Qu'attendent les autorités marocaines pour faciliter l'accés de l'aide humanitaire dans ces zones ?
Dans cette petite ville de la province d’Al-Haouz, peuplée de quelque 20 000 habitants, la plupart des habitations portent les traces du tremblement de terre et « il est encore très difficile d’évaluer les dégâts humains ».
Les petites ruelles d’Amizmiz, ensevelies sous la poussière et les débris, sont silencieuses. Au lendemain du violent séisme qui a frappé le Maroc dans la soirée du vendredi 8 septembre – le bilan officiel dépasse, dimanche 10 septembre, les 2 000 morts –, seuls des coups de pioches résonnent encore. Ceux des habitants – voisins, cousins, amis –, qui, armés de leurs modestes outils, recherchaient sans relâche, samedi après-midi, les corps de leurs proches enfouis sous les décombres.
Dans cette petite ville de la province d’Al-Haouz, peuplée de quelque 20 000 habitants et située dans une zone enclavée au pied des montagnes du Haut-Atlas, à plus d’une heure au sud de Marrakech, proche de l’épicentre du séisme, rares sont les habitations épargnées. Les maisons qui ne se sont pas écroulées sont fissurées ; beaucoup menacent de s’effondrer.
Celle d’Abdellatif Bejjar, qu’il a construite année après année pendant vingt ans avec ses mains de potier, n’est plus qu’un amas de parpaings. « Hier soir, on a cru mourir. La maison a fait des va-et-vient comme ceux d’un bateau, puis elle s’est effondrée. On était dessous, mes quatre enfants, ma femme et moi. On a creusé un trou et on a pu sortir », raconte cet habitant de 55 ans, les yeux épuisés et emplis de larmes. Depuis la nuit, il aide ses voisins à secourir les nombreuses victimes. « Ni sécurité civile, ni gendarmes… personne, encore, n’est venu nous aider, déplore-t-il. Heureusement, les gens ici sont collectifs, ensemble dans la fête comme dans le malheur. »
A ses côtés, Omar Bah Bah, 54 ans, s’est improvisé lui aussi secouriste. Avec des pioches, des crics de voiture et, la nuit, un panneau solaire – à défaut d’avoir de l’électricité –, pour éclairer « l’obscurité la plus sombre » qu’il ait jamais connue. « Ici, on dit Ma chaa Allah [« Comme Allah a voulu »]. Ça vient du ciel, de Dieu, pas de la terre. On ne sait pas pourquoi…, souffle-t-il, le regard plein de détresse. Maintenant, nous sommes tous très pauvres. Plus de maison, plus rien à manger. Le travail, l’école, c’est fini… On a tout perdu. »
Omar Bah Bah et sa cousine, Amina Wachiken, à Amizmiz (Maroc), le 9 septembre 2023. AURÉLIE COLLAS/LE MONDE
« Catastrophique »
Un peu plus loin, Ghizlane El-Kadi, la quarantaine, observe, affligée, ses cousins chercher le corps de sa tante sous les ruines de sa maison. Ce matin, elle est venue en famille à Amizmiz, à trois voitures, depuis Marrakech, pour porter secours. Têtes baissées, le corps recroquevillé sous le poids de leur peine, les femmes de la famille attendent, mutiques, devant les décombres sur lesquels les hommes continuent de creuser. Un pied retrouvé, puis le corps. Ghizlane respire fort. C’est elle qui, avec ses cousines, va préparer la dépouille de sa tante pour l’enterrer quelques minutes plus tard. Dans le quartier, ce sera le dix-septième enterrement depuis l’aube.
Selon un bilan encore provisoire de la commune, « au moins 100 à 120 personnes » ont été blessées ou sont mortes dans la seule ville d’Amizmiz. « Il est encore très difficile d’évaluer les dégâts humains, dans la mesure où il y a certains villages de montagne auxquels nous n’avons pas accès, car les routes et les communications sont coupées, s’inquiétait samedi après-midi Kamil Abdelghani, président de la commune voisine de Sidi Badhaj, chargé de coordonner l’action de la communauté de communes. Ce qui est certain, c’est que la situation est encore plus alarmante dans les villages de montagne alentour. Il y a probablement deux ou trois douars qu’on a totalement perdus. C’est catastrophique. »
Abdellatif Bejjar devant sa maison détruite, à Amizmiz (Maroc), le 9 septembre 2023. AURÉLIE COLLAS/LE MONDE
A l’entrée d’Amizmiz, sur la route principale, les télévisions nationales, postées devant la maison d’un adjudant-chef de la gendarmerie décédé dans la nuit, où s’affairaient pompiers et forces de l’ordre, évoquaient le spectre du tremblement de terre du 29 février 1960 qui avait détruit la ville d’Agadir, sur la côte atlantique.
A la tombée de la nuit, les habitants d’Amizmiz s’étaient regroupés dehors, allongés sur couvertures, dans les champs d’oliviers, sur des terrains vagues ou des places publiques. Dans le centre-ville, un traiteur avait installé deux grandes tentes de mariage en guise d’abri. Le thé à la menthe passait de main en main. Des femmes avaient préparé de la soupe de pois chiche et du couscous avec les quelques réchauds et gamelles récupérés des décombres. Les bébés pleuraient ; les enfants ne jouaient pas. Immobiles à côté de leurs parents, ils observaient, sonnés, ce spectacle chaotique. Abdellatif Bejjar, lui, croquait dans un biscuit – « premier repas » de sa journée –, en cherchant de quoi faire un feu pour la nuit. Contre le froid qui tombait, contre les chiens sauvages de la montagne. « Notre sécurité, disait-il, c’est la seule chose qu’il nous reste à sauver. »
Aurélie Collas(Amizmiz, Maroc, envoyée spéciale)
Commentaire