Au Maroc, quand la terre tremble, le monarque chérifien reste invisible. Mais si cette même terre peut rapporter gros, il sait se montrer présent et se transforme alors en un prédateur redoutable. Premier épisode de notre enquête.
Une voiturette de golf surgit en haut d’une colline au gazon verdoyant et s'arrête en dérapant. Dans un nuage de poussière, Fax, 36 ans, observe la scène, lasse. La jeune femme vit au beau milieu d’un golf de 18 trous. Tous les jours, des hommes en gants blancs viennent faire démonstration de leurs plus beaux swings à quelques mètres de sa précaire chaumière. « Quand je vois ces gens fortunés sur nos terres, je n’éprouve aucun ressentiment, mais je ne peux m'empêcher de comparer la vie de leurs enfants à celle des miens », lâche Fax, entourée de ses trois chiens de garde.
Une trentaine de familles du douar d’Oulad Sbita, situé à 25 km au nord de Rabat, résistent coûte que coûte au groupe immobilier marocain Addoha qui, depuis 2006, a jeté son dévolu sur ces 450 ha de terres, qui font désormais face à une plage privée. Les très modestes tribus locales, qui vivent de la culture du blé et d’arbres fruitiers, ont longtemps manifesté contre le rachat forcé de leurs terres et leur expropriation sauvage au profit d’un projet de zone résidentielle comprenant propriétés de luxe, hôtels, équipements de loisirs et zone commerciale. Un projet touristique porté par Anas Sefrioui, riche homme d’affaires et fondateur d'Addoha, anciennement proche du sérail royal mais aujourd'hui déchu. Sous le couvert de l'anonymat, un proche de la famille royale confie à Marianne qu'au début des années 2000, « Addoha et son PDG ont eu l’oreille du roi, c’est certain. Il n’en aurait pu être autrement pour un tel projet ».
Retour en arrière. Avant d'être accaparées par le roi, les parcelles des tribus étaient considérées comme des terres collectives, pour certaines héritées de colons français présents à l’époque du protectorat. Le décret français du 27 avril 1919 interdisait à quiconque d’en être propriétaire. Lors de l'indépendance du Maroc en 1956, ces terres sont tombées dans l'escarcelle de la royauté et de sa cour, placées sous tutelle du ministère de l'Intérieur. Dès lors, et pendant de nombreuses années, elles ont été entretenues par des communautés de paysans ou d’éleveurs, sur plusieurs générations, partout dans le pays. On parle ici de 15 millions d'hectares, soit 40 % de la superficie du Maroc.
TOUJOURS PAS L’OMBRE D’UN DIRHAM
« Après le départ de la France, environ 1 million d'hectares des meilleures terres arables exploitées par les colons ont été récupérés et déclarés incessibles. Mais plus des trois quarts de ce patrimoine ont disparu en douce, distribués à des personnes affiliées au régime, selon le bon vouloir du roi et de son cercle », révèle Fouad Abdelmoumni, économiste marocain. Une mauvaise habitude qui remonterait au temps de Hassan II, notamment pour calmer la junte militaire après les coups d’État ratés de 1971 et de 1972.
Mais aussi pour faire plaisir à la famille royale ou à de puissantes lignées du Makhzen (« magasin » en arabe, mais désignant aussi le petit cercle de pouvoir et d’influence gravitant autour de la cour). Et pour cause : « Qu’on vous octroie des terres à des prix défiant toute concurrence, des parts de marché ou qu’on vous exonère de redressements fiscaux, cela n’a qu’un seul but pour la royauté : vous fragiliser, vous maintenir dans ce système que vous ne pourrez plus dénoncer. C'est classique », raconte sous couvert de l'anonymat une source proche de la famille royale.
Toutefois un problème apparaît dans cet entre-soi : la double obligation exige en effet sur le papier que les expropriations soient faites au nom d’un organisme public, pour un projet d’utilité publique. Loin, très loin, par exemple, du projet privé et bling-bling d’Addoha. Anas Sefrioui et son entreprise auraient ainsi bénéficié des largesses de la monarchie. Réputé proche de Mounir Majidi, gestionnaire personnel de la fortune de Mohammed VI, le PDG d'Addoha a pu saisir une partie des terres tribales d’Oulad Sbita alors que, dans les faits, la réglementation marocaine le lui interdisait.
Par ailleurs, les habitants expropriés se devaient d’être indemnisés et décemment relogés. Dix-sept ans plus tard, les derniers résistants du douar d'Oulad Sbita n’ont toujours pas vu l’ombre d’un dirham. De retour de son travail, qui consiste à louer des parasols pour les nouveaux voisins riches de la plage des Nations, Razouani, le mari de Fax, témoigne à son tour : depuis que ses terres agricoles lui ont été confisquées, il ne vit plus que de cet emploi précaire.
