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Nouvelle affaire de Kompromat à l’ambassade de France à Moscou

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  • Nouvelle affaire de Kompromat à l’ambassade de France à Moscou

    Un agent diplomatique a été discrètement rapatrié au printemps 2023. Les Russes menaçaient de faire exploser sa vie privée s’il n’acceptait pas d’être un sous-marin pour leur compte.

    Antton Rouget

    L’affaireL’affaire était jusqu’ici restée secrète au Quai d’Orsay. Un membre du ministère des affaires étrangères travaillant pour l’ambassade de France à Moscou a été exfiltré vers un pays occidental, en mai 2023, après avoir fait l’objet d’une tentative de compromission à partir de renseignements sur sa vie privée, selon des informations de Mediapart. Cet agent consulaire, Stéphane L., avait subi un interrogatoire, quelques jours plus tôt, par des personnes s’étant présentées à lui comme des « policiers ».

    À l’issue de l’entretien, qui a été filmé à son insu dans la pure tradition des opérations de kompromat (« dossier compromettant ») des services de renseignement russes, les « policiers » ont proposé au fonctionnaire français de devenir une de leurs sources, après avoir mis face à ce père de famille marié des accusations de violences formulées contre lui par une femme, décrite comme son ancienne maîtresse. Un récit que le Français a vigoureusement contesté.

    Agrandir l’image : Illustration 1L'agent consulaire Stéphane L., filmé à son insu à Moscou, avant d’être exfiltré par le ministère. © Illustration Justine Vernier / Mediapart

    Sollicité par Mediapart, le Quai d’Orsay n’a pas voulu commenter la situation, relevant toutefois que « le fait que des services russes s’efforcent de déstabiliser les ambassades occidentales à Moscou n’est pas nouveau ». « Au demeurant, a ajouté le ministère, nos agents sont tout spécialement sensibilisés à ces risques lorsqu’ils partent dans des pays sensibles. Des rappels sont faits en permanence et les mesures appropriées prises pour protéger nos agents qui feraient l’objet de telles tentatives. » Questionnée sur le commanditaire de cette opération, l’ambassade de Russie à Paris ne nous a pas répondu.

    Stéphane L. a précisé auprès de Mediapart avoir « refusé » la proposition qui lui a été formulée, « par loyauté à [son] pays et au ministère qui [l’]emploie ». « En général, dans ce genre d’opération, il y a une petite partie de vrai et, après, des fausses accusations sur lesquelles vous êtes innocent. Mais on vous met dans une position où vous devez démontrer votre innocence », a-t-il ajouté, s’interdisant d’entrer dans les détails de l’affaire sans l’accord de son administration. L’agent consulaire a enfin craint que la diffusion d’informations le concernant puisse « servir d’avertissement à d’autres personnes » se trouvant dans la même situation que lui, en disant: « Regardez, si vous ne faites pas ce que nous vous demandons, on ne vous lâchera plus. »

    Lutte d’influence en Afrique


    Après que le fonctionnaire français a refusé l’offre de services qui lui a été formulée et alerté sa hiérarchie de cette tentative de « tamponnage », des extraits vidéo de l’entretien qu’il avait subi ont fuité, en juillet 2023, dans des médias russes puis azéris.

    Dans un reportage diffusé sur la chaîne NTV, antenne du groupe Gazprom-Media, on voit Stéphane L. répondre dans une salle sans fenêtre, dans laquelle trône un petit drapeau russe. Quelques instants plus tard, il fait face à la femme qui l’accuse d’avoir commis des violences, Émilie B., que les « policiers » ont fait entrer dans la pièce.

    « Cette fille n’avait nulle part où vivre et je n’ai fait que l’héberger »,se défend l’agent consulaire pendant l’entretien. Émilie B. dénonce ensuite dans le reportage : « Quand je lui ai demandé : “Mais qu’est-ce que tu fais avec moi ? Comment peux-tu te permettre de te comporter comme ça avec moi ?”, il m’a répondu : “Qu’est-ce que tu veux y faire ? L’ambassadeur est au courant de la situation, et il est de mon côté.” »

    À aucun moment, les réponses de l’agent consulaire aux faits précis qui lui sont reprochés – et que Mediapart a choisi de ne pas développer, faute de vérifications possibles (lire notre Boîte noire) – ne sont diffusées. NTV affirme en revanche qu’une enquête judiciaire a été ouverte.


