La société israélienne est à la fois en deuil et en guerre. Traumatisée et mobilisée. La colère qui s’exprime vise parfois Nétanyahou sans remettre en cause, sinon à la marge, ce qui se passe actuellement à Gaza.
Joseph Confavreux
Mise en garde
Cet article relate des scènes d'une grande violence. Sa lecture peut être particulièrement difficile et choquante.
« Je« Je ne peux matériellement pas aller à tous les enterrements où je devrais aller », explique Sarah Fainberg. Sur ce territoire peuplé de moins de 10 millions d’habitant·es, le « deuil collectif » n’est pas une formule abstraite : tout le monde connaît des familles ayant perdu des leurs dans les massacres commis par le Hamas.
« Plus de 1 200 morts en une journée, à notre échelle, c’est comme si 40 000 personnes étaient mortes le 11-Septembre, enchaîne-t-elle. Et la nature des sévices a agi comme une réactivation mémorielle. Le “pogrom Tik-Tok” du Hamas, c’est un alliage entre les méthodes de Daech et la volonté d’extermination des Einsatzgruppen nazis. »
Cette enseignante et chercheuse, mère de trois filles, en veut à ses dirigeants de n’avoir pas assuré l’impératif de sécurité à l’origine de la fondation d’Israël après la Shoah. « Nos institutions ont failli. Même avec l’armée il va falloir restaurer la confiance. Mais le temps de l’introspection viendra plus tard. »
Agrandir l’image : Illustration 1Dans une rue de Tel-Aviv. © Joseph Confavreux / Mediapart
Comme beaucoup d’Israélien·nes aujourd’hui, elle tient à souligner avant tout la vitalité d’une société en deuil mais pas en larmes. « Aujourd’hui, il n’existe pas un endroit où on ne s’organise pas pour nourrir, vêtir et aider les 300 000 réservistes qui se trouvent au Sud ou au Nord. Ma fille aînée de 15 ans emballe des paquets toute la journée pour les envoyer aux soldats. Pour donner son sang, il faut attendre des heures et tout le monde fait la queue. »
À l’hôpital Sheba-Tel-Hashomer, le don de sang n’est d’ailleurs plus possible cette semaine, les réserves sont jugées suffisantes. Et en ce jour de shabbat, ce vaste complexe médical situé dans la ville de Ramat Gan, à l’est de Tel-Aviv, contraste fortement avec les rues désertées de la capitale économique du pays comme avec n’importe quel hôpital ailleurs dans le monde.
On y chante et on y danse, en effet, à tous les étages. On y croise des myriades de jeunes gens jouant de la guitare, de la darbouka ou chantant à tue-tête. Des familles les bras chargés de toutes les nourritures possibles et imaginables. Des groupes de religieux parlant yiddish habillés comme dans la Pologne du XVIIe siècle et priant de chambre en chambre. Toutes et tous sont venus pour réconforter les blessés du 7 octobre dernier et leurs familles.

Agrandir l’image : Illustration 2Un groupe d'ultra-orthodoxes à l'hôpital de Ramat Gan. © Joseph Confavreux / Mediapart
Maya, Lital, Noya et Daniela ont la vingtaine et sont étudiantes dans la même université. Elles ont cuisiné la veille durant pour venir distribuer à manger au personnel médical et visiter un ami à elles, soldat blessé le week-end précédent. Elles se coupent sans cesse la parole en voulant témoigner de ce qu’elles ont vu sur les réseaux sociaux ou entendu de la bouche de leurs camarades hospitalisés.
« Samedi dernier, quand les sirènes ont retenti, je me suis rendormie aussitôt. Avec le “Dôme de fer”, on se sent en sécurité même quand il y a des roquettes, raconte Maya. Ce n’est qu’au bout de quelques heures que j’ai commencé à comprendre que le Hamas avait pénétré dans notre pays. La grand-mère d’une amie à moi, Adina Moshe, a été emmenée à Gaza et son mari tué devant ses yeux au kibboutz Nir Oz. » Lital enchaîne : « La fête dans le désert, j’aurais pu y être. Ça a été une barbarie, une boucherie. Mais on finira par gagner cette guerre. Définitivement. »
Ne craignent-elles pas un « cycle de vengeance » ininterrompu, pour reprendre les termes d’Amira Haas, figure de la gauche anti-occupation et chroniqueuse pour le journal Haaretz, alors que le bilan des pertes civiles à Gaza s’annonce d’ores et déjà plus vertigineux encore que celui des massacres commis par le Hamas ?
