L’Europe s’est réunie hier à Bruxelles et cette réunion ne fut pas inutile. L’Europe s’y est montrée à la fois suffisamment divisée et suffisamment contrainte à un arrangement entre ses membres pour nous signaler que la situation est grave et qu’on commence à mesurer la chose. L’espèce d’“unité” qu’a montrée l’Europe hier n’est pas un signe de santé mais un signe de l’extrême gravité de la situation, telle qu’elle est de plus en plus nettement perçue par les Européens. Le désarroi schizophrénique a laissé place à une anxiété sous-jacente qui est la mesure de cette situation.
Cette rencontre marque une nouvelle phase de la crise pour l’Europe. Dans ce “pour l’Europe”, il y a le constat d’une circonstance très spécifique et remarquable, que certains jugeraient être une calamité pour l’Europe (encore cette expression) tandis que d’autres jugeraient qu’elle pourrait être une opportunité pour elle (“pour l’Europe”) au cœur de la crise catastrophique en cours. La circonstance spécifique de la situation est définie fondamentalement par l’absence diplomatique des USA, – l’absence même de “vie”, de mouvement diplomatique, comme l’on dirait d’une chose inerte, fondamentalement indifférente, avec quelques réflexes agressifs de sa pathologie courante. Cette situation était dénoncée avec sa vivacité coutumière par Madeleine Albright dans une interview au Spiegel citée le 31 août par AFP; Albright y fustige l’inaction US sans pour autant abandonner sa rhétorique maximaliste, type “néo-neocon”, bien au contraire, – ce qui montre bien que nous sommes au niveau de la “méthode diplomatique” (ou “non-méthode”, disons) et non des choix diplomatiques:
«Former secretary of state Madeleine Albright has blasted the current US administration's handling of the Georgia crisis, saying her first move would have been to travel to Russia for talks.
»In an interview with the online service of German news weekly Der Spiegel Sunday, Albright said she would have criticised the Russian military surge into Georgia and recognition of two Georgian rebel enclaves but reassured Moscow over its security fears.
»“I would have gone straight to Moscow, unlike the current Secretary of State Condoleezza Rice,” she said, in remarks printed in German. “I would have told the Russians in no uncertain terms that this behaviour is unacceptable. At the same time, I would have assured them that there is no threat at their borders.”»
Cette nouvelle phase ouverte hier est la troisième de la crise. La première eut lieu dès l’origine, avec la France saisissant l’initiative, et beaucoup plus selon une politique nationale qu’une politique “européenne”. La France agissait au nom de l’Europe mais elle agissait en tant que telle, et c’est en tant que telle qu’elle réussit dans cette première phrase à négocier un cessez-le-feu.
La seconde phase fut ouverte, naturellement, avec l’intervention les 16-17 août des USA (Rice à Tbilissi), – “naturellement” puisqu'il s'agit des USA, puisque cette intervention aboutit finalement à un gel de la diplomatie, là où elle se trouvait, avec l’accord de cessez-le-feu tardant à être respecté, tandis que l’“action” se transposait à l’“Ouest” avec la réunion de l’OTAN du 19 août qui permit de faire entendre en coulisses quelques paroles martiales. Dans ce cas, l’action diplomatique constructive était paralysée et l’on versa effectivement dans la déclaration d’intention, dans la critique sévère à l'ombre des salons d'Evere, dans le froncement de sourcil moralisateur, dans le déploiement de la parole martiale et ainsi de suite. Ce fut là, pour l’Europe, ce que nous avons nommé la phase schizophérique, – dont on pourrait penser qu’elle laisserait place depuis hier à une nouvelle phase.
Ces deux phases sont très justement, très judicieusement rapportées et caractérisées par Mary Dejevsky, dans The Independent de ce jour :
«In fact, the EU's first moves were positive, as international responses go. The French presidency of the EU placed the onus on Nicolas Sarkozy and his foreign minister, Bernard Kouchner, to react in the name of Europe. Exhibitionist and interventionist politicians both, they made an admirably prompt start, exchanging their sacrosanct August holidays for a few rounds of shuttle diplomacy. Within days there was a six-point agreement, validated by the signatures of both sides. It was a promising start: a single message, activist diplomacy, and a realistic awareness of what was possible on the ground.
»At which point everything fell apart, and a head of steam built up once again behind the rhetoric – except that this time it was not just Russia and Georgia doing the shouting, but their respective cheerleaders, which meant pretty much everyone against the Russians. And the EU voice of reason, as exemplified by the mediators, M. Sarkozy and M. Kouchner, was progressively drowned out by a different and more diffuse argument: not the small question of how to solve the problem of South Ossetia, but the big question of what to do about Russia.»