L'homme à la maigre silhouette avoue qu’il n’a, à ce jour, rien reçu de l'État qui lui permettrait de reconstruire une habitation sur les 90 petits mètres carrés situés plus au nord qui leur ont été proposés par Addoha. « Avant, on nous proposait 8 500 euros pour refaire notre vie ailleurs alors qu’ici, cela fait plusieurs générations que nous entretenions ces terres. Nous avons refusé… Mais aujourd'hui, à cause de tous les travaux et de la bétonisation, plus rien ne pousse. Et le risque est que les forces auxiliaires nous expulsent manu militari. Tous les jours, nous vivons avec cette peur. »
« ON VEUT VIVRE DANS UNE MAISON DIGNE ! ON NE BOUGERA PAS ! »
Un peu plus en contrebas du golf, une calèche tirée par un âne passe devant un berger et ses moutons. Le regard triste, l'homme contemple le complexe quadrillé de villas et d’appartements neufs, à l'architecture répétitive, agencé tel un quartier pavillonnaire américain. Une frontière invisible s’est littéralement établie entre les locaux infortunés et les nouveaux riches d’Oulad Sbita. Elle est délimitée par cette pelouse façon moquette, surveillée par une myriade de gardes de sécurité payés pour prévenir l’intrusion des derniers autochtones.
Récemment, cinq enfants ont perdu la vie dans les étangs artificiels créés pour décorer le parcours de golf aux 18 trous. « Le revêtement en plastique noir des bassins est glissant et les a empêchés de remonter et de se sauver », raconte cette habitante. Meriem hurle, un bébé dans les bras : « La société ne nous propose plus qu’un bout de terre, mais sans argent ! On veut vivre dans une maison digne ! On ne bougera pas ! » La jeune femme est interrompue par la venue d’un agent de police.
Un silence lourd s'installe. Critiquer à haute voix le Makhzen et enquêter sur les affaires du roi peut remonter à l’oreille du « caïd » (espion local) de la localité qui transmet par la suite l’information aux différents services de sécurité intérieurs. Omar Radi, journaliste d’investigation marocain, en a payé le prix. Après avoir enquêté sur Oulad Sbita, il purge actuellement une peine de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » couplé d'une accusation de « viol » fallacieuse.
Les réserves foncières de l’État marocain sont donc une aubaine pour Mohammed VI et le Makhzen. Récupérées de force sans grands frais de dédommagements, certaines parcelles ont même pris de la valeur à mesure que les grands espaces urbains se sont rapprochés des terres, permettant ainsi de grands gains aux sociétés du roi ou de sa cour. Ce fut le cas également à Guich Oudaya, quartier de la ville côtière de Témara, au sud de Rabat. Considérées comme terres collectives, au même titre administratif qu’Oulad Sbita, les parcelles ont été estimées à 600 dirhams le mètre carré (55,35 euros) et chaque arbre fruitier arraché à 350 dirhams dirham (32,30 euros).
Une peccadille pour les grands promoteurs privés ayant repris les terrains. Au total, dans ce secteur, 4 053 hectares ont été vendus pour 1 dirham symbolique alors que les habitants estimaient leur mètre carré à 20 000 dirhams (1 845 euros), 30 fois plus cher que les compensations proposées par l’État marocain. Dans son rapport annuel de 2014, que Marianne s'est procuré, la Cour des comptes marocaine « a constaté une différence entre les prix de cession pratiqués et ceux du marché », estimée « en millions de dirhams ». Une source proche du dossier affirme en outre que les terrains ont tous été vendus à des personnalités du Makhzen.
SOUS L'ÉTROITE SURVEILLANCE DES GENDARMES
La prédation de Mohammed VI et de ses sbires frappe partout au Maroc, entraînant des luttes courageuses de populations souvent déjà marginalisées par l’absence de développement et d’infrastructures publiques sur leurs terres. Situé dans le sud-est du Maroc, entre Errachidia et Ouarzazate, Imider (8 000 hab.) a aussi subi l'appétit de la monarchie. Cette très pauvre commune de paysans, établie sur une des plus grosses réserves d’argent d’Afrique, s’est un jour élevée contre la Société métallurgique d'Imider (SMI), dont la maison mère n’est autre que l’ancienne SNI (Société nationale d'investissement), devenue aujourd'hui Al Mada, un holding tentaculaire contrôlé par le roi.
