« Tout être humain se voit facilité à réaliser ce pour quoi il a été créé ». L’émir Abd el-Kader a sans doute médité cette parole du Prophète à maintes reprises au cours de sa vie : en 1832, alors que, voué a priori à une vie d’étude et de contemplation, il est investi malgré lui du commandement de la résistance contre l’occupant français ; en 1847, lorsque, ayant déposé les armes, il espère troquer le harnais du cavalier contre la bure du soufi ; de 1847 à 1852, durant sa captivité en France, où il a d’évidence compris que si cette puissance avait colonisé matériellement sa terre, il allait, lui, ‘‘coloniser les cœurs’’ des Français et témoigner dans ce pays de l’islam et du soufisme ; en 1855, lorsque, après avoir fait serment aux Français qu’il ne reviendrait plus jamais en Algérie, il s’établit à Damas, suivant précisément les traces de son maître à travers les siècles, l’Andalou Ibn ‘Arabî ; en 1860, alors que, ayant sauvé desmilliers dechrétiens damascènes du massacre, il est félicité de toutes parts pour avoir accompli ce qui lui apparaît être simplement son devoir de… musulman ; en 1863, lorsque, après s’être fait le disciple à La Mecque, et contre toute attente, d’un cheikh soufi inconnu, il s’entend dire : « Cela fait vingt ans que je t’attends » ; peu après, lorsque ce cheikh l’amène à la ‘‘mort initiatique’’ en le plaçant en retraite spirituelle dans la grotte Hirâ’, là même où Muhammad est devenu le prophète de l’islam ; en 1883 enfin, alors que sa mort physique a été à tort annoncée quelques années auparavant par la rumeur du monde, et qu’il quitte son enveloppe charnelle.
La mort d’un saint est toujours une apothéose, dit-on. Mais le saint a t-il conscience d’être un saint, c’est-à-dire un « proche de Dieu » (walî Allâh) ? La question a fait débat dans les milieux soufis depuis la plus haute époque. « Je n’ai point fait les événements, disait l’émir, ce sont eux qui m’ont fait ». Pour Ibn ‘Arabî comme pour lui, la vie du monde et des individus est une succession ininterrompue de théophanies, de manifestations divines qui ne se répètent jamais. Abd el-Kader a été révélé à lui-même par ces « causes secondes » que les gnostiques savent identifier.
Plus que d’autres, il a épousé les divers contours de la vie : l’étude et la contemplation, la chevalerie et la guerre, la politique et la conduite des hommes, l’exil et la captivité, l’engagement humaniste et l’implication dans la modernité et, puisque le temps est cyclique, un retour flamboyant à la vocation première : la spiritualité, c’est-à-dire la conviction intime que l’acceptation des paradoxes permet de se résorber dans l’Unicité. Son projet d’une vie pour l’Esprit était déjà à l’œuvre lorsque, dès 1848, ildéclareà l’évêque Dupuch : « J’aurais dû être toute ma vie - je voudrais du moins redevenir avant de mourir - un homme d’études et de prière, il me semble, et je dis du fond de mon cœur que désormais je suis comme mort à tout le reste » [1].
Être complexe que l’émir, par les multiples facettes de sa personnalité, figées par les uns, réifiées par les autres, puisqu’on a rarement voulu l’envisager pour ce qu’il était : un « héritier muhammadien », ayant réalisé en lui l’Unicité, et oeuvrant, par voie de conséquence, à l’avènement de l’unité entre les humains, entre l’islam et l’Occident… « La création tout entière est la famille de Dieu », aimait-il à répéter à l’instar du Prophète.
Ainsi, lui, le musulman, se plaît à noter que Jésus adressait le salut aux cochons : toute forme de vie est sacrée. Son éthique humanitaire (le règlement qu’il édicte, durant la guerre, pour le respect des prisonniers français ; le sauvetage des chrétiens de Damas...) s’inscrit dans le sillage du modèle prophétique, et l’on peut comprendre que son ennemi, le général Bugeaud, ait vu en lui « une espèce de prophète ».
La mort d’un saint est toujours une apothéose, dit-on. Mais le saint a t-il conscience d’être un saint, c’est-à-dire un « proche de Dieu » (walî Allâh) ? La question a fait débat dans les milieux soufis depuis la plus haute époque. « Je n’ai point fait les événements, disait l’émir, ce sont eux qui m’ont fait ». Pour Ibn ‘Arabî comme pour lui, la vie du monde et des individus est une succession ininterrompue de théophanies, de manifestations divines qui ne se répètent jamais. Abd el-Kader a été révélé à lui-même par ces « causes secondes » que les gnostiques savent identifier.
Plus que d’autres, il a épousé les divers contours de la vie : l’étude et la contemplation, la chevalerie et la guerre, la politique et la conduite des hommes, l’exil et la captivité, l’engagement humaniste et l’implication dans la modernité et, puisque le temps est cyclique, un retour flamboyant à la vocation première : la spiritualité, c’est-à-dire la conviction intime que l’acceptation des paradoxes permet de se résorber dans l’Unicité. Son projet d’une vie pour l’Esprit était déjà à l’œuvre lorsque, dès 1848, ildéclareà l’évêque Dupuch : « J’aurais dû être toute ma vie - je voudrais du moins redevenir avant de mourir - un homme d’études et de prière, il me semble, et je dis du fond de mon cœur que désormais je suis comme mort à tout le reste » [1].
Être complexe que l’émir, par les multiples facettes de sa personnalité, figées par les uns, réifiées par les autres, puisqu’on a rarement voulu l’envisager pour ce qu’il était : un « héritier muhammadien », ayant réalisé en lui l’Unicité, et oeuvrant, par voie de conséquence, à l’avènement de l’unité entre les humains, entre l’islam et l’Occident… « La création tout entière est la famille de Dieu », aimait-il à répéter à l’instar du Prophète.
Ainsi, lui, le musulman, se plaît à noter que Jésus adressait le salut aux cochons : toute forme de vie est sacrée. Son éthique humanitaire (le règlement qu’il édicte, durant la guerre, pour le respect des prisonniers français ; le sauvetage des chrétiens de Damas...) s’inscrit dans le sillage du modèle prophétique, et l’on peut comprendre que son ennemi, le général Bugeaud, ait vu en lui « une espèce de prophète ».
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