tunisie et en Algérie. Loin d’être une secte comme le prétendent certains, encore moins un folklore, Aîssaoua renferme un aspect solide, celui de la communion et de la foi en Dieu le Tout-Puissant.

    La tradition à Constantine est perpétuée grâce à des disciples qui ont hérité des règles de Si Mohamed Benjalloun, décédé en juin 1980 et de bien d’autres sages avant lui. Contre vents et marées, l’un de ses derniers élèves en la personne de Zinedine Benabdallah est en train de conserver la tariqa qui lui a été transmise sans l’entacher. Il veille et lutte pour que la wassiyya ne soit pas altérée par divers courants et déplore dans la foulée l’existence d’un nouveau style, d’un nouveau concept de ce mouvement qui, selon lui, est loin des principes de base et de la vocation aîssaouie.

    A ce sujet, il soutiendra : «D’une part, il est encouragent de constater qu’il existe des jeunes qui s’intéressent à cette confrérie, mais, d’autre part, il faut avouer que les bases, voire les rudiments sont piétinés au point de sacrifier tous les préceptes pour une conception festive sans plus.» Le message initial est assez clair : «Préservons la vocation des Aïssaouas.» interpelle l’artiste aïssaoui, ajoutant qu’il «faut solliciter les maîtres spécialisés dans le domaine pour s’imprégner du maximum de savoir.

    Aux côtés de Benabdallah existent d’autres noms, à l’image de Si Belkacem Abid Charef, Mezhoud Salim, Bouhali ; toutefois ils ont préféré «s’éclipser», croyant faire mieux en laissant la place à la relève. Ainsi, seul le susdénommé se constituant en trait d’union entre l’ancienne et l’actuelle génération veille au grain et tente à chaque fois de rendre le message, voire la wassiyya, limpide et intelligible sous peine d’une incompréhension qui la disloque. «De nos jours, on assiste impuissants à des troupes folkloriques sous coloration de Aïssaoua. Pourtant celle-ci obéit à des règles. C’est une culture à part entière. Elle s’apprend au terme d’un cycle assez long qui demande de la foi et de la patience par-dessus tout».

    Dans ce contexte, notre interlocuteur qui préside une association depuis 1998, baptisée El Akikia art et culture, voudrait donner une autre vision à ce mouvement et ce, en dispensant une formation assidue loin des préconçus. Malheureusement «rares sont les condisciples qui continuent leur cycle. Ils se contentent du peu pour tenter dans un laps de temps de monter leur propre groupe ou de s’associer». L’appellation attribuée à ladite association n’est pas fortuite, elle est pensée dans un sens prisé dans la qasida de Mendaci et de Oued El Akik à Médine. Une façon de demeurer dans la pureté spirituelle. Il va sans dire qu’Aïssaoua repose sur trois piliers indissociables avec une large générosité envers autrui.

    Comme toute culture, art ou doctrine, la communauté se distingue par ses composantes principales. Elles sont au nombre de trois, renfermant les côtés spirituel (adkar dikr allah), artistique (medeh) et philosophique (laaba). Ce troisième point constitue pour la confrérie toute la magie générée par la foi en Dieu, explique le cheikh, tout en précisant qu’il existe des confréries qui se passent du troisième axe, comme c’est le cas de Hansala, Tijania, El Kadiria… Sur un autre angle, il évoque les autres missions en commun qui sont mandées au mouvement. «Aïssaoua, c’est aussi la collecte de dons destinés aux nécessiteux. Pour preuve, avant le mois sacré, on a procédé au rituel dit chaabania, c’est-à-dire le mois de chaabane précédant Ramadhan. Beaucoup de donneurs se sont manifestés à cet effet.»

    Le rituel de hadra (la descente) obéit à des phases successives…

    Evoquant les étapes qui constituent une soirée aïssaoua, Benabdallah en conservateur aguerri n’omet aucun détail. «Aïssaoua entame sa présence par son rituel hizb intitulé soubhan al daim [louanges de l’Eternel]» Chant récité, à vocabulaire coranique qui ouvre la lila (soirée). Interviendra ensuite el dakhla un prélude avec des chants gais, question de mettre de l’ambiance. Avant le repos, on procédera à une nouba aïssaouia et un medeh. La deuxième étape est consacrée à el adkar sous forme de medih. La phase précédant la première étape d’el hadra (assemblée ou séance de confrérie, un rituel de danse et de transe), durant laquelle des bambins aïssaouis puisent dans leur pouvoir pour jouer aux «petites épées» et qui sera marquée par ouard el kdoum, chants sans percussions suivies. El mjerred, danse collective réservée aux membres, précédera la deuxième phase avec l’entrée en jeu «du fantastique, dit a lazaba» des jeunes et adultes. Le rituel s’achèvera par la rouina et la fatiha. «Si l’on ne conserve pas cette authenticité, il vaudrait mieux ne pas parler de Aïssaoua», insiste notre interlocuteur.

    Quelle musicalité adoptée pour ces Aïssaouas constantinois ?


    La mélodie sur laquelle repose tous ces airs psalmodiés en chorale ou en solo est issue soit des noubas tunisiennes, puisque c’est de là que Constantine s’était acclimatée avec le genre, sinon puisée dans le malouf ancestral et notamment el mahjdouz, a répondu l’adepte à notre question sur ce sujet. Donc, il ne faut pas s’étonner de voir une troupe d’aïssaouis élargir son orchestre à d’autres instruments pour peu que cela n’interfère pas avec l’âme principale. «Il faut apporter quelques modifications, voire ornement de fond, au côté artistique du rituel. Avec cette légère modernité de fond, les oreilles demeurent plus curieuses et apprécient davantage le chant», a-t-il expliqué. L’expérience s’avère assez payante puisque pour son dernier tube bientôt sur les étals et dont il nous a fait écouter quelques extraits, il a opté pour cet arrangement qui donne un impact mélodieux fort tout en augmentant crescendo «le récital» divin.

    En conclusion, actuellement Aïssaoua placé entre deux mouvements, deux perceptions serait à la recherche de ses motifs afin de rétablir l’ordre préétabli par ses maîtres fondateurs et sortir de la spirale purement festive et folklorique qui portent atteinte à ses rites.

    Par la Tribune
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