L’entreprise produit des lingots d'argent métal d'une pureté de 99,5 %. Pour ce faire, l’usine puise 1 555 m3 par jour dans les nappes d'eau souterraines, soit 12 fois la consommation quotidienne d'eau des paysans de la commune. En 2011, ces derniers n’ont plus eu accès à l'eau courante pour vivre et irriguer leurs arbres fruitiers. « Sur le plan social, les habitants ne tirent aucun bénéfice de l’exploitation du gisement d’argent pourtant très rentable [avec un chiffre d’affaires de 532 millions de dirhams, soit près de 50 millions d’euros au premier semestre 2023]. La SMI n’investit aucun dirham dans les infrastructures locales (santé, éducation, électricité, transports…), qui connaissent un grand déficit et ne respecte pas ses engagements de recruter prioritairement la main-d’œuvre locale » ajoute un habitant d’Imider dans une note envoyée à Marianne.
Toujours en 2011, pour protester contre les spoliations de leurs réserves d'eau par l’entreprise, les habitants ont établi un campement au sommet du mont Alban, perché à 1 500 m d’altitude, pour prendre le contrôle et couper les vannes du principal réservoir alimentant l’usine royale. La défense de leurs terres contre l’entreprise de Mohammed VI a duré sept ans. « Une fois arrêtés et en détention provisoire dans les locaux de la gendarmerie royale, les citoyens d’Imider sont souvent soumis à des mauvais traitements, frappés, privés de sommeil, insultés, menacésconfie un habitant d’Imider souhaitant rester anonyme. Des hommes de main ont également été utilisés par les autorités pour provoquer et agresser les leaders du mouvement de protestation. Ceux-ci se trouvent sous l’étroite surveillance des gendarmes qui utilisent même des hélicoptères pour poursuivre et terroriser les habitants en attendant le moment propice pour les arrêter. »
Les années de combat ont fini par épuiser les opposants, qui, éreintés, physiquement et économiquement, sont contraints d'abandonner le comabt. Au Maroc, de rares journalistes indépendants, dont Omar Radi, ont couvert le combat des habitants d’Imider contre les intérêts du monarque. Les conflits d’Oulad Sbita, de Guich Oudaya et d’Imider ont trouvé peu d’échos à l’international et ont été étouffées localement, permettant au régime de conserver ses rentes au détriment du bien-être de son peuple.
Une voiturette de golf surgit en haut d’une colline au gazon verdoyant et s'arrête en dérapant. Dans un nuage de poussière, Fax, 36 ans, observe la scène, lasse. La jeune femme vit au beau milieu d’un golf de 18 trous. Tous les jours, des hommes en gants blancs viennent faire démonstration de leurs plus beaux swings à quelques mètres de sa précaire chaumière. « Quand je vois ces gens fortunés sur nos terres, je n’éprouve aucun ressentiment, mais je ne peux m'empêcher de comparer la vie de leurs enfants à celle des miens », lâche Fax, entourée de ses trois chiens de garde.
Une trentaine de familles du douar d’Oulad Sbita, situé à 25 km au nord de Rabat, résistent coûte que coûte au groupe immobilier marocain Addoha qui, depuis 2006, a jeté son dévolu sur ces 450 ha de terres, qui font désormais face à une plage privée. Les très modestes tribus locales, qui vivent de la culture du blé et d’arbres fruitiers, ont longtemps manifesté contre le rachat forcé de leurs terres et leur expropriation sauvage au profit d’un projet de zone résidentielle comprenant propriétés de luxe, hôtels, équipements de loisirs et zone commerciale. Un projet touristique porté par Anas Sefrioui, riche homme d’affaires et fondateur d'Addoha, anciennement proche du sérail royal mais aujourd'hui déchu. Sous le couvert de l'anonymat, un proche de la famille royale confie à Marianne qu'au début des années 2000, « Addoha et son PDG ont eu l’oreille du roi, c’est certain. Il n’en aurait pu être autrement pour un tel projet ».
Retour en arrière. Avant d'être accaparées par le roi, les parcelles des tribus étaient considérées comme des terres collectives, pour certaines héritées de colons français présents à l’époque du protectorat. Le décret français du 27 avril 1919 interdisait à quiconque d’en être propriétaire. Lors de l'indépendance du Maroc en 1956, ces terres sont tombées dans l'escarcelle de la royauté et de sa cour, placées sous tutelle du ministère de l'Intérieur. Dès lors, et pendant de nombreuses années, elles ont été entretenues par des communautés de paysans ou d’éleveurs, sur plusieurs générations, partout dans le pays. On parle ici de 15 millions d'hectares, soit 40 % de la superficie du Maroc.
