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« La colonisation a été un véritable cataclysme pour la population algérienne. » Entretien avec Alain Ruscio

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  • « La colonisation a été un véritable cataclysme pour la population algérienne. » Entretien avec Alain Ruscio

    En réaction à la polémique autour des propos de Jean-Michel Aphatie, l’historien Alain Ruscio revient dans cet entretien sur les terribles crimes et violences commis par la France en Algérie, depuis sa conquête à partir de 1830 jusqu’à la guerre d’indépendance. Un retour nécessaire pour rappeler l’horreur de la colonisation française.

    La récente polémique autour des propos de Jean-Michel Apathie a remis au centre du débat les crimes et violences de la France dans ses colonies. Alors que l’ensemble de la droite, de l’extrême droite et des médias mainstream s’indigne face au parallèle proposé par Apathie entre les crimes nazis et les crimes de la colonisation, il est salutaire de revenir à la réalité historique crue de la colonisation française en Algérie. Nous avons pour cela réalisé un entretien avec l’historien Alain Ruscio, spécialiste de l’histoire de la colonisation française et auteur notamment de La première guerre d’Algérie – Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852.

    Les récentes déclarations de Jean-Michel Apathie comparant les crimes commis par les Français en Algérie à Oradour-sur-Glane ont provoqué une levée de boucliers de la part de la droite et de l’extrême-droite. La polémique a démontré que si les chroniqueurs et journalistes reconnaissent les horreurs du régime nazi, ils ne font pas preuve du même effort de reconnaissance pour ce qui concerne les violences commises par la France dans ses colonies. En quoi le parallèle d’Apathie contient-il une vérité historique ? Pourriez-vous revenir rapidement sur cette histoire coloniale et l’ampleur des crimes commis par la colonisation française en Algérie, depuis 1830 à la guerre d’Algérie ?

    Alain Ruscio : D’une façon générale, les historiens n’aiment pas trop les comparaisons d’un siècle à l’autre, d’une région à une autre, et donc d’une situation à une autre. Ceci étant affirmé d’emblée, il est absolument évident pour tous les gens qui ont travaillé sérieusement sur l’histoire de la conquête, et j’en fais partie, que la conquête française de l’Algérie a été un véritable cataclysme pour la population algérienne. Celle-ci a été très longue, puisqu’on peut considérer qu’elle a commencé effectivement en 1830, et qu’elle s’est achevée au lendemain de la répression de la grande révolte kabyle de 1871. En vérité, il n’y a jamais eu de pacification complète. Donc ça fait quand même une durée de 40 années. Mon livre, La première guerre d’Algérie – Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 se limite aux 20 premières années, jusqu’au début du Second Empire. On peut donc considérer que cette période a été une catastrophe pour la population algérienne, d’autant plus que, dans un premier temps, cette population n’avait pas été organisée et préparée à la résistance.

    L’ancienne structure de l’Empire ottoman s’est écroulée très rapidement, et les colonnes françaises ont commencé à sillonner d’abord le littoral. Mais, progressivement, elles ont pénétré à l’intérieur, et, à chaque fois qu’elles rencontraient la moindre résistance, elles réagissaient avec une répression absolument atroce. D’ailleurs, le mot « atroce » a été employé par Victor Hugo, quand il a dit que « l’armée a été faite atroce par l’Algérie » pour dénoncer toutes les différentes exactions.

    Les exactions les plus répandues furent les razzias. Quand une colonne française, pour des raisons d’approvisionnement ou tout simplement de vengeance, arrivait près d’un village, elle commençait par tout voler : le bétail, les céréales, à peu près tout ce qui pouvait être consommable. Ce qu’on ne pouvait emporter, on le brûlait, on le détruisait. Les exécutions des populations spoliées, soit par vengeance en cas de résistance, soit par sadisme raciste, accompagnaient souvent ces pillages. Donc il y a eu effectivement beaucoup de villages qui ont été victimes de raids, qui ont laissé des dizaines, parfois des centaines de cadavres sur le sol. Et lorsqu’il y avait des survivants, les gens étaient tout simplement affamés : il y avait une sorte de famine généralisée qui a entraîné une surmortalité considérable.

