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INDE • Persécutions antichrétiennes en Orissa
Les chrétiens subissent la folie meurtrière des nationalistes hindous depuis plusieurs jours dans cet Etat du nord-est de l'Inde. Onze personnes ont été victimes des violences à ce jour. La presse indienne s'interroge sur les véritables motivations des émeutiers.
En réaction à l'assassinat d'un de leurs dirigeants le 23 août dernier, les nationalistes hindous mettent depuis plusieurs jours l'Etat d'Orissa [dans le nord-est de l'Inde] à feu et à sang, en s'en prenant à la communauté chrétienne. Ils ont saccagé de nombreux lieux de culte, incendié des maisons appartenant à des chrétiens et tué une jeune Italienne de 20 ans, responsable d'un orphelinat géré par des missionnaires.
Les journaux indiens ne sont pas surpris par ces exactions, et rappellent que la région est depuis longtemps le théâtre d'affrontements communautaires orchestrés par les nationalistes hindous. Le spectre de l'assassinat du missionnaire australien Graham Staines et de ses deux enfants en 1999, "un lynchage diabolique", ressurgit donc une fois de plus, estime le quotidien The Hindu. A Calcutta, capitale du Bengale-Occidental, Etat voisin de l'Orissa, le grand quotidien local The Telegraph analyse la situation en détail : les chrétiens sont principalement d'anciens hindous intouchables convertis. C'est à leur conversion prétendument forcée que les nationalistes hindous s'opposent. Les rangs des extrémistes hindous sont constitués de tribaux. Mais, derrière la question religieuse, se cache une tout autre logique : en se convertissant au christianisme, les anciens intouchables ont perdu leur droit à des quotas préférentiels pour l'éducation et la fonction publique. Ils tentent donc à présent de récupérer cet avantage en obtenant le statut de population tribale, statut permettant aussi l'obtention de quotas. Les tribaux locaux, qui craignent de voir leurs privilèges rognés, ne l'entendent évidemment pas de cette oreille. Le conflit entre les deux groupes a ensuite été savamment exploité par des extrémistes religieux.
L'Economic Times revient sur les conséquences politiques de la flambée de violence en Orissa. Pour ce journal de Bombay, "les exactions actuelles, alors que les élections législatives locales auront lieu dans quelques mois, sont sans aucun doute perpétrées pour mieux aider le BJP [Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue] à gagner des voix". Si les événements sanglants de ces derniers jours peuvent servir le BJP localement, The Hindu met le parti en garde contre les répercussions possibles sur le plan national : "Les législatives nationales auront lieu dans quelques mois [d'ici à mai 2009] et le BJP doit réfléchir au coût politique qu'il paiera s'il aliène ses alliés laïcs." Treize personnes ont déjà trouvé la mort lors des affrontements. La police a reçu l'ordre de tirer à vue.
La presse italienne, toujours sensible aux questions ayant trait aux catholiques dans le monde, s'émeut également des persécutions dont sont victimes les chrétiens en Orissa.
"L'hindouisme est une des religions les plus pratiquées au monde, avec plus de 1 milliard de fidèles", observe ainsi La Repubblica, "et c'est la seule grande religion qui sanctionne le principe de non-égalité des êtres humains dès la naissance. La survie des castes est la raison pour laquelle le christianisme – de même que l'islam et le bouddhisme – continue de recruter de nouveaux adeptes au sein des classes les moins favorisées. Le fait que le christianisme constitue une menace pour l'identité indienne est théorisé par Rajnath Singh, le leader du BJP, principal mouvement de l'opposition. Depuis des siècles, l'Inde subit la pénétration des religions les plus 'agressives', comme l'islam ou le christianisme. A l'époque moderne, le prosélytisme des grandes religions monothéistes a croisé les mouvements pour l'émancipation socio-économique des castes inférieures. Les intouchables et les autres basses castes ont été attirées par des religions plus égalitaires que l'hindouisme. Les massacres d'Orissa ne sont que le dernier épisode d'un enchaînement de représailles : Eusebio Ferrao, le curé de Goa, a été assassiné le 17 mars 2006 ; en 2007, des violences antichrétiennes ont eu lieu dans le Rajasthan, à Udaipur, dans le Karnataka et dans l'Himachal Pradesh."
"Nombreux sont ceux qui croient que la violence antichrétienne n'est le fait que des musulmans.
