Pessimisme et absence d’espoir?
Tous les peuples qui vivent trouvent la clé du progrès dans la science suprême.
Par ce temps, qui nous chagrine, fait de cauchemar, de mensonge et d’hypocrisie, nous observons à notre tour ce que Chakib Arslâne, en 1930 a déjà observé et, encore bien avant lui, tant de penseurs musulmans aux idées claires et humaines. «Tous les peuples, écrit-il dans un article brillant, se réfugient dans leur religion, dans les valeurs de leur personnalité qu’ils ont héritées de leurs ancêtres et ne les rejettent pas, sauf les musulmans!» On lira une telle pertinence dans l’article intitulé Causes de la régression des Musulmans (*) de Chakib Arslâne, écrit à Lausanne (Suisse) et publié en 1930 dans l’hebdomadaire Al-Manâr (1897-1935), fondé au Caire par Mohammed Rachîd Rîdhâ, Syro-égyptien, un des célèbres animateurs de la pensée musulmane moderne, soutenant et développant, à l’époque, ce qu’il est convenu d’appeler en-Nahdha, la Renaissance.
Cette oeuvre, quoique brève, a eu, par sa densité, un pouvoir long et durable; elle a influencé heureusement de nombreux militants de la justice et du progrès à travers le monde et parmi eux des Algériens: Messali Hadj, Aboûl Yaqdâm, Saïd Zâhirî, Tayeb El-‘Oqbî, Tewfîq El-Madânî, Malek Benabi (qui a émis la célèbre théorie de la «colonisabilité»), Ben Badis,...Elle nous est proposée dans une traduction de l’arabe vers le français par les professeurs Hachemi Tidjânî et Zahîr Ihaddâden avec une utile préface de Chikh Bouamrane.
Essayant de répondre aux préoccupations du moment, par le truchement d’une lettre lui demandant d’expliquer «les causes de la régression des musulmans et de la progression des non musulmans», Chakib Arslâne n’hésite pas à exposer ses idées en analysant finement de nombreux points religieux, psychologiques et politiques s’articulant autour d’une réalité, sans cesse évidente, la mainmise des grandes puissances européennes sur des territoires arabo-musulmans et y installant, de différentes façons et par des moyens psychologiques et matériels violents, le système colonial. La hauteur de vue, la pertinence de l’expression, l’humanisme sous-jacent de la réflexion de Chakib Arslâne ont conquis, à l’évidence, tous les peuples soumis et qui, n’en pouvant mais, se sont livrés à la fatalité et, plus grave, se sont lâchés au culte du fanatisme et du désespoir. Or, explique Chakib Arslâne, l’Islâm n’est pas la cause du retard des musulmans, s’ils ne sont pas à l’heure du rendez-vous de la marche du monde, ce n’est pas la faute au Coran. Sa longue et puissante réflexion nous en donne cette mesure: «Dans le monde musulman, si un appel se fait entendre en faveur de l’attachement au Coran, à la croyance, aux valeurs islamiques, à la langue arabe, à la littérature arabe et à la vie orientale, ceux qui ont un doute dans leur coeur se lèvent immédiatement pour crier: À bas la réaction! Comment voulez-vous progresser alors que vous êtes attachés à des valeurs et des formules discrètes qui nous viennent du Moyen Âge alors que nous vivons une période moderne?»
L’ouvrage est inépuisablement instructif. On comprend le retentissement qu’il a eu en Europe même, et le vif intérêt que lui ont accordé, tout bénéfice, de nombreux penseurs occidentaux. L’Islâm est culture et civilisation, cela ne fait aucun doute chez les hommes de science impartiaux. Il n’est pas une culture unique, une civilisation unique, «Toute civilisation, proclame Chakib Arslâne, est tributaire des civilisations qui l’ont précédée, elle est la résultante des contributions successives de générations multiples de l’humanité, dans la diversité des races et des aptitudes.» Dans bien des domaines de la vie des peuples, les réalisations des Arabes ont apporté le bien-être, la paix, le respect de l’autre, le respect de la vie et de quelque race que soit cette vie. L’idée de «chocs des cultures» n’est ni arabe ni musulmane, de même qu’elle n’est ni européenne ni chrétienne. Chakib Arslâne en revient toujours aux causes profondes de la décadence, par exemple, chez les Grecs et les Romains, avant et après le Christianisme; il s’interroge: «Devons-nous prétendre que le Christianisme est la cause de sa décadence? [...] La décadence de Rome et celle de la Grèce après l’expansion du Christianisme par Saint Paul résultent de plusieurs causes et facteurs parmi lesquels on peut citer la décadence morale, l’absence de dignité, les mauvaises moeurs, le libertinage, l’athéisme et le déclin des États. [...] L’affirmation de certains historiens européens selon laquelle l’expansion du Christianisme à Rome et en Grèce a été la cause de leur décadence et de la disparition de leur civilisation n’a aucun fondement. Les bouleversements qu’ont connus ces deux civilisations sont dans l’ordre naturel. Nul ne peut affirmer que le polythéisme convient mieux que le Christianisme au développement de la civilisation. Cette affirmation est celle-là même qu’expriment les ennemis de l’Islâm en prétendant que l’Orient était florissant mais que l’Islâm l’avait détruit. [...] Les Arabes au Moyen Âge étaient les professeurs des Européens. C’était une fierté pour un Européen que d’avoir été à l’école du monde arabe.»