« La différence,affirme Lital, c’est que nous ne voulons pas les faire souffrir comme ils nous ont fait souffrir. On ne démembre par les corps, on ne viole pas, on ne brûle pas vifs les gens. La preuve, c’est que notre armée a demandé aux civils de partir pour pouvoir en terminer avec le Hamas en évitant la mort d’innocents. Mais s’ils étaient aussi innocents qu’ils le proclament, pourquoi est-ce que l’Égypte refuse de les laisser entrer ? »
Cette identification entre les partisans du Hamas et la population gazaouie n’est pas pour autant répandue dans l’intégralité de la société israélienne. « Moi et mes camarades de l’armée, on sait faire la différence entre le Hamas et les Palestiniens. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de se venger mais d’éradiquer le Hamas. Mais il y a un prix à payer pour que ce qui s’est passé ne se reproduise jamais. »
Le jeune soldat qui tient ses propos est théoriquement soumis à un devoir de réserve et tient à rester anonyme. En débardeur blanc et pantalon kaki, il est assis sur un fauteuil roulant, blessé au pied et attendant déjà de pouvoir repartir retrouver ses camarades sur le front.
Sur ses genoux, il porte encore son arme, mais celle-ci est littéralement recouverte par les monceaux de sucreries et de sandwichs que les différents bénévoles lui apportent en continu tandis que ses parents poussent son fauteuil dans les couloirs de l’hôpital.

Agrandir l’image : Illustration 3Dans l'hôpital de Ramat Gan, un espace propose d'écrire des lettres aux soldats envoyés sur le front. © JC / Mediapart
Il faisait partie d’un commando envoyé dimanche 8 octobre au matin reprendre le contrôle du kibboutz Be’eri, situé à quelques encablures de Gaza. « Ce que j’ai vu me hantera toute ma vie, raconte-t-il. Dans la première maison dans laquelle nous sommes entrés, il y avait un bébé décapité dans le salon. Ensuite, on a ouvert la porte de la chambre et découvert la mère nue, allongée sur son lit, assassinée. Puis on a franchi le seuil de l’abri antiroquette dont disposent les maisons de ce kibboutz et on a découvert le corps du mari, les mains attachées dans le dos, entièrement brûlé. J’avais déjà vu des images commencer à circuler le samedi avant d’arriver là-bas, mais rien n’aurait pu me préparer à cela. »
Sur son téléphone personnel, le jeune homme fait défiler des photos qu’il a prises ensuite : un cadavre vêtu d’un treillis et d’un emblème du Hamas, une voiture entièrement incendiée avec deux corps tellement calcinés qu’on peut à peine les différencier de l’habitacle charbonneux…
A-t-il aussi de la rancœur à l’endroit de son gouvernement pour les failles sécuritaires ? « Je ne sais pas comment on va pouvoir se relever de ce qui nous est arrivé, répond-il. On a vécu un état de choc total. Maintenant, on est en train de reprendre le contrôle. Mais regardez autour de vous, tous ces gens qui viennent nous réconforter, ce peuple est extraordinaire. »

Agrandir l’image : Illustration 4Un groupe de jeunes joue de la musique dans l'hôpital de Ramat-Gan. © JC / Mediapart
Natali, 57 ans, est aussi saisie par les manifestations de solidarité et le sentiment d’unité retrouvée depuis que son fils Evyatar, 26 ans, est hospitalisé en soins intensifs à l’hôpital Tel-Hashomer. « Depuis des mois, on était presque au bord de la guerre civile dans ce pays,explique-t-elle, en référence aux clivages autour de la réforme contestée de la Cour suprême voulue par le gouvernement Nétanyahou. Maintenant, tout le monde est ensemble, les religieux et les laïcs, les différentes communautés… En ce moment, il y a des anges qui viennent me donner le sourire tous les jours, amener à boire et à manger, chanter et danser… »
Son fils, parachutiste de profession, a reçu plusieurs balles dans la jambe alors qu’il avait été envoyé reconquérir le terrain pris par le Hamas le week-end du 7-8 octobre. « Il a perdu beaucoup de sang, même s’il s’est fait un garrot lui-même sans lequel il ne serait sans doute plus là. Il y a un début de gangrène et on ne sait pas encore s’il va devoir être amputé ou non », poursuit cette mère de quatre enfants, dont les deux autres fils sont également mobilisés.