TOUJOURS PAS L’OMBRE D’UN DIRHAM
« Après le départ de la France, environ 1 million d'hectares des meilleures terres arables exploitées par les colons ont été récupérés et déclarés incessibles. Mais plus des trois quarts de ce patrimoine ont disparu en douce, distribués à des personnes affiliées au régime, selon le bon vouloir du roi et de son cercle », révèle Fouad Abdelmoumni, économiste marocain. Une mauvaise habitude qui remonterait au temps de Hassan II, notamment pour calmer la junte militaire après les coups d’État ratés de 1971 et de 1972.
Mais aussi pour faire plaisir à la famille royale ou à de puissantes lignées du Makhzen (« magasin » en arabe, mais désignant aussi le petit cercle de pouvoir et d’influence gravitant autour de la cour). Et pour cause : « Qu’on vous octroie des terres à des prix défiant toute concurrence, des parts de marché ou qu’on vous exonère de redressements fiscaux, cela n’a qu’un seul but pour la royauté : vous fragiliser, vous maintenir dans ce système que vous ne pourrez plus dénoncer. C'est classique », raconte sous couvert de l'anonymat une source proche de la famille royale.
Toutefois un problème apparaît dans cet entre-soi : la double obligation exige en effet sur le papier que les expropriations soient faites au nom d’un organisme public, pour un projet d’utilité publique. Loin, très loin, par exemple, du projet privé et bling-bling d’Addoha. Anas Sefrioui et son entreprise auraient ainsi bénéficié des largesses de la monarchie. Réputé proche de Mounir Majidi, gestionnaire personnel de la fortune de Mohammed VI, le PDG d'Addoha a pu saisir une partie des terres tribales d’Oulad Sbita alors que, dans les faits, la réglementation marocaine le lui interdisait.
Par ailleurs, les habitants expropriés se devaient d’être indemnisés et décemment relogés. Dix-sept ans plus tard, les derniers résistants du douar d'Oulad Sbita n’ont toujours pas vu l’ombre d’un dirham. De retour de son travail, qui consiste à louer des parasols pour les nouveaux voisins riches de la plage des Nations, Razouani, le mari de Fax, témoigne à son tour : depuis que ses terres agricoles lui ont été confisquées, il ne vit plus que de cet emploi précaire.
L'homme à la maigre silhouette avoue qu’il n’a, à ce jour, rien reçu de l'État qui lui permettrait de reconstruire une habitation sur les 90 petits mètres carrés situés plus au nord qui leur ont été proposés par Addoha. « Avant, on nous proposait 8 500 euros pour refaire notre vie ailleurs alors qu’ici, cela fait plusieurs générations que nous entretenions ces terres. Nous avons refusé… Mais aujourd'hui, à cause de tous les travaux et de la bétonisation, plus rien ne pousse. Et le risque est que les forces auxiliaires nous expulsent manu militari. Tous les jours, nous vivons avec cette peur. »
« ON VEUT VIVRE DANS UNE MAISON DIGNE ! ON NE BOUGERA PAS ! »
Un peu plus en contrebas du golf, une calèche tirée par un âne passe devant un berger et ses moutons. Le regard triste, l'homme contemple le complexe quadrillé de villas et d’appartements neufs, à l'architecture répétitive, agencé tel un quartier pavillonnaire américain. Une frontière invisible s’est littéralement établie entre les locaux infortunés et les nouveaux riches d’Oulad Sbita. Elle est délimitée par cette pelouse façon moquette, surveillée par une myriade de gardes de sécurité payés pour prévenir l’intrusion des derniers autochtones.
Récemment, cinq enfants ont perdu la vie dans les étangs artificiels créés pour décorer le parcours de golf aux 18 trous. « Le revêtement en plastique noir des bassins est glissant et les a empêchés de remonter et de se sauver », raconte cette habitante. Meriem hurle, un bébé dans les bras : « La société ne nous propose plus qu’un bout de terre, mais sans argent ! On veut vivre dans une maison digne ! On ne bougera pas ! » La jeune femme est interrompue par la venue d’un agent de police.
Un silence lourd s'installe. Critiquer à haute voix le Makhzen et enquêter sur les affaires du roi peut remonter à l’oreille du « caïd » (espion local) de la localité qui transmet par la suite l’information aux différents services de sécurité intérieurs. Omar Radi, journaliste d’investigation marocain, en a payé le prix. Après avoir enquêté sur Oulad Sbita, il purge actuellement une peine de prison pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État » couplé d'une accusation de « viol » fallacieuse.