    Ce que je viens de décrire, c’est le premier aspect, mais il y a d’autres éléments. Il y a notamment ce qu’on appelait les enfumades. Dans mon livre, j’en référence trois qui sont vraiment documentées, mais il y en a eu sans doute beaucoup plus. Lorsqu’un village ou une tribu voulait se réfugier pour échapper à la répression, les habitants se réfugiaient dans des grottes, puisque les gens connaissaient bien sûr très bien leur région. Les Français, plutôt que de prendre d’assaut la grotte et de craindre de perdre des hommes, amenaient des fagots par dizaines, leur mettaient le feu et attendaient que les gens à l’intérieur meurent, soit brûlés vifs, soit asphyxiés. Des crimes de ce genre, il y en a eu beaucoup : des têtes coupées, des viols évidemment. Ces pratiques ont été systématiques dès lors qu’il y avait la moindre résistance. Il y avait eu des résistances algériennes bien sûr, avec en particulier celui qu’on appelait l’émir Abdelkader.

    Le drame, l’atrocité a été le quotidien des populations, sachant que l’armée française est montée jusqu’à 100 000 hommes. C’est un chiffre que peu de journalistes connaissent. Durant la campagne de Bugeaud, il y avait 100 000 soldats qui sillonnaient toutes les régions de l’Algérie et qui faisaient tout ce que je viens de vous décrire. De plus, les officiers eux-mêmes étaient soit des anciens de l’armée de Napoléon Ier, soit des militaires qui avaient déjà participé à des guerres, comme la guerre en Espagne. Certains d’entre eux avaient fait la guerre de Saint-Domingue / Haïti. C’étaient des officiers qui ne reculaient devant aucune exaction. Le pire, c’est qu’ils s’en vantaient. Beaucoup d’éléments dans mon livre sont tirés de citations des auteurs eux-mêmes de ces crimes. Il y a d’une part les rapports qu’on retrouve dans les archives, mais en général dans les rapports ils ne parlent pas beaucoup. D’autre part il y a la correspondance des officiers avec leurs familles. Toute cette correspondance a été publiée, et tout ce que je viens de décrire était dit sur le ton de la rigolade, ou dans le style : « Vous voyez comment on a maté ces sauvages ! ». Je pense donc qu’on peut parler de beaucoup de villages qui ont été totalement rasés, leurs habitants tués, les femmes violées, parfois les hommes violés d’ailleurs. Voilà les atrocités de la conquête.

    Est-ce que vous pourriez revenir aussi un peu, sur l’histoire coloniale plus récente, sur la guerre d’indépendance de l’Algérie, et sur les crimes commis durant cette guerre ?

    A. R. : Pour ce qui concerne la guerre d’indépendance, les choses sont beaucoup plus connues, parce que les événements sont beaucoup plus proches de nous, et qu’il y a eu beaucoup de témoignages qui ont été publiés. Il est bien connu que les « disparitions forcées » ont été nombreuses. Il y a celles qui sont très connues, comme celles de Maurice Audin ou de Ben M’hidi. Mais les « disparitions », qui sont en réalité des arrestations suivies d’exécutions sommaires, ont vraiment été très nombreuses. Il y a eu bien sûr l’usage quasi généralisé de la torture, les villages qui résistaient ont été bombardés au Napalm. Ce sont là des choses très connues, toutes les études historiques les reconnaissent. Et puis il y avait ce qu’on peut appeler la répression légale, à savoir les condamnations à mort. Il faut savoir que pendant la guerre d’indépendance, 222 Algériens ont été guillotinés. Évidemment la justice française disait qu’il s’agissait de terroristes. Mais en réalité c’étaient des patriotes qui avaient été pris les armes à la main et qui ont été exécutés par la justice coloniale. Tout cela fait un bilan extrêmement sanglant. En France, ces choses-là ont vite été oubliées, mais en Algérie on n’a pas besoin d’une politique mémorielle officielle pour que les familles se souviennent de tout cela. Ces exactions ont été transmises de génération en génération.

    Pourtant, même si toute cette histoire est établie, la droite, l’extrême droite et de nombreux médias se sont indignés contre le parallèle historique d’Apathie, allant jusqu’à attaquer directement ce journaliste. Que penses-tu de ces réactions et de cette indignation ?