En réalité, la situation des chrétiens dans plusieurs parties du monde est devenue difficile", observe de son côté dans La Stampa Andrea Riccardi. D'après le fondateur et président de la Communauté de Sant'Egidio, association catholique active dans le social et l'international, "les chrétiens sont depuis longtemps dans le collimateur des fondamentalistes hindous". Ces derniers contestent "l'action sociale menée auprès des intouchables, des hors-caste (dalits) et des animistes tribaux. Les dalits et les animistes sont fortement attirés par le christianisme et le bouddhisme. L'adhésion à ces religions les fait sortir de leur condition de marginalité sociale. Il s'agit d'un problème de fond, de quelque chose de complexe s'agitant au sein de l'hindouisme et de l'identité de l'Inde, qui s'apprête à devenir une grande puissance : les minorités chrétiennes, en Inde, représentent ainsi une cible qui renforce le sentiment national hindou. Elles sont faibles, mais expriment une religion que l'on considère comme étrangère."
Pourtant, remarque Riccardi, "l'attitude de la majorité des Indiens est différente : mère Teresa, une religieuse étrangère, est devenue un symbole indien grâce à sa charité envers les pauvres, et elle a eu droit à des obsèques nationales".
"Les chrétiens sont souvent une cible facile dans le monde globalisé, surtout lorsqu'ils sont minoritaires. L'opinion publique occidentale est choquée par le fait qu'ils soient pris pour cible. Aujourd'hui, ils ne sont plus victimes des régimes totalitaires, mais d'une violence aveugle et diffuse. Nombre d'entre eux n'ont pas voulu se protéger de cette violence : sans défense, ils sont restés dans les zones de crise, en Afrique, au Brésil, au Moyen-Orient… Les chrétiens subissent des actes de violence parce que, par rapport à la logique de la terreur, leur présence apparaît pacifique et différente. Cette différence sonne presque comme une protestation silencieuse. Dans un climat empoisonné par la haine, leur foi les rend différents. Pour cela, dans cette situation de violence diffuse où la violence est parfois le seul cadre de vie, ces chrétiens doivent être éliminés ou éloignés."
Ingrid Therwath et Gian Paolo Accardo
Les chrétiens subissent la folie meurtrière des nationalistes hindous depuis plusieurs jours dans cet Etat du nord-est de l'Inde. Onze personnes ont été victimes des violences à ce jour. La presse indienne s'interroge sur les véritables motivations des émeutiers.
En réaction à l'assassinat d'un de leurs dirigeants le 23 août dernier, les nationalistes hindous mettent depuis plusieurs jours l'Etat d'Orissa [dans le nord-est de l'Inde] à feu et à sang, en s'en prenant à la communauté chrétienne. Ils ont saccagé de nombreux lieux de culte, incendié des maisons appartenant à des chrétiens et tué une jeune Italienne de 20 ans, responsable d'un orphelinat géré par des missionnaires.
Les journaux indiens ne sont pas surpris par ces exactions, et rappellent que la région est depuis longtemps le théâtre d'affrontements communautaires orchestrés par les nationalistes hindous. Le spectre de l'assassinat du missionnaire australien Graham Staines et de ses deux enfants en 1999, "un lynchage diabolique", ressurgit donc une fois de plus, estime le quotidien The Hindu. A Calcutta, capitale du Bengale-Occidental, Etat voisin de l'Orissa, le grand quotidien local The Telegraph analyse la situation en détail : les chrétiens sont principalement d'anciens hindous intouchables convertis. C'est à leur conversion prétendument forcée que les nationalistes hindous s'opposent. Les rangs des extrémistes hindous sont constitués de tribaux. Mais, derrière la question religieuse, se cache une tout autre logique : en se convertissant au christianisme, les anciens intouchables ont perdu leur droit à des quotas préférentiels pour l'éducation et la fonction publique. Ils tentent donc à présent de récupérer cet avantage en obtenant le statut de population tribale, statut permettant aussi l'obtention de quotas. Les tribaux locaux, qui craignent de voir leurs privilèges rognés, ne l'entendent évidemment pas de cette oreille. Le conflit entre les deux groupes a ensuite été savamment exploité par des extrémistes religieux.