Habitante de Guedera, une petite ville au sud de Tel-Aviv, elle est logée dans une chambre de la maternité de l’hôpital. « Cela me fait du bien d’entendre des bébés crier, sourit-elle. Cela me rappelle que malgré l’apocalypse qui s’est ouverte devant nous, Israël va survivre, même si notre moral est brisé. »
De nombreux hôtels, mais aussi des particuliers, se sont mis à disposition des populations rapatriées du sud du pays ou voulant se rapprocher de leurs proches hospitalisés. C’est le cas du Kfar-Maccabiah, un hôtel quatre étoiles adossé à un club sportif huppé situé dans la banlieue de Tel-Aviv.

Agrandir l’image : Illustration 5Entrée principale du Kfar-Maccabiah. © JC/ Mediapart
Des enfants jouent sur les pelouses parfaitement tondues ; des psychologues se tiennent à la disposition des nouveaux résidents ; différentes activités « apaisantes », allant de la sophrologie au shiatsu, sont proposées avec des horaires sur un panneau écrit à la main…
« C’est vrai que nous sommes bien traités, explique Nitza, 42 ans, arrivée il y a quelques jours de la ville de Sdérot, située à proximité de Gaza, avec son mari et ses deux enfants de 6 et 9 ans. Il y a des coiffeurs, des psychologues, des esthéticiennes, et même des sportifs et des artistes connus qui sont venus nous voir. »
Assise sur sa chaise en plastique, visage fermé, elle revendique aujourd’hui le droit à la revanche. « Je vivais à Sdérot, depuis mon mariage il y a quatorze ans. On était habitués aux roquettes. Mais ce qui s’est passé cette fois n’a rien à voir. On a affaire à des sauvages. Ils peuvent tous mourir en ce moment à Gaza, ça m’est complètement égal. Quand je pense aux kidnappés, je préférerais être morte que d’être entre les mains de ces animaux. »
Nitza travaillait dans une agence bancaire de Sdérot, comme sa collègue Natalie, 58 ans, évacuée elle avec son mari et ses quatre petits-enfants. « Je les ai vus par la fenêtre, les terroristes. Ils ont essayé d’entrer mais notre porte était solide, on avait tout éteint et ils ont dû penser que la maison était vide. Mais plus de 25 personnes ont été assassinées dans notre petite ville où tout le monde se connaît. »
Elle habitait Sdérot depuis trente ans et se réjouit aussi des représailles qui ensanglantent aujourd’hui Gaza : « Comment vous faire comprendre que notre colère est trop grande et que nous n’avons pas le choix ? Ce sont des assassins qui ont tué tout le monde sur leur passage ; des barbares qui ont aussi mitraillé les animaux ; des bandits qui ont volé des vélos d’enfants et des cartes bancaires qu’ils utilisent encore à Gaza. »
Pensent-elles qu’il sera de nouveau possible de vivre à Sdérot ? « C’est impossible à savoir aujourd’hui, tranche Nitza. Cela va dépendre de ce qui passe dans les prochains jours. Mes enfants sont traumatisés pour le restant de leur vie. Je ne vois pas comment la peur pourrait nous quitter. Mais c’est aussi l’endroit où je vivais depuis des années. »
Un peu plus loin, une grande salle vitrée qui servait d’espace de restauration a été transformée en vaste entrepôt où s’empilent vêtements de toute taille, couches ou shampoings. Pour l’une des bénévoles, qui préfère ne pas donner son nom, cet afflux est lié à une « mobilisation des simples citoyens. C’est la société qui fait tenir Israël. Le gouvernement n’a rien fait. Il est complètement incapable ». Elle est très en colère.