    A. R. : Nous sommes malheureusement dans une France qui vote à 30% pour le Rassemblement national, où une grande majorité des médias est entre les mains de Bolloré ou de quelque autre milliardaire réactionnaire. Donc effectivement tout ce que je viens de décrire, en général ça a du mal à passer dans les grands médias. De temps en temps il y a des journalistes plus combatifs, comme Apathie qui dit des choses, et ce n’est pas la première fois, il a déjà dit des choses là-dessus. Et puis on peut faire passer des informations parfois sur Arte ou sur France Culture, ou un petit flash sur France Inter. Mais d’une manière générale, il y a une barrière qui empêche l’expression publique de masse de la dénonciation du colonialisme.

    En ce qui me concerne, je co-anime un site qui s’appelle [histoirecoloniale.net- >https://histoirecoloniale.net/]. Sur ce site, on se bagarre pour faire passer des textes, pour interroger des témoins, des survivants, des historiens critiques. Mais c’est un petit peu compliqué, parce qu’encore une fois il y a Bolloré, il y a CNews, il y a Valeurs actuelles, il y a le Figaro, et ces gens-là ont toujours la parole.

    Cette polémique s’inscrit en outre dans des tensions diplomatiques toujours plus vives entre l’État français et l’État algérien. Si Macron avait initié une politique mémorielle dans son premier mandat, notamment autour du 17 octobre 1961, afin de redorer l’image de la France au Maghreb, à présent des membres du gouvernement, par exemple Retailleau, mènent une politique « anti- repentance » vis-à-vis de l’Algérie. Pourriez-vous revenir sur ces tensions diplomatiques et sur le rôle qu’y jouent les questions mémorielles de la colonisation ?

    A. R. : Je pense que ces questions de mémoire y jouent un rôle central, parce que, encore une fois, la population algérienne se sent quand même en permanence agressée par mille petits faits qui lui rappellent la colonisation, et surtout par le fait que la France officielle n’a pas reconnu la colonisation comme un crime contre la population algérienne.

    Tant qu’il n’y aura pas une voix officielle qui dira une fois pour toutes, et ce ne sera pas demain la veille, que la France a conquis l’Algérie et que la France a véritablement brisé la société algérienne, cette tension ne sera pas résolue. Il faut se rendre compte du bilan sanitaire et scolaire de la France en Algérie. Au moment de l’indépendance, il y avait à peu près 15% de gens alphabétisés, donc 85% qui n’allaient plus à l’école. Tant que la France ne reconnaîtra pas ce bilan-là, il y aura un malaise. Ce n’est évidemment pas la seule question en jeu, il y a également des enjeux de géostratégie, notamment le rapport entre la France, le Maroc et l’Algérie qui sont des rapports un peu vicieux. Mais il est certain que l’histoire coloniale tient une place importante dans le contentieux.

    Quant aux initiatives de Macron, on peut considérer que c’est le premier président qui dit par-ci, par-là des choses, par rapport à Sarkozy ou encore François Hollande. Macron a dit deux ou trois choses sur l’assassinat de Maurice Audin, sur l’assassinat de Ben M’hidi. Sur le 17 octobre 1961, il ne s’est pas beaucoup mouillé, il a certes dénoncé Papon, mais il n’a pas parlé de crime d’État. Nous, les historiens, nous demandons à ce que le 17 octobre 1961, le massacre de Charonne, le massacre de 1945 à Sétif, soient considérés comme des crimes d’État. C’est le gouvernement qui a donné des ordres, qui est donc responsable de la mort de milliers d’Algériens. Cela, évidemment, n’est pas du tout la thématique des discours timides de Macron.

    Révolution Permanente
    Gregorio Oneto
    27 février​​​​​​​


    Dernière modification par shadok, 27 février 2025, 18h20.
    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien

  • #2
    A lire:

    La première guerre d'Algérie - Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852

    De Alain Ruscio, Editions La Découverte (773 pages)

    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien

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    • #3
      ( 0:04 )

      Une conquête « féroce »

      La mort par la faim a concerné des centaines de milliers d’Algériens (
      Alain Ruscio )

      Dernière modification par sako, 28 février 2025, 02h08.

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