L'Economic Times revient sur les conséquences politiques de la flambée de violence en Orissa. Pour ce journal de Bombay, "les exactions actuelles, alors que les élections législatives locales auront lieu dans quelques mois, sont sans aucun doute perpétrées pour mieux aider le BJP [Parti du peuple indien, formation nationaliste hindoue] à gagner des voix". Si les événements sanglants de ces derniers jours peuvent servir le BJP localement, The Hindu met le parti en garde contre les répercussions possibles sur le plan national : "Les législatives nationales auront lieu dans quelques mois [d'ici à mai 2009] et le BJP doit réfléchir au coût politique qu'il paiera s'il aliène ses alliés laïcs." Treize personnes ont déjà trouvé la mort lors des affrontements. La police a reçu l'ordre de tirer à vue.
La presse italienne, toujours sensible aux questions ayant trait aux catholiques dans le monde, s'émeut également des persécutions dont sont victimes les chrétiens en Orissa.
"L'hindouisme est une des religions les plus pratiquées au monde, avec plus de 1 milliard de fidèles", observe ainsi La Repubblica, "et c'est la seule grande religion qui sanctionne le principe de non-égalité des êtres humains dès la naissance. La survie des castes est la raison pour laquelle le christianisme – de même que l'islam et le bouddhisme – continue de recruter de nouveaux adeptes au sein des classes les moins favorisées. Le fait que le christianisme constitue une menace pour l'identité indienne est théorisé par Rajnath Singh, le leader du BJP, principal mouvement de l'opposition. Depuis des siècles, l'Inde subit la pénétration des religions les plus 'agressives', comme l'islam ou le christianisme. A l'époque moderne, le prosélytisme des grandes religions monothéistes a croisé les mouvements pour l'émancipation socio-économique des castes inférieures. Les intouchables et les autres basses castes ont été attirées par des religions plus égalitaires que l'hindouisme. Les massacres d'Orissa ne sont que le dernier épisode d'un enchaînement de représailles : Eusebio Ferrao, le curé de Goa, a été assassiné le 17 mars 2006 ; en 2007, des violences antichrétiennes ont eu lieu dans le Rajasthan, à Udaipur, dans le Karnataka et dans l'Himachal Pradesh."
"Nombreux sont ceux qui croient que la violence antichrétienne n'est le fait que des musulmans.
En réalité, la situation des chrétiens dans plusieurs parties du monde est devenue difficile", observe de son côté dans La Stampa Andrea Riccardi. D'après le fondateur et président de la Communauté de Sant'Egidio, association catholique active dans le social et l'international, "les chrétiens sont depuis longtemps dans le collimateur des fondamentalistes hindous". Ces derniers contestent "l'action sociale menée auprès des intouchables, des hors-caste (dalits) et des animistes tribaux. Les dalits et les animistes sont fortement attirés par le christianisme et le bouddhisme. L'adhésion à ces religions les fait sortir de leur condition de marginalité sociale. Il s'agit d'un problème de fond, de quelque chose de complexe s'agitant au sein de l'hindouisme et de l'identité de l'Inde, qui s'apprête à devenir une grande puissance : les minorités chrétiennes, en Inde, représentent ainsi une cible qui renforce le sentiment national hindou. Elles sont faibles, mais expriment une religion que l'on considère comme étrangère."
Pourtant, remarque Riccardi, "l'attitude de la majorité des Indiens est différente : mère Teresa, une religieuse étrangère, est devenue un symbole indien grâce à sa charité envers les pauvres, et elle a eu droit à des obsèques nationales".
"Les chrétiens sont souvent une cible facile dans le monde globalisé, surtout lorsqu'ils sont minoritaires. L'opinion publique occidentale est choquée par le fait qu'ils soient pris pour cible. Aujourd'hui, ils ne sont plus victimes des régimes totalitaires, mais d'une violence aveugle et diffuse. Nombre d'entre eux n'ont pas voulu se protéger de cette violence : sans défense, ils sont restés dans les zones de crise, en Afrique, au Brésil, au Moyen-Orient… Les chrétiens subissent des actes de violence parce que, par rapport à la logique de la terreur, leur présence apparaît pacifique et différente. Cette différence sonne presque comme une protestation silencieuse. Dans un climat empoisonné par la haine, leur foi les rend différents. Pour cela, dans cette situation de violence diffuse où la violence est parfois le seul cadre de vie, ces chrétiens doivent être éliminés ou éloignés."
Ingrid Therwath et Gian Paolo Accardo
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