Les réserves foncières de l’État marocain sont donc une aubaine pour Mohammed VI et le Makhzen. Récupérées de force sans grands frais de dédommagements, certaines parcelles ont même pris de la valeur à mesure que les grands espaces urbains se sont rapprochés des terres, permettant ainsi de grands gains aux sociétés du roi ou de sa cour. Ce fut le cas également à Guich Oudaya, quartier de la ville côtière de Témara, au sud de Rabat. Considérées comme terres collectives, au même titre administratif qu’Oulad Sbita, les parcelles ont été estimées à 600 dirhams le mètre carré (55,35 euros) et chaque arbre fruitier arraché à 350 dirhams dirham (32,30 euros).
Une peccadille pour les grands promoteurs privés ayant repris les terrains. Au total, dans ce secteur, 4 053 hectares ont été vendus pour 1 dirham symbolique alors que les habitants estimaient leur mètre carré à 20 000 dirhams (1 845 euros), 30 fois plus cher que les compensations proposées par l’État marocain. Dans son rapport annuel de 2014, que Marianne s'est procuré, la Cour des comptes marocaine « a constaté une différence entre les prix de cession pratiqués et ceux du marché », estimée « en millions de dirhams ». Une source proche du dossier affirme en outre que les terrains ont tous été vendus à des personnalités du Makhzen.
SOUS L'ÉTROITE SURVEILLANCE DES GENDARMES
La prédation de Mohammed VI et de ses sbires frappe partout au Maroc, entraînant des luttes courageuses de populations souvent déjà marginalisées par l’absence de développement et d’infrastructures publiques sur leurs terres. Situé dans le sud-est du Maroc, entre Errachidia et Ouarzazate, Imider (8 000 hab.) a aussi subi l'appétit de la monarchie. Cette très pauvre commune de paysans, établie sur une des plus grosses réserves d’argent d’Afrique, s’est un jour élevée contre la Société métallurgique d'Imider (SMI), dont la maison mère n’est autre que l’ancienne SNI (Société nationale d'investissement), devenue aujourd'hui Al Mada, un holding tentaculaire contrôlé par le roi.
L’entreprise produit des lingots d'argent métal d'une pureté de 99,5 %. Pour ce faire, l’usine puise 1 555 m3 par jour dans les nappes d'eau souterraines, soit 12 fois la consommation quotidienne d'eau des paysans de la commune. En 2011, ces derniers n’ont plus eu accès à l'eau courante pour vivre et irriguer leurs arbres fruitiers. « Sur le plan social, les habitants ne tirent aucun bénéfice de l’exploitation du gisement d’argent pourtant très rentable [avec un chiffre d’affaires de 532 millions de dirhams, soit près de 50 millions d’euros au premier semestre 2023]. La SMI n’investit aucun dirham dans les infrastructures locales (santé, éducation, électricité, transports…), qui connaissent un grand déficit et ne respecte pas ses engagements de recruter prioritairement la main-d’œuvre locale » ajoute un habitant d’Imider dans une note envoyée à Marianne.
Toujours en 2011, pour protester contre les spoliations de leurs réserves d'eau par l’entreprise, les habitants ont établi un campement au sommet du mont Alban, perché à 1 500 m d’altitude, pour prendre le contrôle et couper les vannes du principal réservoir alimentant l’usine royale. La défense de leurs terres contre l’entreprise de Mohammed VI a duré sept ans. « Une fois arrêtés et en détention provisoire dans les locaux de la gendarmerie royale, les citoyens d’Imider sont souvent soumis à des mauvais traitements, frappés, privés de sommeil, insultés, menacésconfie un habitant d’Imider souhaitant rester anonyme. Des hommes de main ont également été utilisés par les autorités pour provoquer et agresser les leaders du mouvement de protestation. Ceux-ci se trouvent sous l’étroite surveillance des gendarmes qui utilisent même des hélicoptères pour poursuivre et terroriser les habitants en attendant le moment propice pour les arrêter. »
Les années de combat ont fini par épuiser les opposants, qui, éreintés, physiquement et économiquement, sont contraints d'abandonner le comabt. Au Maroc, de rares journalistes indépendants, dont Omar Radi, ont couvert le combat des habitants d’Imider contre les intérêts du monarque. Les conflits d’Oulad Sbita, de Guich Oudaya et d’Imider ont trouvé peu d’échos à l’international et ont été étouffées localement, permettant au régime de conserver ses rentes au détriment du bien-être de son peuple.
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