Joseph Confavreux
Mise en garde
Cet article relate des scènes d'une grande violence. Sa lecture peut être particulièrement difficile et choquante.
« Je« Je ne peux matériellement pas aller à tous les enterrements où je devrais aller », explique Sarah Fainberg. Sur ce territoire peuplé de moins de 10 millions d’habitant·es, le « deuil collectif » n’est pas une formule abstraite : tout le monde connaît des familles ayant perdu des leurs dans les massacres commis par le Hamas.
« Plus de 1 200 morts en une journée, à notre échelle, c’est comme si 40 000 personnes étaient mortes le 11-Septembre, enchaîne-t-elle. Et la nature des sévices a agi comme une réactivation mémorielle. Le “pogrom Tik-Tok” du Hamas, c’est un alliage entre les méthodes de Daech et la volonté d’extermination des Einsatzgruppen nazis. »
Cette enseignante et chercheuse, mère de trois filles, en veut à ses dirigeants de n’avoir pas assuré l’impératif de sécurité à l’origine de la fondation d’Israël après la Shoah. « Nos institutions ont failli. Même avec l’armée il va falloir restaurer la confiance. Mais le temps de l’introspection viendra plus tard. »

Comme beaucoup d’Israélien·nes aujourd’hui, elle tient à souligner avant tout la vitalité d’une société en deuil mais pas en larmes. « Aujourd’hui, il n’existe pas un endroit où on ne s’organise pas pour nourrir, vêtir et aider les 300 000 réservistes qui se trouvent au Sud ou au Nord. Ma fille aînée de 15 ans emballe des paquets toute la journée pour les envoyer aux soldats. Pour donner son sang, il faut attendre des heures et tout le monde fait la queue. »
À l’hôpital Sheba-Tel-Hashomer, le don de sang n’est d’ailleurs plus possible cette semaine, les réserves sont jugées suffisantes. Et en ce jour de shabbat, ce vaste complexe médical situé dans la ville de Ramat Gan, à l’est de Tel-Aviv, contraste fortement avec les rues désertées de la capitale économique du pays comme avec n’importe quel hôpital ailleurs dans le monde.
On y chante et on y danse, en effet, à tous les étages. On y croise des myriades de jeunes gens jouant de la guitare, de la darbouka ou chantant à tue-tête. Des familles les bras chargés de toutes les nourritures possibles et imaginables. Des groupes de religieux parlant yiddish habillés comme dans la Pologne du XVIIe siècle et priant de chambre en chambre. Toutes et tous sont venus pour réconforter les blessés du 7 octobre dernier et leurs familles.

Agrandir l’image : Illustration 2Un groupe d'ultra-orthodoxes à l'hôpital de Ramat Gan. © Joseph Confavreux / Mediapart
Maya, Lital, Noya et Daniela ont la vingtaine et sont étudiantes dans la même université. Elles ont cuisiné la veille durant pour venir distribuer à manger au personnel médical et visiter un ami à elles, soldat blessé le week-end précédent. Elles se coupent sans cesse la parole en voulant témoigner de ce qu’elles ont vu sur les réseaux sociaux ou entendu de la bouche de leurs camarades hospitalisés.
« Samedi dernier, quand les sirènes ont retenti, je me suis rendormie aussitôt. Avec le “Dôme de fer”, on se sent en sécurité même quand il y a des roquettes, raconte Maya. Ce n’est qu’au bout de quelques heures que j’ai commencé à comprendre que le Hamas avait pénétré dans notre pays. La grand-mère d’une amie à moi, Adina Moshe, a été emmenée à Gaza et son mari tué devant ses yeux au kibboutz Nir Oz. » Lital enchaîne : « La fête dans le désert, j’aurais pu y être. Ça a été une barbarie, une boucherie. Mais on finira par gagner cette guerre. Définitivement. »
Ne craignent-elles pas un « cycle de vengeance » ininterrompu, pour reprendre les termes d’Amira Haas, figure de la gauche anti-occupation et chroniqueuse pour le journal Haaretz, alors que le bilan des pertes civiles à Gaza s’annonce d’ores et déjà plus vertigineux encore que celui des massacres commis par le Hamas ?