    Agrandir l’image : Illustration 2Extraits de l’interrogatoire de l’agent consulaire Stéphane L., filmé à son insu à Moscou. © Montage Justine Vernier / Documents Mediapart

    Le reportage insiste aussi sur la nationalité d’Émilie B., originaire d’un pays d’Afrique centrale, pour mieux mettre en scène une prétendue différence de traitement entre les autorités françaises et russes, dans le contexte de leur lutte d’influence dans l’ancien pré carré français en Afrique. « Ces événements font tout sauf honneur à la diplomatie française, surtout à l’égard des Africains », déclare par exemple la voix off, inscrivant de facto les accusations contre Stéphane L. dans la litanie d’affaires de violences commises par des diplomates et militaires français en poste à l’étranger.

    À l’inverse de ce comportement qualifié de « raciste », Émilie B., qui « se prépare à recevoir la nationalité russe », aurait « compris à quel point, ici, on respectait les droits de tous, peu importe la couleur de peau », est-il affirmé dans le sujet TV. Lequel se conclut avec ce message des plus explicites : « Elle se sent en sécurité en Russie et se tient à bonne distance de l’ambassade de France. »

    Une longue histoire de tentatives de déstabilisation


    À Moscou, Stéphane L. était affecté à des tâches administratives ne lui permettant pas, a priori, d’avoir accès à des informations classifiées. Mais quand il a fait l’objet du chantage au printemps dernier, le fonctionnaire, qui avait déjà travaillé dans les Caraïbes, envisageait de rejoindre l’ambassade de France à Cuba. Ce projet de mutation, dont les « policiers » russes lui ont précisément parlé lors de son entretien d’après nos informations, a été remisé depuis la découverte de l’existence de la tentative de compromission. Et Stéphane L. a été exfiltré dans un pays bien moins exposé.

    Bien que le Quai d’Orsay insiste régulièrement sur la prudence de ses agents face aux risques de compromission, une source sécuritaire ayant opéré en Russie nuance cette affirmation, relatant le manque de vigilance de fonctionnaires en poste à Moscou, ou de leur entourage familial (conjoint·e, notamment), mais aussi d’élu·es ou de chef·fes d’entreprise. Et ce, alors que l’histoire de Stéphane L. s’inscrit dans une longue tradition de tentatives de déstabilisation.

    La dernière connue à ce jour concernait Yoann Barbereau. En juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Russie pour n’avoir pas permis à cet ancien directeur de l’Alliance française d’Irkoutsk (Sibérie) d’exercer tous ses moyens de défense pour faire face à des accusations de pédocriminalité, qu’il a toujours contestées. Arrêté en février 2015, avant d’être emprisonné 71 jours, puis interné en hôpital psychiatrique et enfin placé en résidence surveillée à Irkoutsk, le Français s’était enfui et avait trouvé refuge à l’ambassade de France à Moscou, en dénonçant un kompromat monté de toutes pièces par le FSB (la sécurité d’État).

    Vladimir Poutine lui-même est soupçonné d’avoir personnellement conduit une opération de ce type lorsqu’il dirigeait le FSB en 1998. Cette année-là, une vidéo du procureur Iouri Skouratov, qui enquêtait de trop près surune affaire de corruption de la présidence Eltsine, avec deux prostituées est diffusée sur une chaîne de télévision russe. « L’implication de Poutine ne fait aucun doute », affirmait Héléna Perroud, autrice du livre Un Russe nommé Poutine, sur France Culture en 2020, expliquant que le but de l’opération était d’étouffer le scandale de corruption. Après la diffusion de la vidéo, le procureur Skouratov sera suspendu de ses fonctions.

    Il y a près de soixante ans, le 10 février 1964, c’était l’ambassadeur de France à Moscou Maurice Dejean qui était rapatrié en urgence à Paris, à bord d’une Caravelle d’Air France. Un transfuge du KGB (police secrète soviétique) passé à l’Ouest venait de révéler que cette figure du gaullisme, ancien résistant à la carrière diplomatique impeccable, avait été victime d’un piège sexuel à Moscou. L’affaire provoquera cette réaction du général de Gaulle, d’après le témoignage de son ministre Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle (Fayard, 1994): « Encore une histoire lamentable. […] Un peu plus, et les collections de nos télégrammes passaient au Kremlin. »
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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