Aujourd’hui, le même problème demeure...La solution est en l’homme, s’éduquer et s’instruire, fin des luttes intestines des responsables musulmans, fin de leurs appétits funestes au droit, à la justice et au bien-être,...Chakib Arslâne a cette conclusion éminemment d’actualité: «En Europe, lorsqu’on dit: "Renaissance nationale", "université nationale", le mot ne signifie pas seulement le sol, l’eau, les arbres et les pierres, ni l’ethnie dont l’origine remonte au premier ancêtre, mais signifie bien la nation et le peuple avec toute la géographie, l’histoire, la culture, c’est-à-dire la nourriture, la croyance, la religion, la morale, la tradition tout ensemble.»
Voilà donc une lecture qui nous ramène d’une certaine manière au Premier homme, - nous sommes tous faits de la même argile, et si nous sommes aussi différents que les doigts de la main humaine, il y a certainement quelque utilité bienfaitrice pour que chaque doigt dépende de l’autre et inversement.
P.-S.: Le grand romancier égyptien, ‘Ala’ El-Aswany, auteur de L’Immeuble Alcoubian et de Chicago invité spécialement par Casbah-Éditions, était dans nos murs.
J’aurais bien voulu tranquillement m’entretenir avec lui, mais la rencontre organisée dimanche 23 à 9h, à l’Hôtel El-Djazâïr, s’est déroulée, dans un temps très court et dans un espace de 9m2, encombré de volumineux fauteuils, dépendant d’un vaste salon voisin. Les nombreux journalistes de la presse et de la radio invités ou alertés, pour tenter à chacun sa chance de poser ses questions au prestigieux écrivain, ont dû s’agglutiner autour de lui et, plusieurs fois, inévitablement ils n’ont pas hésité à supplanter un confrère au risque de paraître inconvenants: professionnalisme oblige? Patient, courageux, aimable, heureux même - peut-être s’est-il retrouvé dans son Immeuble Alcoubian? - El-Aswany a supporté cette «rencontre» à la hussarde.
À ma question: «Est-ce que pour écrire sur la société qui l’a vu naître, grandir et se former, l’écrivain devrait-il nécessairement vivre en son sein?», il a répondu: «Écrire un roman exige la présence de l’écrivain au sein de la société. Mais j’ai du respect pour des écrivains qui vivent ailleurs. J’ai étudié en Amérique et j’avais l’opportunité d’y rester. Mais j’ai décidé de rentrer chez moi. Je ne peux écrire sur les Égyptiens que si je vis en Égypte. Tant que je ne suis pas obligé de quitter le pays du moins.» Une autre question sur «Le souci d’objectivité dans la relation d’une réalité [...], ne porterait-il pas, a contrario, préjudice à l’imaginaire de l’écrivain?» a été rapportée, avec mon accord, par O. Hind que je remercie vivement (Lire L’Expression du 24 novembre).
Le temps a donc manqué à presque tous les journalistes. Le célèbre écrivain ‘Ala’ El-Aswany n’a pas cessé, à son corps défendant, d’être tout lié au programme réglé pour des mondanités, auxquelles peut-être Casbah-éditions et son invité n’auraient pu échapper.
(*) CAUSES DE LA RÉGRESSION DES MUSULMANS
de Chakib Arslâne
Haut Conseil Islamique, Alger, 2006, 112 pages.