« La différence,affirme Lital, c’est que nous ne voulons pas les faire souffrir comme ils nous ont fait souffrir. On ne démembre par les corps, on ne viole pas, on ne brûle pas vifs les gens. La preuve, c’est que notre armée a demandé aux civils de partir pour pouvoir en terminer avec le Hamas en évitant la mort d’innocents. Mais s’ils étaient aussi innocents qu’ils le proclament, pourquoi est-ce que l’Égypte refuse de les laisser entrer ? »
Cette identification entre les partisans du Hamas et la population gazaouie n’est pas pour autant répandue dans l’intégralité de la société israélienne. « Moi et mes camarades de l’armée, on sait faire la différence entre le Hamas et les Palestiniens. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de se venger mais d’éradiquer le Hamas. Mais il y a un prix à payer pour que ce qui s’est passé ne se reproduise jamais. »
Le jeune soldat qui tient ses propos est théoriquement soumis à un devoir de réserve et tient à rester anonyme. En débardeur blanc et pantalon kaki, il est assis sur un fauteuil roulant, blessé au pied et attendant déjà de pouvoir repartir retrouver ses camarades sur le front.
Sur ses genoux, il porte encore son arme, mais celle-ci est littéralement recouverte par les monceaux de sucreries et de sandwichs que les différents bénévoles lui apportent en continu tandis que ses parents poussent son fauteuil dans les couloirs de l’hôpital.

Agrandir l’image : Illustration 3Dans l'hôpital de Ramat Gan, un espace propose d'écrire des lettres aux soldats envoyés sur le front. © JC / Mediapart
Il faisait partie d’un commando envoyé dimanche 8 octobre au matin reprendre le contrôle du kibboutz Be’eri, situé à quelques encablures de Gaza. « Ce que j’ai vu me hantera toute ma vie, raconte-t-il. Dans la première maison dans laquelle nous sommes entrés, il y avait un bébé décapité dans le salon. Ensuite, on a ouvert la porte de la chambre et découvert la mère nue, allongée sur son lit, assassinée. Puis on a franchi le seuil de l’abri antiroquette dont disposent les maisons de ce kibboutz et on a découvert le corps du mari, les mains attachées dans le dos, entièrement brûlé. J’avais déjà vu des images commencer à circuler le samedi avant d’arriver là-bas, mais rien n’aurait pu me préparer à cela. »
Sur son téléphone personnel, le jeune homme fait défiler des photos qu’il a prises ensuite : un cadavre vêtu d’un treillis et d’un emblème du Hamas, une voiture entièrement incendiée avec deux corps tellement calcinés qu’on peut à peine les différencier de l’habitacle charbonneux…
A-t-il aussi de la rancœur à l’endroit de son gouvernement pour les failles sécuritaires ? « Je ne sais pas comment on va pouvoir se relever de ce qui nous est arrivé, répond-il. On a vécu un état de choc total. Maintenant, on est en train de reprendre le contrôle. Mais regardez autour de vous, tous ces gens qui viennent nous réconforter, ce peuple est extraordinaire. »

Agrandir l’image : Illustration 4Un groupe de jeunes joue de la musique dans l'hôpital de Ramat-Gan. © JC / Mediapart
Natali, 57 ans, est aussi saisie par les manifestations de solidarité et le sentiment d’unité retrouvée depuis que son fils Evyatar, 26 ans, est hospitalisé en soins intensifs à l’hôpital Tel-Hashomer. « Depuis des mois, on était presque au bord de la guerre civile dans ce pays,explique-t-elle, en référence aux clivages autour de la réforme contestée de la Cour suprême voulue par le gouvernement Nétanyahou. Maintenant, tout le monde est ensemble, les religieux et les laïcs, les différentes communautés… En ce moment, il y a des anges qui viennent me donner le sourire tous les jours, amener à boire et à manger, chanter et danser… »
Son fils, parachutiste de profession, a reçu plusieurs balles dans la jambe alors qu’il avait été envoyé reconquérir le terrain pris par le Hamas le week-end du 7-8 octobre. « Il a perdu beaucoup de sang, même s’il s’est fait un garrot lui-même sans lequel il ne serait sans doute plus là. Il y a un début de gangrène et on ne sait pas encore s’il va devoir être amputé ou non », poursuit cette mère de quatre enfants, dont les deux autres fils sont également mobilisés.