La troisième phase, commencée hier, est évidemment marquée par le retour de la diplomatie active, avec la mission de Sarkozy (avec Barroso dans ses bagages) à Moscou et à Tbilissi, le 8 septembre. On s’engage à partir d’assurances données par Medvedev à Sarkozy, au téléphone avant-hier (assurance sur l’application complète des six points du cessez-le-feu par la Russie). Bien entendu, aucune garantie de rien dans cette tentative (ce n’est pas la première fois que Medvedev fait une telle promesse) mais le constat par ailleurs qu’il n’y a guère de choix.
Cette rencontre marque une nouvelle phase de la crise pour l’Europe. Dans ce “pour l’Europe”, il y a le constat d’une circonstance très spécifique et remarquable, que certains jugeraient être une calamité pour l’Europe (encore cette expression) tandis que d’autres jugeraient qu’elle pourrait être une opportunité pour elle (“pour l’Europe”) au cœur de la crise catastrophique en cours. La circonstance spécifique de la situation est définie fondamentalement par l’absence diplomatique des USA, – l’absence même de “vie”, de mouvement diplomatique, comme l’on dirait d’une chose inerte, fondamentalement indifférente, avec quelques réflexes agressifs de sa pathologie courante. Cette situation était dénoncée avec sa vivacité coutumière par Madeleine Albright dans une interview au Spiegel citée le 31 août par AFP; Albright y fustige l’inaction US sans pour autant abandonner sa rhétorique maximaliste, type “néo-neocon”, bien au contraire, – ce qui montre bien que nous sommes au niveau de la “méthode diplomatique” (ou “non-méthode”, disons) et non des choix diplomatiques:
«Former secretary of state Madeleine Albright has blasted the current US administration's handling of the Georgia crisis, saying her first move would have been to travel to Russia for talks.
»In an interview with the online service of German news weekly Der Spiegel Sunday, Albright said she would have criticised the Russian military surge into Georgia and recognition of two Georgian rebel enclaves but reassured Moscow over its security fears.
»“I would have gone straight to Moscow, unlike the current Secretary of State Condoleezza Rice,” she said, in remarks printed in German. “I would have told the Russians in no uncertain terms that this behaviour is unacceptable. At the same time, I would have assured them that there is no threat at their borders.”»
Cette nouvelle phase ouverte hier est la troisième de la crise. La première eut lieu dès l’origine, avec la France saisissant l’initiative, et beaucoup plus selon une politique nationale qu’une politique “européenne”. La France agissait au nom de l’Europe mais elle agissait en tant que telle, et c’est en tant que telle qu’elle réussit dans cette première phrase à négocier un cessez-le-feu.
La seconde phase fut ouverte, naturellement, avec l’intervention les 16-17 août des USA (Rice à Tbilissi), – “naturellement” puisqu'il s'agit des USA, puisque cette intervention aboutit finalement à un gel de la diplomatie, là où elle se trouvait, avec l’accord de cessez-le-feu tardant à être respecté, tandis que l’“action” se transposait à l’“Ouest” avec la réunion de l’OTAN du 19 août qui permit de faire entendre en coulisses quelques paroles martiales. Dans ce cas, l’action diplomatique constructive était paralysée et l’on versa effectivement dans la déclaration d’intention, dans la critique sévère à l'ombre des salons d'Evere, dans le froncement de sourcil moralisateur, dans le déploiement de la parole martiale et ainsi de suite. Ce fut là, pour l’Europe, ce que nous avons nommé la phase schizophérique, – dont on pourrait penser qu’elle laisserait place depuis hier à une nouvelle phase.
Ces deux phases sont très justement, très judicieusement rapportées et caractérisées par Mary Dejevsky, dans The Independent de ce jour :
«In fact, the EU's first moves were positive, as international responses go. The French presidency of the EU placed the onus on Nicolas Sarkozy and his foreign minister, Bernard Kouchner, to react in the name of Europe. Exhibitionist and interventionist politicians both, they made an admirably prompt start, exchanging their sacrosanct August holidays for a few rounds of shuttle diplomacy. Within days there was a six-point agreement, validated by the signatures of both sides. It was a promising start: a single message, activist diplomacy, and a realistic awareness of what was possible on the ground.
»At which point everything fell apart, and a head of steam built up once again behind the rhetoric – except that this time it was not just Russia and Georgia doing the shouting, but their respective cheerleaders, which meant pretty much everyone against the Russians. And the EU voice of reason, as exemplified by the mediators, M. Sarkozy and M. Kouchner, was progressively drowned out by a different and more diffuse argument: not the small question of how to solve the problem of South Ossetia, but the big question of what to do about Russia.»
La troisième phase, commencée hier, est évidemment marquée par le retour de la diplomatie active, avec la mission de Sarkozy (avec Barroso dans ses bagages) à Moscou et à Tbilissi, le 8 septembre. On s’engage à partir d’assurances données par Medvedev à Sarkozy, au téléphone avant-hier (assurance sur l’application complète des six points du cessez-le-feu par la Russie). Bien entendu, aucune garantie de rien dans cette tentative (ce n’est pas la première fois que Medvedev fait une telle promesse) mais le constat par ailleurs qu’il n’y a guère de choix.
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