Kaddour M´HAMSADJI
L'Expression
Tous les peuples qui vivent trouvent la clé du progrès dans la science suprême.
Par ce temps, qui nous chagrine, fait de cauchemar, de mensonge et d’hypocrisie, nous observons à notre tour ce que Chakib Arslâne, en 1930 a déjà observé et, encore bien avant lui, tant de penseurs musulmans aux idées claires et humaines. «Tous les peuples, écrit-il dans un article brillant, se réfugient dans leur religion, dans les valeurs de leur personnalité qu’ils ont héritées de leurs ancêtres et ne les rejettent pas, sauf les musulmans!» On lira une telle pertinence dans l’article intitulé Causes de la régression des Musulmans (*) de Chakib Arslâne, écrit à Lausanne (Suisse) et publié en 1930 dans l’hebdomadaire Al-Manâr (1897-1935), fondé au Caire par Mohammed Rachîd Rîdhâ, Syro-égyptien, un des célèbres animateurs de la pensée musulmane moderne, soutenant et développant, à l’époque, ce qu’il est convenu d’appeler en-Nahdha, la Renaissance.
Cette oeuvre, quoique brève, a eu, par sa densité, un pouvoir long et durable; elle a influencé heureusement de nombreux militants de la justice et du progrès à travers le monde et parmi eux des Algériens: Messali Hadj, Aboûl Yaqdâm, Saïd Zâhirî, Tayeb El-‘Oqbî, Tewfîq El-Madânî, Malek Benabi (qui a émis la célèbre théorie de la «colonisabilité»), Ben Badis,...Elle nous est proposée dans une traduction de l’arabe vers le français par les professeurs Hachemi Tidjânî et Zahîr Ihaddâden avec une utile préface de Chikh Bouamrane.
Essayant de répondre aux préoccupations du moment, par le truchement d’une lettre lui demandant d’expliquer «les causes de la régression des musulmans et de la progression des non musulmans», Chakib Arslâne n’hésite pas à exposer ses idées en analysant finement de nombreux points religieux, psychologiques et politiques s’articulant autour d’une réalité, sans cesse évidente, la mainmise des grandes puissances européennes sur des territoires arabo-musulmans et y installant, de différentes façons et par des moyens psychologiques et matériels violents, le système colonial. La hauteur de vue, la pertinence de l’expression, l’humanisme sous-jacent de la réflexion de Chakib Arslâne ont conquis, à l’évidence, tous les peuples soumis et qui, n’en pouvant mais, se sont livrés à la fatalité et, plus grave, se sont lâchés au culte du fanatisme et du désespoir. Or, explique Chakib Arslâne, l’Islâm n’est pas la cause du retard des musulmans, s’ils ne sont pas à l’heure du rendez-vous de la marche du monde, ce n’est pas la faute au Coran. Sa longue et puissante réflexion nous en donne cette mesure: «Dans le monde musulman, si un appel se fait entendre en faveur de l’attachement au Coran, à la croyance, aux valeurs islamiques, à la langue arabe, à la littérature arabe et à la vie orientale, ceux qui ont un doute dans leur coeur se lèvent immédiatement pour crier: À bas la réaction! Comment voulez-vous progresser alors que vous êtes attachés à des valeurs et des formules discrètes qui nous viennent du Moyen Âge alors que nous vivons une période moderne?»
L’ouvrage est inépuisablement instructif. On comprend le retentissement qu’il a eu en Europe même, et le vif intérêt que lui ont accordé, tout bénéfice, de nombreux penseurs occidentaux. L’Islâm est culture et civilisation, cela ne fait aucun doute chez les hommes de science impartiaux. Il n’est pas une culture unique, une civilisation unique, «Toute civilisation, proclame Chakib Arslâne, est tributaire des civilisations qui l’ont précédée, elle est la résultante des contributions successives de générations multiples de l’humanité, dans la diversité des races et des aptitudes.» Dans bien des domaines de la vie des peuples, les réalisations des Arabes ont apporté le bien-être, la paix, le respect de l’autre, le respect de la vie et de quelque race que soit cette vie. L’idée de «chocs des cultures» n’est ni arabe ni musulmane, de même qu’elle n’est ni européenne ni chrétienne. Chakib Arslâne en revient toujours aux causes profondes de la décadence, par exemple, chez les Grecs et les Romains, avant et après le Christianisme; il s’interroge: «Devons-nous prétendre que le Christianisme est la cause de sa décadence? [...] La décadence de Rome et celle de la Grèce après l’expansion du Christianisme par Saint Paul résultent de plusieurs causes et facteurs parmi lesquels on peut citer la décadence morale, l’absence de dignité, les mauvaises moeurs, le libertinage, l’athéisme et le déclin des États. [...] L’affirmation de certains historiens européens selon laquelle l’expansion du Christianisme à Rome et en Grèce a été la cause de leur décadence et de la disparition de leur civilisation n’a aucun fondement. Les bouleversements qu’ont connus ces deux civilisations sont dans l’ordre naturel. Nul ne peut affirmer que le polythéisme convient mieux que le Christianisme au développement de la civilisation. Cette affirmation est celle-là même qu’expriment les ennemis de l’Islâm en prétendant que l’Orient était florissant mais que l’Islâm l’avait détruit. [...] Les Arabes au Moyen Âge étaient les professeurs des Européens. C’était une fierté pour un Européen que d’avoir été à l’école du monde arabe.»