Habitante de Guedera, une petite ville au sud de Tel-Aviv, elle est logée dans une chambre de la maternité de l’hôpital. « Cela me fait du bien d’entendre des bébés crier, sourit-elle. Cela me rappelle que malgré l’apocalypse qui s’est ouverte devant nous, Israël va survivre, même si notre moral est brisé. »
De nombreux hôtels, mais aussi des particuliers, se sont mis à disposition des populations rapatriées du sud du pays ou voulant se rapprocher de leurs proches hospitalisés. C’est le cas du Kfar-Maccabiah, un hôtel quatre étoiles adossé à un club sportif huppé situé dans la banlieue de Tel-Aviv.

Agrandir l’image : Illustration 5Entrée principale du Kfar-Maccabiah. © JC/ Mediapart
Des enfants jouent sur les pelouses parfaitement tondues ; des psychologues se tiennent à la disposition des nouveaux résidents ; différentes activités « apaisantes », allant de la sophrologie au shiatsu, sont proposées avec des horaires sur un panneau écrit à la main…
« C’est vrai que nous sommes bien traités, explique Nitza, 42 ans, arrivée il y a quelques jours de la ville de Sdérot, située à proximité de Gaza, avec son mari et ses deux enfants de 6 et 9 ans. Il y a des coiffeurs, des psychologues, des esthéticiennes, et même des sportifs et des artistes connus qui sont venus nous voir. »
Assise sur sa chaise en plastique, visage fermé, elle revendique aujourd’hui le droit à la revanche. « Je vivais à Sdérot, depuis mon mariage il y a quatorze ans. On était habitués aux roquettes. Mais ce qui s’est passé cette fois n’a rien à voir. On a affaire à des sauvages. Ils peuvent tous mourir en ce moment à Gaza, ça m’est complètement égal. Quand je pense aux kidnappés, je préférerais être morte que d’être entre les mains de ces animaux. »
Nitza travaillait dans une agence bancaire de Sdérot, comme sa collègue Natalie, 58 ans, évacuée elle avec son mari et ses quatre petits-enfants. « Je les ai vus par la fenêtre, les terroristes. Ils ont essayé d’entrer mais notre porte était solide, on avait tout éteint et ils ont dû penser que la maison était vide. Mais plus de 25 personnes ont été assassinées dans notre petite ville où tout le monde se connaît. »
Elle habitait Sdérot depuis trente ans et se réjouit aussi des représailles qui ensanglantent aujourd’hui Gaza : « Comment vous faire comprendre que notre colère est trop grande et que nous n’avons pas le choix ? Ce sont des assassins qui ont tué tout le monde sur leur passage ; des barbares qui ont aussi mitraillé les animaux ; des bandits qui ont volé des vélos d’enfants et des cartes bancaires qu’ils utilisent encore à Gaza. »
Pensent-elles qu’il sera de nouveau possible de vivre à Sdérot ? « C’est impossible à savoir aujourd’hui, tranche Nitza. Cela va dépendre de ce qui passe dans les prochains jours. Mes enfants sont traumatisés pour le restant de leur vie. Je ne vois pas comment la peur pourrait nous quitter. Mais c’est aussi l’endroit où je vivais depuis des années. »
Un peu plus loin, une grande salle vitrée qui servait d’espace de restauration a été transformée en vaste entrepôt où s’empilent vêtements de toute taille, couches ou shampoings. Pour l’une des bénévoles, qui préfère ne pas donner son nom, cet afflux est lié à une « mobilisation des simples citoyens. C’est la société qui fait tenir Israël. Le gouvernement n’a rien fait. Il est complètement incapable ». Elle est très en colère.
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