Par les envoyés spéciaux de TelQuel à Tindouf
Ahmed R. Benchemsi et Mehdi Sekkouri Alaoui
Reportage-photos exclusif.Ahmed R. Benchemsi et Mehdi Sekkouri Alaoui
Au cœur du polisario
(DR)
Pour la première fois depuis le déclenchement du conflit armé, en 1975, un journal marocain s'est rendu à Tindouf et a visité les camps de Lahmada, QG du Polisario. Armée, propagande, institutions politiques, conditions de vie des populations… TelQuel révèle tout.Visite guidée, étape par étape. Mardi 10 juin
Le dîner de l'ambassadeur
Les salutations d'usage expédiées, il embraie tout de suite, faussement innocent : “Où en est la situation, à Sidi Ifni ? Al Jazira a annoncé que les émeutes ont fait une dizaine de morts”. Nos dénégations (à notre connaissance, il n'y a eu que des blessés) le laissent sceptique. Serions-nous de ceux qui relaient “la propagande du Makhzen” par réflexe et par principe ? M. Ghali précise sa pensée : “C'est difficile, pour vous autres journalistes marocains, de rapporter objectivement la situation au Sahara, non ?”. Le ton est donné. Nous ne sommes pas encore à Tindouf, et déjà, la présomption de mauvaise foi nous colle à la peau…
Nous passons à table. Un chevreau grillé est empalé sur une broche en bois, accompagné de multiples plats de viande et de légumes. Nous sommes cinq et il y a à manger pour vingt - la légendaire hospitalité sahraouie… Nous parlons de Manhasset, où Brahim Ghali était présent parmi les négociateurs du Polisario. Il demande des nouvelles de “Taïeb” (Fassi Fihri, le ministre des Affaires étrangères) et de “Chakib” (Benmoussa, Intérieur), qui faisaient partie de la délégation marocaine. Dans cette banlieue de New York, quatre rounds de négociations ont déjà eu lieu. Sans aucun résultat. “Par la faute du Maroc”, précise l'ambassadeur comme si c'était une évidence. Il ajoute : “Ce que je ne comprends toujours pas, dans ce conflit, c'est le silence du peuple marocain. Comment peut-il cautionner une telle injustice ?” Que répondre, face à une certitude aussi profondément ancrée ? Nous complimentons l'ambassadeur sur le chevreau, vraiment excellent.
Il est temps de partir, notre avion décolle à 22h45. Brahim Kerdellas, un des conseillers de l'ambassadeur, nous accompagnera à Tindouf. Arrivés à l'aéroport, il demande nos passeports pour accomplir les formalités d'embarquement. Curieux, nous demandons aussi à voir le sien. C'est un passeport diplomatique vert, portant le sceau de la RASD. Il nous montre aussi son permis de conduire sahraoui, réplique exacte du permis rose marocain, en 3 volets plastifiés. Leur république est peut-être “fantoche”, mais elle est bien organisée…
Après avoir franchi de multiples contrôles de sécurité et subi autant de fouilles au corps, nous embarquons dans un avion civil dont les sièges sont, littéralement, rongés par les mites. Nous avons de la chance : le vol ralliera Tindouf directement, sans l'habituelle escale à Bechar.
Tindouf n'est pas Tindouf
Il est deux heures du matin quand nous atterrissons. Première surprise, et elle est de taille : ici, nulle trace de la République sahraouie. Tindouf et son aéroport, un petit bâtiment relativement délabré, sont tout ce qu'il y a de plus algérien. A commencer par la police dont le chef local, dès qu'il découvre notre nationalité, se lance dans un discours enthousiaste sur les mérites comparés de nos équipes nationales de football. Il est, nous assure-t-il, un fan de Marouane Chamakh. Apprenant, après un aparté avec Brahim, que nous sommes des journalistes en passe de visiter les camps du Polisario, il nous lance, sincèrement compatissant : “ça va être difficile pour vous d'écrire la vérité sur l'indépendance du peuple sahraoui”. Ben voyons…
Un 4x4 blanc, sans plaques d'immatriculation, nous attend à la sortie de l'aéroport. Le territoire alloué aux Sahraouis commence une trentaine de kilomètres - et deux barrages policiers algériens - plus loin. D'ici-là, interdiction de prendre des photos : la région, frontalière du Maroc, est classée zone militaire - on nous dit que les trois-quarts de l'armée algérienne sont stationnés ici. Voilà qui est rassurant…
Pendant 15 minutes, nous roulons sur du bitume, puis notre véhicule s'engage sur une piste sans panneau indicateur, dans la plus totale obscurité. Au bout d'un autre quart d'heure de route et de cahots, nous arrivons à ce qui sera notre lieu de résidence pendant ces 4 jours : une “ferme d'accueil”, nous dit-on. Nous sommes fourbus. Demain sera un autre jour.
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