Aujourd’hui, le même problème demeure...La solution est en l’homme, s’éduquer et s’instruire, fin des luttes intestines des responsables musulmans, fin de leurs appétits funestes au droit, à la justice et au bien-être,...Chakib Arslâne a cette conclusion éminemment d’actualité: «En Europe, lorsqu’on dit: "Renaissance nationale", "université nationale", le mot ne signifie pas seulement le sol, l’eau, les arbres et les pierres, ni l’ethnie dont l’origine remonte au premier ancêtre, mais signifie bien la nation et le peuple avec toute la géographie, l’histoire, la culture, c’est-à-dire la nourriture, la croyance, la religion, la morale, la tradition tout ensemble.»
Voilà donc une lecture qui nous ramène d’une certaine manière au Premier homme, - nous sommes tous faits de la même argile, et si nous sommes aussi différents que les doigts de la main humaine, il y a certainement quelque utilité bienfaitrice pour que chaque doigt dépende de l’autre et inversement.
P.-S.: Le grand romancier égyptien, ‘Ala’ El-Aswany, auteur de L’Immeuble Alcoubian et de Chicago invité spécialement par Casbah-Éditions, était dans nos murs.
J’aurais bien voulu tranquillement m’entretenir avec lui, mais la rencontre organisée dimanche 23 à 9h, à l’Hôtel El-Djazâïr, s’est déroulée, dans un temps très court et dans un espace de 9m2, encombré de volumineux fauteuils, dépendant d’un vaste salon voisin. Les nombreux journalistes de la presse et de la radio invités ou alertés, pour tenter à chacun sa chance de poser ses questions au prestigieux écrivain, ont dû s’agglutiner autour de lui et, plusieurs fois, inévitablement ils n’ont pas hésité à supplanter un confrère au risque de paraître inconvenants: professionnalisme oblige? Patient, courageux, aimable, heureux même - peut-être s’est-il retrouvé dans son Immeuble Alcoubian? - El-Aswany a supporté cette «rencontre» à la hussarde.
À ma question: «Est-ce que pour écrire sur la société qui l’a vu naître, grandir et se former, l’écrivain devrait-il nécessairement vivre en son sein?», il a répondu: «Écrire un roman exige la présence de l’écrivain au sein de la société. Mais j’ai du respect pour des écrivains qui vivent ailleurs. J’ai étudié en Amérique et j’avais l’opportunité d’y rester. Mais j’ai décidé de rentrer chez moi. Je ne peux écrire sur les Égyptiens que si je vis en Égypte. Tant que je ne suis pas obligé de quitter le pays du moins.» Une autre question sur «Le souci d’objectivité dans la relation d’une réalité [...], ne porterait-il pas, a contrario, préjudice à l’imaginaire de l’écrivain?» a été rapportée, avec mon accord, par O. Hind que je remercie vivement (Lire L’Expression du 24 novembre).
Le temps a donc manqué à presque tous les journalistes. Le célèbre écrivain ‘Ala’ El-Aswany n’a pas cessé, à son corps défendant, d’être tout lié au programme réglé pour des mondanités, auxquelles peut-être Casbah-éditions et son invité n’auraient pu échapper.
(*) CAUSES DE LA RÉGRESSION DES MUSULMANS
de Chakib Arslâne
Haut Conseil Islamique, Alger, 2006, 112 pages.
Kaddour M´HAMSADJI
L'Expression
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