Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Donald Trump fait de l’anglais la langue officielle et bouleverse une longue histoire multilingue

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Donald Trump fait de l’anglais la langue officielle et bouleverse une longue histoire multilingue


    Donald Trump a décrété le statut officiel de l’anglais, le 1er mars.


    Au cours de leur histoire de près de 250 ans, les États-Unis n’ont jamais eu de langue officielle jusqu’à présent. Mais les Américains ne cesseront pas d’utiliser des langues autres que l’anglais.


    Depuis leur indépendance, les États-Unis n’avaient jamais proclamé de langue officielle. Le 1er mars dernier, le président américain Donald Trump a décrété le statut officiel de l’anglais, marquant une rupture fondamentale avec l’approche traditionnelle du gouvernement américain en la matière.

    « Depuis la fondation de notre République, l’anglais a été utilisé comme langue nationale », lit-on dans le préambule. « Il est dans l’intérêt des États-Unis, que le gouvernement fédéral désigne l’anglais — et lui seul — comme langue officielle ». Ce décret en révoque un autre, qui remontait à 2000 et qui visait à améliorer l’accès aux services pour les personnes ayant un niveau d’anglais limité. Désormais, les agences fédérales ne seront plus tenues d’informer et de répondre dans d’autres langues.

    Malgré quelques réactions, notamment dans le New York Times et le Washington Post, ce décret pourrait passer sans trop de résistance juridique et politique. Face à une administration Trump qui sape toutes les règles, les opposants ont d’autres chats à fouetter. Or, ce décret est beaucoup moins bénin qu’il n’y paraît.


    Réalités multilingues et fantasmes monolingues


    Malgré de fortes tendances à l’assimilationnisme, les États-Unis ont une longue histoire multilingue. Outre les centaines de langues indigènes, le français s’est implanté dans la grande Louisiane, tout l’ouest du Mississippi et de larges sections au sud des Grands Lacs et du long de la frontière, et l’espagnol est bien enraciné dans tout le Sud-Ouest. Sans compter tous les immigrés de partout qui ont enrichi ce tissu linguistique.

    Aujourd’hui, la plupart des villes côtières américaines — à commencer par New York — sont toutes très diverses sur le plan linguistique. Selon le Bureau du recensement, un Américain sur cinq parle au moins deux langues. Les avantages sociaux, économiques et cognitifs du bilinguisme sont bien établis. Aucune donnée ne soutient la thèse que le bilinguisme menacerait l’intégrité du pays.


    L’anglais, dans ce mélange, a toujours servi de lingua franca de facto.

    Mais une certaine idéologie unilinguiste commence à s’imposer. L’émergence de l’espagnol comme deuxième langue du pays, avec plus de 40 millions de locuteurs, suscite particulièrement l’inquiétude. Depuis 1969, une trentaine d’États ont décrété l’anglais comme langue officielle.


    Le « péril » linguistique


    Le décret du 1er mars stipule qu'« une langue désignée au niveau national est au cœur d’une société unifiée et cohésive ».

    Cet acte marque le triomphe du mouvement English-Only, mais qui se nourrit à la mamelle des préoccupations xénophobes et du suprémacisme blanc, une filiation que Donald Trump revendique.

    Dès sa première campagne en 2015, il avait réprimandé en plein débat télévisé le très bilingue Jeb Bush, ex-gouverneur de Floride : « Dans ce pays, on parle anglais, pas espagnol ».

    Neuf ans plus tard, lors de la Conférence d’action politique conservatrice de février 2024, il déclarait : « Des langues entrent dans notre pays. Personne au pays n’est en mesure de l’enseigner (sic). […] C’est absolument fou : ils ont des langues dont personne ici n’a jamais entendu parler. C’est vraiment affreux. »

    Cette remarque, outre ses sophismes et hyperboles, illustre parfaitement un état d’esprit de faiblesse et de crainte qui contredit une longue tradition.

    Car jusqu’ici, les Américains n’avaient jamais eu besoin d’une loi linguistique pour composer efficacement avec une réalité multilingue complexe, ce qui témoigne plutôt d’une certaine fortitude.


    L’anglais dans le monde


    Il est instructif de comparer la politique linguistique des États-Unis avec celle d’autres anciennes colonies de peuplement britanniques.

    Chez les voisins canadiens, la Loi sur les langues officielles consacre depuis 1969 l’égalité de l’anglais et du français, et oblige les institutions fédérales à fournir des services dans les deux langues — quoique les francophones du pays doivent encore se battre pour faire respecter ces dispositions. Quant aux autochtones, ils ont dû attendre 50 ans de plus pour qu’une Loi concernant les langues autochtones leur accorde enfin une modeste reconnaissance.




    L’Australie ne spécifie aucune langue officielle dans sa Constitution. Le gouvernement promeut l’anglais comme « langue nationale » tout en offrant de traduire certaines pages web dans d’autres langues.

    La Nouvelle-Zélande a adopté une approche plus réfléchie qui distingue nettement la situation de facto et le cadre de jure. Reconnaissant que l’anglais n’y est menacé d’aucune manière, les députés se sont plutôt attachés à donner un statut de langue officielle à la langue maorie en 1987 et à la langue des signes néo-zélandaise en 2006.

    Même le Royaume-Uni, point d’origine du colonialisme anglophone, a adopté une politique linguistique plutôt nuancée. Le gallois au Pays de Galles et le gaélique en Irlande du Nord profitent d’une certaine reconnaissance officielle. Quant au gaélique écossais, le gouvernement écossais s’est doté d’un organe officiel, le Bòrd na Gàidhlig, qui plaide pour la faire reconnaître.


    Principe et pratique


    Le décret linguistique de Donald Trump présente à la fois des conséquences pratiques et symboliques.

    L’abandon par les agences gouvernementales de leurs efforts plutôt tièdes en matière de traduction et d’interprétation ne sera pas sans répercussions.

    Dans certaines situations limite, cela peut devenir une question de vie ou de mort, mais l’accès à des interprètes dans les tribunaux et les hôpitaux demeure un droit humain fondamental. Personne ne devrait être empêché d’accéder à un juge, à un médecin ou à un enseignant parce qu’il ne parle pas l’anglais.


    Toujours au plan pratique, ce décret ne dit rien quant au statut de l’espagnol à Porto Rico et des langues autochtones d’Hawaï et d’Alaska, reconnues officiellement par ces États, de même que pour celui de la langue des signes américaine (LSA). Et on ignore ce qui adviendra des diverses communautés linguistiques de la nation.

    Symboliquement, ce décret fait le bonheur des partisans du mouvement MAGA sur lequel Donald Trump s’appuie depuis le début. Associer l’intégrité nationale à la promotion d’une langue souligne à gros trait une certaine idée de la nation, mais ce geste saborde ce qui a toujours fait sa véritable spécificité, la diversité culturelle et linguistique.

    Bien que l’anglais soit de facto la langue commune des Américains depuis deux siècles et demi, ce décret fait des États-Unis un État-nation comme les autres — y compris ceux qui ne sont pas anglophones — en imposant de jure la langue normalisée d’une majorité ethnique à l’ensemble de leurs citoyens. Dans un pays qui s’y était toujours refusé, les conséquences seront polarisantes et homogénéisantes.

    Or, la plupart des habitants de la planète sont résolument multilingues et le deviennent de plus en plus. Et un décret trumpien ne changera rien au fait que les Américains ne cesseront pas de parler, d’écrire et de signer dans d’autres langues. Ce dynamisme linguistique est essentiel au tissu social des États-Unis. Il doit être entretenu et défendu.


    .sudouest.fr

Chargement...
X